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Un chef-d’œuvre inconnu en France

Requiem Gai, de Vincent Lauzon

Pierre Tisseyre, Coll. Faubourg Saint-Rock, 1998, 183 p, 10,65 €.

dimanche 22 avril 2007

Pour inaugurer les critiques de littérature jeunesse du Collectif Homoedu, rendons hommage à Vincent Lauzon, écrivain canadien né en 1969, encore inconnu en France, malgré une dizaine de titres publiés au Canada. Un roman qui frappe par une qualité rare en littérature pour adolescents, la place accordée à l’argumentation.

Résumé

Le roman est divisé en 13 chapitres intitulés selon les paroles latines de la prière du Requiem, dont la traduction est donnée en fin de volume. Serge a 18 ans, il rédige son journal intime avec l’ambition de devenir écrivain. Il est amoureux de Geneviève, étudiante comme lui, avec laquelle il a des discussions philosophiques. Serge est pudique, alors que Geneviève a une éducation plus libérée. Elle veut lui présenter des amis, Alex et François, mais elle craint sa réaction, parce qu’ils sont gais. Pendant une longue discussion sur homosexualité et homophobie, au cours de laquelle Alex déploie ses dons pour la rhétorique, Serge tombe amoureux de François, dont la beauté le fascine. Comme il a du mal à s’avouer cet état de fait, il tente d’obtenir de Geneviève une « première fois », et il en a honte. À l’occasion de la visite d’une exposition, François fait avouer à Serge qu’il l’aime. En apprenant la nouvelle, Geneviève réagit violemment. Un ami de Serge, Dave, veut le « sauver » avec des arguments religieux que pourtant Alex s’était efforcé de contester. Ils se brouillent. Serge découvre un graffiti et une lettre d’insultes sur son casier dans l’établissement où il étudie. De retour chez lui, il apprend que Dave vient de tout dire à ses parents. S’ensuit une violente dispute. Alex est à l’hôpital, victime d’une agression homophobe. François apprend à Serge l’existence d’une communauté gaie, et de lieux de rencontre. De retour chez lui, face à son père, Serge nie par trois fois son homosexualité.

Requiem gai
Requiem gai, de Vincent Lauzon

Mon avis

Alliant qualité littéraire et rigueur de composition, Requiem Gai a marqué pour moi une date dans l’entrée du thème altersexuel en littérature jeunesse. À cette époque où en France, les éditeurs ne consentaient à accepter un homo dans un livre que si l’auteur s’engageait à ce qu’il meure du sida avant la dernière page, on était capable au Canada de publier un livre militant, courageux, et traitant son sujet sans concession ni ambiguïté. Ce qui me plaît surtout dans ce livre, c’est la place consacrée à l’argumentation, aux discussions philosophiques où le jeune gai, à force d’être attaqué, fourbit des armes contre lesquelles seules la trahison, une religion de haine ou la violence peuvent marquer des points. Pour le public adolescent, le passage pour le personnage central, d’une relation amoureuse avec une fille à une séduction par un garçon, permet l’identification du plus grand nombre. Le chapitre 11, relation de l’épisode du graffiti, est une bonne entrée en matière pour aborder en classe la question de l’homophobie. Le chapitre 3, notamment les pages 45 à 47, est un excellent exemple de ces discussions à bâtons rompus, qui déplacent l’intérêt du roman de l’action vers l’argumentation. Les réactions des élèves ci-dessous prouvent que le suspense a marché. Il est clair pour l’auteur et pour les personnages que la séduction se fait par le langage. N’est-ce pas, pour nos élèves, une leçon formidable ? Peu d’auteurs en littérature jeunesse sont capables d’une telle prouesse. Il serait temps que les éditeurs proposent davantage de romans de ce type, qui permettent une réflexion sur les sujets de société autrement que par le seul biais narratif. Mais quoi ? le bon exemple nous vient de ces cousins d’outre-Atlantique à l’accent provincial ? Continuons à les regarder avec condescendance. Une citation pour en terminer (p. 16) : « Je n’arrive pas à apprécier la tendance de certains auteurs québécois à porter aux nues notre joual. Je trouve qu’ils font fausse route. Si les écrivains ne donnent pas l’exemple, s’ils ne montrent pas aux gens la splendeur du bon français, qui le fera ? »

Paroles d’élèves

J’avais donné Requiem Gai à lire à quelques élèves dès l’année scolaire 1999/2000, puis régulièrement depuis. L’accueil avait été enthousiaste, malgré la difficulté de l’argumentation. Quand le sujet les intéresse, à moins que le style ne soit abscons, les élèves font l’effort de comprendre. Je me souviens que l’achat d’une série de ce livre avait été mon premier acte militant au collège. Je ne pouvais pas le dissimuler dans une liste, il fallait justifier une commande spéciale, qui, compte tenu de la fainéantise et de la normopathie de la personne chargée à l’époque des achats, m’avait demandé des semaines d’efforts, de la patience et une diplomatie étrangère à ma personnalité. Je ne sache pas qu’aucun de mes collègues ait depuis proposé ces livres à la lecture, et chaque année j’ai dû harceler la documentaliste pour qu’elle en mette au moins un en circulation, les autres étant inutilement mis sous clé dans l’armoire des « séries ». Voici quelques traces que j’avais conservées des élèves de quatrième de cette année-là. Je ne rectifie que l’orthographe et les oublis de mots évidents.
 « L’auteur a eu une bonne idée de parler des homosexuels car il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui nous parlent d’eux. »
 « Requiem Gai m’a fascinée. J’ai lu toutes les pages en attendant la fin d’un roman passionnant, c’était à la fois triste et décevant par rapport à l’attitude finale de Serge, très inattendue. […] Aujourd’hui encore l’homosexualité est d’actualité. Comme par exemple la loi du Pacs, pourtant les homosexuels sont encore montrés du doigt. Cela changera-t-il un jour ? »
 « Requiem Gai pourrait être une sitcom où les jeunes débattent de leurs droits d’homosexuels dans un monde où la plupart des citoyens sont hétérosexuels. La diversité de leurs opinions fusent sur le sujet débattu, et constitue la trame de l’histoire. »
 « ce livre montre aussi que l’on ne naît pas homosexuel, mais que l’on peut le devenir même si auparavant on était hétérosexuel, et c’est le cas de Serge. » « Je ne sais pas si ce livre m’a plu ou déplu car il y a des pour et des contre. »
 « Dans ce livre l’homosexualité est exprimée par des débats. L’homosexualité dans ces échanges est à chaque fois exprimée de façon différente par plusieurs personnages, qui ont des points de vue totalement différents. Beaucoup de gens ont du mal à accepter la communauté gaie. »
 « Son thème, l’homosexualité, m’intéressait. Je n’avais jamais lu de livre sur l’identité sexuelle, et nous sommes dans un siècle où l’homosexualité est plus libérée et où l’on en parle plus facilement. Alors je me suis dit pourquoi pas ? Et j’ai pris ce livre. […] Pour moi l’homosexualité n’est pas normale, mais les personnes homosexuelles ne choisissent pas d’être ce qu’elles sont. Il faut prendre ces personnes comme elles sont et arrêter cette haine qui les empêche de vivre heureux (définition de la tolérance). Il faut accepter que tout le monde ne soit pas identique. Ce qui compte c’est que chaque individu trouve une place qui lui correspond dans la société. En effet, celle-ci doit ou devrait être prévue pour intégrer chaque être. »

La maturité de ces réflexions d’élèves de 4e d’un collège public de Seine-Saint-Denis vous étonne ? Lorsque vous osez aborder avec vos élèves un sujet tabou, eh bien ! c’est le sujet qui soudain les élève ! Si j’ai tenu à intégrer de longs extraits, c’est aussi pour appuyer ma conviction que la lutte contre l’homophobie ne doit pas se limiter à des leçons de morale, mais proposer des œuvres qui favorisent l’argumentation et la construction progressive par l’élève de sa conception du monde.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Voir notre bibliographie canadienne.

 Un message de Vincent Lauzon

C’est avec beaucoup de plaisir et, disons-le, une certaine émotion que j’ai lu votre (trop gentille) critique de mon roman Requiem Gai. Ce texte a presque 10 ans (pour moi, il en a déjà beaucoup plus, j’en ai commencé la rédaction en 1993 ou à peu près), et pour tout dire, il ne fait plus vraiment partie de ma vie, mais il est agréable de voir qu’il continue à être un peu apprécié. J’ai toujours dit de Requiem Gai que j’avais réussi là un assez bon pamphlet mais un bien mauvais roman. Votre critique m’a amené à le relire en diagonale, et je maintiens ce jugement. Je le fais même reconnaître par Serge, qui dit, à la page 179, « Je ne sais même plus écrire. Je n’arrive pas à écrire de jolies phrases, mon vocabulaire semble avoir disparu et je n’arrête pas de me répéter. » C’est exactement comme ça que je me sentais à l’époque. J’étais dans un état de fatigue littéraire considérable ; la rédaction des derniers chapitres fut plutôt pénible. Malgré tous ses défauts, ce roman reste mon favori. Les arguments qu’il présente sont toujours aussi solides et peuvent encore servir à compléter l’arsenal de tout jeune cherchant à combattre l’injustice et la sottise. Et puis, c’est grâce à ce roman que j’ai rencontré mon épouse, avec qui j’ai maintenant 3 petits garçons (et une grande fille qui vient de mon premier mariage).

Une petite note cocasse : lorsque vous citez Serge à propos de la « splendeur du bon français », je dois tout de même vous avouer que son opinion ne reflète pas celle de l’auteur du livre. Vous n’êtes peut-être pas sans ignorer que le débat linguistique fait au Québec office de sport national. Il s’articule, grosso modo, autour de deux axes : la qualité du français parlé et écrit dans la province, et la place du français face à l’anglais. Alors d’une part… j’ai toujours adoré le dialecte québécois : c’est ma langue maternelle, je la parle tous les jours et j’en apprécie les nuances. D’autre part, je suis un anglophile convaincu, et la qualité de mon anglais écrit et parlé est pour moi une source d’immense vanité. Mélangeant ces deux ingrédients dans mon premier roman pour le Faubourg St-Rock, j’ai accouché dans Symphonie rock’n’roll d’un texte écrit presque entièrement en québécois et bourré de dialogues en anglais, sans traduction. Les critiques ne se sont pas fait attendre ! Ouh la la que ça n’a pas bien passé (notons toutefois que les jeunes lecteurs, moins dogmatiques, ont bien aimé). Alors après 3 romans où je m’entêtais et me faisais emmerder (malgré des compromis graduels), j’ai décidé de faire volte-face, pour rigoler. Disons que mon opinion est qu’il est certainement préférable d’être capable de manipuler le français de façon « internationale », comme on dit ici, mais que les variantes locales ont aussi leur place.

Votre projet est passionnant et toujours d’actualité. Le débat sur l’homosexualité reste présent, même au Québec, un des endroits, à mon avis, les plus ouverts au monde (et certainement en Amérique du Nord). Que l’on considère encore qu’il y ait matière à débat me sidère, mais enfin. La société canadienne et québécoise évolue tout de même, et vous savez peut-être que le mariage entre conjoints du même sexe est légal au Canada depuis presque un an. Ce fut assez épique, mais c’est derrière nous maintenant, et le gouvernement conservateur que nous venons d’élire dans un moment d’égarement n’arrivera vraisemblablement pas à renverser cette importante décision. Félicitations pour un travail qui m’apparaît colossal.

 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’éditeur Pierre Tisseyre


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