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Aventures icaunaises, pour les 4e/3e.
Chevalier B., de Martine Pouchain
Sarbacane, Exprim’, 2007, 202 p., 9 €.
jeudi 10 juillet 2008
Un roman qu’une lecture rapide pourrait faire passer pour une poussive apologie de la vie au grand air, d’une campagne archaïque où les bons vieux paysans crasseux s’opposeraient aux technocrates en costume imposant OGM et hormones d’élevage. Quand on a compris qu’il s’agit d’un conte philosophique, on prend moins au pied de la lettre les naïvetés du personnage éponyme, sorte d’anti-Candide qui refuse d’entrée de quitter son jardin, et le cultive ferme en attendant que le monde cesse de courir autour de lui. De même pour l’amour, si ça le démange, il ne se presse pas et refuse d’entrer dans la compétition : quand l’asexualité confine à l’altersexualité ! De plus, ce Don Quichotte s’improvise père d’adoption quand une mère d’occasion se trouve défaillante. Voilà qui se dresse à rebrousse-poil d’un certain féminisme excessif qui court les rues de nos jours, et ne peut que mériter notre sympathie.
Résumé
Barnabé, 17 ans, Icaunais et fier de l’être, voire Saltusien, est maladroit devant Rosa, qu’il aime secrètement alors que celle-ci remarque à peine son existence. Il faut dire qu’il est un peu enrobé. Rosa n’a d’yeux que pour l’instituteur, du moins avant qu’elle ne se ridiculise en lui offrant des fleurs devant sa femme. Pour séduire Rosa, Barnabé lui écrit des lettres poétiques signées « B. ». Il a quitté l’école très tôt, mais est doué pour écrire, de sorte que Rosa est persuadée que l’auteur des lettres est l’instituteur. Un jour, Barnabé a l’idée d’accomplir un exploit, qu’il annonce par l’une de ses lettres, désormais signées « Chevalier B. » Il saccage un champ de plants OGM, puis un autre jour libère des animaux de batterie, actions à la Don Quichotte vouées moins à changer le monde qu’à faire prendre conscience qu’il tourne mal. Malheureusement, Rosa une fois détrompée n’en est pas plus séduite, et la voilà qui convole à Paris avec un motard, tandis que notre José Bové en herbe purge une courte peine de prison. Suite à une série de morts brutales dans sa famille, il se retrouve bientôt seul avec son grand-père, et se met à arranger la ferme dans l’idée d’en faire un cocon pour recevoir Rosa ; mais voilà-ti pas qu’il la voit à la télévision dans une émission d’apprentis-stars. Rosa s’entête, contre vents et marées, à devenir célèbre [1], aveugle à tout ce qui l’écarterait de cette obsession, « comme un bon petit soldat maquillé, manucuré, body-buildé », selon une formule qui, à la manière d’un conte, clôt plusieurs chapitres. Barnabé parviendra-t-il à gagner le cœur de Rosa ?
Mon avis
Si l’on pouvait réduire ce roman à ce synopsis, ce ne serait qu’une banale bluette, basée sur une vision dépassée de la vie rurale (on chauffe le lit avec une brique chaude, p. 12 ; les poulets en batterie ou la culture des OGM sont traités d’une façon caricaturale, etc.). Mais on comprend vite qu’il s’agit d’un conte philosophique, quand l’auteure invente des péripéties loufoques, telle la libération des veaux à main armée (p. 81), ou la mort des parents par intoxication aux pesticides après avoir nettoyé une cuve à vin (p. 110). À moins qu’il ne s’agisse d’un roman choral à la Pirandello, où le village entier prend la parole en transformant les anecdotes locales en épopée, comme en témoigne les « nous » relevés à la p. 113. Les dégâts collatéraux de l’école sont dénoncés de belle façon : « si tu mélanges dès le début le verbe avoir avec le verbe être… » (p. 187). Le personnage commence et termine comme un Candide qu’un seul voyage de Sens à Paris (on soupçonne un jeu de mots sur le nom de la sous-préfecture de l’Yonne) aurait convaincu de la nécessité de cultiver son jardin.
Le traitement de l’amour et de la sexualité est intéressant. Si Barnabé est asexuel, c’est parce qu’il n’a de désir que pour Rosa, mais l’auteure souligne la crudité de ce désir : « Barnabé rougit en voyant la bosse sous sa ceinture » (p. 40) [2] ; « S’il avait voulu, il aurait pu la prendre toute […] il aurait pu la pénétrer avec son sexe de puceau boursouflé de désir » (p. 160). Asexuel, mais pas asexué ! Le pépé lui demande sans ambages si « de ce côté-là », « ça fonctionne normalement » (p. 121). Enfin, quand Barnabé se voit confier un bébé qui révèle en ce puceau une vocation paternelle, on touche à l’immaculée conception version masculine, et cela confirme le rôle de prophète de Barnabé, d’autant plus que ce bébé s’appelle Nathanaël, ce qui signifie « don de Dieu ». Nathanaël était le disciple qui reconnut le premier Jésus comme messie. L’auteure ne craint pas de mettre en scène une mère dépourvue de fibre maternelle, motif plutôt rare par les temps qui courent, et un père adoptif qui se débrouille parfaitement…
– Voir la critique de Sophie Pilaire pour Ricochet, et celle de Flora pour L’attrape-livres. L’ouvrage est sélectionné pour le prix des Incorruptibles 2008/09, niveau 3e/2de, avec Le Complexe de l’ornithorynque, de Jo Hoestlandt et Mu, le feu sacré de la Terre, de David Klass.
– Voir chez le même éditeur Pas raccord, de Stephen Chbosky et Je reviens de mourir, d’Antoine Dole.
Voir en ligne : Site de Martine Pouchain
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[1] Voir un autre roman sur ce thème : Le Visage de Sara, de Melvin Burgess.
[2] Comment voulez-vous que le signataire de cet article fasse étudier ce livre à ses élèves !