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Itinéraire de Découverte 4e / diversité sexuelle

Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie (5)

Développement durable ; genre et discriminations sexuelles

dimanche 4 novembre 2007

Du jeudi 10 février 2005 au lundi 14 mars
Retour à la séance précédente.

« Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté »

Jeudi 10 février, voici la réunion du « Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté ». Il s’agit de présenter les projets menés par le collège, notamment par l’infirmière, ainsi que les séances d’information proposées aux élèves selon les niveaux. C’est une réunion purement consultative et informative. Je remarque l’absence de notre I.D.D. dans le bilan. Il est semble-t-il inclus dans la formulation évasive « Prévention des comportements sexistes ». Malgré l’article du Parisien, voici un collège qui a honte de lutter contre l’homophobie. La principale adjointe rapporte publiquement les fameux propos de « certains parents » selon lesquels je ferais « du prosélytisme » ; et elle affirme à son compte que « des élèves sont troublés ». Ces plaintes ne concerneraient pas l’I.D.D., mais uniquement mon travail en classe de 3e. Cela contredit les propos des deux représentantes des parents que j’ai rencontrées mardi. Il semble que ces gens-là, courageusement retranchés derrière leur anonymat, se soient manifestés uniquement auprès de l’adjointe. Comme je déclare avec émotion que ces propos me blessent et que je souhaite qu’il y soit mis fin, elle ajoute que pour l’instant c’est elle qui reçoit ces parents, mais que bientôt ce sera le principal, et qu’il vaudrait mieux pour moi que ces parents n’écrivent pas je ne sais où. Pourtant, j’avais prévenu le principal et l’adjointe, et par écrit, le premier jour, que ce projet n’irait pas sans réactions négatives, et qu’il faudrait me soutenir. Au lieu de me soutenir, on colporte des ragots. Je me demande pourquoi, alors que c’était de leur part une attitude courageuse d’accepter mon projet, courage que peu de chefs d’établissement auraient eu, deux ou trois personnes ont pu leur faire peur à ce point au premier vent coulis [1].

Amusons-nous à relever les contradictions entendues dans cette réunion, qui ne prouvent qu’une chose : à quel point les gens sont mal à l’aise et « perdent les pédales », si je puis dire, dès qu’il est question des sexualités non hétérosexuelles.
La principale adjointe n’a pas cessé durant la réunion d’utiliser l’expression « nos enfants » au lieu de « les élèves » [2]. Elle a présenté notre I.D.D. comme « contre toutes les discriminations », pour mieux l’opposer à ce prétendu « prosélytisme » devant les élèves de 3e. Comme j’évoque ma proposition d’associer le collège à la première journée mondiale de lutte contre l’homophobie, tout en reconnaissant que c’est mon droit de le présenter au conseil d’administration du collège, elle met toute son autorité en jeu : elle et le principal voteraient contre. La raison invoquée : ils sont contre le fait de mettre l’accent sur un seul type de discrimination. Or ces paroles qui font hocher la tête à tout le monde à part mes trois collègues, sont prononcées le jour même où le 60e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis est consacré officiellement et dans la France entière à une seule catégorie de victimes à l’exclusion de toute autre. Là, ce n’est pas du prosélytisme, et puis quand ça vient d’en haut, on ne réfléchit même pas.

Tous les élèves ont eu droit à une intervention d’une heure consacrée à la « Shoah », qui s’ajoute au travail déjà mené en cours d’histoire, et en ce qui me concerne, à plus d’une heure de débat consacré à des livres sur le sujet (Journal d’Anne Frank, Voyage à Pitchipoï, La maison vide, Mon ami Frédéric…). Avec le collègue d’histoire, nous allons bientôt accompagner les élèves au mémorial de Drancy. En réalité si j’ai « trop parlé d’homosexualité », j’y ai consacré dix fois moins de temps qu’à l’antisémitisme [3], mais il ferait bon voir qu’un parent aille, dans le dos d’un prof, se plaindre que celui-ci parlerait trop des juifs et ferait du prosélytisme… Il y a eu une époque, pourtant, où ce fut le cas, et où des profs courageux ont été les premiers à briser le mur du silence… Les mêmes calomniateurs allaient se plaindre sous couvert de l’anonymat… Voir le post-scriptum à ma « Tribune libre ». À la limite j’aimerais bien que ces gens aillent jusqu’à écrire ces fameuses lettres dont on me menace. Elles ne manqueraient pas de sel, relues dans quelques années !

De plus, si on avait lu une seule ligne de ce que j’ai écrit depuis que j’ai lancé ce projet, et que je n’ai pas tenu secret, on ne limiterait pas la parole sur l’homosexualité au thème des « discriminations », comme si l’homosexuel n’était qu’une victime potentielle. Comme si le simple fait de dire la vérité, que Zeus aima Ganymède, que le père d’Œdipe aima Chrysippos, que Cocteau était homo (et que l’homosexualité informe son œuvre) était du « prosélytisme ». Ma conception du métier d’enseignant est plus élevée. Je ne suis pas un prof de morale dont le rôle quant aux discriminations se bornerait à taper sur les doigts des élèves et leur seriner qu’il ne faut pas être antisémite, raciste, sexiste, homophobe, et j’en passe. Pour moi, cela reviendrait, pédagogiquement parlant, à dire le contraire. Mon métier de prof, est d’apprendre, de montrer, de guider, pas de gronder. Je me pose une question : y a-t-il jamais eu en France séparation de l’Église et de l’État ? l’enseignement est-il laïc, ou donne-t-on implicitement raison, par le silence, aux élèves qui, du fait de ce qu’ils entendent en dehors de l’école, se demandent si l’homosexualité est soluble dans l’islam ? Y a-t-il seulement tolérance du bout des gants vis-à-vis de ces horribles pervers que sont les gais, ou alors, conformément à la brochure publiée en septembre 2000 par la direction de l’enseignement scolaire : « Repères pour l’éducation à la sexualité et à la vie », doit-on considérer que l’homosexualité est un possible parmi d’autres ne donnant lieu à aucun jugement de valeurs ? Dans ce cas-là, il devrait être possible, sous peine de discrimination, de proposer aux élèves de 3e notamment, des ouvrages abordant légèrement un érotisme homosexuel, exactement dans la même mesure que les ouvrages présentant un érotisme hétérosexuel. Il y aura de beaux conflits en perspectives…

Je vais bientôt proposer aux élèves, dans une liste, un excellent roman tout ce qu’il y a de plus officiellement conseillé : Fantasia chez les ploucs, de Charles Williams. Or ce roman est bourré de remarques érotiques sur les « gros lolos » d’une jolie pépée à poil, de la part d’un garçon de… sept ans ! Imaginez un peu la fureur de certains ayatollah si on changeait cette belle pépée en beau gosse. Nul doute qu’on ne crierait alors au prosélytisme, voire à la pédophilie ! Pourtant, cent fois par jour, les enfants subissent le matraquage d’un prosélytisme hétérosexuel.
Des personnes présentes à cette réunion ont fait état de paroles hostiles prononcées à l’encontre des homosexuels pendant une action proposée par la mairie contre le sida à l’occasion de la journée mondiale du 1er décembre 2004. Des jeunes ont exprimé publiquement leur réprobation contre les homosexuels au nom d’impératifs religieux, en l’occurrence de l’islam. Au lieu de conclure que cela justifiait mon travail, une mère d’élève, tout sourire, a dit que ce n’était pas grand chose, et que connaissant l’esprit de contradiction des adolescents, plus on leur dirait qu’il ne faut pas être homophobe, plus ils le seraient. Selon cette brave dame, donc, du moins si l’on suit son raisonnement, il est normal, souhaitable même, de laisser ces adolescents musulmans sans réponse autre que celle de leurs prédicateurs à leurs questions sur l’homosexualité. Laïcité et hypocrisie feraient donc bon ménage. Silence, tabou, absence d’éducation, et par contre, en cas de parole homophobe, une amende, un procès, si l’on applique la nouvelle loi. L’école n’apprend pas, mais la justice punira ceux qui ne savent pas !
Cinq minutes auparavant, pourtant, quand il avait été question de l’information sur le cannabis, tout ce beau monde avait hoché la tête devant le constat de l’augmentation de la consommation assorti de la nécessité impérative de séances de prévention !

Ces braves gens ont déclaré en chœur qu’au collège c’était trop tôt pour parler d’homosexualité ; un monsieur a même ajouté que l’âge des premiers rapports sexuels c’était 17 ans, voyez-vous ma bonne dame. On se demande à quoi pouvait bien songer ce monsieur… Quoi qu’il en soit, personne ne lui a fait remarquer que d’une part l’âge moyen n’est pas l’âge le plus bas, que d’autre part il y a en général plusieurs années entre le moment des premiers désirs sexuels et celui du passage à l’acte, qu’enfin cela n’a rien à voir l’altersexualité envisagée comme fait culturel ! D’ailleurs dans le document observé, une action consacrée aux élèves de 6e s’intitule « Connaissance de son corps et des changements liés à la puberté ». On devrait ajouter « et ignorance de ce qui arrive à 5 % d’entre vous ». D’ailleurs dans le volet destiné aux 3e, intitulé « Éducation à la sexualité », je relèverai bien évidemment — en contradiction flagrante avec les textes en vigueur — l’absence de toute mention à l’homosexualité.

Comme il y a trente ans, il n’y est question que des « méthodes de contraception », du « respect entre garçon et fille et d’autres thématiques tels (sic) que le viol, l’inceste, la prostitution, les agressions sexuelles, la maltraitance […] la fille allumeuse, le garçon macho, la barrière des religions, être parent à 16 ans, etc. » On voit bien que rien, absolument rien n’est tabou, à part l’homosexualité, bien sûr ; ce serait du prosélytisme sans doute. La jeune collègue de S.V.T. présente reconnaît qu’elle n’aborde pas la question d’elle-même, mais seulement si un élève pose la question. Le lendemain, je lui donne copie des textes en vigueur, et je tâcherai dans les jours qui viennent, de lui démontrer que son attitude a quelques années de retard, et qu’elle ne rend pas service aux élèves en terme d’éducation à la sexualité. S’imaginerait-on ne parler des juifs ou de l’islam que si un élève posait la question !

On évoquera aussi les fameux « blogs », ces journaux publiés sur Internet (depuis 3 mois je fais un blog sans le savoir !) Il paraîtrait que des ados de notre collège publieraient des commentaires et même des photos des profs dans ces blogs. Horreur ! des ados écrivent ! des ados s’expriment ! Plainte sera déposée ! (pour les photos). Les parents sont désorientés, ils ne savent pas quoi faire. Eh ! oui, nous sommes la génération Internet. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des enfants en savent plus que leurs parents. Croyez-vous que l’on se réjouirait de ce que ces élèves, à qui leurs professeurs de français enseignent l’autobiographie en 3e, se mettent à écrire ? Non. Satan est là, ils écrivent, mais pas de doux poèmes sur les nuages et les oiseaux. Ils écrivent sur le cannabis, la sexualité, le suicide, que sais-je ? Sur la vie, bref, sur tout ce dont certains parents ne leur parlent pas, ou si maladroitement ; sur ce dont des profs bizarrement pudibonds n’osent pas leur parler de peur que des parents réactionnaires nuisent à leur carrière. Censurons, contrôlons, étouffons. Vite, vite ! La libido, le ça n’en font qu’à leur tête ! Des gosses écrivent, nom de Dieu !

Il me faudra de longues discussions avec diverses personnes pour dépasser ma réaction viscérale d’homme blessé, mon indignation. Mon ami, et collègue prof d’histoire me dit notamment que j’ai tort de m’excuser, que je ne dois pas me justifier. Tout au plus affirmer que j’ai été trop ambitieux. Pas de prosélytisme, mais un militantisme nécessaire. J’envisagerai une pétition, puis changerai d’avis. Je recadre mes objectifs : l’essentiel pour les élèves est de revenir au projet initial, et d’aller au bout. Étendre l’action entamée à tout le collège. Je m’étais laissé détourner par la colère, et parce que j’avais été touché par l’accusation sous-jacente : avoir troublé, donc fait du mal à des élèves. J’avais fortement culpabilisé, avant de me rendre compte qu’aucun élève n’avait été « troublé », bien entendu, mais simplement étonné, questionné, remis en cause dans ses rapports avec des parents qui eux-mêmes ont des préjugés. Bref, je fais bien mon travail d’éducateur en phase avec son époque. Qu’est-ce qu’un éducateur qui n’induirait aucun questionnement ?

Lors d’une réunion dans les locaux de Via le Monde, j’évoque le problème, et je ressors un mail que m’avait envoyé Colette Broutin, de l’Inspection académique, qui coordonne ce projet : « J’ai lu votre projet qui me semble tout à fait intéressant dans ses dimensions ethnologiques et ses mises en perspectives historiques. Vous avez raison d’être prudent dans la mise en œuvre et l’information qui doit être donnée aux parents. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas d’exploitation malveillante. Quand on aborde les questions relatives à la sexualité, on sait, par expérience, que c’est l’occasion de toutes les dérives par ceux qui voient dans l’école et ses maîtres des corrupteurs. » Colette Broutin confirme ces propos prémonitoires, et m’autorise à les citer avec son nom dans ces lignes. Elle raconte, au risque de passer pour « ancien combattant », les réactions du même acabit qu’eurent à subir les profs qui osèrent parler de contraception dans les années 70. C’est le risque inhérent à tout travail précurseur. À moi de mettre de côté mes rancœurs, à moi aussi de faire l’effort de comprendre la position de mes responsables hiérarchiques qui, même s’ils avaient eu le courage de soutenir le projet, et bien que je les eusse clairement prévenus des risques, n’étaient peut-être pas prêts à assumer les retombées. À moi donc de poursuivre mon travail de militant, à moi de convaincre avec de bons arguments, et sans agressivité si j’en suis capable !

Cette même semaine, conformément à la citation de Hölderlin donnée plus haut, j’entendrai un autre son de cloche pour le moins inattendu. Le père d’un élève de 6e, après avoir échangé au sujet de son enfant, aborde spontanément le sujet de mon projet, dont il a entendu parler. Il me félicite, m’encourage, ajoute qu’il aurait aimé avoir un prof comme moi. Je n’en reviens pas ! Comme je lui fais part de mes difficultés actuelles, il propose spontanément de me soutenir, d’écrire même. Je lui suggérerai donc, ce que je souhaitais depuis longtemps, de rédiger un « point de vue » de parent à intégrer à ce journal de bord… Et cela me fournirait un sacré argument pour convaincre ma direction !

Soumission ou rebellion ?

La rédaction finale donnée aux 3e sur La machine infernale (je sais, mes séquences sont trop longues, c’est vraiment un défaut auquel je dois remédier !) porte sur une « autocritique » d’Œdipe sous forme d’un monologue. Le sujet précise : « Il peut s’en prendre à lui-même, exprimer des regrets, ou au contraire, il se révolte contre la cruauté des dieux. » Les résultats, très positifs en ce qui concerne les capacités d’expression et le respect du sujet (preuve que la séquence a atteint ses objectifs et que les élèves ont été intéressés par l’œuvre), sont instructifs aussi sous un angle plus personnel. Peu nombreux sont les élèves qui ont choisi la branche rebelle de l’alternative. La plupart font geindre le pauvre aveugle. Voici un des rares exemples de révolte : « (Il se lève, avec la colère et l’indécence (comprenez « l’indignation ») qui le submergent). Infâmes dieux ! Abattez la foudre sur moi, tourmentez-moi de toutes les manières et de tous vos caprices, vous ne me ferez plus de mal. Je ne ressens plus rien, la douleur et la tromperie sont mes atouts à présent. Je vous livrerai une guerre ! […] Ayez peur, vous les soi-disant grands ! Sentez la colère et la haine qui se logent au plus profond de moi. […] On me traite de marionnette, mais je suis le maître des rênes ! » Lors de la correction, je vais lire cet extrait, et le « jouer » d’une façon qui, je crois, marquera les élèves, en pensant à ces gens qui croient que les « jeunes d’aujourd’hui » sont tous des nuls… surtout quand ils sont dans le 93. Peut-être même commettrai-je le lapsus tout à fait involontaire de remplacer le mot « dieux » par « profs »…

Voici un exemple opposé, mais fort intéressant également. L’élève a été interpellée par la réflexion sur le complexe d’Œdipe et sur Maïté coiffure : « Si seulement je les [mes parents] avais connus tous les deux, dans une vraie famille, une maison ordinaire, à jouer aux échecs, à manger en famille, à inviter des amis le dimanche… cela aurait été une vie de rêve. […] La stabilité d’une vraie famille ne m’aurait jamais permis de faire ce que j’ai osé faire. »
Évidemment, j’ai une tendresse particulière pour le texte n°1. Ah ! ces élèves rebelles. Difficile de leur dire qu’on les aime ; difficile d’enseigner la rébellion. Que vous soyez parent ou prof, quand vous offrez un lance-pierres à des enfants, soyez sûr que les premiers carreaux qu’ils casseront, avec leurs premiers tirs maladroits, seront les vôtres. En tout cas, j’en profiterai pour faire passer le message que, parfois, la corvée de la correction peut se mâtiner d’un certain plaisir, en souhaitant qu’il en soit autant pour eux de la corvée de l’apprentissage de la grammaire et de la conjugaison… Une petite citation tirée de mes lectures, pour finir :

« En instance de dressage, destinés à être des rouages de la machine sociale, contents de leur sort, inclus s’ils sont dociles, récompensés s’ils sont serviles, exclus s’ils sont rebelles, punis s’ils se révoltent et ne jouent pas le jeu, les lycées subissent le traitement des réprouvés au corps improductif. Dispensés de corps, de chair, de sentiments, d’émotions, d’affections, de pensées propres, de problèmes personnels, de sensibilités, de subjectivité, ils sont conviés aux banquets où l’on apprend à singer les adultes, à devenir esclaves selon les règles. »

Michel Onfray, Politique du rebelle, Traité de résistance et d’insoumission, Livre de Poche 1997, p. 89.

Séance du jeudi 17 février 2005

Deux élèves absentes dans une classe de 3e. Il faut s’y reprendre à 4 fois pour que quelqu’un accepte de leur transmettre les documents et les devoirs pour après les vacances. Au dernier appel, j’ironise : « Solidarité pour l’Asie ! » Quand une élève enfin s’est désignée, je conclus : « ah ! je croyais que la solidarité ne fonctionnait que pour les gens qui sont loin ! » En effet, les couloirs du collège sont ornés d’affiches appelant à la solidarité pour les peuples d’Asie victimes du Tsunami, appelant à se souvenir de l’Holocauste ; on apprend ce jour que « le collège » s’associe à la collecte des restos du cœur, et que les élèves sont appelés à se mobiliser pour apporter des vivres. Journée mondiale de lutte contre l’homophobie ? Prosélytisme !

« À défaut de justice, le sentiment promu caritatif s’appuie sur les associations de bénévoles, les sociétés charitables, les dons sollicités à coups de grands spectacles où le monde médiatique, se mettant en scène, exacerbant le système, distribue les émoluments d’une soirée sous le prétexte humaniste de rendre la misère supportable. Et tant qu’une chose paraît supportable, on en rend difficile, impossible, impensable la suppression. »
Michel Onfray, Politique du rebelle, Traité de résistance et d’insoumission, Livre de Poche 1997, p. 194.

Deuxième semestre

Lundi 7 mars 2005

Monsieur,

La presse a relaté le travail novateur que vous menez avec des élèves du collège Romain Rolland « dans le cadre des itinéraires de découverte » (Le Parisien 27/11/04). À cette occasion, nous tenions à vous adresser quelques mots de soutien pour votre action pédagogique. Pour une fois qu’on parle d’un établissement scolaire du 93 sans évoquer un problème de voile ou de violence, cela mérite d’être souligné et vaut bien quelques encouragements aussi modestes soient-ils.
Aujourd’hui, plus que jamais, les jeunes ont besoin de repères face aux flots d’informations véhiculés par les médias qui se contentent trop souvent de la surface des choses ou de l’évènementiel (pour ne pas dire du sensationnel). Les élèves ont besoin d’une parole sur laquelle ils puissent compter qui ne soit pas « le fruit » d’une croyance, d’un enrôlement voire plus simplement d’un effet de mode. C’est je crois ce que beaucoup de parents attendent de l’école pour préparer au mieux leurs enfants à devenir des citoyens libres capables de raisonnement.
Aborder avec eux les problèmes de discriminations liés à la sexualité est nous semble-t-il une excellente occasion de les aider dans leur cheminement de futur adulte. Il faut que la parole puisse s’exercer pour tordre le cou aux idées reçues, aux formules coup de poings et aux croyances d’un autre âge. Le collège est sans doute un moment crucial dans le développement de nos enfants car c’est là que leur identité se détermine. Cela n’est souvent pas simple, il suffit pour s’en rendre compte d’observer les risques de tentative de suicide chez les jeunes gays (Libération du 4/03/05) et il faut donc pour cela des personnes qui comme vous s’investissent et donnent à leur enseignement les couleurs de la vie, toutes les couleurs de la vie.
Notre fils a bénéficié avec les élèves de sa classe de la venue d’un poète nommé Robert Vigneau. La poésie est vivante, elle mérite mieux que des manuels scolaires ou des anthologies poussiéreuses alignés sur le rayon des bibliothèques. Permettre à des personnes extérieures au collège de venir présenter leurs œuvres, leurs travaux est là aussi pour nous une source de satisfaction comme cela l’a été pour notre enfant lors de cette visite.
Voilà ce que nous tenions à vous dire. Nous ne pouvons vous inciter qu’à poursuivre ces démarches d’ouverture dont le caractère humain est un bel exemple de ce que l’éducation peut offrir de meilleur à nos enfants.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.

André Gueneau, Patricia Tessedre.

Voilà. Vous êtes prof, vous vous cassez la binette pour donner le meilleur de vous aux élèves, parce que vous les aimez et les respectez ; on ne se gêne pas pour vous dire que vous ne devriez pas, que quand même ceci, que peut-être cela. Vous en avez gros sur la patate, vous partez en vacances, loin, parce que certains aspects de votre pays vous gonflent, et puis en rentrant vous trouvez cette lettre que vous adressent les parents d’un de vos élèves. La vie est belle…

Donc c’est reparti pour un tour… Une première séance est consacrée d’une part à évoquer la Journée internationale des Femmes du 8 mars, pour encourager les élèves à être attentifs à la presse, à peut-être acheter un journal. Une de mes plus grandes fiertés dans ce projet, aura été, presque sans y penser, d’habituer les élèves à suivre l’actualité dans la presse. Puis nous avons fait le point sur l’état de leurs recherches pour l’exposé. Difficilement, car il est impossible dans cette classe d’obtenir le calme quand les choses ne sont pas ultra-cadrées. Les leaders manifestes des groupes se font prier, dans le brouhaha, pour prendre la parole, bref, rien que d’habituel ! Apparemment, beaucoup de travail a été abattu. Un seul groupe ne semble pas avoir été sérieux, c’est celui qui travaille sur les questions de genre. Un élève dit qu’il n’a rien trouvé sur l’androgynie. Raison invoquée : « Quand on tape ce mot, excusez-moi, mais vous voyez le genre de sites sur lesquels on tombe ». On en revient toujours là, il faut réitérer le conseil de travailler sérieusement avec la documentaliste, avec les ouvrages qu’elle prépare pour eux, plutôt que de se livrer à la paresse du « copier-coller ». Ce qui est évident pour moi c’est que ces élèves font exprès de procéder de cette manière, car ils ont plus ou moins consciemment envie de tomber sur ces sites, et puis c’est tellement amusant de pouvoir mettre ça sur le compte des profs, et de s’arranger pour que les parents s’en aperçoivent… [4]

Je suis étonné par le groupe qui travaille sur l’islam, car ce qu’ils présentent actuellement est consacré principalement aux minorités LGBT. Je leur rappelle que le sujet principal est quand même « Les femmes et l’islam » ! Je les félicite pourtant, car je ne pensais pas qu’ils arriveraient à trouver beaucoup d’informations sur cette partie du sujet, mais je les encourage à recadrer la recherche. En ce qui concerne le groupe « Homosexualité et homophobie », la piste de la mythologie a été exploitée bien au-delà de ce que je pensais, car l’élève qui présente le travail du groupe va jusqu’à parler (alors que je demande qu’on présente uniquement les grandes lignes de l’exposé) de la distinction entre rôle actif et rôle passif dans la sexualité chez les Romains ! Incontestablement, les sujets ont vraiment motivé les élèves, et alors que j’avais tout fait pour que les aspects purement sexuels soient secondaires, ils les ont mis au premier rang de leurs préoccupations. Je n’ai pas à m’en plaindre, c’est tout à fait dans l’esprit des I.D.D., ce qui fait leur intérêt.

Pourtant, vendredi, comme je croise dans les couloirs les représentantes des parents d’élèves, elles souhaitent une réunion avec les collègues qui travaillent sur notre projet, pour évoquer des réactions de parents quant aux exposés choisis. Le fait qu’elles demandent la présence de mes collègues est un soulagement, car ainsi je ne me sens pas seul visé. Mais ces réactions incessantes sont significatives. C’est bien la preuve de la nécessité de ce travail. Je me souviens quand j’étais môme, mes parents avaient estimé nécessaire de réunir les trois enfants que nous étions pour des séances d’éducation sexuelle, avec ce genre de bouquins, souvenez-vous, où l’on vous montrait des hommes et des femmes nus de façon à vous dégoûter de l’amour ! (des messieurs forcément barbus et poilus, des femmes enceintes…) Cela me mettait un peu mal à l’aise, mais je les comprends tout à fait. Il faudrait bien sûr qu’une personne extérieure fasse l’évaluation finale de notre travail, mais je suis persuadé que l’éducation à la sexualité doit être prise en charge par les enseignants, et surtout pas uniquement par les infirmières et les profs de S.V.T. La sexualité n’est pas une maladie, c’est avant tout un phénomène culturel !

Mon livre Altersexualité, Éducation & Censure paraît ces jours-ci. Je n’en parlerai pas beaucoup dans ces lignes, car il y aurait toujours des jaloux pour me reprocher de me faire de la pub (ces gens qui oublient qu’un livre est avant tout une forme de communication). Mon livre constitue le volet théorique de ce projet, dont les lignes que vous lisez constituent le volet pratique, peut-être la base d’un futur deuxième tome ?

Dans son numéro 958 du 7 au 13 mars, le journal féminin Maxi publie un reportage de trois pages intitulé « À l’école, l’homosexualité est restée un tabou. Comment aider nos ados qui souffrent de l’intolérance ? » L’article est plutôt positif dans l’ensemble. Mais pour compléter mon pamphlet, je pourrais à nouveau m’étonner (sauf que je suis maintenant habitué aux mœurs de la presse) que l’auteure de l’article, Marie Demichel, après m’avoir longuement interviewé au mois de juillet, après m’avoir à plusieurs reprises demandé des conseils et des contacts (j’ai conservé les mails), a finalement rayé toute mention de ma personne dans l’article publié, y compris une simple citation de mon roman ! C’est la responsable de la publication, Anne Vaisman, psychologue et auteure d’un excellent livre documentaire sur « L’homosexualité à l’adolescence », qui lui avait donné mes coordonnées et commandé l’article. En effet, je lui avais envoyé mon roman, elle avait aimé (au point de le citer à la p. 63 de la 2e édition de son ouvrage) et avait eu l’idée de ce reportage, apparemment, pour m’aider dans mes initiatives.
En lieu et place de mon interview, on a droit à un article sur un prof de maths de 34 ans, très mignon au demeurant sur la photo qui accompagne l’article, mais qui explique sur trois colonnes qu’il n’a rien osé faire, qu’il faudrait faire, que c’est scandaleux qu’on ne fasse rien, etc. Allez savoir quelles mystérieuses pressions Marie Demichel et Anne Vaisman ont subies pour que, encore une fois (ceux qui liront mon pamphlet comprendront) l’interview d’un prof inconscient qui ose, soit censurée et remplacée par celle d’un pleureur ou d’un pusillanime qui regrette que rien ne se fasse ? Histoire, peut-être, de rassurer la « ménagère de moins de 50 ans » qui achète ce genre de publications ? Je vais envoyer ce paragraphe à ces deux journalistes, en leur proposant d’intégrer leur réponse à une prochaine livraison. Pour conclure sur une note positive, je citerai l’un des mini-témoignages de ce reportage : « Juliette, 20 ans, étudiante : C’est à l’adolescence que tout se passe et qu’une grande partie des homosexuels découvre son orientation sexuelle. Alors autant leur en parler à l’école dès qu’ils sont concernés. Pourquoi attendre ? »

La veille, le 6 mars, Aujourd’hui / Le Parisien publiait un excellent reportage de deux pages consacré à l’homosexualité des adolescents, qui nous apprend notamment que de plus en plus, les ados se dépêchent d’annoncer urbi et orbi leur homosexualité, avant même de l’avoir consommée. Cela ne rend que plus urgent notre projet… À l’occasion de la Journée de la femme, j’ai l’intention de donner à mes élèves comme sujet de réflexion, cette dépêche relevée dans Le Monde du 5 mars (Maxi, Le Parisien, Le Monde… vous voyez que je ne suis pas sectaire !) :

« MARIAGE : Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice (UMP) des Français établis à l’étranger, a déposé une proposition de loi fixant à 18 ans l’âge minimal du mariage, alors qu’il est actuellement de 15 ans pour les femmes. Mme Garriaud-Maylam estime que cette disposition, « inchangée depuis 1804 », constitue « un danger pour un nombre croissant de jeunes filles mineures qui se voient contraintes par leur famille à des mariages forcés. »

Lundi 14 mars 2005

Devoir à faire pour lundi prochain
« Exprimez votre opinion sur le projet de loi consistant à fixer à 18 ans l’âge minimal du mariage. (Extrait du Monde du 5 mars). En une trentaine de lignes minimum, commencez par exposer le problème, puis donnez des arguments pour et des arguments contre, et concluez par votre position. »
Extraits du Code Civil (textes de loi) Source : legifrance (site officiel)
Article 144 (Loi du 27 mars 1803)
L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage.
Article 145
Néanmoins, il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage, d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves.

Deux documents sont distribués aux élèves : un article du Parisien du 8 mars sur les adolescentes et le féminisme, et un article extrait de Courrier International du n° 748, du 3 au 9 mars 2005, qui reprend un article du Quotidien d’Oran sur la réforme du droit des femmes en Algérie, dans lequel il est d’ailleurs question de l’âge du mariage. Surprise, le mariage n’est pas autorisé aussi jeune qu’en France ! (« L’âge du mariage était de 21 ans pour les hommes et de 18 ans pour les femmes. Il est uniformisé à 19 ans ».) Un article assez critique dû à un homme algérien, ce qui contribuera à la réflexion entamée sur la légitimité de la critique. Dans le même ordre d’idée, j’ai vu Moolaadé, le dernier film d’Ousmane Sembene, le célèbre écrivain sénégalais. Beau film sur la domination masculine, la révolte féminine, et l’excision, avec des scènes qui, je pense, bouleverseraient nos élèves. Je vais étudier la possibilité d’organiser une sortie au cinéma. Dans la mesure du possible, la déontologie me pousse, quand il s’agit de réflexion sur les mœurs, à privilégier les critiques internes, de façon à éviter le malaise des élèves.

 Lire la suite de ce Journal de bord.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Présentation du projet


© altersexualite.com 2007.


[1Ces dernières lignes figuraient telles quelles dans le texte original du journal. J’avais compris à l’époque que, de toute façon, « on » ne poussait pas le soutien à ce projet jusqu’à lire mon « journal de bord » ; personne dans le bahut n’a fait la moindre allusion à l’article paru dans Le Monde de l’éducation. En règle générale, lorsque vous êtes muté dans un établissement, fût-il « difficile », vous êtes considéré par la direction à l’égal d’un sac de charbon. Vous pouvez passer dix ans dans un bahut sans que le chef d’établissement vous consacre un entretien privé pour savoir un peu ce que vous avez dans le ventre. Les « ressources humaines » dans cette « entreprise » qu’est l’Éducation nationale, me semblent à peu près à la hauteur de ce qu’elles devaient être dans une usine de créosote au XIXe siècle. J’ai connu une ou deux exceptions, par exemple le souvenir marquant d’André Marini, qui fut principal de ce même collège quelques années auparavant, et qui, quoique chef d’établissement, était fort cultivé. Il m’arriva de connaître un succès pédagogique : une élève de 5e avait obtenu un premier prix d’écriture de conte à l’issue d’un premier projet d’I.D.D. mené en 1999/2000, sur l’arbre et les contes ; suite à ce succès, le conte avait été publié dans un prestigieux journal suisse, et il y eut quelques articles dans la presse. De sa propre initiative, le principal écrivit au ministre de la francophonie, au député-maire, et au ministre de l’éducation je crois. Quand je publiai mon premier livre, alors qu’il était retraité, il s’empressa de se procurer un exemplaire, etc. Hommage dû.

[2Elle était en avance sur son temps : dans sa « Lettre aux éducateurs », le président Sarkozy utilise 78 fois le mot « enfant », un vrai matraquage, pour 9 fois le mot « élève ».

[3Voir une fiche de lecture sur La Mort est mon métier, de Robert Merle.

[4En 2007, cela m’arrivera à propos de mon propre site (celui sur lequel vous vous trouvez) : des parents d’élèves téléphonent au proviseur pour signaler que, depuis ce site, leurs « enfants » (de 16 à 18 ans !) cliquent sur un lien qui les amène sur un autre site, à partir duquel un autre lien les amènerait à un écran « je suis mineur » / « je suis majeur » ! Comme s’il y avait besoin de mon site pour tomber sur un site pour majeurs ! Il y a de quoi devenir parano…