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Pour les filles (et les garçons) qui aiment les filles
Les Filles ont la peau douce, d’Axelle Stéphane
Auto-édité, 2009, 150 p., 12,7 €, réédition Le Diable Vauvert, 2010, 224p., 15 €
jeudi 28 mai 2009
Les Filles ont la peau douce est un guide sans prétention pour nous les filles. Séduire, faire l’amour, quitter une fille, assumer son lesbianisme : vous saurez tout ce qu’il faut savoir. C’est un livre auto-édité, et sans nom d’éditeur (j’ai cherché partout !). On se le procure donc dans les librairies altersexuelles ou bien chez l’auteure [1]. Il faut saluer l’initiative, quand on sait l’énergie folle que cela représente, d’autant plus que le livre est très réussi comme objet, et sera le cadeau idéal pour votre nièce qui ne sait pas encore qu’elle est homo, ou pour votre gentil voisin qui prend les filles pour des flippers et se fait jeter au premier rendez-vous ! Le livre s’adresse plutôt à des jeunes qui ont besoin des conseils d’une sorte de grande sœur. Compte tenu de certaines paroles zosées, je me garderai de le recommander pour les CDI, à moins d’un documentaliste kamikaze ! [2]
Les illustrations de La p’tite Blan sont bien sympathiques, même si on se demande au début ce que représente le personnage avec sa tête oblongue aux yeux démesurés… Elles ponctuent les sept chapitres — après une préface de Marie-Jo Bonnet que vous ne retrouverez pas dans la nouvelle édition — qui vont de « Je suis attiré par une fille » à « Une histoire se termine », en passant par « Je découvre d’autres pratiques »… Axelle Stéphane s’est basée sur des entretiens avec plusieurs filles, à partir desquels elle a synthétisé trois personnages, Isabelle, Alice et Nadia. On apprend qu’Alice « aime faire découvrir les body shots à ses amis » (p. 17). Comme l’auteure oublie d’édifier les ringardes que nous sommes, je crois être en mesure de vous révéler que les « body shots » sont des cocktails érotiques que l’on consomme à même la peau de son partenaire… miam miam ! Nadia, quant à elle, est une ado qui n’a pas son bac, et adore « faire l’amour dans des lieux publics » (cf. p. 49) ; mais ses premiers attouchements ont eu lieu au hammam lorsqu’elle partait « avec [s]a famille l’été au bled en Algérie » (p. 44). Ouf ! comme quoi il nous faut revoir les clichés sur les jeunes rebeues !
Vous avez dit phallocentrique ?
Les conseils de séduction ne surprendront guère les vieilles routières de la drague comme votre serviteuse : « votre meilleur ami est votre gaydar, ce radar intérieur qui vous permet de reconnaître les filles » (p. 24). Malgré une préface qui voue aux gémonies les « présupposés phallocentriques » (p. 11) de l’exposition « Zizi-Sexuel », l’auteure ne se la joue pas anti-mâles, au contraire : les bisexuelles sont respectées (cf. p. 67/68), et on n’a pas peur de se faire excommunier en testant une proie potentielle « sur un garçon mignon que vous connaissez toutes deux » (p. 25), ce qui revient à reconnaître la primauté hétérote ! (Aïe, on frise le zap actupien ! [3]). On remarquera aussi une sorte de focalisation insertive : la lectrice désignée est le plus souvent celle qui pénètre et non celle qui est pénétrée : « Si vous utilisez un gant, vous vous sentirez plus à l’aise et cela sera plus lisse et plus agréable pour votre partenaire » (p. 102). Moi qui croyais que c’était la partenaire réceptive qui dirigeait les choses (les ignobles machos phallocentriques diraient qu’elle est « passive » !)
700 pétales de roses
La sexualité féminine est évoquée avec une poésie sans complexe : « À chaque première fois, j’ai l’impression d’être devant une calculette super sophistiquée ! » (p. 34) ; « un être humain possède 1800 cm2 de peau, ce qui représente environ 700 pétales de rose » (p. 38). On passe d’une sorte de traité des caresses à des considérations plus coquines sur les jouets et jeux sexuels, les godes, etc. Je vous laisse découvrir ce qu’Alice appelle le « combo suprême » (p. 101). On apprend que Au Moyen Âge, [le clitoris] était très important dans l’acte sexuel car il était communément admis qu’une femme devait connaître l’orgasme pour procréer » (p. 48) [4]. Bigre ! on aimerait bien avoir les références ! Alice nous apprend que « la façon dont mes copains me faisaient des cunnis », c’était nul (p. 52) ! C’est amusant, il paraît qu’il en va de même à l’opposé pour les fellations : ce seraient les mecs les meilleurs (à ce qu’ils disent) ! On apprend tout sur le point G, les glandes de Skene, l’éjaculation féminine et la cyprine (moi qui croyais que toute cette tuyauterie que Dieu m’a installée ne servait qu’à faire pipi !) Notre grande sœur nous conseille : « nul besoin de mimer le mouvement de va-et-vient d’un sexe masculin avec votre doigt » (p. 56) (ouf ! le spectre d’un zap s’amenuise !)
Les épines de la rose
On regrettera que le cancer du sein ne soit évoqué qu’en deux lignes (p. 66), alors que les IST et le sida sont longuement développés, avec en prime de longs conseils inspirés du fameux principe de précaution sur l’utilisation des « digues dentaires » (p. 121). Rappelons que le cancer du sein atteint une femme sur 8 [« Une femme meurt d’un cancer du sein toutes les 53 minutes », et il nous a emporté notre chère Macha Béranger récemment, une mort qui aurait suscité plus d’émotion si ç’avait été une maladie médiatique ! D’ailleurs, comme aux débuts du sida, les communiqués de presse indiquent souvent pudiquement « longue maladie »…]], et encore plus parmi celles d’entre nous qui n’ont pas eu de grossesse, alors que le VIH (et non le sida) touche aux alentours de 0,5 % des hommes en général ! 30 ans après la découverte du sida, la désinformation est toujours de mise, par exemple cet article de 2008 d’un journal régional qui annonce « 5000 nouveaux cas de sida en France par an », alors que la vérité est entre 6000 et 7000 découvertes de séropositivité ; le total cumulé des personnes vivantes actuellement infectées par le VIH (et non malades, j’insiste) est de 130000 maximun en France, à comparer avec les 50000 cas annuels de cancers du sein. Le nombre de nouveaux cas de sida avéré est de 1200 par an à peu près, le nombre de morts culmine à 500, à comparer avec les 150000 morts de cancer et les 150000 morts de maladies cardio-vasculaires. Pour les amateurs de comparaisons, nous avons 600 fois plus de chances de mourir du cancer ou du cœur que du sida… La désinformation en matière de santé est une véritable épidémie, comme le dit Anne Perraut Soliveres, qui permet à certains lobbies d’engranger des subventions hénaurmes sur notre dos. Mais je m’énerve alors que j’ai déjà traité tout ça ici, et la pauvre Axelle Stéphane n’y peut mais ! C’est étonnant comme notre perception des risques est liée à la médiatisation plutôt qu’aux risques réels… Aux débuts du sida, pas mal de lesbiennes semblaient jalouser le sida aux mecs, alors que nous avons notre maladie bien à nous, qui n’a rien à envier en souffrance, et dépasse largement en nombre de mortes… [5]
D’aucuns regretteront que la lesboparentalité ne soit quasiment pas évoquée, et le mot à la mode — « homoparentalité » — quasiment pas utilisé : je relève seulement une allusion à la gêne en cas de rupture « si vous avez des enfants » (p. 132) ! Mais je serais plutôt de celles qui considèrent cet oubli comme un bon point, car dans le discours militant actuel, on a parfois l’impression qu’une bonne lesbienne est une lesbomaman ! [6]
Un mot sur le titre pour terminer, qui est justifié p. 68 : moi, je ne sais pas car je ne fréquente pas ces animaux-là, mais une copine bi qui prétend en avoir touché m’a dit que les mecs aussi pouvaient avoir la peau douce !
En conclusion, un livre sympa au ton décontracté, qui change d’un certain discours où la militance recouvre le principe de plaisir, et un livre à offrir autant aux garçons hétéros qu’aux filles altersexuelles ; il n’y a que nos amis pédésexuels qui n’y trouveraient rien à gratter : ils sont bien à plaindre, les choupinous !
– Pour en savoir plus, voir Le Manifeste lesbien, de Pauline Londeix, Les Lesbiennes, de Stéphanie Arc, Le Bâillon, de Corinne Gendraud, Diadème rose, de Cy Jung, Gais Matins, de Catherine Bourassin.
© altersexualite.com 2009
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.
[1] Réédition Le Diable Vauvert, en 2010, avec augmentation de la pagination, 224p., et du prix, 15 € ; et vive le développement du râble !
[2] Oui, je sais, je vais encore me faire traiter de réactionnaire papolâtre, voire sarkozyste, à prétendre réserver la découverte du fist-fucking et de la double pénétration anus-vagin aux post-bac !
[3] De même p. 74, où une « transsexuelle » est « à ne pas confondre avec les transgenres » qui « se travestiss[ent] totalement pour ressembler au sexe opposé » : des psys se sont fait zapper pour moins que ça !
[4] À propos, pour tout savoir sur notre meilleur ami, cliquez là : « Parole des étudiant·e·s sur le clitoris ».
[5] Ayant récemment tenu ce genre de propos devant un ami fortement engagé dans la Lutte contre le VIH, je me suis fait copieusement engueuler sur le thème : « non, non, en France, il y a 15 % d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes qui sont séropos ». J’ai eu beau lui faire remarquer que dans ce cas, en faisant une règle de trois il faudrait comptabiliser quelque 1500000 homos séropos, si l’on enlève les moins de 15 ans et que l’on prend en compte l’hypothèse basse de 5 % d’homos ; calcul difficilement compatible avec le total de 130000 séropos (et le chiffre de 0,5 % des hommes en général séropos), hétéros compris, rien n’y a fait, sa colère contre moi se traduisit par des vociférations d’autant plus véhémentes qu’il était incapable de se justifier. J’ai trouvé dans l’article de Denis Diderot « Agnus scythicus » pour l’Encyclopédie (1751), une raison de prendre avec philosophie ce genre de réactions épidermiques. À propos d’une confusion de l’astrakan ou breitschwanz pris pour un végétal par divers savants, Diderot conclut : « Il faut considérer les témoignages en eux-mêmes, puis les comparer entr’eux : les considérer en eux-mêmes, pour voir s’ils n’impliquent aucune contradiction, & s’ils sont de gens éclairés & instruits : les comparer entr’eux, pour découvrir s’ils ne sont point calqués les uns sur les autres, & si toute cette foule d’autorités de Kircher, de Scaliger, de Bacon, de Libarius, de Licetus, d’Eusebe, &c. ne se réduiroit pas par hasard à rien, ou à l’autorité d’un seul homme. Voici un bon exemple de ce que Fontenelle avait déjà pointé dans l’Histoire des oracles avec l’anecdote de la dent d’or, et que Léo Ferré résume par cette formule : « Les hommes qui pensent en rond ont les idées courbes ». Conclusion : n’ayons pas peur de penser contre le troupeau, ne fût-on qu’un breitschwanz !
[6] De même, l’auteure ne se sent pas obligée de faire l’apologie du mariage lesbien, ouf !