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L’altersexualité l’a rejointe en cours de route !

Entrevue d’Anne-Sophie Silvestre

Auteure d’Une princesse à Versailles

samedi 28 avril 2007

Nous avons remis son Isidor à Anne-Sophie Silvestre à la librairie Bluebook (cf photo), et en avons profité pour la passer à la moulinette de notre « auto-entrevue », exercice auquel elle s’est prêtée volontiers. Comme elle le dit joliment, elle n’a pas décidé d’inscrire l’altersexualité au cœur d’un de ses livres, mais c’est l’altersexualité qui l’a rejointe en cours de route. Elle ne s’est pas auto-censurée, et l’éditeur a suivi ; elle n’était donc pas consciente d’avoir réalisé une sorte de première dans le domaine du roman historique pour ados !

Nous avons remis son Isidor à Anne-Sophie Silvestre à la librairie Bluebook (cf photo), et en avons profité pour la passer à la moulinette de notre « auto-entrevue », exercice auquel elle s’est prêtée volontiers. Comme elle le dit joliment, elle n’a pas décidé d’inscrire l’altersexualité au cœur d’un de ses livres, mais c’est l’altersexualité qui l’a rejointe en cours de route. Elle ne s’est pas auto-censurée, et l’éditeur a suivi ; elle n’était donc pas consciente d’avoir réalisé une sorte de première dans le domaine du roman historique pour ados !

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pour commencer, souhaitez-vous réagir à notre article sur votre ouvrage ?
 Oui. Je suis très touchée que vous écriviez de mon livre « qu’il se lit comme un bonbon » C’est très gentil.

 Combien de livres avez-vous publié ? Quels genres pratiquez-vous ?
 Une vingtaine, tout en littérature jeunesse. Des romans historiques, contemporains, des polars, des romans d’aventure, et des contes pour les tous jeunes lecteurs, mes chouchous.

 Avez-vous conscience d’être pour l’instant — à notre connaissance — avec Une princesse à Versailles, l’auteure du premier et seul roman historique de littérature jeunesse qui fasse allusion à l’altersexualité ?
 Parce qu’il fait mention de la sexualité des personnages ? Non. Je n’y avais pas pensé. Je ne choisis pas des personnages de roman dans les familles royales par fascination pour les fastes de la royauté mais plutôt par intérêt philosophique (si j’ose pompeusement dire). Ils sont très symboliques. Ce qui se passe dans cette famille de Louis XIV pourrait se passer dans une autre famille, ils sont seulement plus joliment habillés. La sexualité est le cœur de cette histoire. On ne peut rien raconter de ces personnages si on l’élude. C’était à moi d’essayer de le faire d’une façon qui ne soit pas agressive ni choquante.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Liselotte, princesse allemande de 18 ans, débarque dans la jeune cour turbulente qui est celle de Louis XIV à trente ans. On l’a choisie pour épouser Monsieur, le frère cadet du roi. Conformément à l’usage, on ne leur a demandé leur avis ni à l’un ni à l’autre. Or Monsieur est homosexuel. Une homosexualité encouragée et facilitée par le roi, ce qui peut surprendre à une époque où les interdits religieux sont si puissants. Pourquoi ? Parce qu’ainsi l’hétérosexuel aux multiples maîtresses, l’homme fort dans la symbolique primitive, le mâle, le chef, le roi, c’est lui et lui seul. Son frère ne risquera jamais de lui faire de l’ombre. Je raconte l’histoire de Liselotte, qui passe à la postérité sous le nom de Madame Palatine, et de Monsieur, dans ce monde bizarre, raffiné et violent. Ce sont tous les deux des gens charmants, intelligents, sensibles et sans préjugés. Ils réussissent même à être heureux pendant le début de leur vie et à avoir trois enfants. Mais ce sont tous deux des fragiles, des roulés d’avance, et leur vie va être écrasée sous le rouleau compresseur du Roi-Soleil. (Toutefois, c’est de leur lignée que viendront le Régent, Philippe-Égalité et Louis-Philippe, le roi citoyen ; Louis XIV a dû se retourner de nombreuses fois dans sa tombe, mais c’est une autre histoire).

 À quelle classe d’âge votre livre s’adresse-t-il ?
 En général, je n’aime pas beaucoup les classes d’âges. Il me semble que l’accès à la lecture est une chose très individuelle. Mais je sais que les parents et les libraires aiment bien. Alors, je dirais comme vous que c’est plutôt une lecture collège. J’ai aussi des CM1-CM2 qui ont bien aimé et qui ont fait des rédactions superbes sur Madame Palatine.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 C’est plutôt l’altersexualité qui m’a rejointe en cours de route. Au départ, j’avais envie de raconter l’histoire de Madame Palatine. Comme elle s’ennuyait à Versailles, elle a beaucoup écrit. Elle a envoyé à sa famille en Allemagne des centaines de lettres qui décrivent la cour de Louis XVI d’une écriture gaie, franche, irrévérencieuse, moderne, parfois rabelaisienne, qui sont des merveilles et qui par bonheur ont été conservées.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Non. Pas militante pour un sou. Et encore moins pédagogue. La lecture, c’est une troisième voix, autre que celle de l’école et des parents. Les enfants me demandent parfois : « Vous voulez nous apprendre l’histoire (ils disent parfois même « nous éduquer ») en nous amusant ? » et ils sont trop chous parce qu’ils se sentent plutôt d’accord sur cette manière de procéder. Eh bien ! non, j’aime les personnages dans leur complexité, leurs contradictions, leur fragilité et leur humanité. J’aime raconter leur histoire et, si possible, la faire aimer aux gens qui ont la gentillesse de lire mes livres. Mais je déteste, j’abhorre, toutes les formes de rejet et d’écrasement de l’autre, qu’il soit homosexuel, juif, noir, femme, homme, frère cadet, sœur aînée, la liste est inépuisable. Quand ces thèmes reviennent dans mes histoires, j’aimerais, pendant quelques secondes, être un grand écrivain pour pouvoir passer ces mots-là avec la voix d’Albert Cohen.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ?
 Oui, bien sûr, on peut aborder tous les thèmes en littérature jeunesse. Le tout est de le faire avec délicatesse, sans images inutilement agressives ni choquantes. Avec humour si possible. Sont tabous les messages qui encouragent l’exclusion, le rejet, la brutalité et la connerie.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Oui, il faut parler de sexualité. C’est vaste, la sexualité. On peut très bien parler de maternité ou de stérilité à de jeunes enfants, il me semble même qu’ils se sentent très concernés. L’acte sexuel, c’est plus difficile, mais, oui, on peut en parler aussi. Un peu plus tard. Avec délicatesse, sans choquer, en respectant infiniment le lecteur.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ?
 Exactement de la même façon, et comme vous le dites : avec délicatesse.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 Quand j’achète un livre, je ne m’occupe pas beaucoup de savoir quel est le mode de vie de l’auteur. Il me semble que cela n’a pas beaucoup d’importance ; ce qui importe, c’est ce qu’il dit dans son livre, c’est son humanité. Marguerite Yourcenar, par sa très grande intelligence sur le plan sexuel et humain, a beaucoup compté pour moi.

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine artistique ?
 En littérature générale, je suis très classique : Balzac, Stendhal, Chateaubriand, je pourrais passer ma vie à les relire. Chez nos contemporains : Albert Cohen, Amin Maalouf, Françoise Chandernagor, Jean Dutourd… La liste est immense, pardonnez-moi, ceux que je ne cite pas. En littérature jeunesse : Yaël Hassan et Annie Pietri. En BD : Joann Sfar, lui, je l’adore, j’en suis folle.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Enorme, bien sûr. Un roman, c’est une projection de soi dans une histoire. Et ensuite, le lecteur est libre de se projeter aussi. C’est merveilleux les romans : tous ces gens projetés qui se promènent dans cet univers imaginaire.

 Comment votre livre a-t-il été accueilli ?
 Avec beaucoup de bienveillance. Madame Palatine est quelqu’un de très sympathique, ce n’est pas moi qui l’imagine comme cela, ses écrits le révèlent à chaque ligne, alors forcément c’est un personnage qui suscite plutôt l’affection. J’étais un peu inquiète d’avoir dit des choses maladroites sur l’homosexualité parce que, intimement, je ne m’y connais pas beaucoup, mais vous avez l’air de considérer que c’est passable. Cependant, le site choisirunlivre.com a écrit un article plutôt sympa pour le livre, mais ils mettent en doute qu’Anne d’Autriche ait pu encourager la bisexualité de son fils en ces termes : « Néanmoins, on regrette l’absence de sources sur l’attitude supposée d’Anne d’Autriche au sujet des mœurs malheureusement célèbres de Monsieur. Ces insinuations ne sont pas sans effet sur les enfants, encore très influençables. ». Je ne sais pas pourquoi ils disent ça, ils ne le connaissent visiblement pas du tout. C’est une association de parents, ça les choque énormément. Je leur ai envoyé un petit mot sur leur site, ils n’ont pas répondu. En général ils sont plutôt gentils avec mes livres. Je vais leur réécrire. [Vérification faite, cette critique ne se trouve plus que sur le site d’une librairie en ligne. NDLR].

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 L’idée que ce n’est en rien un problème. Juste une manière de vivre, comme toutes les manières de vivre.

 Quels sont vos projets ?
D’autres livres. Autant de livres que possible tant que cette envie est en moi. J’ai envie d’écrire des trucs drôles, en ce moment.

 Avez-vous un site ? Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 Non, pas de site. Si j’en avais un, je voudrais qu’il soit très joli, ce que je ne suis pas sûre d’être capable de faire. Et il faudrait que j’y consacre beaucoup de temps qui serait pris sur le temps d’écriture. Il y a toutes mes adresses sur le site de la Charte des Auteurs. Et le moyen le plus sûr et très simple de joindre un auteur, c’est d’envoyer la lettre chez l’éditeur, à l’adresse qui est au dos du livre. La lettre met quelques jours pour arriver, mais ça marche toujours.

Propos recueillis par Lionel Labosse, Paris, octobre 2006.


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