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M’as-tu-lu dans mes jolies métaphores ? pour les 3e.

Les Garçons, de Xavier Deutsch

École des Loisirs, Médium, 1990, 234 p., 6,7 €.

mardi 1er mai 2007

Un style m’as-tu-lu, des personnages adolescents tels qu’il en existait peut-être encore quelques spécimens dans les années 60 dans les établissement privés proches de Saint-Nicolas du Chardonnet, une prof de français qui blablate à longueur de cours sur la litthérathure et les Grands Hauteurs qu’il faut Hadmirer… il fallait tout ce salmigondis prétentieux pour envelopper un baiser entre un homme et un adolescent en 1990… À lire uniquement si vous faites une thèse sur la littérature jeunesse.

Résumé

Une bande d’adolescents d’une ville du nord de la France délirent à partir de propos alambiqués sur la litthérathure et sur Arthur Rimbaud que leur tient Mme Pauline, qui n’est pas une tenancière de maison close, mais une prof de français comme on n’en fait, heureusement, plus. Il y en a un que ses parents, dont le patronyme est Rimbaud, n’ont rien trouvé de mieux que de prénommer Arthur. Il a quinze ans, s’entraîne au sprint, avec des chaussures de sport d’une marque connue. La marque de ces chaussures doit avoir une importance capitale dans la mimesis, puisque l’auteur la cite une bonne centaine de fois, plus cinq ou six fois une marque concurrente. Je vous dis tout ça parce que mon intelligence limitée ne m’a pas permis d’accéder au sens allégorique de la citation des marques dans l’Hœuvre. Peut-être y parviendrez-vous. Dans ce cas-là, envoyez-nous votre contre-critique. Donc, ce garçon fait une fugue d’après ce que j’ai compris, dans cinq ou six villes d’Europe en même temps, puis retrouve ses copains, Nicolas, 13 ans, Alice, 17, Quentin et Frédéric, 15 comme lui. Quentin est dresseur de louveteaux, et s’encanaille en taguant les murs et en jouant à la course avec la police : « C’est excitant, comme un grand jeu pour ses louveteaux mais avec du piment de cayenne à la place du paprika doux » (p. 195). Ce n’est pas une coquille, il n’y a pas de majuscule à Cayenne, sans doute parce que ce n’est pas en Europe. Bref, ça finit mal, Quentin se tue d’une façon gothique qui m’a un peu échappé ; les autres en semblent fiers, et Frédéric s’élève sur une sorte de cargo fantôme. Arthur « écrivait le matin, le soir, la nuit, arrachait les mots possibles et impossibles aux lexiques boréaux, cognait dans le français […] Il ferait ce livre et ce serait le dernier. Alors il écrirait un titre et sans doute le titre serait Les garçons » (p. 228). Bigre !

Mon avis

J’en présente d’avant mes excuses aux inconditionnels de l’écurie germano-pratine de L’école des loisirs, mais après J’ai pas sommeil de Cédric Érard, voici un roman qui m’a passablement énervé, et en plus on en a pour son argent, même si les 234 pages sont écrites gros. L’auteur y a réuni tous les tics de fond et de forme que je déteste, alors autant en faire la liste. Cela dit, cet éditeur est le plus important pourvoyeur de notre liste, il n’est donc pas étonnant que quelques titres puissent déplaire au milieu d’ouvrages exceptionnels.
 Le style m’as-tu-lu dans mes admirables métaphores : « Il sent bien le bruit des mottes qu’arrache à l’écume l’étrave des cargos » (p. 51). Je cherche encore la contrepèterie… « J’ai de la brûlure cassée », « comme si elle a senti » (p. 84) ; « Je n’aime pas les intellectuels. Ils se réfugient dans leur tête parce que leur peau a peur du froid » (p. 140) ; « J’ai du pire au ventre. Et dans la tête vingt tranches de nuit qui font mal comme des coupures » (p. 184). Cela culmine dans la seule page du livre où il soit enfin question de ce qui, en général, fait que les ados s’intéressent de près à Rimbaud. Au cours de sa fugue, le héros rencontre un homme qui lui dit : « J’aime les jolies femmes, les garçons et les alcools puissants, les armes en métal bleu et le Christ par-dessus tout, et ce qui met dans la vie du feu et du café » (p. 158). L’auteur ne nous donne pas la marque du café, c’est bizarre, parce qu’en principe il précise les marques du chocolat, des chaussures, des écrivains qu’il cite. Je vous laisse découvrir l’admirable phrase qui nous rapporte le baiser sur la bouche qui s’échange alors.
 L’image de la prof, une sorte de fantasme d’auteur qui doit avoir de vagues souvenirs de cours de français dans les années 60 avec une prof déjà ringarde. Elle ne tiendrait pas une heure dans un établissement d’aujourd’hui. On est interloqué par le décalage entre le niveau annoncé des cours (troisième) et le délire qui sert de cours de français. Deux élèves se lancent à la tête des citations de Rimbaud et de Céline ; on apprécie Novalis ; on invente un écrivain oublié dont on nous cite pas moins de cinq pages entières (pp. 65/69), lesquelles, lues dans un établissement réel, auraient provoqué des gloussements à la première ligne, et un chahut insurrectionnel à la deuxième page, si du moins le prof avait pu terminer la lecture vivant. Mais ici : « Tous, dans la classe, ils déposent les stylos en souriant de plaisir » (p. 63). Il y a des pages et des pages de ce délire ésotérique sur la grande littérature. C’est d’ailleurs amusant, depuis que je m’intéresse de près à la littérature jeunesse, je ne me souviens pas avoir lu dans un roman, un auteur citer un autre auteur jeunesse comme lecture scolaire. Ils en vivent, ils interviennent dans les collèges, ils savent que tous les profs font lire et étudier leurs œuvres, ils réclament de la reconnaissance sociale, ils jalousent la littérature à Goncourt, mais quand ils mettent en scène des profs de français, ça se limite à Balzac et Rimbaud. La Mme Pauline, elle donne un choix total à ses élèves : « Le second livre, vous le choisirez. Seule consigne : prenez un texte fort, un vrai. […] Troisième siècle avant Jésus-Christ [c’est une marque de dieu souvent citée], ou dix-neuvième, français ou pas, mais européen quand même » (p. 82) Ouf, des fois qu’on leur ferait lire de la littérature d’Abyssinie, à ces louveteaux rimbaldiens… Encore mieux, la voilà qui présente en termes métaphoriques les Grands Hauteurs : « des sentinelles, des princes, des soldats. Très peu de femmes. Quelques enfants » (p. 80). Suit une liste où les écrivains sont égrenés comme les marques de chaussures qui font sans doute qu’on est respecté dans les grands lycées… Elle propose à ses élèves de troisième un sujet d’exposé digne d’une propédeutique : « le rôle que […] le langage argotique pourrait jouer dans la littérature française » (p. 31). Voilà, je ne sais pas à quel type d’ados s’adresse ce genre de littérature. La seule excuse qu’on peut trouver à ce texte c’est sa date : 1990 . À l’époque, il pouvait sembler nécessaire à un auteur d’envelopper un baiser entre un monsieur et un ado dans 234 pages d’élucubrations, en espérant que l’éditeur ne lise qu’un paragraphe sur deux. Depuis, on a fait du chemin…

 Un autre roman sur cette maladie fréquente à l’adolescence, la rimbaldite aiguë : Un papillon dans la peau, de Virginie Lou. Cet article avait suscité plusieurs réactions de forum lors de sa publication sur le site HomoEdu. Ces réactions ne sont plus disponibles depuis que ledit site a changé d’adresse.

Lionel Labosse


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