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Narrateur en construction, pour les 3e et le lycée.

Au rebond, de Jean-Philippe Blondel

Actes Sud Junior, 2009, 100 p, 9 €

jeudi 23 juillet 2009

Sur la trame traditionnelle de l’amitié entre pauvre et riche (L’Ami retrouvé, Mon ami Machuca, Les Cerfs-volants de Kaboul, Le Riche et le pauvre…), Jean-Philippe Blondel parvient à émouvoir sans tirer sur la corde pathétique. « Aide les autres, et le Ciel t’aidera » semble être la devise de ce court roman qui va à l’encontre de notre réticence à nous mêler des oignons d’autrui. Inévitablement, étant question d’amitié entre garçons et entre femmes, l’homophobie pointe le bout de son nez… Jean-Philippe Blondel reprend alors comme dans Un endroit pour vivre, le thème de l’homosexualité et de l’homophobie, avec un narrateur dans la même veine, dont le discours ambigu appelle une grande finesse de lecture. Des débats passionnants en perspective, d’autant plus que le livre est sélectionné pour la 21e édition du prix des Incorruptibles, niveau 3e / 2de.

Résumé

Alexandre, le narrateur, 15 ans, vit avec sa mère, le père ayant déserté depuis sa naissance. Chacun se gêne pour l’autre dans l’appartement de quarante mètres carrés aux cloisons si fines que « Je sais même quand elle a ses règles et quand elle essaie de se donner du plaisir » (p. 11), et l’on s’efforce de boucler les fins de mois. Alexandre se contente de flirter avec les filles, parce que « tout se complique quand les baisers ne suffisent plus, et qu’il faut trouver un endroit où se mettre nu » (p. 12). Alexandre a un « pote », Christian, qui vit dans un pavillon, dans le quartier cossu de la ville. Ils se fréquentent au lycée, mais surtout au club de basket. Un jour, Christian disparaît de la circulation. Les volets du pavillon sont clos. Alexandre est perturbé. Quand il en touche un mot à sa mère, elle n’hésite pas, et lui conseille de « forcer le destin », par exemple de « Faire le guet », ce à quoi Alexandre réplique que « Christian, ce n’est pas mon mec » (p. 31). On comprend que le pauvre garçon veut bien faire le guet mais pas le gai. Quoi qu’il en soit, Alexandre suit le conseil, et découvre qu’en fait Christian tente de s’occuper de sa propre mère qui a plongé dans l’alcool et la dépression suite au départ de son père adultère. Les deux familles vont se rapprocher face à l’adversité, jusqu’à créer une sorte d’équipe, plus forte qu’une famille.

Mon avis

Au rebond est un court roman — nous dirons une nouvelle — efficace et émouvant. Deux belles formules donnent une idée de ce qu’a voulu exprimer l’auteur : « On rentre toujours par effraction dans la vie des autres » (p. 35) ; et « quand on a du fric — on a les doubles de tout, sauf de ses parents ». Les lecteurs adolescents seront sensibles à la réflexion fil rouge sur le vocabulaire de l’amitié, la nuance entre « pote », « ami » et « frère » (cf. pp. 13, 40 et 69) ; pour finir sur la formule « s’épauler », geste à l’appui (p. 70). Certaines images fleurent un peu leur macho de bac à sable : « Je me demande si les filles, quand elles se couchent à côté d’un garçon, avant que le garçon ne soit monté sur elles, si les filles, donc, connaissent le même soulagement. Si elles se glissent sous les draps avec autant de grâce que la balle dans le panier » (p. 14), ou quand Alexandre voit en la « secrétaire du proviseur, jupe fendue », « un fantasme pour tous les adolescents mâles » (p. 42). Est-ce pour contrebalancer ces propos que le narrateur étouffe sa curiosité au sujet de son père, et se contente de relater des propos que sa mère forcément lui a tenus ? Joli cas clinique d’éviction du père et de matrilité ! On comprend la pudeur d’Alexandre quand il est question d’évoquer ses propres relations amoureuses, alors qu’il est plus prolixe pour celles de son ami. Quand il évoque sa possible jalousie pour la copine de Christian, puis qu’il utilise des mots non marqués en genre pour ses « aventures » : « Je ne me fixe sur personne et personne ne se fixe sur moi » (p. 95), un lecteur sachant lire entre les lignes comprend qu’à l’instar du susnommé ballon, l’histoire pourrait rebondir quelques années plus tard, tant sur la question de l’orientation sexuelle d’Alexandre que sur celle de l’image de son père…
Le style au début du moins fait un peu prof de français guindé [1], d’ailleurs il est question à toute page de ce qui a été vu en cours, voire de « la façon de rédiger une introduction dans un commentaire composé » (p. 51), alors que chacun sait que le « commentaire » n’est plus « composé » depuis belle lurette ! De même que la lecture n’est plus « expliquée » depuis le néolithique, ni même « méthodique », mais « analytique », ce qui n’a absolument rien à voir ! [2]

Cas clinique d’homophobie : décryptage

Trêve de plaisanterie. L’aspect auquel je serai particulièrement sensible — rubrique altersexualite.com oblige — est la question de l’homophobie suscitée par l’amitié étroite entre les deux garçons et leurs mères. Les deux scènes concernées sont là encore d’excellents cas cliniques permettant de mettre en évidence (en cours de français, de SES ou ECJS…) les nuances de l’article132-77 du Code Pénal, qui précise que l’homophobie est une atteinte à une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée ». Les garçons sont donc traités de « pédés » notamment lors d’un match de basket. Comment réagir ? Christian trouve une solution théâtrale : il interrompt la partie, et dans le stade, « Hurle que non, nous n’étions pas des pédés », avant de se justifier en exposant la situation avec des arguments dont on pourrait dire qu’ils prouvent qu’on n’est jamais trop aidé. La question à poser, face à cet extrait, s’apparente à un travail de Théâtre forum : rejouez la scène en montrant comment vous auriez réagi, vous. Réflexion préalable : la solution trouvée par Christian est-elle à même de persuader ses accusateurs de renoncer à leurs préjugés homophobes ? Que ressentirait un(e) jeune assistant en tiers à la scène qui lui, ou elle, serait homosexuel ? Quelle autre solution proposer dans un cas semblable, qui permette de concilier la légitime défense et l’intérêt général ? Quant aux mères, l’homophobie dont elles sont la cible est plus discrète : d’une part elles se traitent elles-mêmes de « lesbienne jalouse » (p. 93), d’autre part, les insultes sont seulement supposées par le narrateur : « Je suis sûr qu’il y a des gens qui jasent et qui les traitent de tous les adjectifs dont on affuble les lesbiennes ». Cela confirme notre impression par une sorte d’aveu inconscient qui nous fait réinterpréter l’épisode précédent : « On ne craint que ce qui a un fond de vérité — et quand bien même, quelle honte y aurait-il ? » (p. 96). Au rebond se révèle donc un jeu subtil de narration à la première personne où le lecteur adolescent est amené à s’identifier au narrateur pour s’interroger sur ses propos.

 Voir Un endroit pour vivre, du même auteur.
 On trouve une trame narrative relativement proche dans On s’est juste embrassés, d’Isabelle Pandazopoulos, où l’amitié joue également un grand rôle, mais entre un garçon et une fille. Un autre roman sur l’amitié : Le Rire de Milo, d’Églal Errera.
 Télécharger une fiche pédagogique réalisée par le site e-media, le portail romand de l’éducation aux médias.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le billet de Laurence


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[1Je sais, c’est aussi un prof de français non moins guindé qui écrit cette critique. Comme dit un ami dyslexique, « La critique est Thésée, et l’art est difficile d’Ariane ».

[2Voir par-là.