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Les ravages de la photocopieuse

Pourquoi nos étudiants ne savent-ils plus écrire ?, d’Aude Denizot

Enrick B Éditions, 2022, 128 p., 14,9 €

samedi 5 octobre 2024, par Lionel Labosse

J’avais écouté Aude Denizot lors d’une émission de Sud Radio face à André Bercoff le 27 juin 2024 (ci-dessous), et j’avais noté le titre. De retour de vacances, j’ai dévoré ce livre bref, simple, écrit d’une plume habile & concise, et surtout plein de remarques neuves sur un sujet qui fait pourtant souvent l’objet de tartes à la crème. Ce livre est sorti en 2022 et n’a pas été promu comme il le mériterait. J’ai trouvé une entrevue sur Le Figaro, et le podcast de l’éditeur.
Je crois savoir ce qui justifie cette faible médiatisation. Pour être publié par les éditeurs les plus en vue et passer sur toutes les chaînes lorsque vous traitez du marronnier de la chute du niveau scolaire, il est bon, après les 100 pages consacrées à la pédagogie, de passer à une 2e partie de 100 autres pages consacrées au vrai et seul problème : l’islam. Là, vous serez promu ! Ce modeste éditeur aurait dû commander 50 pages de plus à l’auteure, et au lieu de « Les ravages de la photocopieuse », choisir comme sous-titre « Les ravages de l’islamisme ».
Mais en ce qui me concerne, j’ai bu ces 120 pages comme du petit lait, et cela va renforcer ma pratique d’enseignant, même si j’allais déjà dans ce sens-là. Il faut absolument avoir au moins un exemplaire de ce livre dans chaque CDI, et le recommander à nos collègues quelle que soit leur matière. Aude Denizot est « professeure de droit », une matière où l’écrit est au centre des préoccupations.

Aude Denizot ne théorise pas en l’air : « En 2017, devenue directrice d’une antenne de droit et responsable pédagogique des trois premières années de licence, j’ai trouvé des conditions de travail idéales pour analyser les problèmes d’expression écrite : une promotion d’une centaine d’étudiants seulement en première année, et des heures dévolues à l’enseignement du français, heures que je pouvais moi-même organiser et piloter. Cela m’a permis de suivre, presque individuellement, le niveau de français des étudiants sur plusieurs années et d’en tirer de nombreuses observations.
J’ai conçu et corrigé des dictées pour constituer des groupes de niveau à la rentrée et pour mesurer les progrès des étudiants à la fin de chaque semestre. J’ai assuré plusieurs cours d’orthographe et j’ai recruté une équipe d’enseignants en français pour m’assister. »
Elle déclare aussi être mère de 4 enfants, et elle s’appuie sur de nombreux exemples concrets d’exercices ou de cours pour les petites classes.
Aude Denizot part du même constat de base que je le faisais il y a 30 ans lorsque je participais à des stages sur l’orthographe. J’avais inventé et mis en place une méthode originale pour enseigner l’orthographe, « Le Monstre du Lhoque n’est-ce », que j’ai d’ailleurs reprise il y a 3 ans quand on m’a infligé un « complément de service » avec une classe de 5e, alors que je n’avais pas enseigné à ce niveau depuis 20 ans (ci-dessous). Elle prend à plusieurs reprises comme exemple l’impossibilité de faire passer la règle a ≠ à : « J’ai voulu savoir pourquoi treize ans de scolarité française ne permettaient plus à des étudiants arrivés en master de maîtriser la règle « a/à », une règle simple qu’on apprend généralement en CP ou en CE1 » (p. 8).

Le monstre du « Lhoque N’est-ce ». Méthode de dictées.
© Lionel Labosse

« Les devoirs qui autrefois avaient tendance à vouloir trop en dire, comme pour montrer à l’enseignant qu’on avait bien appris son cours, ont disparu, au bénéfice de copies extrêmement courtes et pauvres. Là où, il y a quinze ou vingt ans, nous pouvions avoir quatre, cinq ou six feuilles intercalaires, il n’est pas rare que nous n’ayons que la moitié d’une copie double à corriger aujourd’hui. Les étudiants n’ont plus qu’une vision très floue du cours, dont ils ne retiennent que les idées principales. Ils sont dès lors incapables de restituer des connaissances précises et exactes » (p. 15).

Saillies réactionnaires

J’ai quand même relevé des saillies réactionnaires comme celle-ci : « Il faut en outre compter avec les heures qui ne sont pas assurées à cause des absences et des sorties (au cinéma par exemple – mais est-ce bien le rôle de l’école d’emmener les enfants au cinéma ?) » Oui, c’est son rôle ! Pour information, le programme de l’agrégation interne de Lettres contient une œuvre cinématographique. L’enseignement du cinéma fait partie de l’enseignement dispensé par les professeurs de Lettres, et c’est une mesure de salubrité publique ; voyez ma rubrique cinéma ! Il est bien évident (enfin je veux dire en ce qui me concerne) que j’initie les étudiants au grand cinéma d’auteurs d’autrefois, pas au cinéma de propagande français formaté par la commission d’avance sur recettes (« En 1997, le film Le Jour et la Nuit de Bernard-Henri Lévy bénéficie de 3,5 millions de francs de la commission d’Avance sur recettes, dont le président est le même Bernard-Henri Lévy »).
Autre saillie réactionnaire, dont je me réjouis : « La féminisation de l’enseignement a très certainement ralenti l’augmentation des traitements. À l’école préélémentaire et élémentaire, l’enseignant est le plus souvent une femme, et sa rémunération, conçue par notre société comme un deuxième salaire, est forcément peu attractive. Si ce métier était resté majoritairement un métier d’homme, il aurait sans doute conservé un peu de son prestige, avec une meilleure rémunération » (p. 18).
L’auteure fustige un enseignement qui occupe les élèves à des activités qui ne servent à rien (p. 22). Dès le chapitre 3, « La fée photocopieuse et ses miracles », elle désigne le coupable principal, qui étonnamment n’est pas le smartphone (ni l’islam !), mais la photocopie. Elle donne de nombreux exemples, puisés dans plusieurs matières de différents niveaux, et démontre par a plus b que c’est en écrivant à la main les énoncés en mathématiques, que l’on apprend l’orthographe et la grammaire :
« Un éleveur de volailles a ramassé 238 œufs le matin, 185 œufs à midi et 97 le soir. Combien d’œufs a-t-il à la fin de la journée ?
Observons que dans cette phrase anodine, l’élève apprend aussi à ponctuer une énumération et à formuler une phrase interrogative. Il a écrit « a ramassé », ce qui l’entraîne à mettre un é après « a », alors que de plus en plus d’étudiants écriraient « a ramasser » ou « à ramassé ». Il est possible (même si on en doute) que, à la fin de l’année, l’élève de 1982 ait fait moins de problèmes de mathématiques que celui de 2022, car recopier ces énoncés prend du temps à un enfant de huit ans. Mais encore une fois, il faut que les enseignants prennent ce temps de l’écriture, même en mathématiques. Chaque photocopie est une occasion perdue d’apprendre à bien écrire, chaque énoncé qui n’est pas recopié, prive l’enfant d’un entraînement bénéfique » (p. 35).
Aude Denizot dénonce une école à deux vitesses : les élèves lents sont mis de côté et l’on fait progresser les plus favorisés, ceux qui obtiennent une aide à la maison. L’auteure interroge une étudiante de 18 ans sur l’origine de son bon niveau en orthographe : « Je crois que j’ai eu la chance que mes parents m’aident beaucoup dans ma scolarité » (p. 40). Le renoncement à la photocopie permet aussi de se concentrer sur l’essentiel : « La copie intégrale de la leçon oblige aussi l’enseignant à modérer son appétit. Nous considérons que l’enfant ne peut digérer une leçon et l’apprendre correctement que s’il a été capable de la recopier. Or, la photocopie peut inciter certains enseignants à surestimer les capacités d’apprentissage des élèves et, par conséquent, à leur transmettre un volume trop important de connaissances à assimiler ».
Je relève une suggestion originale : « Dans certaines classes préparatoires, des enseignants ajoutent un point aux étudiants qui écrivent au stylo-plume, de même que nous enjoignons à nos étudiants de changer de stylo ! » (p. 44).

Bon sens vs pédagogisme

Ce que j’apprécie beaucoup dans ce livre est que l’auteure se base sur des réflexions de bon sens, disons qu’elle parle en bonne mère de famille :
« Imaginons à présent que l’opération à effectuer soit écrite au tableau, et que les enfants doivent la recopier dans leur cahier. On peut espérer que beaucoup d’élèves diront dans leur tête « mille huit cent douze » et « deux cent quarante-six » lorsqu’ils écriront l’opération, surtout si l’enseignant la dicte en même temps qu’il l’inscrit au tableau. Les probabilités de prendre conscience de l’opération dans sa globalité s’accroissent. Si par exemple l’élève oublie la retenue et marque 1058 comme résultat, il aura plus de chances de s’apercevoir de son erreur, puisqu’il aura prononcé dans sa tête « mille huit cent douze ». Le temps passé à écrire l’opération permet donc une meilleure réflexion et un meilleur résultat final. Enfin, à devoir soigneusement recopier les unités dans la colonne des unités et les dizaines dans la colonne des dizaines, l’enfant apprend la propreté, indispensable pour réussir un devoir de mathématiques » (p. 46).
« Soit dit en passant, le fichier infantilise trop souvent l’élève : la prérédaction des réponses n’est pas sans rappeler le langage qu’on utilise avec les tout-petits pour leur faire trouver un mot. Observons un cahier de vacances destiné à un élève de CM1 :
2500 c’est … dizaines ou … centaines
5400 c’est … dizaines ou … centaines
8000 c’est … dizaines ou … centaines
L’élève a-t-il vraiment besoin qu’on lui « mâche » le travail, sachant que la consigne de l’exercice était : « Écris le nombre de dizaines, puis le nombre de centaines », consigne dont on aura observé qu’elle ne servait à rien, puisque les réponses étaient prérédigées ? » (p. 50).
Aude Denizot m’a appris l’existence de la Méthode de Singapour en mathématiques, qui a permis à ce pays de se hisser en tête des classements Pisa et TIMSS. Elle explique qu’il est inutile de l’appliquer si on pratique la photocopie, et sans volume horaire suffisant pour réaliser tous les exercices. Les élèves singapouriens ont des heures supplémentaires à la maison en plus de cours déjà plus nombreux, et « Le gouvernement du pays s’inquiète du taux de suicide des jeunes » (p. 51). C’est une idée qu’on entend souvent et qui permet d’éloigner d’un mouvement de main la mouche de l’excellence. Pourtant ces braves gens qui agitent cette main sont moins préoccupés de la bonne santé mentale et physique des enfants quand des psychopathes leur imposent des masques inutiles et des mesures qui relèvent de la torture mentale, comme leur faire croire qu’ils vont causer la mort de leurs grands-parents.
Elle aborde aussi un aspect psychologique : « Quelle estime peut-on ressentir, à douze ans, après avoir fait un exercice d’un cahier de vacances dans lequel même l’article défini est indiqué pour rendre la tâche encore moins pénible ? Il fallait, en l’occurrence, trouver le nom formé à partir de l’adjectif à l’aide d’un suffixe. Ainsi, pour « rapide », il était indiqué « la…… », afin que l’élève n’ait plus qu’à indiquer « rapidité ». On voit à quelles extrémités on en arrive : l’exercice ressemble de plus en plus à un formulaire Cerfa qu’il faut remplir plutôt qu’à un véritable travail qu’il faut accomplir. Or, il est assez rare de ressentir de la satisfaction après avoir rempli un formulaire Cerfa. On peut certes éprouver le soulagement d’en avoir terminé avec une tâche administrative rebutante, mais sans la fierté, même minime, qu’on peut avoir devant une pile de linge repassé, par exemple » (p. 54). Pour rendre plus attrayants les exercices de mathématiques, l’auteure suggère de remplacer les énoncés basés sur les « problèmes du quotidien » par des « Chevaliers, super-héros, magiciens, sorcières et vampires, licornes et griffons » (p. 69).

« L’élève acteur de son apprentissage » : tu parles !

Aude Denizot souligne que le fait de dicter le cours contribue à lutter contre le brouhaha dont tous les élèves se plaignent. La mode pédagogique de « l’élève acteur de son apprentissage » est un leurre : « Ne voit-on pas, au contraire, qu’il s’agit d’une activité qui fait progresser tous les élèves en français ? Tandis qu’avec cette pédagogie prétendument active, la grande majorité des élèves ne font rien et laissent deux ou trois camarades répondre à leur place » (p. 59).
Dans son domaine propre, le droit, elle remarque que les « juristes ante-photocopieuses […] écrivaient tous, avec un style splendide, atteignant une perfection dans le langage qu’on ne trouve plus guère aujourd’hui. Pour dire les choses autrement, les bénéfices étaient considérables, les désavantages inexistants » (p. 61). Elle se livre à un éloge du cours magistral : « Bête noire des inspecteurs, le cours magistral peut pourtant s’avérer passionnant et formateur. Il est faux de croire que l’élève est passif lorsqu’il écoute un cours magistral. Le serait-il, pourquoi toujours critiquer par principe ce qui est « passif » ? Cessera-t-on de raconter des histoires aux enfants le soir parce que c’est passif ? […] Ne voit-on pas, au contraire, qu’un enfant qui écoute est un enfant actif, parce qu’il réfléchit en même temps qu’il écoute ? […] Bien sûr, tous les professeurs ne sont pas passionnants et beaucoup n’ont pas ce talent de conteur. Mais qu’on laisse au moins tranquilles ceux qui l’ont, et que les inspecteurs revêches ne viennent plus nous dire qu’il faut utiliser la méthode inductive pour expliquer à des jeunes lycéens de STMG, ce qu’est la balance des paiements » (p. 62).
Si elle reconnaît les dangers de l’addiction (p. 74), Aude Denizot ne dramatise pas l’influence des smartphones sur l’orthographe : « Mais si le téléphone portable a sa part de responsabilité, il nous semble que son rôle n’est que celui d’un petit complice. Voici pourquoi : même si le problème est préoccupant au collège et au lycée, nous n’avons plus, à l’université, de copie en langage SMS. Jamais nous n’avons vu une seule copie dans laquelle sont écrits « Ya » ou « Kes » au lieu de « il y a » ou « qu’est-ce ». Si il y a bien une chose que les étudiants semblent avoir parfaitement comprise — et ce n’est au fond déjà pas mal — c’est qu’il ne faut pas écrire de la même manière dans une copie d’examen et dans un minimessage » (p. 72).
Un aspect psychologique que j’ai aussi parfois remarqué : « Nous avons constaté chez nos étudiants une tendance très nette à ne plus se relire, ou à ne plus corriger les fautes d’orthographe lors de la relecture, si elle est faite. De nombreux étudiants, sachant pertinemment qu’ils sont très médiocres en orthographe, quittent la salle d’examen une heure ou une demi-heure avant la fin de l’examen, en rendant une copie pleine de fautes. L’orgueil et le plaisir de sortir avant les camarades en fanfaronnant sont trop forts et l’emportent sur le bon sens et le désir d’avoir une moins mauvaise note » (p. 78).

Il faut faire écrire les élèves !

Il faut faire écrire les élèves, et ne pas se contenter d’une dictée : « Ce n’est donc pas seulement d’une petite dictée quotidienne dont les élèves ont besoin. Elle est utile, mais bien moins que d’écrire les leçons, les énoncés et les exercices entièrement, car, ne l’oublions pas, la dictée favorise les enfants ayant des facilités en orthographe et ne motive pas ceux qui n’en ont pas. L’exercice de la dictée ne doit donc que compléter, avec bienveillance, un travail systématique de l’écrit dans toutes les matières » (p. 81).
L’auteure évoque la fierté de l’élève qui entame un nouveau cahier et mesure le travail accompli, « bien plus que celui qui feuillette les fiches de son classeur » (p. 83). Elle lance le nombre de deux cent dictées « pour qu’un élève normal parvienne à acquérir les réflexes essentiels ». Cela me paraît irréaliste. Pour ma part, j’en faisais faire 9 par an, mais avec le système complexe de correction de ma méthode « Monstre du Lhoque n’est-ce », qui faisait effectivement mal à la main de l’élève. Il devait recopier les règles par catégories, et cela me donnait du travail de correction. Je précise que c’est une méthode que j’ai totalement inventée. Si vous en avez rencontrée une similaire, c’est quelqu’un qui m’a imité, ou qui a imité quelqu’un qui m’a imité… J’ai inventé cela dans les années 1993-94 au collège de Dammartin-en-Goële, puis je l’ai exporté à Tremblay-en-France jusqu’en 2006, et j’ai dû le reprendre brièvement en 2021.

Le monstre du « Lhoque N’est-ce ». Fiche de progression en orthographe.
© Lionel Labosse

Aude Denizot entre dans la précision statistique des erreurs commises, d’après son expérience. Elle note que beaucoup d’étudiants « ne savent pas ce qu’est un participe passé » (p. 86). Les étudiants en licence orthographient ce mot de diverses façons. « Cela n’est pas surprenant, puisque aucune occasion ne leur a été donnée d’écrire ce mot à la main. Lorsqu’ils postulent sur Parcoursup pour une licence, les lycéens cochent des cases, et la lettre de motivation jointe doit être faite à l’ordinateur, lequel corrigera la faute si l’on tape « license, « lisense » ou « lissence » (p. 87).

Méthode inductive ou déductive ?

Ai-je dit que l’auteure avait du style, et surtout la rare qualité de la clarté et de la concision ? Je relève une antimétabole : « Il faut, pensons-nous, inverser la perspective : ce n’est pas parce que ces étudiants sont faibles a priori qu’ils sont faibles en orthographe, mais c’est au contraire, parce qu’ils sont faibles en orthographe qu’ils peinent ensuite dans toutes les tâches qu’on leur confie » (p. 93). Elle est d’ailleurs modeste, et quand Bercoff dit qu’il y a une coquille dans son livre, elle répond qu’elle est mauvaise en orthographe. Mais 1°, Bercoff n’a pas mentionné ladite coquille ; 2° les coquilles relèvent de la responsabilité de l’éditeur ; 3° votre serviteur qui est le meilleur relecteur au monde (sauf pour ses propres textes bien entendu) n’a trouvé aucune coquille ; 4° les gens qui ne sont pas spécialisés en orthographe ont tendance à trouver des fautes où il n’y en a pas, et vice-versa.
Pour en revenir au sujet de la hiérarchie entre orthographe et performance, je suis vraiment sur la même longueur d’ondes. L’auteure prend l’exemple des cartes routières, qui permettent d’« avoir une vue globale » (p. 95), bien mieux que des photocopies de bouts de cartes, qui permettent seulement de mener à bien une randonnée. Je l’ai expérimenté l’an dernier. J’avais demandé à mon chef d’établissement, un ancien prof d’histoire-géo normopathe, d’acheter des cartes de France ou du monde pour les accrocher aux murs, de façon à situer les lieux pendant les cours de Culture générale. Il a refusé sans discuter, parce que « ça ne se fait plus comme ça ». « Quand on n’a pas le droit on prend le gauche », disait mon père. Je n’ai rien demandé, et pour le thème Paris, ville capitale ?, j’ai punaisé aux murs de vieilles cartes routières de Paris et de la région. Dès le premier cours, les étudiants se sont jetés sur les cartes comme la vérole sur la macronie, pour montrer aux autres où ils habitaient (ils viennent de partout en Île-de-France, et même au-delà). Mais la mafia mondialiste a pour projet la « ville de 15 minutes », et fait supprimer toutes les cartes globales dans les rues et même dans les écoles, avec la complicité des collabos de service.
J’ai néanmoins un désaccord avec Aude Denizot, concernant son rejet de la méthode inductive, exprimé à la fin de son entrevue avec Bercoff, mais aussi dans le livre, par exemple p. 103. « Et plutôt que d’essayer, par une méthode inductive, de faire découvrir aux jeunes ce qu’ils ressentent en lisant un poème (rien, la plupart du temps) et d’en induire les différentes fonctions de la poésie, laissons les donc écouter le cours magistral d’Amélie de Commentaire composé ! » La méthode inductive consiste à expérimenter, à passer par des faits, pour induire les règles, au contraire de la méthode déductive, qui part de la règle pour l’illustrer d’exemples.
Si je suis d’accord pour les petites classes, où il convient d’apprendre les règles, je suis désolé, mais plus on grandit, plus on doit devenir autonome, ne serait-ce que pour se débrouiller face à la copie d’examen, où le prof ne sera pas présent pour un cours magistral. En ce qui concerne le « commentaire » (qui n’est plus « composé » depuis des lustres), l’élève doit être capable en fin de Première générale, de se débrouiller seul face à un texte, poétique ou non ; alors la méthode inductive est la seule qui lui permette de s’en sortir, mâtinée de quelques cours magistraux pour lui apprendre certaines règles (de métrique, figures, etc.) ; idem pour la dissertation, ou l’essai (on passe en revue les textes étudiés en classe, et l’on en induit les axes de la réflexion).
Du temps de la liberté pédagogique, c’est-à-dire avant l’ère de l’ignoble Blanquer, les « lectures analytiques » réalisées en classe avec les élèves étaient autant de morceaux de bravoure, dont je garde de grands souvenirs. Là aussi, les élèves grattaient, pour recopier les phrases que je tirais sous leurs yeux de leurs remarques orales ; c’était à chaque fois une performance unique, et si j’avais deux classes, l’expérience de l’une améliorait le résultat de l’autre, et même d’une année sur l’autre, si je reprenais le même texte, je citais ce qu’avait trouvé tel ou tel élève qui avait dégoté une perle qui m’avait échappé.
C’est ce qu’on appelle « triangle pédagogique », et ce n’est pas une théorie fumeuse. On apprend toujours de ses élèves, si l’on a la modestie de se remettre en cause. Pas à chaque instant bien sûr ; il ne s’agit pas de démagogie. Mais je suis désolé, avec l’ère covidiste où 90 % des profs se sont comportés comme des kapos, il est impossible de croire encore à l’infaillibilité professorale.
La majorité des enseignants sont d’une bêtise crasse, et beaucoup d’étudiant pourraient prendre à leur compte, mais sans ironie, la réplique de Sganarelle face à Don Juan : « votre religion à ce que je vois, est donc l’arithmétique ; il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent ; pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris, mais avec mon petit sens et mon petit jugement je vois les choses mieux que tous vos livres, et je comprends fort bien que ce monde, que nous voyons, n’est pas un champignon qui soit venu tout seul en une nuit. »
Ne soyons pas naïfs : notre société est bouleversée de fond en comble. Un Bruno Le Maire, normalien, premier à l’agrégation, énarque, est d’une nullité intellectuelle abyssale, comme la plupart de ses collègues. Je ne crois pas qu’à cette faillite de la pensée échappent nos collègues, à l’heure où la plupart des syndicats promeuvent la bêtise absolue de l’écriture inclusive.
Pour en revenir à nos moutons, je conserve précieusement le souvenir ému de mes deux classes de S au lycée de Saint-Ouen, lors de ma dernière année en Seine-Saint-Denis, lycée classé « sensible ». 4 élèves avaient obtenu un 20 aux épreuves anticipées de français, 2 à l’écrit, 2 à l’oral. L’une des 4 était une jeune Algérienne, récemment arrivée avec sa sœur et ses parents. À quatre, ils partageaient une chambre d’hôtel, avec l’aide sociale. En cours, cette jeune fille, qui ambitionnait d’être médecin, était au premier rang, et buvait mes paroles, tout en participant à l’élaboration du cours. Elle prenait tout, absolument tout en note dans son cahier, et posait les questions nécessaires en cas d’incompréhension. Et les 3 autres idem, et d’autres qui avaient obtenu aussi de très bonnes notes, mais aussi des moins bons dans la classe, « zone sensible » oblige. En tout cas, je confirme : il faut faire gratter les élèves, il faut qu’ils aient les stigmates aux poignets ! Ah, à l’intention des islamophobes primaires, je précise que cette jeune fille était croyante et portait des signes discrets de cette croyance dans sa vêture. Ma position sur ces sujets est basée sur des années d’expérience en Seine-Saint-Denis, pas sur la propagande néocon.

Les affres du tout numérique

L’auteure s’attaque au tout numérique : « Le traitement de texte, comme son nom l’indique, est là pour traiter, c’est-à-dire mettre en forme, un texte déjà écrit ou que l’esprit a déjà conçu » (p. 105). Tant que nos épreuves se passent en salle et sur papier – et j’espère partir en retraite avant la fin de cette ère – nos étudiants doivent écrire sur du papier. L’auteure stigmatise les devoirs faits par ordinateur, avec des illustrations pompées sur Internet qui rendent l’évaluation impossible. Le livre date de 2022, et il faudrait sans doute en réécrire un chapitre avec le surgissement de l’IA, qui a tout bouleversé en quelques mois en 2023. Avant, il était possible de débusquer un texte recopié sur Internet. Maintenant, c’est impossible d’être sûr, et comptez sur la mauvaise foi congénitale du tricheur moyen pour jurer sur les saintes écritures que c’est lui qui a trouvé cette saillie digne de Spinoza rédigée dans un style digne de Proust ! On est obligé de se transformer en mirador pendant les devoirs en classe, et de ne plus donner de travail à la maison. Et la fin du travail scolaire est pour bientôt, avec les puces dans le cerveau, qu’il sera impossible d’ôter.
« La recherche sur Internet mène donc à évaluer la capacité de l’élève à être son propre enseignant. L’ordinateur et Internet, et les usages qui en sont faits à l’école, ont transformé les élèves en apprentis professeurs. Les voilà dorénavant investis de la mission de construire eux-mêmes leur cours » (p. 111). C’est bien ce que j’avais ressenti lors de ma dernière expérience d’oral de bac en Première, avec la réforme criminelle de Blanquer. Voyez mon article : « Oral de bac de français session 2022 : massacre organisé ». À propos de cet individu, BFMerde publie en septembre 2024 pour une fois un article factuel sur la faillite programmée de la réforme du bac, avec des conséquences désastreuses sur la compétitivité économique de notre pays. Mais ils ne creusent pas : cette faillite a un responsable, Jean-Michel Blanquer, dont la place est en prison, avec le détourneur de mineur qui l’a choisi comme ministre, lequel porte le même prénom.
L’auteure rappelle qu’Internet est truffé d’erreurs, et de donner un exemple sur Molière. C’est un peu facile car, comme je l’ai montré dans l’article « Le mensonge devenu vérité », le mensonge et l’erreur sont également propagés, parfois même sciemment – ce qui s’appelle alors « propagande » – dans les manuels scolaires et par le ministère wokiste de l’Éducation. Mais rares (ou suicidaires) sont les professeurs en activité qui osent questionner l’arnaque climatiste.
Aude Denizot lance l’argument complotiste : « Il est au fond inquiétant que, le jour où les médias nous ont révélé que les enfants de certains géants de l’informatique fréquentaient une école de la Silicon Valley sans écran ni tablette, notre système éducatif n’ait pas fait volte-face pour abandonner totalement le numérique » (p. 118). Cette nouvelle a été annoncée par nombre de médias, comme la BBC, mais les chienchiens de la presse de milliardaires veillent pour dire que cépavré.
En tout cas, l’auteure demande un « droit à la déconnexion » (p. 120) égal à celui des salariés. J’ai effectivement connu une amie, jeune étudiante à La Réunion, qui se faisait harceler par des professeurs d’université à la fois incompétents & malsains, qui envoyaient des messages le dimanche pour exiger un devoir à rendre immédiatement. Elle dénonce avec raison un effet pervers des moyens technologiques modernes imposés aux enfants :« L’ENT nous semble enfin condamnable en ce qu’il permet aux parents de suivre au jour le jour les résultats de leur enfant. L’épreuve trimestrielle du bulletin s’est transformée en une reddition de comptes quotidienne, stressante pour certains enfants et source de perte de temps pour les parents, qui pensent bien faire en se connectant régulièrement. Il nous semble que l’enfant, être humain à part entière, devrait avoir son petit jardin secret et se débrouiller lui-même pour rattraper son 6/20 de son côté, sans que papa maman, terrorisés par la mauvaise note, lui fassent part de leur crainte au dîner. Ce flicage de l’enfant ne favorise certainement pas son apprentissage de l’autonomie, pas plus qu’il ne respecte la vie privée de l’enfant et sa personnalité » (p. 121).
Effectivement, j’ai souvent pesté contre ces SMS envoyés en temps réel par la Vie Scolaire du lycée, alors que « en même temps » on exige que les élèves ne consultent pas leurs portables en cours. Le cours est sans cesse interrompu par des élèves qui demandent « vous m’avez mis en retard sur Pronote », comme si le monde allait s’écrouler parce qu’il leur faudrait attendre la fin du cours pour régler ce type de problème. J’ai fini par rengainer mon libertarisme congénital pour obliger les étudiants à déposer leurs téléphones dans un râtelier, car l’institution elle-même contribuait à pourrir mes cours. Est-il impossible de n’envoyer qu’un seul récapitulatif des absences en fin de journée ? Cela dit, j’ai été surpris de constater que finalement, les étudiants apprécient cette obligation de déposer le téléphone ; je suis donc devenu un tyran liberticide !

Classement Pisa : d’où vient la réussite des Asiatiques dans l’enseignement ?

 Le Classement Pisa 2023 est un classement international auquel participe officiellement la France. Au dernier classement en 2023, la France était 23e, en chute ! Cette année-là, la Chine n’avait pas participé à cause du pangolin. À comparer aux résultats de 2022 et aux résultats de 2018, où la Chine figurait en tête, loin devant Singapour. J’ai une théorie personnelle en ce qui concerne la Chine.
Ce pays explose dans tous les domaines. En musique instrumentale, il est devenu le pays de référence d’une culture qui lui est étrangère, la musique classique occidentale. Les Chinois raflent les premiers prix dans tous les festivals. Cet article ne me semble pas suffisant pour expliquer ce succès paradoxal. Certes, il y a une volonté politique, un désir de revanche sur un Occident méprisant. Mais surtout, deux facteurs à mon avis sont déterminants.
Premièrement, le wokisme linguistique n’existe pas en Chine. Pas d’écriture inclusive qui trouble les élèves, alors qu’en France elle est utilisée par 90 % des syndicats et de la classe politique (LR s’y oppose mais sans faire de bruit). Pas de « réforme de l’orthographe » pour la simplifier ; réforme dont la mise en œuvre s’est d’ailleurs étalée sur 30 ans, ce qui a fait plus de dégâts qu’une réforme immédiate, car on ne sait plus ce qu’il convient de faire, donc on a tendance à fermer les yeux sur les erreurs les plus courantes.
Je propose une hypothèse à discuter : et si l’apprentissage de la langue fournissait aux enfants un entraînement propice au développement des facultés cognitives ? Il est bien plus facile d’apprendre plusieurs langues à un enfant en bas âge. Au lieu de simplifier cet apprentissage, ce qui revient à rendre le cerveau des enfants paresseux, les dirigeants chinois ont maintenu le cap et choisi de muscler encore plus le cerveau des petits Chinois en leur proposant d’apprendre à cet âge où le cerveau est tendre, une autre chose très difficile : le solfège et la pratique instrumentale.
Pendant que les enfants de notre Occident décadent apprennent qu’un pénis peut devenir clitoris ou qu’un noir est avant tout une victime du racisme, que les femmes sont bien malheureuses, et d’autres stupidités, les petits Chinois (mais aussi les autres Asiatiques) musclent leur cerveau en apprenant les choses les plus compliquées qui soient, une langue très difficile à parler et à écrire, avec non pas 26, mais des milliers de caractères à mémoriser et à savoir calligraphier, et apprendre la musique. Ces deux activités, jusqu’à preuve du contraire, ne sont pas substituables par la prétendue « intelligence » soi-disant « artificielle ».
Pendant que nos petites têtes blondes atrophient leur cerveau par des « recherches Internet », leurs camarades chinois deviennent des bombes nucléaires à neurones. Les ministres de l’Éducation et de la Culture qui ont simplifié l’orthographe et qui n’ont pas mis en place de plan pour apprendre la musique à tous les enfants de France, sont des incapables. Il est vrai que leurs rejetons à eux sont à l’abri de tout ça, à l’école alsacienne, à Saint-Louis de Gonzague ou à Stanislas.


 J’ai fait réaliser à mes étudiants en début d’année une synthèse (non rédigée) de l’émission de Sud Radio. Ça les a intéressés. Un étudiant m’a dit qu’il a décidé d’utiliser un stylo-plume, et me l’a montré. J’ignorais que la technologie avait progressé aussi en ce domaine, et que les stylos-plume actuels ne vous en foutent plus partout ! Je vais peut-être réessayer… J’ai aussi diffusé la capsule ci-dessus (« Bien tenir son crayon - Erreurs à éviter & conseils », de la chaîne « Élise au tableau »), qui s’adresse aux parents ou aux enseignants, en leur disant qu’ils pourront s’en inspirer quand ils auront des enfants ou s’ils ont des petits-frères. Là aussi, ça les a intéressés. Enfin j’ai proposé une leçon dont l’évaluation ne portait pas sur les réponses, mais sur la prise de notes. On a donné les réponses ensemble ; je les ai écrites au tableau à la main, et je leur ai demandé de tout recopier, en annonçant que je ramasserais les copies pour noter la présentation et l’orthographe. Du coup, j’ai eu plus de silence. Bon, on ne fera pas ça toute l’année, on est quand même en post-bac, mais c’est histoire de remettre les pendules à l’heure. Sur une copie, j’ai relevé la perle suivante (orthographe brute de décoffrage) : « Les étudient n’arrive plus à différencier les différent types d’Homophobe (de mots) ». C’est vrai qu’entre les homophobes à accent du sud et ceux à perruques, on a du mal !

 Cet article est complété par une étude de cas sur l’écriture inclusive, une question dont je regrette qu’Aude Denizot ne l’ait pas assez traitée.
 Une certaine Myriam Meyer, prof de français, nous apprend le 10 septembre 2024 sur CNEWS que des consignes sont données pour compter « L’a » comme correct au lieu de « la » « parce qu’il a eu l’idée du son ». Malheureusement, elle ne donne aucun contexte.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Podcast de l’éditeur Chromosome B


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