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Des durs et des tatoués, pour le collège et le lycée
Paco les mains rouges, de Fabien Vehlmann & Éric Sagot
Dargaud, 2013, 80 p., 15 €.
samedi 7 juin 2014
Paco les mains rouges est une bande dessinée en deux volumes. Le premier paru s’intitule La Grande terre ; le second à paraître, Les Îles. À une époque indéterminée, mais après 1925, un jeune instituteur ayant commis un crime est envoyé à perpétuité au bagne en Guyane. Prévenu de ce qui va lui arriver parmi les durs, il se défend sans pitié et y gagne son surnom. Il prend peu à peu conscience qu’il est amoureux du tatoueur qui l’aime ou qui le hait, comment savoir dans ce monde où les sentiments sont encore plus relégués que les hommes ?
Résumé
Patrick Comasson, pour un crime dont rien ne nous est dit, sauf peut-être les premières vignettes de forêt enneigée, est relégué en Guyane. Il raconte son histoire à un(e) narrataire inconnu(e), laissant entrevoir au fil de la chronologie des faits des réinterprétations a posteriori. Il embarque après avoir cherché en vain à reconnaître sa fiancée sur le quai. Dans la cale, il fait la connaissance d’un tatoueur, Armand dit La Bouzille, qui lui dessine dans le dos la mort en faucheuse. Il s’attend à être agressé, mais curieusement cela n’arrive pas tant qu’il est entre les mains d’Armand. Pourtant on l’a prévenu : il faudra répondre aux coups s’il ne veut pas devenir une « bonniche » ou la « môme » d’un caïd. Le tatouage étant terminé, La Bouzille pose doucement sa main sur le visage de Paco, geste qui l’étonne. À l’arrivée, Paco ne peut obtenir le poste d’infirmier qu’il demande (il était « infirmier à la fin de la guerre », de 14-18, s’entend, le bagne étant aboli en 1945), faute de posséder un « plan », « cylindre où on cache ses billets et qu’on s’enfile par derrière ». Il est violé par trois types dans les chiottes, alors qu’Armand fait semblant de ne rien voir. Comme on lui dit que ce n’est pas réglo trois contre un, il tue le plus faible des trois en plein jour, afin de ne pas « devenir la pute de toute la case » (p. 19). Il hurle son surnom en commettant son crime, pour effacer celui de « Pâquerette » qui lui avait été donné la nuit du viol. Les liens avec famille et fiancée s’estompent et cessent. Paco retrouve Armand lors d’un séjour à l’hôpital pour ses crises de palu. Il lui en veut de ne l’avoir pas protégé, et le viole en profitant de la situation, ou plutôt Armand ne résiste pas, est-ce qu’il le provoquait ? Paco est troublé car c’est la première fois qu’il fait « ça avec un homme ». Paco obtient un poste dans l’enfer des « camps de la transportation », officiellement abolis depuis l’enquête d’Albert Londres en 1925, cité p. 44. C’est à l’occasion de la fièvre d’une autre crise, que Paco comprend a posteriori que s’il n’a pas été agressé dès le bateau, c’est qu’en fait Armand l’avait protégé, en faisant durer son tatouage pendant toute la traversée, comme Pénélope. Du coup, lorsqu’il apprend qu’Armand est condamné aux îles à l’occasion d’une évasion, il n’hésite pas et demande sa mutation à l’hôpital de la Royale, ce qui fait de lui une « môme ».
Mon avis
On apprécie cet album original dont on attend la suite avec impatience. Le dessin stylisé est en noir et blanc, ou plutôt en sépia, pour ressembler aux photos d’époque, et atténuer la noirceur du bagne. Bien sûr on a du mal à croire à l’histoire « romantique » des deux bagnards ; on ne voit guère pourquoi Armand, s’il est un dur, ne se tape pas le jeune et beau Paco (« J’avais une gueule d’ange. Ça a peut-être mis le doute aux jurés ») dès le début de leur histoire, puisque c’est comme ça que ça se passe au bagne, et que tout le script des autres traditions les plus violentes est respecté à la lettre. Ce serait beaucoup plus dans la logique des choses. Bref, on ne va pas chipoter, et l’on s’attache à ces personnages qui tentent de supporter l’insupportable grâce au baume de l’amour entre mâles. Étonné de trouver une représentation d’un chemin de fer en p. 43, j’ai vérifié qu’il y avait bien existé un tortillard depuis Saint-Laurent-du-Maroni. Combien de bagnards ont-ils donné leur vie pour percer la voie dans la forêt tropicale ? Le livre est complété par 25 pages d’un « cahier graphique » d’intérêt moyen, qui présente les brouillons des dessins, et laisse entrevoir la collaboration entre les deux auteurs (Vehlmann au scénario, Sagot au dessin). Certes la Guyane ne manque pas d’arbres, mais pourquoi gaspiller du papier pour ce dossier qu’on aurait pu proposer sur le site de l’éditeur ?
– Lire sur le blog « histgeobox » un article très documenté de Raoul Blottière sur les bagnes, à partir de la chanson d’Aristide Bruant « À Biribi ».
– Paco les mains rouges bénéficie du label « Isidor ».
– Lire l’article de Jean-Yves Alt et celui de Philippe Tomblaine sur ce livre.
Voir en ligne : Le blog de Fabien Vehlmann
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