Accueil > Livres pour les jeunes et les « Isidor » HomoEdu > Fictions niveau 3e > Désobéis ! de Christophe Léon

Désobéis, c’est un ordre ! pour les 3e

Désobéis ! de Christophe Léon

Éditions Thierry Magnier, 2011, 192 p., 10,1 €.

samedi 19 janvier 2013

Quand on m’ordonne « Désobéis ! », si j’obéis, est-ce que je désobéis ? Cette variante du paradoxe du menteur est illustrée par le titre de ce recueil de nouvelles inspiré du succès de l’opuscule de Stéphane Hessel Indignez-vous ! [1] Avec un tel titre, il faut s’attendre à être dérangé, sinon l’auteur aurait raté son objectif. Donc telle des 9 nouvelles vous agacera, telle autre vous réjouira. Pour moi, c’est plutôt la première option. Les thèmes sont un peu les passages obligés de l’indignation de gauche, on aime ou on n’aime pas, et l’homophobie fait l’objet d’une nouvelle. On préfère les 3, voire 4 premières, dans lesquelles l’humour fait passer la pilule, aux suivantes, plus amères.

Résumé

Ces nouvelles sont conformes au programme donné par le titre provocateur. « Ernesto » s’indigne de façon festive contre les loyers excessifs ; « Guérilla » traite du conflit israélo-palestinien avec une touche de poésie bucolique qui contraste avec son titre ; « Pourquoi regardez-vous cette affiche » s’indigne avec originalité contre le matraquage publicitaire, tandis que « Le gang des Mille et une Nuits » tente de désactiver les néons des boutiques pour permettre d’apprécier la nuit. « Le refus » s’insurge contre l’homophobie dans un lycée. « Commando », d’après ce que j’ai cru comprendre, s’attaquerait à la vivisection, mais je me demande comment un collégien pourrait y comprendre quoi que ce soit. « Plus ou moins », à la surconsommation ; « Changement de braquet » à la révolte des personnes en fauteuil roulant contre les méchants 4x4 (à supposer que les propriétaires de petites cylindrées, eux, ne stationnent jamais sur les passages piétons, et que tous les propriétaires de 4x4 sont irrespectueux !), et « Pour la vie » s’intéresse aux sans-papiers. Que l’on se rassure : aucune nouvelle ne traite du Tibet, de la tauromachie ou des bébés phoques ! Si l’humour est le moteur des trois premières nouvelles, voire de la 4e, les suivantes sombrent dans une sorte de révolte sombre et sans issue. « Le refus », qui nous intéresse plus particulièrement, raconte la tentative solitaire d’un garçon surdoué de s’insurger contre une agression homophobe dans son lycée, d’une façon assez inattendue : il s’habille en jupe, pour faire réagir ses camarades et les adultes, et se heurte à l’incompréhension desdits adultes. Il se heurte aussi à mon incompréhension, car après des nouvelles d’actions collectives et ludiques contre la pub ou les loyers trop élevés, j’ai du mal à comprendre que ce garçon ne tente même pas de joindre soit des camarades, soit la victime de l’agression, pour une action un peu moins désespérée, plus collective et plus amusante (sur le thème du travestissement, il y aurait de quoi faire). Le ton dramatisant donne l’impression que ce thème est sans espoir, ce qui étonne fortement vu l’évolution actuelle de la société sur la question de l’homophobie. Ce sont plutôt certains autres thèmes qui nous paraîtraient sans espoir !

Mon avis

À chacun ses indignations. À chacun ses modes d’action. Certains thèmes vous toucheront, d’autres moins. Sur la question de la pub ou de la télévision, en ce qui me concerne, on prêche un convaincu (voir cet article), et les excellentes idées d’actions festives et travesties auguraient au mieux de ce recueil révolutionnaire. Ce thème est rarement abordé en littérature jeunesse. On pense à Vive la République !, de Marie-Aude Murail, ou Tout doit disparaître, de Mikaël Ollivier. On se réjouit donc de l’existence de ces nouvelles. D’un autre côté, l’anarchiste qui sommeille en moi sort ses griffes dès qu’on tente de lui donner un ordre, ou pire, de donner un ordre à un enfant sans lui laisser la liberté de choix. L’aporie du titre me gêne donc aux entournures. Donner l’ordre de désobéir, c’est avant tout donner un ordre, donc abuser de son pouvoir sur autrui. De nombreux passages le mettent en évidence, par exemple le personnage de Falah, dans « Le gang des Mille et une Nuits » : « Falah parlait d’une voix ferme et décidée. Nous n’avons pas discuté. Nous avons obéi » (p. 72). Dans « Pour la vie », le père s’adresse ainsi à son enfant : « Tu ne dois dire à personne qu’ils sont à la maison, tu comprends ? » (p. 165).
Ce qui nous étonne, c’est qu’aucune nouvelle ne semble nous aider à prendre conscience de cette contradiction d’un autoritarisme diabolique quand il est de droite, mais qui deviendrait acceptable et bon parce qu’il serait de gauche, point barre. Au contraire, certaines nouvelles qui mettent en scène des parents gauchistes avec leurs enfants montrent la dépendance et l’obéissance aveugle des enfants aux injonctions arbitraires de leurs parents qui les instrumentalisent dans leur combat politique. Les parents n’expliquent jamais leurs motivations, ils imposent leurs décisions, et marche ou crève. Par exemple, quand Ernesto demande à son père « Nous sommes communistes, papa ? » (p. 25), celui-ci ne daigne pas répondre, mais il ne se gêne pas pour forcer son fils à l’accompagner dans son activisme, et à lire un discours préparé au mégaphone, sans lui demander son avis ni même le prévenir de ce qu’on attend de lui. Dans « Plus ou moins », la mère se met, à un âge avancé, à piquer une crise contre le consumérisme, et force sa fille, sans la moindre explication, à agir de même : « Ce que je te propose c’est de désobéir davantage et de résister plus. Ensemble. » (p. 137). On s’étonne que ladite fille n’envoie pas valser sa mère sur le ton de Tristan Bernard : « Peut-être que je serai vieille, / Répond Marquise, cependant / J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, / Et je t’emmerde en attendant. ». Cela me fait penser à ces enfants que leurs parents amènent aux manifestations du 1er mai par exemple, et leur font scander des slogans gauchistes qu’ils ne comprennent pas. Je suis désolé de faire le rabat joie, mais si l’on trouve légitime de faire défiler un enfant dans une manif gauchiste, alors on légitime également de le faire défiler pour l’extrême droite, et l’on n’a rien à dire non plus quand un parent affuble un enfant de 3 ans d’une kippa sans lui demander son avis, ou met une kalashnikov dans les mains d’un ado de 12 ans.
Si ces agissements étaient l’œuvre de parents de droite ou d’extrême droite, on ne manquerait pas de s’en indigner, mais comme ce sont des gens de gauche, on trouvera ça généreux et altruiste. Eh bien ! désolé, mais si je dois m’indigner, c’est contre l’instrumentalisation des enfants en général, et pas uniquement quand elle est l’œuvre de gens qui ne sont pas de mon bord. Si l’on peut désobéir, c’est, je suis désolé de le dire, aussi contre ceux qui nous donnent l’ordre de désobéir. On est déçu qu’aucune nouvelle ne suggère la moindre auto-critique en ce sens. Cela me fait penser au Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley : un monde idéal où même la révolte est programmée. Pour « Le refus », la nouvelle contre l’homophobie, si la position de rebelle du héros nous séduit, ne peut-on trouver, dans le contexte actuel, que le ton est excessif, et qu’un minimum de dialogue, d’humour et d’action collective serait beaucoup plus efficace dans le contexte ? Comme pour les nouvelles sur certains passages obligés de l’indignation de gauche, on a l’impression d’un exercice d’école appliqué pour faire bien, d’un formulaire de visa pour entrer dans le pays des bons sentiments. La case « lutte contre l’homophobie » est cochée ; cause suivante !
Pour conclure, une petite remarque sur la collection. Nous avons déjà chroniqué Le Chant des Lunes, de Gudule, mais n’est-il pas étonnant que l’abondante collection « Nouvelles » présentée en fin de volume ne propose aucune anthologie ? Le seul ouvrage présentant des nouvelles d’auteurs différents (Comme chiens et chats) n’est pas inclus dans la collection « Nouvelles », mais « Romans » ! Justement, sur le thème de la désobéissance, n’aurait-on pas pu proposer une sorte de concours de nouvelles, dont les meilleures auraient été publiées ?

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le blog de Christophe Léon


© altersexualite.com 2012
Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.


[1L’achevé d’imprimé, marque de fabrique de l’éditeur, indique d’ailleurs « cet ouvrage a été achevé d’imprimer avec indignation (…) ».