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L’anthropomorphisme dans les illustrations d’une fable

« La Cigale et la Fourmi » & ses illustrations

La Cigale : « emprunteuse » ou fille d’Orphée ?

samedi 27 septembre 2025, par Lionel Labosse

J’ai entamé le thème de Culture Générale & Expression en BTS 2025-2026 « Les animaux et nous » par l’étude de la fable emblématique « La Cigale et la Fourmi », le premier texte qui vient sans doute à l’esprit des Français & francophones quand il est question d’animaux. Les illustrations célèbres de la fable permettent d’introduire la notion d’anthropomorphisme, au cœur de ce thème. En rebondissant sur l’illustration de Benjamin Rabier, nous aboutirons à l’histoire d’Orphée racontée par Ovide dans Les Métaporphoses, qui figure sur la liste du BO.

« La Cigale et la Fourmi » (Fables, livre premier, fable 1 (1668)) de Jean de La Fontaine (1621 - 1695) est l’un des textes les plus célèbres consacré aux animaux. Elle est aussi la toute première fable qui ouvre le recueil, et la première du livre 1, qui se clôt sur « Le Chêne et le Roseau ». L’anthropomorphisme est une « tendance à concevoir les divinités ou les animaux à l’image des êtres humains et à leur prêter de ce fait des comportements et des sentiments humains ».

« La Cigale et la Fourmi »

La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise [1] fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’oût [2], foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
— Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien ! dansez maintenant. »

On pourra écouter cette version moqueuse & désuète, le sketch de Robert Hirsch donné au gala de la Comédie Française en 1974. C’est la présentation de la toute jeune Isabelle Adjani, alors âgée de 19 ans, qui venait de faire son entrée fracassante dans la maison de Molière, dans le rôle d’Agnès de L’École des femmes.

Et une version d’un humour impossible maintenant, par Pierre Péchin (1947-2018).

Les illustrations

François Chauveau : gravure pour « La Cigale et la Fourmi » (1668).
© Wikicommons

Cette illustration de François Chauveau (1613-1676) date de la publication du recueil. Chaque fable était accompagnée d’une vignette, gravure de petite dimension de ce dessinateur-graveur ; on peut toutes les visionner sur Wikisource. La gravure peut sembler maladroite, mais il faut savoir que ce graveur était un virtuose, qui a procuré pour l’occasion des dessins simplifiés destinés à un public enfantin.

Grandville : gravure pour « La Cigale et la Fourmi » (1838).
© Wikicommons

Grandville (pseudonyme sans prénom, 1803-1847) illustra entre 1838 & 1840, 343 fables de La Fontaine. Il était très exigeant envers les graveurs auxquels il confiait ses œuvres, autant qu’avec lui-même, pour obtenir le meilleur rendu.

Gustave Doré : gravure pour « La Cigale et la Fourmi » (1866).
© Wikicommons

Gustave Doré (1832-1883) publie ses illustrations des Fables à partir de 1866, dans sa veine originale, entre réalisme & fantastique. Voir une étude de ses illustrations, comparées à celles de Grandville, par la BNF : « Les Fables de la Fontaine illustrées par Gustave Doré ».

Henri Avelot : gravure pour « La Cigale et la Fourmi » (1932).
© Wikicommons

Henri Avelot (1873-1935) est l’auteur de cette planche parue dans Dix fables d’animaux (1932).

Beanjamin Rabier : illustration pour « La Cigale et la Fourmi » (1906).
© Wikicommons

Benjamin Rabier (1864-1939) est considéré comme un des plus grands dessinateurs animaliers. En 1906, il publie chez Jules Tallandier une édition entièrement illustrée des Fables. Il illustra aussi Le Roman de Renart et les Histoires naturelles de Jules Renard. En 1921, Léon Bel s’inspira d’un de ses dessins comme logo de sa marque La vache qui rit, une icône de la mise en abyme dans la publicité.

Questions :
1. Quelle est la part de l’humain et celle de l’animal dans chacune de ces 5 illustrations ?
2. Laquelle préférez-vous, et pourquoi ?

Corrigé de la première question

Proposition de réponse hypertrophiée (ce n’est pas ce qui est attendu des étudiants, mais un cours pour prolonger) : « Quelle est la part de l’humain et celle de l’animal dans chacune de ces illustrations ?

Ces 5 illustrations montrent une évolution chronologique dans la traduction graphique de l’anthropomorphisme propre à cette fable emblématique de Jean de La Fontaine, qui allait devenir l’un des poèmes français les plus connus. Pour François Chauveau, qui ne pouvait pas connaître le succès futur de ce poème liminaire du recueil, l’illustration est pédagogique ; il s’agit d’orienter l’enfant, destinataire revendiqué des Fables, dans sa lecture, par une comparaison entre l’humain & l’animal. Sa vignette guide le regard sur trois plans successifs : le monde animal au premier plan, avec deux insectes sommairement dessinés ; le monde végétal au 2e plan, avec un arbre massif côté Fourmi, qui abrite peut-être sa fourmilière, et une souche morte côté Cigale ; et au 3e plan, c’est une maison cossue mais fermée côté Fourmi, surplombée d’arbres, et trois vagabonds côté Cigale, qui se réchauffent à un feu de bois, sans doute parce qu’on leur a refusé l’accès à la maison. Pour Grandville, l’anthropomorphisme est à son paroxysme, comme la célébrité de la fable. Il s’agit de montrer par la virtuosité du trait, la coexistence de l’animal & de l’humain dans la lecture de la fable. Il invente deux personnages hybrides, insectes bipèdes vêtus comme des hommes & singeant le comportement humain. On peut les imaginer en voie de métamorphose, comme Gregor Samsa dans la nouvelle de Franz Kafka qui porte ce nom ; on pourrait y voir des caricatures correspondant à l’usage désormais courant de noms d’animaux pour désigner des comportements (« les Japonais vivent comme des fourmis » ; affaire Édith Cresson) ; Patrice Laffont : "Je suis une cigale, j’ai tout dépensé"). Le message sous-jacent pourrait être un avertissement comme ceux que l’on donne aux enfants : « Si tu vis au jour le jour, tu finiras comme la Cigale » ; « Si tu es égoïste, tu finiras Fourmi ».
Gustave Doré semble avoir renoncé à rivaliser avec ses illustres prédécesseurs. Le lecteur peut désormais effectuer la comparaison anthropomorphique seul, avec le dessin proposé en regard du texte, dont il propose une sorte d’explication. Il n’y a aucune trace d’animal sur sa gravure, qui met l’accent sur le comportement, habits & outils des protagonistes. Robe légère d’artiste & guitare pour la Cigale ; habits composites adaptés à la saison, hache & balai côté Fourmi. Les deux enfants de la Fourmi qui regardent la Cigale, la fillette portant elle-même une poupée, proposent une mise en abyme de l’enfant lecteur, amené à se questionner sérieusement sur son avenir à travers cette fable innocente. Il ne s’agit pas d’égoïsme, mais d’un choix de vie assumé. La succession des saisons symbolise celle des générations. On ne travaille pas pour soi, mais pour sa descendance. Les deux arbres visibles évoquent l’arbre généalogique, tandis que le personnage à droite en arrière plan, porte un fagot de bois coupé, hommage à la gravure de Chauveau. Il n’y a pas d’avenir dans cette vie de chemineau.
Henri Avelot a une proposition graphiquement très originale : la Cigale est réaliste ; comme chez Grandville, sa posture & son instrument sont anthropomorphes, sans aucun vêtement. Côté Fourmi, il y en a 16, croquées en silhouettes à la posture & aux instruments de travail anthropomorphes. Il semble y avoir égalité entre l’une & les autres, et la position dominante de la Cigale prend parti pour elle. Les fourmis semblent former le public de la Cigale, chanteuse à succès. La Fontaine n’est-il pas lui aussi un artiste qui vit au crochet des travailleurs Fourmis ? Benjamin Rabier propose une sorte de bande dessinée, qui par la mise en page, prend parti pour la Cigale, victime de l’égoïsme de la Fourmi. La représentation reprend Grandville & Avelot, avec un côté plus ludique. La Cigale prend une dimension orphique. L’illustration du haut de page évoque Orphée charmant les bêtes sauvages & les arbres ; celle du bas évoque la mort d’Orphée, déchiqueté par les Bacchantes, possiblement assimilées aux Fourmis, la force de la foule contre le bouc émissaire.

Orphée & Eurydice

Extrait des Métamorphoses d’Ovide (43 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.), livre X, vers 40 à 108. Traduction du latin par Georges Lafaye (éd. Folio, 1992).

« La tête et la lyre d’Orphée rejetées par les vagues sur les rives de Lesbos » (1875), Gustave Courtois (1852-1923).
© Wikicommons / musée municipal de Pontarlier

Ci-dessus : « La tête et la lyre d’Orphée rejetées par les vagues sur les rives de Lesbos » (1875), de Gustave Courtois (1852-1923), natif de Haute-Patate.

[…] Tandis qu’il exhalait ces plaintes, qu’il accompagnait en faisant vibrer les cordes, les ombres exsangues pleuraient ; Tantale cessa de poursuivre l’eau fugitive ; la roue d’Ixion s’arrêta ; les oiseaux oublièrent de déchirer le foie de leurs victimes, les petites-filles de Bélus laissèrent là leurs urnes et toi, Sisyphe, tu t’assis sur ton rocher. Alors pour la première fois des larmes mouillèrent dit-on, les joues des Euménides, vaincues par ces accents ; ni l’épouse du souverain, ni le dieu qui gouverne les enfers ne peuvent résister à une telle prière ; ils appellent Eurydice ; elle était là, parmi les ombres récemment arrivées ; elle s’avance, d’un pas que ralentissait sa blessure. Orphée du Rhodope obtient qu’elle lui soit rendue, à la condition qu’il ne jettera pas les yeux derrière lui, avant d’être sorti des vallées de l’Averne ; sinon, la faveur sera sans effet. Ils prennent, au milieu d’un profond silence, un sentier en pente, escarpé, obscur, enveloppé d’un épais brouillard. Ils n’étaient pas loin d’atteindre la surface de la terre, ils touchaient au bord, lorsque, craignant qu’Eurydice ne lui échappe et impatient de la voir, son amoureux époux tourne les yeux et aussitôt elle est entraînée en arrière ; elle tend les bras, elle cherche son étreinte et veut l’étreindre elle-même ; l’infortunée ne saisit que l’air impalpable. En mourant pour la seconde fois elle ne se plaint pas de son époux ; (de quoi en effet se plaindrait-elle sinon d’être aimée ?) ; elle lui adresse un adieu suprême, qui déjà ne peut qu’à peine parvenir jusqu’à ses oreilles et elle retombe à l’abîme d’où elle sortait.
En voyant la mort lui ravir pour la seconde fois son épouse, Orphée […] a recours aux prières ; vainement il essaie de passer une seconde fois ; le péager le repousse, il n’en resta pas moins pendant sept jours assis sur la rive, négligeant sa personne et privé des dons de Cérès ; il n’eut d’autres aliments que son amour, sa douleur et ses larmes. Accusant de cruauté les dieux de l’Érèbe, il se retire enfin sur les hauteurs du Rhodope et sur l’Hémos battu des Aquilons. […] Orphée avait fui tout commerce d’amour avec les femmes, soit parce qu’il en avait souffert, soit parce qu’il avait engagé sa foi ; nombreuses cependant furent celles qui brûlèrent de s’unir au poète, nombreuses celles qui eurent le chagrin de se voir repoussées. Ce fut même lui qui apprit aux peuples de la Thrace à reporter leur amour sur des enfants mâles et à cueillir les premières fleurs de ce court printemps de la vie qui précède la jeunesse.
Il y avait une colline sur laquelle s’étendait un plateau très découvert, tapissé d’un gazon verdoyant. Le site manquait d’ombre : lorsque le poète issu des dieux se fut assis en cet endroit, lorsqu’il eut touché ses cordes sonores, il y vint des ombrages ; l’arbre de Chaonie n’en fut plus absent, ni le bois des Héliades, ni le chêne au feuillage altier, ni le tilleul mou, ni le hêtre, ni le laurier virginal, ni le coudrier fragile ; on vit là le frêne propre à faire des javelots, le sapin sans nœuds, l’yeuse courbée sous le poids des glands, le platane, abri des jours de liesse, l’érable aux nuances variées, et, avec eux, les saules qui croissent près des rivières, le lotus ami des eaux, le buis toujours vert, les tamaris grêles, le myrte à la double couleur et le laurier-tin aux baies noirâtres. Vous vîntes aussi, lierres aux pieds flexibles, et vous encore, vignes couvertes de pampres, ormeaux vêtus de vignes, ornes, picéas, arbousiers chargés de fruits rouges, souples palmes, récompenses des vainqueurs, et toi, pin, à la chevelure relevée, à la cime hérissée, arbre que chérit la mère des dieux ; car Attis, favori de Cybèle, a quitté pour lui la figure humaine et il est devenu la dure substance qui en forme le tronc. On vit, au milieu de cette foule empressée, le cyprès pyramidal, arbre désormais, jadis enfant aimé du puissant dieu qui fait résonner à la fois la corde de l’arc et celles de la lyre.

« Orphée charme les animaux » – Ovide moralisé. Paris, v. 1390. Lyon, Bibliothèque municipale, ms. 742, fol. 167.
© BNF

Ci-dessus : « Orphée charme les animaux » – Ovide moralisé. Paris, v. 1390. Lyon, Bibliothèque municipale, ms. 742, fol. 167.

 La Mort d’Orphée (livre XI, v. 1 à 19).
Tandis que par ces accents le chantre de Thrace attire à lui les forêts et les bêtes sauvages, tandis qu’il se fait suivre par les rochers eux-mêmes, voici que les jeunes femmes des Ciconiens délirantes, la poitrine couverte de peaux de bêtes, aperçoivent du haut d’un tertre Orphée qui marie ses chants aux sons des cordes frappées par sa main. Une de ces femmes, secouant sa chevelure dans l’air léger : « Le voilà, s’écrie-t-elle, le voilà celui qui nous méprise ! » Et elle frappe de son thyrse la bouche harmonieuse du chantre qui eut pour père Apollon ; mais la pointe, enveloppée de feuillage, y laisse seulement une empreinte sans la blesser. Une autre s’arme d’une pierre ; mais celle-ci, lancée à travers les airs, est vaincue en chemin par les accords de la voix et de la lyre ; comme si elle implorait le pardon de ces criminelles fureurs, elle vient tomber aux pieds d’Orphée. Cependant ses ennemies l’attaquent avec un redoublement d’audace, rien ne les arrête plus ; elles n’obéissent plus qu’à Érinys déchaînée. La mélodie émousserait tous leurs traits, mais leurs clameurs retentissantes, la flûte de Bérécynthe au pavillon recourbé, les tambourins, les claquements des mains, les hurlements des bacchantes ont couvert le son de la cithare ; à la fin, n’entendant plus le poète, les pierres se sont teintes de son sang.

 Questions.
Sur le texte : a) quels différents animaux relevez-vous dans le texte (même une simple allusion indirecte) ; quel est leur rôle par rapport à l’homme ?
b) Quels types d’hommes peuvent être assimilés à ce personnage mythologique (dans le rapport qu’il entretient avec les animaux), dans la religion, l’histoire, les arts, littérature, cinéma, et dans la société ?

Le prêche aux oiseaux, Giotto di Bondone, Basilique Saint-François d’Assise.
© Wikicommons

Je pense bien sûr à Saint François d’Assise. On a récemment appris que, tandis que la mafia de l’Élysée envisageait de nous sucrer deux jours fériés, l’Italie veut réinstaurer un jour férié en l’honneur de saint François d’Assise et du pape François. Cette fresque (ci-dessus) (1296) de Giotto di Bondone (1266-1337) inspirée par les Fioretti semble christianiser la légende d’Orphée, et constituer une autre « Cigale » symboliquement parlant. Voir Fresques de la vie de saint François à Assise.

Orphée (1891), Franz von Stuck (1863-1928).
© Villa Stuck, Munich

Ci-dessus : Orphée (1891), Franz von Stuck (1863-1928), villa Stuck, Munich.

Orphée charmant les animaux.
Musée byzantin et chrétien d’Athènes.

Ci-dessus : Orphée charmant les animaux, Musée byzantin & chrétien d’Athènes.

Questions sur ces deux illustrations ci-dessus : Quels animaux identifiez-vous sur la sculpture, et sur le tableau. Bien qu’il s’agisse de deux disciplines artistiques différentes, qu’y a-t-il de commun dans la façon de représenter la scène ?

En sculpture, on distingue :
bas-relief : œuvre sculptée sur un fond dont elle se détache créant une faible protubérance, un faible relief
haut-relief : technique de sculpture où le sujet est en relief mais reste attaché au fond.
ronde-bosse : ouvrage exécuté en plein relief se détachant devant un fond. Il repose sur un socle et peut être observée sous n’importe quel angle.
Quel est le type de sculpture ici ?

Pour terminer avec humour, sans rien à voir ni avec la fable, ni avec les animaux, ni avec Orphée, voici un autre sketch fameux du même acteur : Mademoiselle Roberta Von Hirsch, qui a peut-être mieux vieilli.

Lionel Labosse


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[1Vent sec et froid du Nord ou du Nord-Est. Désigne par métonymie l’hiver.

[2« oût » : orthographe vieillie pour « août », qui désigne ici, par métonymie, les moissons.