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Éducation cochonne, pour adultes
Tijuana Bibles, de Bob Adelman
Éditions de la Martinière, 2004 (1997), 160 p., 35 €, épuisé.
samedi 1er mars 2014
Les Tijuana Bibles sont des BD cochonnes de petit format, de 8 pages, parfois 16 ou 32, qui furent publiées sous le manteau entre les années 1930 et 1960 aux États-Unis. D’une pornographie bon enfant humoristique, n’épargnant aucune célébrité de l’époque, laissant une petite place à l’homosexualité, ces bandes dessinées ont sans doute joué un rôle marginal d’éducation sexuelle à une époque où il n’y avait rien d’autre. De nos jours, un tel album devrait à mon avis être disponible dans les lycées pour par exemple des TPE, car l’histoire de cette pornographie est un sujet passionnant et formateur. Le livre est épuisé, et je me garderai de le conseiller à mes collègues documentalistes tant que les conceptions de l’éducation à la sexualité (et les mœurs) n’auront pas évolué vers moins d’hypocrisie (mais à une époque où les parlementaires rêvent à l’abolition de la prostitution, on peut imaginer que la porte ouverte suivante à défoncer sera l’abolition de de la pornographie, étant bien connu que la pornographie est totalement contraire à la dignité des femmes).
Art Spiegelman, qui préface ce livre, explique le succès des Tijuana Bibles par « leur curieuse combinaison de débauche et d’innocence » […] « elles semblent s’émerveiller à la seule idée du sexe » (p. 5). Le nom, qui n’est qu’un des noms qu’on leur donnait, selon Spiegelman, serait soit insultant envers les Mexicains, soit pour tromper la police sur leur lieu d’origine, soit parce que les villes frontalières comme Tijuana « étaient des lieux de perdition ». Il ne donne aucune explication pour « bible », mais Wikipédia évoque le petit format, et il y a bien sûr de l’ironie dans ce choix. Madeline Kripke analyse le langage utilisé, truculent et varié. Il y a des « limericks » bien salés, et l’on enrichit son vocabulaire argotique à vitesse grand V. Les auteurs de Tijuana Bibles mettent souvent en scène des étrangers ou des ethnies, et les font parler avec des connotations racistes dans un langage déformé, mais cela reste bon enfant (et même les Américains blancs parlent une langue à couper au couteau !). La jouissance du langage suit celle du sexe, et Madeline Kripke donne un exemple de métaphore filée par deux personnages sur le thème du base-ball. Après ces préliminaires, on saute au paf, et l’auteur se contente de présenter les 5 chapitres de sa collection en une page chacun. Les Tijuana Bibles nous sont données intégralement, y compris les 16 ou 32 pages. Je me contenterai donc de quelques exemples commentés, et vous trouverez quantité d’autres images sur les sites spécialisés. Mais trêve de préliminaires, vous allez être rassasiés mes petit(e)s cochon(ne)s !
« Un petit tour dans les pages amusantes ! »
Voici pour commencer dans ce premier chapitre, une belle illustration du côté potache qui gomme à mon avis tous les reproches habituellement faits à la pornographie. Je veux dire que celui qui verrait dans ce dessin une dégradation de la femme ou autres clichés serait un beau ballot. Voilà l’histoire (en 8 images, rappelons-le) : Wimpy surprend Olive en train de se masturber devant l’image de Popeye. Il la baise sans préliminaire ; elle y prend goût, mais Popeye arrive, et s’exclame : « Now look at a real he man’s prick », et prend la place de son pote. Voilà-t-y pas que ce dernier trouve à son goût le fessier de Popeye… Je vous laisse apprécier la dernière image ! Il s’agit de la plus démesurée de toutes celles de la série, mais 99 % des personnages masculins sont hors-normes, ce qui fait que les personnages noirs se retrouvent au niveau de l’étiage, n’en déplaise à Serge Bilé
Dans la même série on a une Betty Boop nunuche dans un « sixteen pager », qui se présente à son directeur qui vient de la convoquer dans son bureau ; il la baise d’abord dans tous les sens, mais à la fin, elle se demande pourquoi diable il l’avait convoquée ! Enfin, je retiens une évocation intéressante de l’homosexualité : Donald veut niquer, hélas, ne se présente qu’une « fairy », mais il faut que ça fasse l’affaire. Donald se fait donc sucer, encule, mais « I’m not damned sissy ! You can blow me and I’ll stop your bung hole but I won’t suck your cock ». On s’y croirait !
« Les Américains, nos frères de sexe : blacks, juifs, ritals et commis voyageurs »
Une série prétexte à montrer toutes les positions, évoque « the dirt route », censée « very popular with wolves, greeks and other perverts », mais c’est un monsieur et une dame tout ce qu’il y a de plus blancs américains qui se chargent de la démonstration… Un autre « eight pager » met en abyme le lecteur, sous l’espèce d’un voyeur dans un trou de serrure. Celui-ci fait le dégoûté à la 8e image, quand le couple en est au cunnilingus. Belle façon de terminer en pied de nez à la morale sexuelle. Un « sixteen pager » (Betty Co-Ed) montre deux femmes utilisant un gode-ceinture, nommé « dildoe » dans l’image, avant de se rendre à une partie carrée avec deux hommes, qu’elles épuisent, et ce n’est pas fini ! Ce format plus étroit que les 8 pages permet d’insérer des devinettes ou commentaires extra-diégétiques sous l’image. En voici une : « what’s the strip of skin between a woman’s cunt and ass hole for ? » [1] Un 8 pages présente une maison de passe tenue par « Aunt Jemima », sorte de Banania étasunien. Dans la dernière image, les filles blanches et la maquerelle noire, soulagées du départ des hommes, se soulagent ensemble avec un « real fuck ». Difficile de cataloguer cette BD comme raciste ou lesbophobe, car les hommes n’y sont effectivement pas à leur avantage.
« Le show-business : un chaud-business »
Cette section nous propose intégralement le seul « thirty-two pages », d’une grande qualité graphique d’ailleurs. Il est consacré à Mae West, qui couche successivement avec deux hommes pour se faire engager à Hollywood. Un 8 pages tente de sauver la réputation de Cary Grant, suspecté d’être homo. Dans Who’s a fairy, il baise par devant et derrière une starlette, qui finit par se rendre à l’évidence : il n’en est pas ! Quant à Clark Gable, il se tape tout son fan club ! Joe E. Brown (le millionnaire à grande bouche de « personne n’est parfait » dans Certains l’aiment chaud) se tape une minette. Quant il la prend par derrière, il s’exclame : « This is the way we sailors doodle each other when we can’t have shore leave ». Une bande particulièrement mal dessinée brode sur une calomnie concernant le mariage de Rita Hayworth et du Prince Ali Khan, réputé très bien monté. Il s’agit de devenir riche en gagnant le poids en diamants du sexe de l’un et la contenance de celui de l’autre… Cela dit, on peut considérer cela d’un autre côté comme une réponse populaire aux images d’Épinal données par les tabloïds de couples bidons qui se marient et divorcent pour se faire de la pub. Je vous laisse trancher :
Le plus étonnant est un 8 pages représentant James Cagney dans Boys will be girls. Il y a une fille dans la première image, mais dans les 7 suivantes, on a un plan a trois (et vraiment à fond) entre hommes. L’anglais est à couper au couteau, et j’ai du mal à comprendre le dialogue, mais il semble qu’ils jouent à faire les filles, comme le montre cette image :
« Poules de luxe, boxeurs, caïds et tyrans »
Bonnie Parker nous offre l’un des numéros les plus sans-glands de la série : elle se trouve un mec bien monté en le menaçant de coups de mitraillette, et quand il l’a baisée, conserve son sexe dans un bocal. Oups ! Quel beau modèle d’empowerment comme dirait Marie-Hélène Bourcier ! De même avec Jesse James, qui viole une Indienne, mais elle se saisit de son arme (symbole !) et le dépouille, de sorte que la dernière image le montre se tapant son cheval : « This may not be as much fun, but it’s a damn sight safer » ! L’histoire la plus gay concerne l’affaire d’espionnage Alger Hiss / Whittaker Chambers. L’auteur de la BD l’explique par une trahison sexuelle d’un vrai couple gay quand Alger prend du plaisir avec une femme. Un 16 pages est consacré à Hitler, qui condamne un couple à mort, suce un jeune mec en guise de petit-déjeuner, puis dévore le pénis du condamné à mort… Où l’homophobie sert des visées politiques… Ce dessin est l’œuvre d’un des deux seuls auteurs qui aient un nom, à défaut d’être identifiés, Mr Prolific (auteur aussi du « Mae West » évoqué supra), l’un des plus talentueux (le seul à être identifié se nomme Wesley Morse).
« Des maîtres queux aux menus délirants »
Cette dernière section porte bien son nom. Dans « The sun-bath », Napoleon, un chien héros de BD, rend tous les hommages possibles à une jeune femme qui prenait innocemment le soleil. Elle y prend goût, mais voilà qu’un butor prend la place du chien sans crier gare ! Elle te lui retourne une de ces mandales ! « I’ll teach you to try to rape a lady when she’s taking her sun-bath » Encore une fois, les femmes ne sont pas forcément des victimes passives. Dans How one wife made it pay, une jeune mariée trouve moyen de se faire du fric pour payer ses vêtements. Cela finit par une belle scène lesbienne avec son amie qui lui a soufflé l’idée. Ah loves ya deer est l’histoire à la John Steinbeck de deux frères. Le grand frère demande à sa copine de suivre dans la forêt son cadet, au comportement un peu lunatique. Elle le découvre qui, en fait de chasser le daim, se tape un daim. La belle se dénude et se dévoue : « Is there something I can do for you huh ? » Hélas, au lieu de profiter de l’aubaine, le cow-boy ne la calcule pas, et lui demande d’aller lui capturer un autre daim, car celui-là est mal en point ! Script d’une histoire drôle qu’on retrouve un peu partout. Jeanne in « Two Pussies » montre deux filles qui se donnent du plaisir. Arrive un mec qui profite de l’occasion, et les filles se le tapent avec avidité. Éloge de la bisexualité ? En tout cas le lesbianisme semble poser moins de problème que l’homosexualité masculine, même si les deux ne semblent acceptés que dans la bisexualité.
Le livre se termine par une évocation des rares artistes connus, puis de la fin des eight papers, ringardisés par les pin-up de Playboy et la télévision. Un glossaire bienvenu de l’argot du sexe précise un peu tard le sens de quelques mots, mais il semble avoir été fait à part, et on n’y retrouve pas tous les mots des illustrations, et on en trouve certains qui n’y figurent pas. Pas exemple, Madeline Kripke évoque le mot « buggery » pour la sodomie, que je n’ai pas relevé, et explique que les homos masculins sont appelés « faggot, fag ou pansy » (j’ai plutôt relevé « fairy » et « sissy »). Elle fait remarquer que les lesbiennes « n’ont pas de nom particulier », ce qui n’étonnera pas les spécialistes de l’homophobie : leur sexualité semble ne devoir qu’émoustiller les hommes (sauf dans « Aunt Jemima », ci-dessus évoquée.
Voir en ligne : Un site en anglais sur les Tijuana Bibles
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[1] La réponse pour les petits curieux : « A chin rest for muff-divers ». « chin rest » désigne en anglais la pièce de bois sur lesquels les violonistes appuient leur menton ; quand à « muff », c’est un des mots d’argot pour le sexe féminin, alternative à « cunt » (équivalent de notre « con »), le plus utilisé dans les dialogues, et « pussy ».