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Deux filles dans les manifs, pour les 5e / 4e.
La vie comme Elva, de Jean-Paul Nozière
Éditions Thierry Magnier, 2005, 173 p., 7,5 €.
mardi 1er mai 2007
Un récit sans conviction autant dans la grève que dans l’amour naissant entre les deux héroïnes, comme si l’auteur s’était décidé pour une fois, succombant peut-être à un effet de mode, à mettre en scène un personnage non-hétérosexuel, et n’avait pas trop su comment s’y prendre. Il se contente de les regarder derrière l’épaule de son narrateur et de les trouver belles.
Résumé
Comme tous les Spongeois (habitants de « Sponge », ville au nom évocateur dans laquelle l’auteur situe plusieurs de ses romans), les parents d’Elva (15 ans) et ses deux frères Maurice et Léon, ou bien travaillent à l’usine La Francilienne, ou bien sont destinés à y travailler. Elva s’ennuie à mourir dans ce patelin où il n’y a rien à faire qu’à rejoindre les garçons qui draguent, ce qui ne l’intéresse pas du tout (p. 14). Elle rêve de devenir comédienne. Patatras, les deux parents reçoivent, comme quatre-vingts employés de l’usine, une lettre de licenciement économique. Il faut « dégraisser », ou l’usine va fermer. La seule perspective serait de déménager, mais paradoxalement c’est Elva qui pousse ses parents à se battre pour conserver leur emploi et rester dans ce trou. Elle s’oppose à son frère Maurice, surnommé Mousse, qui ne trouve rien de mieux à dire que : « Vous feriez mieux de gueuler contre les étrangers qui bossent à l’usine. […] Les Français, hop du balai, les Arabes on les garde » (p. 31). Luce Lepontailler est la fille du directeur de personnel de l’usine ; elle vit dans un univers préservé et fréquente peu le vulgaire spongeois. Elle est extraordinairement belle, et doit repousser à coups de fourche (p. 120) les avances masculines. Elle a été embrassée sur la bouche par une femme au vestiaire du golf, mais n’a pas semblé comprendre ce qui lui arrivait (p. 49). Alors que les vacances débutent, elle tombe par hasard sur la manifestation organisée pour protester contre les licenciements. On y conspue son père, et elle ne comprend pas, car selon elle, il n’a fait qu’exécuter des ordres. Toujours est-il qu’elle y retrouve Elva, laquelle l’avait matée pendant la messe. Les deux filles sont fascinées l’une par l’autre, sans s’expliquer pourquoi. Elles se rapprochent, Luce se joint incognito au piquet de grève, mais ce sont les remarques du petit frère Léon : « T’es jalouse » (p. 128) ou la saillie homophobe d’un employé qui leur feront prendre conscience de la nature de leur amitié.
Mon avis
On pouvait attendre mieux d’une aussi flatteuse couverture barrée d’une magnifique banderole « NON » et de poings levés. Ce qui ressort, c’est l’absence de conviction du narrateur autant que des personnages. On n’a pas envie de se battre contre la fatalité économique, et finalement, pourquoi ne pas faire comme les « déguisés », c’est-à-dire les Touaregs, comme les nomme le père d’Elva devant sa télévision ? Prendre sa maison sur son dos et changer de vie. Toute cette agitation n’est que baroud d’honneur, et personne ne semble croire à ce qu’il dit, pas plus les « rouges » que ceux qui les dénoncent, à commencer par les propos racistes du grand frère d’Elva, les propos de macho du petit frère (« t’en as pas [de quéquette] », p. 59). L’auteur se justifie de ne pas individualiser les « ils » qui dirigent l’entreprise, en les représentant comme un « monstre à plusieurs têtes » (p. 73), tout en faisant du directeur du personnel, présenté comme un simple rouage, une caricature de bourgeois. Tous les poncifs du genre sont passés en revue, du Temps des cerises cité in extenso s’il vous plaît, aux saillies racistes qui semblent les seuls arguments des anti-grève (« les bamboulas dehors ! » (p. 150)). Quant au thème du lesbianisme, on se demande dans quel monde ont vécu jusque-là ces deux jeunes filles. On dirait qu’elles viennent de la planète Mars et n’ont pas la moindre idée de ce qui leur arrive, que le narrateur ne nomme pas, à part par l’insulte « gouines ». Luce notamment, alors qu’elle habite à Sponge, semble vivre dans une bulle, comme son père d’ailleurs, qui n’aura pas le moindre rapport direct avec les grévistes (même pas une séquestration pourtant envisagée). Mais il faut bien qu’elle fréquente un lycée quand même, donc qu’elle y ait des amis ! On entend vaguement parler d’une certaine Charlotte, mais c’est tout. Ce que l’on ressent là aussi c’est une certaine maladresse, comme si l’auteur, la 4e de couverture nous apprend qu’il a déjà écrit une quarantaine d’ouvrages pour adolescents, s’était décidé pour une fois, succombant peut-être à un effet de mode, à mettre en scène des personnages non-hétérosexuels, et n’avait pas trop su comment s’y prendre. Il se contente de les regarder derrière l’épaule de son narrateur et de les trouver belles. C’est un peu court…
– Voir également Maboul à zéro, et Mortelle mémoire, du même auteur.
– Lire l’avis d’Isabelle B. Price sur Univers-L.com.
Voir en ligne : Site de Jean-Paul Nozière
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