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Un article du Monde du 19 mai 2012
Un « contrat universel » à plusieurs plutôt qu’un mariage à deux, fût-il gay
Par Lionel Labosse, enseignant et écrivain
mercredi 25 juillet 2012
Après l’article de Louis-Georges Tin paru le 20 avril 2012, j’ai eu l’idée de proposer au Monde un article résumant quelques arguments de mon essai. L’article paraît aujourd’hui, légèrement émondé. Le titre a été modifié, et le mot « altersexuel » n’y figure plus, remplacé par ce calembour peut-être involontaire : « fût-il (futile) gay » [1]. Mais il paraît que ce sont là les prérogatives habituelles des rédactions… Je vous propose ici l’article original tel que je l’avais envoyé, avec son vrai titre, et le fichier de l’article tel qu’il est paru, ainsi que de l’accroche qui figurait en une. L’article est paru le 18 mai, dans Le Monde daté du 19 mai. Sur le site Web du Monde, il y avait aussi cette accroche : « Vive le "trouple" ! Au lieu d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe, Lionel Labosse préconise de le supprimer, ou plutôt de le confondre avec le pacs en un contrat universel. ». Cet article n’est qu’un petit échantillon de mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay », de Lionel Labosse ; je serais vous, j’en achèterais au moins une tranche de 250 grammes… (pour ce faire, voir les indications dans l’article sur le livre).
Gays et lesbiennes, encore un effort si vous voulez être altersexuels !
Avec l’élection de M. Hollande, l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe semble imminente. Dans sa dernière entrevue parue dans Le Monde le 19 août 2004, le philosophe Jacques Derrida déclarait : « Si j’étais législateur, je proposerais tout simplement la disparition du mot et du concept de “ mariage ” dans un code civil et laïque. […] on les remplacerait par une “ union civile ” contractuelle, une sorte de pacs généralisé, amélioré, raffiné, souple et ajusté entre des partenaires de sexe ou de nombre non imposé… ». Prenant le philosophe au mot, je propose, au lieu d’ouvrir le mariage, de le supprimer, ou plutôt de le confondre avec le pacs en un Contrat universel ouvert à davantage de possibilités, mais qui ne transforme pas les irréductibles célibataires en pigeons de la farce.
Contrairement à ce qu’avancent les partisans du « mariage gay », le pacs n’est pas un « sous-mariage », mais plutôt un « sur-mariage », c’est pourquoi mieux vaudrait aligner le mariage sur le pacs que le contraire, tout en conservant ses avantages, bien sûr. La preuve ? Son incroyable succès chez les hétérosexuels, au point que le pacs devrait bientôt dépasser le nombre de mariages. Il a franchi la barre des 200 000 par an, alors que le mariage stagne à 240 000. Et encore, si, à défaut de ce Contrat universel, l’on obtenait deux réformes minimes, cela accélérerait le processus. La première de ces réformes serait le droit d’assortir le pacs d’un mariage religieux ; la seconde serait de ne pas obliger les couples binationaux à se marier pour espérer la naturalisation. Le pacs, c’est comme le mariage, sauf qu’en cas de divorce, on économise au moins 1500 €, et six mois de sa vie !
Mariage ou pacs, le total des couples constitués est en augmentation. Les ennemis que furent naguère les prêtres de toutes religions et les militants homos, s’accordent désormais dans l’apologie de la fidélité, assortie d’une prophylaxie maximale en matière sexuelle, VIH oblige. Dans le même ordre d’idée, le maintien des prostitué(e)s dans la précarité s’accommode bien de la promotion du « mariage gay ». De plus en plus marginalisés, les célibataires, hétéros ou homos, sont d’autant plus matraqués par le fisc, qu’il faut compenser les droits coûteux octroyés à de plus en plus de couples.
Souvenez-vous : avant 1981, l’homosexualité était quasiment impensable. Puis Mitterrand vint, et l’homosexuel cessa d’être un paria. L’intelligentsia se choisit alors un autre impensable : le « polygame ». Mitterrand, comme chacun sait, n’était pas bigame, pas davantage que Louis XIV ou Strauss-Kahn, et nous, militants gays et intellectuels hétéros bon teint, ne sommes pas du tout des hypocrites quand nous stigmatisons la polygamie ou prônons l’abolition de la prostitution !
Ce n’est pourtant pas la polygamie que permettrait ce Contrat universel, mais le « polyamour », qu’il soit sexuel ou non. La polygamie actuelle se réduit à une union inégalitaire, qui lie un homme séparément à plusieurs femmes, ou plus rarement le contraire (polygynie ou polyandrie). Mais n’y a-t-il pas un abîme entre condamner la polygamie sexiste, et cantonner au nombre deux les unions légales ?
Un Contrat universel rendrait possibles des unions dans lesquelles chacun des contractants serait à égalité avec chacun des autres. Le « trouple » ou « ménage à trois » serait l’une des possibilités ; un tel contrat serait une alternative au divorce et une solution à de nombreux drames qui abondent les rubriques faits-divers.
Les militants homos, qui se prétendent « LGBT » (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres), réclament au nom de l’égalité une institution matrimoniale excluant de fait les bisexuels, ou du moins les obligeant à renoncer, pour un contrat censé être « pour la vie », à l’une des deux inclinations de leur sexualité, donc à cesser d’être bi pour devenir soit homo, soit hétéro, à moins d’être infidèle, mais alors pourquoi se marier ? Le mariage monogame est donc « biphobe », et ceux qui le réclament, et ne réclament que cela, le sont aussi, en dépit de leurs tours de passe-passe rhétoriques. Comme dirait Sade, gays et lesbiennes, encore un effort si vous voulez être « altersexuels » ! (ce néologisme réunit les homos, bis, trans, mais aussi tous ceux pour qui la sexualité ne se réduit pas à la reproduction).
Un Contrat universel à trois ou quatre constituerait un cadre idéal pour ce qu’on appelle « homoparentalité ». Combien de combinaisons de gays et de lesbiennes rendues possibles par la poésie des petites annonces se heurtent au bout de quelques années à la prose des contingences, et aboutissent à l’aliénation soit du père biologique réduit à l’état de donneur de sperme, soit de la maman, prêteuse de ventre ?
Enfin, crise aidant, nous serons sans doute de plus en plus contraints à partager des logements à plusieurs, inconnus, amis, famille ou amants. Grâce au Contrat universel, des mini-communautés, des familles élargies, des cohabitations d’immigrés tentant d’échapper à la rapacité de marchands de sommeil, pourraient acquérir ensemble un lieu de vie et créer une union pérenne. Il me semble inéquitable que des paires de personnes bénéficient de déductions d’impôt et d’avantages divers sous le seul prétexte qu’elles sont soit mariées, soit pacsées, au détriment des célibataires.
Ne serait-il pas temps de clarifier les choix divers de vie commune par un Contrat universel, qui mette tout à plat et n’accorde des avantages aux uns – au détriment des autres – que pour des raisons incontestables ? Accueillir les enfants, ou avoir une « personne à charge » me semble une raison légitime de bénéficier de droits, plutôt que simplement vivre en couple, ce qui constitue déjà un avantage en soi par rapport aux célibataires, qui ne peuvent mutualiser aucune dépense quotidienne.
Au lieu de s’enferrer dans la voie sans issue d’un mariage dont le taux de divorce a dépassé la barre des 50 %, je propose donc de prendre le temps de réfléchir à un Contrat universel qui nous entraîne vers une société plus libre, plus égalitaire, plus fraternelle.
– Après cet article, une émission de France Culture, « La Grande Table », a parlé de ce livre le 31 mai 2012.
– Voir l’article « La guerre du trouple n’aura pas lieu », où je tiens le journal des réactions à la parution de ce livre et de cette tribune.
Voir en ligne : Lire l’article sur Le Monde
© altersexualite.com, 2012.
P.S. L’illustration de cet article est tirée de cet article. C’est un montage de Jacques Raffaelli à partir d’une affiche de propagande soviétique.
[1] Il est amusant que le mot « trouple » se retrouve dans le titre de cette tribune à mon insu : le premier titre que j’avais envisagé était Au-delà du « mariage gay », éloge du trouple, et plus si affinités…, mais un ami m’a convaincu que ce titre ne reflétait pas le contenu et risquait de faire croire à un essai favorable aux partouzes. À lire les réactions à cette petite tribune ainsi intitulée des coasseurs de droite, je comprends à quel point cet ami avait raison !