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Un roman d’initiation pour les 3e et le lycée.
La Nuit du concert, de M.E. Kerr
École des Loisirs, Médium, 1986, 262 p., 7 €.
samedi 28 avril 2007
La Nuit du concert est un excellent roman, qui reste d’actualité. Le thème du sida y est traité sans pathétique, avec le maximum de retenue qu’il était possible d’avoir en 1986. Le sida sert de prétexte pour aborder sans faux-semblants la question de l’acceptation de l’homosexualité, mais aussi pour pointer le gouffre qui sépare amour et sexualité.
Résumé
Tout va bien pour Erick, il a dix-huit ans, il est en terminale au lycée, et comme tout ado qui se respecte, il a sa bande et sa petite copine, Dill. Son meilleur copain Jack sort avec Nicki, une allumeuse qui pose à l’anticonformisme. Il y a ses parents, son père qui raconte des blagues parce qu’il a du mal à communiquer (p. 21), et sa mère qui s’y prend mieux. Il y a aussi le chien Oscar, et son frère Pete, prof et auteur d’une seule nouvelle qui a eu beaucoup de succès. Nous sommes dans la classe moyenne américaine, tout ce petit monde est francophile et cultivé. Quand il était petit, Pete avait fait à Erick un cerf-volant de nuit : « les cerfs-volants de nuit sont différents, ils ne pensent pas qu’il fait noir. Ils montent d’eux-mêmes, tout seuls, a dit Pete, et ils n’ont pas peur d’être différents ». Tout va bien jusqu’au concert de Bruce Springsteen à New York, pour lequel Pete a réussi à avoir des places. C’était une idée de Nicki. Pendant la nuit du concert, Nicki drague Erick. Il s’apprête donc à trahir son meilleur ami et sa copine, mais son père rentre à ce moment-là et lui apprend que Pete a le sida. Nous sommes en 1986, et ça ne pardonne pas, la maladie évolue rapidement, les parents font ce qu’ils peuvent pour accepter la double nouvelle de l’homosexualité et de la maladie de Pete, mais ils ne peuvent éviter que la nouvelle se propage, avec les ravages évidents dus à la mauvaise information, aux préjugés et à la bêtise ordinaires. Erick cache sa nouvelle vie à Pete : « je n’aurais pas pu supporter de dire à Pete que toute une nouvelle partie de ma vie avait commencé, juste au moment où la sienne commençait à prendre fin » (p. 212). Il n’est pas au bout de ses peines, car la maladie de son frère, qu’il le veuille ou non, contamine ses relations avec autrui.
Mon avis
L’éditeur ne nous donne aucun renseignement sur l’auteur, même pas son prénom qui n’est exprimé que par ces deux initiales. Dommage, on voudrait en savoir plus, car La nuit du concert est un excellent roman, qui reste d’actualité. Le thème du sida y est traité sans pathétique, avec le maximum de retenue qu’il était possible d’avoir en 1986. Ce qui est époustouflant dans ce roman, c’est que le sida sert de prétexte, ou de caution si vous voulez, pour aborder sans faux-semblants la question de l’acceptation de l’homosexualité. Tout est dit en quelques scènes, avec un art consommé du dialogue, des préjugés et des réticences des parents aussi bien que de toute la ville, entre le propriétaire de la boîte locale qui vire les gays violemment, le curé plutôt tolérant qui fait de l’exégèse biblique, et Nicki qui rêve de « faire changer » un « pédé » parce que « c’est du gâchis » (p. 186). Les parents de Pete et Erick devront approfondir leur réflexion, et le roman ne répugnera pas à aborder les questions qui gênent : « certains homosexuels sont sortis avec plus de gens qu’ils n’en pourraient compter » (p.196). Pete évoque la « haine de soi » (p. 118) et l’influence de la discrimination sur l’impossibilité de s’engager dans une relation amoureuse. L’auteur repousse habilement la tentation de la moralisation en faisant découvrir en parallèle à Erick une sexualité déconnectée de l’amour, conformément au vœu du père, qui leur conseillait de « faire des frasques » avant de se marier pour la vie. C’est un aspect du roman qui passionnera les jeunes lecteurs : la découverte de l’amour et de la sexualité, de la masturbation évoquée par une chanson de Cindy Lauper (p. 76), aux premiers rapports sexuels, l’obsession des garçons pour ce moment crucial, avec le contraste entre une fille qui couche et une qui ne couche pas — aucune des deux attitudes n’ayant rien à voir avec un amour oblatif, puisque les deux rejetteront le narrateur au premier grain de sable. Tout est dit sans démonstration, comme cette évocation d’une scène au lycée où pendant l’étude de la Ballade de la geôle de Reading, un élève goguenard demande à la prof si elle sait « Pourquoi Oscar Wilde est allé en prison », ce qui en dit long sur la responsabilité de l’enseignement dans le non-dit dont souffre cette famille. Bref, on n’a guère fait mieux depuis en littérature jeunesse pour proposer une réflexion dans le domaine de la sexualité en général, et de l’homosexualité en particulier. Ce roman vieux de vingt ans est un témoignage de ce que le sida a été un « révélateur social ». Il est urgent de le relire.
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Pour en savoir plus sur M. E. Kerr, lire une bio et une entrevue en américain.
– On retrouvera le thème du cerf-volant dans l’excellent Cerf-volant brisé de Paula Fox.
Voir en ligne : Une bio de l’auteure (en anglais)
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