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Une poésie bien prosaïque, pour les lycées
Le Miroir de l’Amour, d’Alan Moore & José Villarrubia
Carabas Révolution, 1988 / 2006, 136 p., 25 €
dimanche 10 juin 2007
Le texte central de cet ouvrage est un poème en prose d’Alan Moore, célèbre auteur de bande dessinée anglais, qui avait été publié pour la première fois en 1988 dans une anthologie de bande dessinée intitulée AARGH !, acronyme pour « Artistes contre l’homophobie répandue du gouvernement ». Il s’agissait de protester contre la « Clause 28 », texte de loi interdisant aux collectivités locales de montrer l’homosexualité sous un jour favorable, aboli seulement en 2003. Le principal intérêt de cet ouvrage est de rappeler dans son dossier cet épisode devenu « un lointain souvenir, presque pittoresque par son caractère grotesque » (p. 10), comme le dit Robert Rodi dans son introduction (à cela près que 2003 n’est pas si lointain). À ce titre, présenter cet ouvrage dans nos C.D.I. pourrait s’apparenter à une revanche sur le sort. On pourrait en dire de même des lois de ségrégation raciale aux États-Unis, abolies seulement dans les années 60, comme le rappelle Howard Cruse dans Un monde de différence.
L’introduction de David Drake rappelle l’émotion de José Villarrubia quand il découvrit le poème, et comment les deux complices le mirent en scène à la fin de la période la plus dramatique de l’épidémie de sida (1998). Dix ans encore plus tard, on nous propose ce texte pesamment traduit en français, en prétendant que sa valeur de pamphlet maintenant émoussée laisse la place à un autre intérêt. Il est agrémenté de photos de José Villarrubia, plus intéressantes que le texte, sauf quand elles se veulent platement accusatrices, notamment contre le catholicisme (photos de statues, de croix, du Pape Benoît XVI…). Le texte est fort prosaïque, et tente de retracer par petites touches l’histoire de l’homophobie autant que celle de l’homosexualité. Ce survol souvent caricatural, dont on comprend qu’il avait pu émouvoir en 1988, frise le ridicule vingt ans plus tard. Il ressasse des idées reçues et des slogans de langue de bois mille fois lus depuis, par des gens qui ne prennent pas la peine de vérifier leurs sources : « La Parole vint plus tard, / et cette Parole était pouvoir, / Patriarcat : / les premiers nés se tordirent / sur les autels / d’un dieu-père ». Nulle mention de Gilgamesh ; Grecs et Romains sont indifférenciés, et l’on passe vite à l’égrenage des grands noms britanniques de la cause, Émily Dickinson, Walt Whitman, Nathalie Barney, Renée Vivien. Voici le seul passage qui m’ait semblé non-prosaïque : « notre culture / connut aussi les porches sombres / les toilettes puantes, / se souvenant dans ces moments de tendresse, / de notre équivalence / avec la merde » (p. 72). Profitons-en pour signaler un des meilleurs romans que je connaisse en littérature anglophone : La pissotière, de Warwick Collins (10/18).
Pour le reste, je ne vois pas ce qui distingue ces vers de quelques paragraphes de prose journalistique : « Le 27 juin 1969, / la police, dans un raid de routine / contre le bar de Stonewall Inn / à Greenwich Village, / déclencha les émeutes / qui donnèrent le jour à la libération gay » (p. 88). Les quelques extraits de poèmes d’auteurs anciens cités en annexe sont à cent coudées au-dessus, et sauvent l’ouvrage de l’indigence, comme les glossaires et la bibliographie. Regrettons qu’il n’y ait pas d’extrait de la Ballade de la geôle de Reading, d’Oscar Wilde, pourtant citée, en parallèle avec la belle photo de la tombe du poète. Voici, pour le plaisir, le quatrain gravé sur cette tombe :
And alien tears will fill for him
Pity’s long broken urn
For his mourners will be outcast men
And outcasts always mourn.
Quand on songe aux nombreux poètes qui ne parviennent pas à éditer leurs ouvrages, en France ou en Angleterre, on reste ébahi qu’un éditeur puisse proposer ce texte mal vieilli avec une telle débauche de luxe. Nous vivons une époque de ménagérisation de l’homosexuel de moins de 50 ans, si vous voyez ce que je veux dire. L’éditeur croit tellement peu à la force de son produit qu’il a cru nécessaire de reproduire non pas en 4e, mais sur la couverture même, un jugement élogieux d’un certain Clive Barker qui se termine par « Un livre merveilleux ». Puisque on vous le dit !
Voir en ligne : Alan Moore sur Wikipédia
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