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Le premier porno pour la jeunesse, pour lycéens avertis.

Je reviens de mourir, d’Antoine Dole

Sarbacane, Exprim’, 2007, 136 p., 8,5 €.

mercredi 1er octobre 2008

Je reviens de mourir ouvre une nouvelle ère dans la « littérature jeunesse », l’entrée d’une pornographie light, adaptée au lectorat de grands ados / jeunes adultes de la tranche d’âge 15/25 ans visée par cet éditeur qui entend abattre le totem de la Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. L’histoire est un anti-conte de fées, ou « conte défait », consistant en la déchéance d’une jeune fille au nom de soubrette, « Marion » tombée aux mains d’un maquereau hyper violent dont elle peine à se déprendre en couchant son expérience sur le papier. En parallèle nous est contée l’histoire d’une « Ève » au prénom tout aussi dérisoire, qui jouit des hommes dans un vortex lubrique et dépressif, jusqu’à ce qu’elle se fasse piéger par la vieille blague de l’amour. Si l’on se réjouit que les jeunes lecteurs puissent enfin avoir accès à un discours sur la sexualité taillé sur mesure, on regrettera peut-être que ce premier roman érotique pour jeunes adultes donne une image aussi déprimante de la sexualité. On souhaite donc qu’il s’inscrive bientôt dans une collection d’ouvrages de même qualité qui donneront de la sexualité une vision variée, dysphorique parfois, mais euphorique aussi, souvent !

Résumé

Marion, la narratrice à la première personne, se prostitue pour le compte de Nicolas, un type qui l’a logée alors qu’elle avait quitté ses parents et s’était retrouvée sans rien à Paris. Au bout de quelques semaines, il lui avait demandé : « ce serait cool que tu participes un peu plus » (p. 32), et de fil en aiguille, il lui impose régulièrement de rendre visite à des hommes qu’il contacte dans la boîte où il est barman, le « Fairy Tale » (conte de fées). Il la frappe avec violence sous le moindre prétexte, et elle se laisse faire, hypnotisée par illusion amoureuse [1]. Les « clients » sont méprisables, à une exception, Gabriel, un type en fauteuil roulant qui se contente d’attouchements (p. 59). Parallèlement, nous est racontée à la troisième personne, l’histoire d’Ève, « La fille un peu chienne » (p. 23), qui « nique comme un mec, sans minauder » (p. 29) : « La gueule du mec s’en foutre, pas vouloir la connaître » ; « ce qu’elle baise n’a pas de visage […] Tout ce qu’Ève baise elle le méprise » (p. 24). Elle drague par Internet, et dès que les mecs tournent autour du pot, elle « pren[d] les commandes et explique par quel trou elle voudrait qu’ils la mettent » (p. 27). Elle donne satisfaction : un type apprécie quand « elle s’est empalée sur sa queue » et « l’a fait jouir en le branlant » (p. 29). À son corps défendant, elle s’entiche de David, qui la séduit à l’ancienne mode. La narration nous permet de faire irruption dans le cerveau de David : « trouver une fille jolie et vouloir faire la cour [2]. C’était comme à chaque fois, reconstruire le même château de sable balayé par la même vague » (version fleur bleue fanée, p. 78) ; « C’était juste un pus bizarre qui tendait à s’expulser dans chacune de ses rencontres » (version sanieuse, p. 118). Les deux histoires convergent quand Marion comprend enfin que Nicolas ne l’aime pas : « j’étais sa pute et rien d’autre » (p. 88), et quand Ève se laisse au contraire piéger par David et que celui-ci se défausse et la fait souffrir après l’avoir rendue amoureuse. L’aliénation par le doux (David) revient au même que par le dur (Nicolas) : « Demander sa dose ce soir, comme une toxico, comme un chien qui rampe vers la main capable de le nourrir, soumise crevarde et consentante » (p. 92). On ne sait plus qui agit contre qui à la fin : « J’étais Marion, j’étais Ève » (p. 131), mais la violence est retournée contre les hommes, à la manière d’une Virginie Despentes (Baise-moi).

Mon avis

Je reviens de mourir ne laisse pas indifférent, il se reçoit comme un coup de poing, à la façon du roman de Despentes. Il y a eu un mini-scandale bien sûr, car le public n’est pas entièrement prêt à en finir avec l’hypocrisie entretenue par la loi de 1949, qui consiste à confondre enfants et adolescents. Je me suis déjà maintes fois exprimé sur ce site contre cette loi, et je ne peux que saluer cette collection qui va dans le sens d’une vraie littérature pour les jeunes d’aujourd’hui, non pas les jeunes tels que les fantasment certains politiciens de droite (voire de gauche), mais les jeunes tels qu’ils sont à notre époque d’Internet, de bouquet satellite, de téléphone mobile et de DVD [3]. Oui, quand les études montrent qu’un élève sur deux a vu un film porno en 6e, il serait grand temps de proposer à des lycéens, une littérature moderne et de qualité qui fût à la hauteur. Pour ce qui est d’une utilisation scolaire, bien sûr, nous prendrons des gants. Les extraits donnés dans cet article montrent qu’il est risqué, dans le contexte actuel, de proposer ce livre dans un C.D.I. [4] ! On se contentera de le conseiller à des élèves demandeurs. J’ai récemment fait un article sur un ouvrage pour adultes : Le Club des petites filles mortes, de Gudule. Eh bien ! le temps semble venu où Gudule, qui, rappelons-le, a été parmi les premières à proposer une scène de sexe pour des ados (L’amour en chaussettes) pourra réunir ses deux facettes dans de telles collections. Un élève de seconde que j’ai récupéré en première s’est tapé sur mon conseil (à sa demande car il voulait des bouquins un peu plus… comment dire ? que ceux que je proposais) ce pavé pendant les vacances, et en est enchanté ; nul doute que le bouquin d’Antoine Dole le ravirait également. Revenons à nos moutons.
La narration à la première personne pour Marion a de quoi décontenancer et peut justifier les accusations de complaisance à l’égard de la violence sexiste : « L’hématome a l’air d’avoir toujours fait partie de moi. Le visage se recompose, s’efface et puis se redessine. Mieux que la fois d’avant, et mieux que celles qui précédaient encore. » (p. 13). Cependant la narration contribue à la thérapie de la victime, en matérialisant sur le papier sa schizophrénie de plusieurs manières : analepse (Deux ans plus tôt, p. 17) ; autoscopie (p. 14-15 : « La scène repasse dans ma tête » […] « La conne c’est moi ») ; dédoublement de la personnalité, soit par l’invention d’un double, Ève, dont l’histoire est racontée à la troisième personne, soit par une scission entre narrateur et personnage : « je me regarde faire de loin » (p. 100), qui culmine dans la scène du viol par Nicolas : « Je laisse le corps, jusqu’à ce qu’il jouisse dans ma dépouille » (p. 114).
Si le livre plaît, c’est d’abord par son style acéré, pas un mot de trop. Le paragraphe que j’ai le plus admiré, paradoxalement, est une description, un des rares moments sans sexe ni violence ; « Café branchouille dans le 6e. Il y a de jolis sacs à main qui ont droit à leur propre chaise, des Converse en cuir qui côtoient des talons hauts, du gel dans des cheveux bruns à côté de longues boucles blondes et des cigarettes qui s’allument dans des éclats de voix » (p. 45). Du Renoir, je vous le dis ! Mais il y a aussi une fort belle page — il y en a beaucoup ! — sur les aspirations contrariées d’Ève au bonheur, dans le genre fleur bleue contondante : « dresser des ronces à la surface du corps, pour que si quelqu’un l’approche, il s’y déchire le bout des doigts » (p. 52). Voir aussi le court chapitre (p. 70 sq.) consacré à l’inceste subi par Marion, et au parricide qui s’en est ensuivi, même si la concision atteint un point où l’on n’est plus sûr de comprendre ce qui est censé être raconté.
Un détail : à aucun moment il n’est question de prophylaxie. Des phrases laissent entendre un désintérêt pour la question, surtout dans des rapports de prostitution ou de partenaires multiples, comme « Quand il éjacule je m’éclabousse sur tous les murs » (p. 39) ; « Liquide chaud qui m’envahit » (p. 41). C’est peut-être le point moralement le plus gênant pour une collection s’adressant à des jeunes, même si dans la situation des personnages, cette attitude est on ne peut plus vraisemblable. Que faire alors ? Peut-être une phrase faux-cul en tête d’ouvrage, rappelant la nécessité de la prévention des MST ? Mais est-ce que ça ne fait pas longtemps que les jeunes ont compris avant nous ce qu’il y avait de bidon dans ce principe de précaution appliqué à la vie sexuelle ?

En conclusion, même si l’image déprimante de la sexualité donnée dans ce livre n’est pas vraiment notre tasse de thé (pas plus que celle de Zola dans Nana), on ne peut que saluer ce salutaire coup de tonnerre doublé d’un éclair de talent dans l’horizon de la littérature jeunesse. On souhaite donc que Je reviens de mourir s’inscrive bientôt dans une collection d’ouvrages de même qualité qui donneront de la sexualité une vision variée, et accompagneront les jeunes dans la découverte de la littérature, du sexe et des sentiments.

 Voir l’avis d’Élise Guiraud sur le site du Mouvement du Nid. Lire le dossier sur la polémique autour de ce livre, sur le site du Nouvel Obs. Pour une réflexion sur une vraie littérature pour les adolescents distincte d’une littérature pour enfants, nous vous renvoyons aux analyses de Benoît Anciaux dans sa revue Ado-Livres, dont c’est le cheval de bataille.

 Voir chez le même éditeur Chevalier B., de Martine Pouchain et Pas raccord, de Stephen Chbosky.
 Du même auteur, À copier 100 fois (2013).

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site d’Antoine Dole


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[1Marion nous rappelle le personnage d’Esther dans Splendeurs et misères des courtisanes, d’Honoré de Balzac, prostituée amoureuse de son mac, Lucien.

[2L’apocope du pronom « lui » dans cette phrase est révélatrice du travail du style de l’auteur, la chasse impitoyable au mot parasite : David n’as pas voulu « lui », mais « faire la cour » tout court : quelle économie !

[3Voir l’article de Thomas Querqy : Mutant hypersexuel.

[4Le texte le plus osé dans le genre était jusqu’à présent Une idée fixe, de Melvin Burgess ; c’est dire si un grand pas a été franchi, et si un gouffre s’ouvre devant nous, gouffre à combler…