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Démystification arthurienne, pour les 4e/3e.

Arthur, l’autre légende, de Philip Reeve

Gallimard, Scripto, 2007, 368 p., 12 €.

samedi 15 novembre 2008

Arthur, l’autre légende porte bien son titre [1]. S’adonnant à l’évhémérisme, l’auteur, Philip Reeve, s’est proposé de fournir une version démythifiée et démystifiante de la geste du roi Arthur. Ce dernier étant censé avoir vécu entre le Ve et le VIe siècle, et la Légende arthurienne ayant été popularisée à partir du XIIe siècle, la distance autorise toutes les interprétations. C’est l’écart entre Antiquité, ou plutôt Antiquité tardive, et Moyen Âge. L’histoire est racontée par Wynna, alias Wynn, fille espiègle déguisée en garçon par le barde Myrddin (nom gallois de Merlin). Wynn espionne tout ce qui se passe à la cour, côté hommes, puis côté femmes. Conformément à l’étymologie de son nom, Arthur n’est qu’un ours mal léché, un soudard chanceux dont les minables rapines sont transformées en faits mythiques par l’habileté de Myrddin, spin doctor avant la lettre. L’intérêt de ce roman somme toute banal dans sa construction mais original dans son parti-pris de démystification, est ce personnage de Wynn, travesti [FtM], doublé d’un autre personnage de travesti [MtF], Peredur, les deux n’étant travestis que pendant l’adolescence, ce qui facilite l’identification des jeunes lecteurs, amenés à réfléchir sur l’identité sexuelle au travers de cette vieille légende. À noter que le traducteur Stéphane Carn a également traduit Garçon ou fille, de Terence Blacker, roman qui exploite aussi le thème du travestissement.

Résumé

Wynna, petite esclave, est recueillie par Myrddin, druide et proche conseiller d’Arthur, le « dux bellorum » (chef de guerre) de la Bretagne insulaire occidentale, en guerre contre les Saxons. Myrddin profite de l’étonnante capacité de Wynna à nager sous l’eau pour monter de toutes pièces la légende de la Dame du lac, c’est-à-dire qu’il lui confie l’épée Excalibur pour la tendre à Arthur à travers la surface de l’eau. Puis il travestit Wynna en son nouveau petit valet Wynn, de façon à ce que personne ne le reconnaisse. Toutes les trouvailles de Myrddin deviennent aussitôt des légendes, car il s’emploie à les embellir et à les raconter à travers toute la Bretagne. Arthur se révèle un chef de bande crédule et grossier qui ne serait rien sans son Mentor. Wynna suit la troupe dans toutes ses campagnes. La menace des Saxons est surtout utilisée pour rançonner les villages de la région. Parmi ceux-ci, il y a Aquæ Sulis, où Arthur installe sa cour après la mort du roi, en épousant sa veuve Gwenhwyfar (Guenièvre), et en tâchant d’adoucir ses mœurs, de respecter davantage le christianisme, même si la tentation de revenir aux anciens dieux est forte, Jésus-Christ étant trouvé « trop mièvre et trop efféminé » (p. 65).
Il y a aussi un village dont le chef est mort, laissant sa veuve avec un fils, qu’elle a élevé en fille à son insu, pour le soustraire à la guerre. Wynna s’aperçoit du subterfuge, mais ne dit rien, se contentant d’entraîner le jeune Peredur, alias Peri, à démasquer un prétendu Saint Porroc qui abuse de la faiblesse de la veuve. Le seul concurrent que craignent Arthur et Myrddin est Maelwas, vieux roi très pieux qui hésite à confier des missions à Arthur. Au bout de quelques années, Maelwas est le premier à éventer le travestissement de Wynna, ce qui pousse Myrddin à la confier à l’épouse de Maelwas pour la rééduquer en fille. À son retour à Aquæ Sulis, elle intégrera le service de Gwenhwyfar, pour y être l’oreille de Myrddin. Wynna s’étonne qu’en fait Myrddin ne lui demande aucun rapport sur sa maîtresse. Wynna, qui se trouve laide, se met à apprécier d’une autre manière Bedwir, jeune soldat qui fut son copain en garçon. Mais celui-ci est blessé à la jambe, et soigné par Gwenhwyfar, qui en fait son garde, et bien plus. Sur ces entrefaites, Peredur a grandi, et à la mort de sa mère, Porroc lui révèle qu’il est un garçon. Peredur rejoint aussitôt le roi Arthur, ne rêvant que de batailles. Wynna le reconnaît, mais ne peut se faire reconnaître de lui. Elle tue un soldat qui attaque Peredur, tout en lui faisant croire que c’est lui qui l’a battu, et se met à veiller sur lui tant elle le trouve gauche avec ses manières de fille-garçon. Gwenhwyfar commet l’imprudence de se montrer avec Bedwir, ce qui entraînera des péripéties que je vous laisse découvrir, et qui mèneront Arthur bien loin des glorieux exploits de sa légende. Notre héros / héroïne sera amenée à se travestir de nouveau, mais aussi à travestir la vérité par des contes qui n’auront rien à envier à ceux de son maître ; voir par exemple cette hyperbole plaisante : « Je fis de Bedwir un véritable héros, plus âgé et plus beau qu’il n’était en réalité, et je leur déroulai toute la litanie de ses exploits guerriers : il avait acculé les corbeaux de Calchvynnyd à l’indigestion en tuant à lui seul plus de neuf cents ennemis, et ainsi de suite… » (p. 290) [2].

Mon avis

Ce roman réjouissant pour les ados pèche parfois par les travers de ses modèles anglo-saxons déjà signalés : une certaine gaucherie, feinte ou non, dans l’évocation du trouble que devrait engendrer un travestissement si longtemps assumé à la période clé de l’adolescence, comme si l’auteur avait peur (ou qu’on l’empêchait) de fouiller trop librement au fond de la conscience de ses personnages transgenres malgré eux. Quand il évoque à deux reprises l’inquiétude à l’idée de « pisser debout » (p. 46 et 57), on dirait qu’il croit être arrivé au point culminant de la provocation et du trouble dans le genre ! De nombreuses remarques sur la virilité mal placée des garçons réjouiront les ados, même si elles relèvent plutôt du persiflage de bon ton que de la spéculation philosophique sur la différence des sexes : « Et puis ces règles que les garçons observent entre eux, un peu comme les chiens. » (p. 56) ; « Mais un garçon, c’est un garçon » (p. 126). Ce dernier passage est intéressant car pour faire comme les autres, Wynna désobéit à Myrddin et participe à la bataille, mais elle est terrorisée et se cache dans les roseaux, ce qui en fait donc une fille… sauf que par la suite, elle saura se montrer à la fois courageuse, combative… et modeste, car gardant ses exploits pour elle et les attribuant aux autres.
On relève une belle phrase à double sens à l’issue de ce non-combat : « J’ai tiré mon épée et je l’ai longuement contemplée. J’aurais voulu la jeter loin de moi. Je ne l’avais pas sortie de son fourreau, pendant cette bataille » (p. 134). Nul amour courtois chez ces jeunes soudards : « Ils ne pensaient qu’au corps des filles, sans même se soucier de leurs sentiments » (p. 170). Quand surviennent ses règles, Wynna est triste : « Je n’avais même plus l’espoir de réintégrer un jour ma vie de garçon » (p. 177), mais ne pense pas du tout à la question sexuelle que recèle la survenue des « menstrues ». D’ailleurs, « [elle] ne voulai[t] pas d’un mari […] Je savais, moi, ce qu’ils pensaient vraiment des femmes, et je savais aussi que ça n’avait pas grand-chose à voir avec de l’amour » (p. 184).
L’auteur prend bien soin d’éviter toute confusion des sentiments entre les jeunes héros aux sexes si ambigus, et le trouble dans le genre retombe platement sur ses pieds aussitôt qu’il est lancé dans la nature humaine : « Dès le début j’avais senti chez Peri quelque chose de bizarre, un je-ne-sais-quoi qui aimantait mon regard, l’attirant vers son beau visage, vers la ligne résolue de sa mâchoire » (p. 101). Dès fois qu’une fille eût pu être amoureuse d’autre chose que d’un garçon, hein !
Du côté de Peri / Peredur, les vaches sont aussi bien gardées : bien que sa mère continue à lui faire croire qu’elle est une fille à l’âge des premiers poils, il est hors de question qu’elle/il ait eu un regard ambigu sur les soldats d’Arthur, qu’on se le dise ! « Ils l’avaient certes fascinée, ces visiteurs. Elle en avait rêvé pendant plusieurs semaines, bien longtemps après avoir vu disparaître leurs casques et leurs armures […] mais elle ne voulait pas de l’un d’eux comme époux. Elle voulait devenir comme eux ! » (p. 198). On se dit que décidément, l’auteur s’est interdit quelque chose qui aurait pu être fameux… Ce n’est que dans les dernières pages qu’il osera, mais sans approfondir, un chaste baiser entre ses deux héros re-travestis : « C’était lui, ma demoiselle, lui qui m’attendait au coin du feu, au terme de cette rude journée » (p. 360). La morale est donc sauve, malgré la transgression. Ouf, on allait se faire peur !
On appréciera par contre (enfin, ça dépend qui !) la profession d’athéisme de Myrddin, plutôt rare dans un ouvrage pour la jeunesse : « Les dieux n’existent pas, Wynn. […] Les dieux sont des contes pour endormir les enfants. » (p. 65). La démystification n’y va pas par quatre chemins, utilisant au besoin la scatologie : « [Excalibur] heurta la surface de l’eau à quelques mètres de la rive, avec un « splash ! » terne et plat, comme une bouse tombant du cul d’une vache. » (p. 356).

Lionel Labosse


Voir en ligne : Bio de Philip Reeve sur Wikipedia (en anglais)


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[1Le titre original constitue un jeu de mots sur les deux sens de « lie » : « Here lies Arthur » signifie simultanément « ci-gît Arthur » et « ici ment Arthur ».

[2Le corvidé semble inspirer l’auteur : « Au-dessus de ma tête, des corbeaux agitaient les doigts noirs de leurs ailes comme pour peigner le ciel bas. » (p. 353).