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Récit à trois voix sur la parentalité, pour les lycées.

Sang mêlé ou ton fils Léopold, d’Albert Russo

Ginkgo éditeur (réédition), 1990, 206 p, 15 €.

lundi 4 juin 2007

Sang mêlé ou ton fils Léopold est un roman original par son sujet et par sa structure. Afrique, homosexualité, décolonisation, église et éducation sexuelle, adoption par un père homosexuel, métissage, haine de soi, voici une série de thèmes intéressants pour nos lycéens. La langue soignée et la structure narrative par couches successives ne sont pas ses moindres atouts.

Résumé

Le récit commence par la naissance d’un enfant, qui, on le comprendra petit à petit, clôt la boucle de cette histoire de parentalité contrariée. L’enfant est le petit-fils de Harry Wilson, Américain installé au Congo belge dans les années 30, renié par son père pour son goût des garçons. La première partie du récit est racontée par le fils adoptif de cet homme, Léopold, métis abandonné et élevé par Mama Malkia, Africaine elle-même issue d’une lignée contrariée à qui sera confiée la dernière partie du récit. Celle-ci, malgré ou grâce à son franc-parler : « Tu n’es pas un homme à femmes, hein, m’sieur Harry » (p. 14), obtient la confiance de Harry Wilson, et apprend tant bien que mal le kiswahili à son fils. Léopold est confié aux meilleures écoles, donc catholiques, où il apprend le flamand, mais aussi la haine du sexe, ce qui engendre des conflits psychologiques quand il surprend au détour de conversations certaines vérités sur son père. Filles et garçons sont séparés à l’école Montessori : « entre lesquels venait, sournoisement, et comme une ombre grandissante, s’installer le péché » (p. 21). Une amitié avec un juif sépharade, Ishaya, une expérience mal vécue avec un garçon de rencontre qui le fait participer à un coït avec une très jeune prostituée, ce qui lui fera croire avoir attrapé une « maladie honteuse », plus les relations de son père vues depuis son statut d’enfant ou de jeune adolescent, et les rapports avec les autres indigènes desquels son éducation l’éloigne de plus en plus malgré son sang mêlé, tout cela constitue l’essentiel de cette partie du récit. Le lecteur reste sur sa faim, car il n’y a là rien d’extraordinaire qui justifie qu’on s’abstraie dans un roman. Pourtant l’intérêt n’est pas là, mais dans les variations de point de vue parfois infimes qu’apporteront les parties suivantes, confiées à Harry Wilson puis à Mama Malkia, sans oublier des récits enchâssés comme celui de la circoncision du grand-père de Mama Malkia.

Le récit du père est empreint d’un style plus compassé : « L’entêtante senteur des eucalyptus nous parvenait au gré de la brise » (p. 173) ; « J‘aurais pu rompre les os à cette canaille » (p. 167), même s’il dévoile sans fard le rejet que son aveu d’homosexualité lui a valu de la part de son père ou de la part de certains colons (scène d’homophobie p. 123), et la liste de ses amants en Afrique pendant la guerre et après , sans oublier l’aspect sexuel (p. 136 et p. 141). On vit de nouveau certaines scènes, mais avec le regard de l’adulte et du père, procédé intéressant à observer pour des lecteurs lycéens (scène avec Giorgos, amant de Harry, ivre, p. 36 et p. 160). La dernière partie donne certaines informations complémentaires sur la suite de l’existence de Léopold, sans approfondir certains faits pourtant importants (ce qu’Éric, amant dédaigné de Harry, fait à Léopold).

Mon avis

Sang mêlé ou ton fils Léopold est un roman original par son sujet et par sa structure. Le procédé des trois voix paraît parfois artificiel et redondant, par exemple quand Harry raconte à nouveau l’épisode des vacances de Léopold en compagnie d’un fils de colons qui ne parle que le kiswahili, en donnant une analyse approfondie du ressenti de son fils qui relèverait plutôt d’un narrateur omniscient. La vision du Congo avant et pendant la décolonisation est intéressante. On apprend quelques mots de kiswahili, proche d’une langue bantoue parlée à Mayotte : watoto, pluriel de mutoto (enfant), etc. L’auteur ne s’interdit pas quelques digressions pour analyser la société à l’africaine ou le colonialisme à la belge (p. 144, 145). Le discours sur le mélange des races semble parfois un peu boy scout voire anachronique. Le thème moderne de alterparentalité gagne à cette mise en perspective temporelle, et ce roman sera un excellent support pour l’aborder avec des élèves de lycées, même si là aussi on frise l’anachronisme, avec par exemple ces propos qu’on croirait plutôt extraits d’un reportage sur une gay pride des années 1990 : « Est-il donc si difficile d’admettre que j’ai adopté un fils ? Exactement comme l’aurait fait n’importe quel couple ? Non, car un homosexuel n’a pas ce droit » (p. 129). Pourtant les questions essentielles sont posées, et le décalage historique et géographique empêche de les alourdir par une volonté de démonstration. On profitera pleinement de ce roman qui pose aussi, ce qui est rarissime, la question de l’homosexualité en Afrique, même s’il n’y a pas de personnage africain homo (tous les amants de Harry sont blancs). La scène où Mama Malkia évoque la question parmi sa communauté tribale, pourtant non-christianisée (p. 186), me semble d’ailleurs peu vraisemblable. En effet, je suis persuadé que ce n’est pas l’homosexualité, mais au contraire l’homophobie et la sexophobie qui ont été importées par les Européens, mais le débat est ouvert… Voir à ce sujet une entrevue avec Charles Guéboguo sur l’homosexualité en Afrique, ou le numéro de la revue africaine de sciences sociales Terroirs de novembre 2006 consacré à ce sujet.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu


 Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.
 Voir du même auteur Zapinette chez les Belges, et notre entrevue avec Albert Russo L’amant de mon père est un beau roman à réserver aux adultes avertis, qui reprend le thème du rapport père / fils et de l’homosexualité.
 Visiter le nouveau site d’Albert Russo.
 Albert Russo a également publié une anthologie intitulée Tour du monde de la poésie gay, dont on lira des extraits sur le site Poésie érotique.
 Voir aussi L’arbre à tchatche, projet pédagogique sur la découverte de la culture africaine, et La Question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun, de Charles Gueboguo.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site littéraire d’Albert Russo


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