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Serial killer homo, à partir de la 3e
La Princesse et l’assassin, de Magnus Nordin
Éditions du Rouergue/DoAdo, Noir, 2003, 256 p., 13,5 €.
samedi 17 novembre 2012
Voici un roman policier suédois basé sur une affaire assez banale de serial killer gay. Pourquoi le publier en collection ado et non adulte ? Parce que les scènes de sexe hétérosexuel sont pudiquement voilées d’une ellipse, et que la narration estompe les détails graveleux des viols commis par le tueur éphébophile (ses proies sont des garçons âgés de 18 à 21 ans). Sans doute aussi parce que l’intrigue est un peu téléphonée, que le récit souffre de certaines incohérences, ou du moins que l’auteur ne s’est pas embarrassé pour qu’on y croie. On est un peu déçu quand on songe à d’autres romans suédois déjà chroniqués dans cette rubrique (voir par exemple On est forcément très gentil quand on est très costaud, de Dag Johan Haugerud et Un Ovni entre en scène, de Jonas Gardell). Le lecteur adulte (et peut-être adolescent) restera sur sa faim quant à la personnalité du tueur et des autres personnages. L’homosexualité des deux personnages adultes n’est guère exploitée par la narration, alors que les émois des adolescents le sont peut-être trop. Cette homosexualité est le motif des meurtres ou de la fausse piste, et point barre. Elle ne trouve aucun pendant chez aucun des personnages adolescents, qui sont tous à 100 % hétérosexuels. Cela donne donc un roman de pur divertissement. Cependant, si l’on adopte un point de vue moral, il est clair que ce roman plaide pour faire la part des choses entre un meurtrier homo d’une part, d’autre part un homosexuel qui aime ses amants. De ce point de vue, il est tout à fait recommandable à de jeunes lecteurs.
Résumé
Un garçon de 18 ans est agressé par un homme qui l’a pris en stop, et laissé pour mort dans un endroit désert. On n’en sait pas plus, et le récit s’intéresse alors à un groupe d’adolescents d’une même classe, notamment Nina, qui vient d’emménager dans la ville, et à l’un de leurs enseignants, particulièrement rigoureux. On s’intéresse notamment à la personnalité du père de Nina, qui vit de petits boulots et déménage souvent, prétendument, pour se rapprocher de sa clientèle. Un jour, Nina le retrouve à la maison discutant en compagnie d’un jeune homme avec qui soi-disant il doit partager un chantier : « Un garçon aux cheveux bruns bouclés était assis sur le canapé. Il devait avoir vingt ans […]. Jean et tee-shirt. Musclé et bronzé » (p. 57). La mère, alcoolique, se contente d’une remarque et d’un soupir : « Encore un gamin. Ça recommence » (p. 59). Markus, qui se trouve occuper la maison voisine de Nina et fait partie de sa classe, sympathise avec elle. Il n’a pas de petite copine, regrette de ne jamais parler sentiments avec son pote Teo, qui trouve que « On ne peut pas être ami avec une nana » (p. 81). Justement, aiguillonné par Teo, Markus se pose la question de savoir s’il ne serait pas amoureux. Nina, elle, s’amourache d’un jeune musicien, idole locale, qui la trouve aussi à son goût. Contre mauvaise fortune bon cœur, Markus se contente du rôle de confident. Il y a aussi Lenita, la petite fille riche, qui croyait se réserver le chanteur pour elle seule. En marge d’une soirée organisée par Lenita, Markus surprend le comportement bizarre du père de Nina, qui perd le contrôle de son véhicule, est couvert de sang, et se débarrasse d’un objet que Markus n’identifie pas sur le coup. Lorsque le cadavre d’un jeune homme est retrouvé, et qu’il s’avère qu’il s’agit du jeune homme qui avait pris un verre avec lui, tout semble accuser le père de Nina, laquelle découvre à cette occasion que ce garçon était en réalité un amant de son père, photos dénudées à l’appui. Mais pendant ce temps, l’autre garçon laissé pour mort au début du roman, retrouve la mémoire et décide de se faire justice lui-même contre son violeur. Bien évidemment la bonne piste sera plus surprenante que celle que l’évidence semblait suggérer, et une course contre la montre s’engage pour sauver Markus, nouvelle proie du tueur.
Mon avis
J’ai été modérément convaincu par ce roman, qui se lit certes bien, et mène sans surprises — je veux dire avec le type de surprises convenues dans le polar type, qui vous laisse apparaître comme dépassant sous la phrase à chaque faux indice, une étiquette jaune fluo « ceci est une fausse piste » — à l’identification du tueur-qui-nétait-pas-celui-qu’on-croyait. On est étonné de la pudeur du texte, qui s’adresse pourtant à des adolescents : « Il savait ce que l’homme lui avait fait, les médecins le lui avaient expliqué, des choses qui le remplissaient de honte et de dégoût. C’était comme si l’homme avait fait de lui son complice » (p. 111). Ce type de réaction, et la volonté de se faire justice sans passer par la voie légale donnera à réfléchir : la réaction d’un garçon violé est-elle différente de celle d’une fille violée ? Cela va plus loin, car les explications de ce garçon sur sa vengeance, laissent supposer qu’il s’apprêtait à faire subir à son violeur ce qu’il avait subi (p. 244).
S’agissant de la question de l’homophobie, le côté moral appréciable dans ce roman est qu’il lance quelques fausses pistes, pour les déminer ensuite. Tout semble accuser le père de Nina, et on se doute de ce qu’un romancier peu suspect d’être gay-friendly comme Melvin Burgess aurait tiré d’un personnage de père de famille qui collectionne les photos d’un garçon de 20 ans nu… Teo, le pote un peu homme des cavernes de Markus, traite les videurs qui le brutalisent parce qu’il les provoque sciemment, de « Putain de pédé » (p. 166). En définitive, si le tueur est également un prédateur homo, le récit fait bien la distinction entre un amateur de garçons et un violeur, ce qui est pédagogiquement bienvenu. De même la réaction de Nina qui comprend enfin que la vraie raison des déménagements fréquents décidés par son père sont les rumeurs du type « Ah, ton vieux est pédé ! Une sale tantouze » (p. 228), mais fait la part des choses, et si elle en veut à son père et à sa mère, ce n’est pas d’être homo et alcoolique, mais de l’avoir tenu à l’écart de leurs petits arrangements avec la vie. On reste un peu sur notre faim sur les liens originaux de ce couple de marginaux qui s’étayent l’un l’autre, et font pendant avec les parents de Markus, qui se déchirent.
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
Voir en ligne : Magnus Nordin sur Wikipédia (en suédois !)
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