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Conte rural altersexuel

Le Roi de l’évasion, d’Alain Guiraudie

Film français sorti le 15 juillet 2009

jeudi 10 septembre 2009

Voici un des films les plus réjouissants qu’il m’ait été donné de voir récemment, dans la lignée de Louise-Michel, de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Il s’agit d’un conte altersexuel sur un homo quadragénaire victime comme un vulgaire berluscono du démon de midi, une passade pour une collégienne, le tout sur fond d’un monde rural qui pour être vieillissant n’en est pas moins gaillard, car toute la communauté se goberge d’une mystérieuse « dourougne », un tubercule aux vertus stupéfiantes et aphrodisiaques. L’air de rien, le film propose une critique du conservatisme sexuel, et les éléments d’une utopie postsexuelle ou du moins altersexuelle, que ne renierait pas Marcela Iacub.

Le héros est l’opposé des couvertures de magazines : un représentant en tracteurs de 43 ans (un fort bel âge pourtant, c’est un type né en 1966 qui vous le dit en 2009 !), obèse, vêtu tantôt d’un costume gris, tantôt de polos à fleurs de couleurs vives, pratiquant le cyclisme en amateur, et passant son temps à rêver d’hommes mûrs sur les lieux de drague sauvage du Tarn. Son nom, « Armand Lacourtade », ne présume guère d’une virilité aussi contondante que celle d’un octogénaire réputé dans le canton, surnommé « le queutard ». La crise de la quarantaine le trouve désabusé. Un ami lui vante la « dourougne », un tubercule qui permet de susciter le désir à tout moment, mais Armand préfère se contenter des rares types possibles qui lui plaisent. Il lui arrive même de songer à faire un enfant, parce que, si les hétéros fondent des familles depuis des générations, ça ne doit pas être si mal. Une réflexion qui résonne acidement au contact des mots d’ordre actuels de la bourgeoisie gaie et lesbienne ! Notre brave Armand Lacourtade, qui ne semble pas lire Têtu ni Pref mag, ne songe pas un instant à l’homoparentalité à la mode. C’est le hasard qui lui met une adolescente dans les bras : il intervient alors qu’elle est importunée par quelques choupinous pourtant pas dégueus. Il s’avère que c’est la fille de son principal concurrent et néanmoins « ami », l’irascible M. Durandot — ça ne s’invente pas ! Effectivement celui-ci s’avère intraitable s’agissant de livrer sa fille à un homme : dès qu’il se rend compte qu’elle tourne autour d’Armand, il porte plainte, et rembourse rubis sur l’ongle la somme de 200 € — sorte de dot — qu’avait coûté à Armand la libération de la petite. C’est là qu’intervient le personnage du commissaire, incarnation de la Justice et de l’État qui fourre son nez dans les affaires privées du citoyen. Cet échalas passe un bracelet électronique à Armand (sans jugement), et s’insinue dans sa vie privée, intervenant à chaque fois qu’il lui vient l’envie de baiser. Cela constitue un gag à répétition, le personnage apparaît comme une statue du commandeur, un Nosferatu ou un de ces personnages de dessin animé à la « Quoi de neuf, docteur ? » dont on ne peut jamais se débarrasser. Quand la jeune fille fugue
avec Armand, le commissaire organise une battue avec les paysans du coin et leurs chiens, véritable curée contre le déviant à l’orthosexie. Une belle scène allégorique montre l’adolescente se jetant à l’eau pour rejoindre Armand, les deux émergeant aussitôt sur une colline aux faux airs de paradis terrestre dominée par un arbre isolé, arbre de la connaissance du bien et du mâle. Mais la belle se révèle trop possessive, et Armand fuit à nouveau. Le paradis rural se révèle clôturé de tous côtés : volets, portail, grillage… et Armand devra se débarrasser de la donzelle pour échapper à l’appât néo-biblique. Le final est une apothéose altersexuelle, puisque le réalisateur nous offre — à mon goût — une fort belle illustration de l’alternative altersexuelle à l’obsession du mariage et du couple qui sévit chez la bourgeoisie gay et lesbienne de notre époque de régression orthosexuelle (voir mon article à paraître sur Bi, de Jean-Luc Hennig).

Utopie altersexuelle

Non seulement Le roi de l’évasion offre une utopie altersexuelle, mais il fournit une réflexion sur la situation actuelle de répression de la sexualité des adolescents. En effet, comme dans Soleil Rose, de Gudule, une adolescente de 16 ans tombe amoureuse d’un homme obèse, et la question se pose de la liberté sexuelle des ados [1]. On constate que la majorité sexuelle de 15 ans en vigueur en France, est battue en brèche par la protection des mineurs qui, en réalité, autorise tout parent à interdire cette majorité sexuelle si le choix de l’ado ne lui agrée pas. La battue organisée illustre les dérives de la lutte contre la pédophilie. Lorsque les deux personnages font l’amour, le réalisateur se permet à nouveau une provocation contre le conformisme sexuel ambiant, car ils n’utilisent pas de préservatif, et Armand argue du fait qu’il n’a pas de maladie ; or, il passe son temps à baiser à droite et à gauche, avec des types qui en font autant ! Voilà qui frise le « zap » actupien ! Les acteurs sont parfaits ; on soulignera notamment l’intelligence du choix de Hafsia Herzi, dont on ne se rend à peine compte qu’elle n’a pas l’âge du rôle. En effet, en cette année où La journée de la jupe a été plébiscitée par le public comme l’alpha et oméga de la vérité sur la jeunesse d’origine musulmane, il n’est pas indifférent de voir à l’écran une jeune actrice d’origine maghrébine — parfois présentée comme la nouvelle Adjani — se livrer avec tant de plaisir à des scènes de baise, et montrer son corps sans aucune gêne, tout en jouant un rôle de Gauloise bien roulée, même pas gitane, ce qui est rare dans le cinéma français pour un acteur black ou rebeu. Cela n’empêchera pas le Français moyen de persister à croire que toute jeune fille maghrébine est par définition soumise aux mâles et forcée par eux à porter le voile et à fermer sa gueule, mais ceux qui ne pensent pas dans le moule médiatique apprécieront de constater par l’exemple que la réalité n’est pas si monolithique !
On apprécie aussi la diatribe d’Armand et de son copain Jean-Jacques contre la mercantilisation de la drague homo qui condamne les lieux de rencontre sauvage [2]. Bref, le réalisateur-scénariste se révèle un observateur subtil de la vie moderne, et le film est une belle épopée libertaire anti-branchouille, bien venue par les temps qui courent.

 Dans Pas de repos pour les braves (2003), du même réalisateur, on voyait un choupinou amoureux d’un homme mûr. Dans un rêve, le même choupinou baisait une femme sur un billard. La relation gay intergénérationnelle était insérée avec grand naturel dans un milieu rural par ailleurs très hétéro. Le réalisateur a fait en sorte que lors de la première apparition à l’écran du couple, tout laisse penser plutôt à une relation plus banale entre père et fils par exemple. Ce n’est que quelques plans plus tard qu’apparaissent des gestes amoureux.

 Dans le genre utopie rurale icaunaise (pour ceux que le Tarn indiffère), voir également Chevalier B., de Martine Pouchain.
 Voir Les Invisibles, de Sébastien Lifshitz (2012), un film un peu guiraudien.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article de CUT, la revue Cinéma


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[1Pour la petite histoire, l’action se situe dans le Tarn, et la commune de Puycelsi est même nommée au détour d’une phrase ; or chacun sait que Puycelsi est devenue une véritable plaque tournante de l’anarchisme éhonté, où l’ignoble Gudule et sa smala s’est exilée pour échapper aux foudres de la justice !

[2Pour Paris, faites un tour nostalgique sur le quai Panhard et Levassor dans le XIIIe, pour constater à quel point l’équipe Delanoë a rayé de la carte ce lieu magique de drague exalté dans Les nuits fauves, en y installant un véritable Disneyland de lampadaires de 1000 W pour éclairer… des tours à béton mieux que la tour Eiffel, et empêcher toute activité altersexuelle qui pourrait indisposer les bobos logés dans les luxueuses résidences de front de Seine, ce dont jamais l’équipe Chirac-Tibéri n’avait éprouvé le besoin. Idem pour l’ex-terrain vague de la porte d’Aubervilliers, désormais bétonné de bureaux. Que n’auraient pas dit, à l’époque nos agités de l’activisme gay bcbg, qui se contentent, actuellement, d’empocher les subventions municipales ?

Messages

  • Oh, l’autre ! Sachez, cher ami, que Gudule et sa smala ne se sont "exilés" dans le Tarn que par amour pour la beauté des paysages, et non pour cacher quelque méfait secret. Mes méfaits, je les mets dans mes livres, moi, môssieu ! Et jusqu’à nouvel ordre (mais pour combien de temps encore ?) l’imaginaire des écrivains n’est pas passible de la Justice des hommes (uniquement de la Justice divine !)
    Ceci étant, ce film me tente bougrement. Sitôt qu’on le joue dans mon bled, j’y cours !

  • Ah, et puis ce n’est pas dans "Soleil Rose" que Rose tombe amoureuse de son vieux Polochon, mais dans "La vie en Rose". Simple petite rectification, puisque "Soleil Rose" est la suite des mésaventures de la même Rose.