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Au-delà du mariage gay : pour l’abolition du divorce

Et si le mariage gay était le révélateur des défauts du mariage ?

Le mariage vecteur d’inégalités

samedi 11 janvier 2014

Voilà donc le mariage gay entré dans nos mœurs. Chaque ville de France fête plus ou moins ostensiblement son premier mariage de personnes du même sexe, en attendant le premier divorce, qui nous fera entrer encore plus dans la banalisation, ainsi que le premier dépôt de plainte pour violence conjugale au sein d’un couple homosexuel, qui nous contraindra à nuancer notre conception de la « violence contre les femmes ». En attendant, comme le veut l’usage, souhaitons tout le bonheur possible à ces premiers époux. Il y a des chances que la plupart de ces mariés de l’an un constituent des mariages plus solides que la moyenne, pour la simple raison qu’ils vivent en couple depuis plusieurs années, parfois déjà pacsés. Plus tard pourtant, le mariage gay rejoindra sans doute la triste moyenne d’un divorce pour deux mariages. Il sera alors temps de se poser les bonnes questions. Le seul argument raisonnable des partisans de la réforme du mariage a été celui de l’égalité des droits. Or la question de l’égalité n’est pas si simple.

Plan de l’article
Égalité mariage / pacs ?
Égalité couples / célibataires
Livret de famille et parenté
En dehors du couple, point de salut ?

Égalité mariage / pacs ?

Avec cette réforme, notre pays va faire partie du petit nombre de ceux qui proposent deux statuts différents pour les couples enregistrés. La possibilité de supprimer le pacs, ou plutôt de fondre pacs et mariage en un nouveau statut intermédiaire qui mixerait le meilleur des deux n’a même pas été envisagée. J’aurais préféré pour ma part qu’on supprime le mariage et qu’on renomme le pacs « mariage », tout en l’améliorant. Pour obtenir cette réforme, les militants gays n’ont eu de cesse de présenter le pacs comme un sous-mariage, en dépit du bon sens et du succès du pacs auprès des hétéros. Alors que le pacs n’avait cessé d’évoluer vers de plus en plus d’avantages depuis sa création, l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe va-t-elle lui donner un coup fatal ? Comment justifier désormais les inégalités entre pacsés et mariés ? En 2010, le nombre de pacs s’apprêtait à dépasser celui des mariages, puis c’est le grand flou dans les statistiques. La possibilité de signer les pacs auprès des notaires effective depuis mars 2011, et la fin depuis le 1er janvier 2011 de l’avantage fiscal pour les couples pacsés dans l’année, ont fait perdre de son attrait au pacs, et ont retardé la collecte des statistiques nationales [1]. L’espoir de nombreux couples hétéros ou homos qui avaient préféré le pacs en espérant que la dynamique de cette institution novatrice leur apporte incessamment de nouveaux avantages, tout en échappant à l’horrible perspective du divorce, a été tué dans l’œuf avec l’adoption du « mariage gay ». Ces couples vont devoir changer leur fusil d’épaule, et certains vont se résigner au bon vieux mariage à la papa.
On espérait que la loi autorise le mariage religieux suite à un pacs, et il n’en sera donc rien : pour se marier religieusement, il faudra toujours passer obligatoirement par le mariage civil ; étrange concession de l’État laïc à la religiosité. En redoublant la solennité du mariage religieux par celle du mariage civil, l’État fait le taf des religions, alors qu’il devrait être neutre, je veux dire laïc. On espérait obtenir l’alignement de la fiscalité notamment en matière d’héritage ; il y a peu de chances de l’obtenir désormais. La gauche aura favorisé cette institution conservatrice, et désormais, au lieu de se séparer par simple lettre recommandée comme pouvaient le faire les pacsés, il faudra passer sous les fourches caudines du divorce, combat difficile à mener pour certaines femmes de milieu modeste empêtrées dans un mariage arrangé. Une lettre recommandée suffit pour rompre un pacs, pourquoi pas pour un mariage ? Quant à la pension de réversion, longtemps revendiquée par les associations homosexuelles pour les pacsés, l’ouverture du mariage la rend sans objet, et l’inégalité entre pacs et mariage est entérinée pour longtemps.
On espérait que la possibilité de naturalisation des conjoints étrangers soit étendue au pacs ; il n’en sera désormais sans doute jamais question, et il faudra donc recourir au mariage, d’où un toujours plus grand nombre de mariages blancs ou gris. Le mariage gris est un mariage qui n’est blanc que pour l’un des époux, l’autre étant sincèrement amoureux et victime du premier. Compte tenu de la disproportion favorable aux hommes dans la population immigrée, il est à prévoir un grand nombre de mariages entre hommes français et hommes immigrés en mal de naturalisation, mais pourquoi ne pas leur permettre de se contenter du pacs ? De deux choses l’une, soit il s’agit d’un vrai pacs d’amour, et tout va bien. S’il s’agit d’un pacs blanc, la difficulté pour l’État de débusquer cette fraude sera la même que pour un mariage ; enfin s’il s’agit d’un mariage gris, eh bien la victime, quand elle s’en sera rendu compte, pourra se sortir de ce piège par simple lettre, au lieu de voir gâcher sa vie pendant encore des années, car les auteurs de mariages gris sont procéduriers. La détresse de nombreuses femmes qui se sont de bonne foi livrées à un mariage avec un étranger extra-communautaire, alors qu’elles auraient préféré le pacs si celui-ci avait permis la naturalisation, et qui sont empêtrées dans les rets onéreux du divorce, il serait inconvenant d’en faire mention dans les milieux politiquement corrects qui voient dans le « mariage gay » une avancée tellement radicale. Avec la nouvelle loi, le fait que des hommes seront bientôt aussi victimes de mariages gris permettra peut-être de mieux réfléchir à la question (quand les femmes souffrent, on a tendance à considérer cela comme normal), à moins qu’il n’en aille de même que pour les violences conjugales : la honte et l’impossibilité pour un homme de s’avouer victime.
Si le législateur avait préféré, au nom de la même « égalité des droits », revaloriser le pacs plutôt qu’opter pour le mariage, cela aurait profité aux hétérosexuels. Grâce à ce « modernisme » de gauche, divorcer continuera à coûter en moyenne 2000 € et six mois de notre vie [2]. Petit calcul rapide : plus de 130000 divorces par an multiplié par 2000 €, cela fait 260 millions d’euros comme chiffre d’affaires du divorce en France, au profit des avocats, notaires et autres banquiers, sans compter les frais annexes, comme ceux énormes entraînés par le passage d’un domicile commun à deux domiciles ; frais sans lesquels le taux de divorce ne serait pas cantonné à 50 % mais monterait à bien plus ! A-t-on songé lors de ce débat aux familles pauvres et à leurs enfants que les conditions économiques empêchent sinon de divorcer, du moins de décohabiter ? Pas étonnant que les avocats, qui trustent non seulement les rangs de l’Assemblée nationale mais aussi les places en vue à la tête des associations gays, se soient fait les hérauts de cette réforme qui assure une bonne part de leurs revenus, contrairement au pacs, le mariage low cost.

Égalité couples / célibataires

Maintenant que tous les couples ont droit de se marier, va-t-on enfin se préoccuper d’une inégalité si énorme que personne ne daigne la voir, celle qui discrimine les célibataires ? L’augmentation exponentielle du coût du logement va peut-être contribuer à donner de la visibilité à cette injustice taboue. À moins de co-louer un appartement, un célibataire sans enfant doit débourser au minimum 800 € pour être petitement logé à Paris. Un couple sans enfant doit débourser… 1000 €, mais avec deux salaires. Sans compter les impôts locaux, le gaz, l’électricité, téléphone, Internet, redevance TV, plein pot pour le célibataire, divisés par deux pour les couples, mariés ou non. Cerise sur le gâteau, ces couples, déjà favorisés par le simple fait de vivre à deux, bénéficient en plus d’un cadeau fiscal dès lors qu’ils sont pacsés ou mariés, au détriment des célibataires. Cela au point qu’il existe de nombreux couples mariés constitués d’un homme (le plus souvent) à haut revenu et d’une femme au foyer, ce qui permet de diviser par deux l’impôt sur le revenu. Certes, il était sans doute injuste que ce privilège des couples hétérosexuels ne bénéficie pas aux couples homosexuels, qui vont pouvoir dorénavant eux aussi traire la vache à lait du fisc, aux frais toujours plus lourds des célibataires. Mais puisqu’il était question d’égalité des droits, n’aurait-on pas pu plutôt imaginer que ce débat permette une remise à plat de tous les statuts ?
Ajoutons à cela la pension de réversion, qui permet à des femmes au foyer n’ayant jamais travaillé de toucher une rente à la mort de l’époux. À l’époque de la retraite à 60 ans, c’était déjà fort de café, mais au moins on pouvait se dire qu’une femme au foyer de plus, c’était une concurrente de moins sur le marché du travail. Il ne faut pas oublier qu’avant la loi du 13 juillet 1965, l’épouse n’avait pas « le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari », et dans ces conditions, la pension de réversion était logique et juste, et le demeure pour de nombreuses veuves qui ont été mariées avant 1965. Ce que la société donnait d’un côté, elle le retrouvait de l’autre. Mais à l’ère socialiste de la retraite à 67 ans qui se profile à l’horizon, les célibataires ne seront-ils pas légitimement amers ? En gros, quand on est jeune et d’un milieu défavorisé, que choisir entre bosser comme un malade pour plafonner à un salaire de 1500 € dans l’espoir d’une retraite ridicule et lointaine, ou épouser un ou une gros salaire, à qui on sert de caution pour diminuer ses impôts, se la couler douce toute sa vie durant, et toucher une pension de réversion si l’on devient veuf ou veuve ?

Livret de famille et parenté

Une partie du débat a achoppé sur la question très hexagonale du livret de famille, cette institution franco-française qui crée de toutes pièces de faux problèmes. Sur ce point particulier, je trouve inacceptable la position des militants gays, et je suis obligé de reconnaître pour légitimes les préoccupations de nombreux anti-« mariage-gay ». Est-il si anodin de reconnaître comme parent à part entière la compagne d’une femme qui accouche d’un enfant procréé grâce à un don de sperme, que ce don soit anonyme ou issu d’un projet de coparentalilté avec un couple d’hommes ? Certes je suis on ne peut plus favorable à toutes les options modernes permettant à toutes et à tous d’avoir des enfants, mais pour moi cela doit, dans l’intérêt de l’enfant, s’accompagner d’une sorte de traçabilité, sans parler du droit des pères (ou plus rarement des mères), dont cette disposition entérine la spoliation.
Si l’on avait pris le temps d’un vrai débat dépassionné, on aurait pu profiter de cette réforme pour dépoussiérer le livret de famille, c’est-à-dire le remplacer par des livrets de filiation centrés sur l’enfant, prenant en compte toutes les situations réelles de parenté et de parentalité partagée, jusqu’à la gestation pour autrui. Sauf peut-être dans le cas particulier d’un viol, ne doit-on pas la vérité à un enfant sur sa filiation ? Et quand je dis un enfant, je pense à tout adulte qui est un ancien enfant ! Avec 50 % de chances de divorcer, quel sens cela peut bien avoir d’inscrire à l’état civil un enfant né de la femme X fécondée par le sperme de l’homme Y comme ayant pour « parent 2 », plutôt que ledit homme Y, la femme Z, épouse de la femme X au moment de la naissance dudit enfant ? Ces livrets de famille ont été institués à une époque où n’existaient ni le divorce, ni l’« homoparentalité », ni les familles recomposées, mais au lieu de débattre de leur réforme indispensable, on a préféré polémiquer sur des bases obsolètes, à l’évidence opposées au bien de l’enfant – et du futur adulte.

En dehors du couple, point de salut ?

Enfin la cristallisation sur ce « mariage gay » a fait camper opposants comme partisans sur une ligne caricaturale de surenchère. Avec le bon vieil argument de mauvaise foi du doigt dans l’engrenage, les ridicules opposants mis en avant par les médias ont eu beau jeu de hurler que cette loi serait l’antichambre du mariage zoophile, du mariage incestueux, de la polygamie ou autres fariboles. La provocation évidente de la zoophilie a fait se récrier les pro-mariage contre les trois allégations mises dans le même sac, et du coup, l’union entre personnes de la même famille ou entre plus de deux personnes, assimilées à la zoophilie, ont été diabolisées.
Or je suis désolé, mais si l’on se situe dans une perspective à la fois laïque et pragmatique, on doit constater que parmi les unions de vie – devrais-je dire de survie – de notre société post-moderne, figurent à côté du couple des formes atypiques proches de ce qu’on appelle abusivement inceste, ou des formes de vie à plus de deux qui n’ont pas grand-chose à voir avec ce que les intellectuels judéo-chrétiens appellent avec condescendance « polygamie ». Faut-il invoquer Zola – qui vécut lui-même en trouple de 48 ans à sa mort – pour rappeler que beaucoup de nos concitoyens qui n’ont pas trouvé l’âme sœur cohabitent avec qui sa sœur, qui son frère, qui sa mère, qui son oncle, sans coucher avec dans la plupart des cas – et quand bien même cela serait, qu’est-ce que cela nous fait du moment que cela se passe non pas avec un mineur mais entre adultes consentants ? Pour quelle raison ces concitoyens qui votent et paient des impôts ne pourraient-ils pas bénéficier eux aussi de la solidarité nationale ? L’époque de crise que nous traversons ne devrait-elle pas nous encourager à envisager ces situations marginales mais réelles avec un prisme pragmatique ? Face à la faillite du couple traditionnel « pour la vie » – un divorce pour deux mariages – peut-on rejeter d’une pichenette une solution alternative de vie commune à trois ou à quatre comme illégitime, scandaleuse, ou islamique ? Cela permettrait au minimum de résoudre les nombreux cas de projet dits « homoparentaux » où un couple d’hommes et un couple de femmes s’arrangent entre eux. En ne proposant pour ces projets que la solution du couple à deux, le législateur discrimine de fait le parent 3 et le parent 4. Cela n’a pas grand chose à voir avec la polygamie. Et puis s’il est question de polygamie, certes, le tango ou la valse en couples sont jolis à voir, mais ceux qui ont admiré à Cuba les quadrilles savent que l’on peut merveilleusement danser à quatre. Et si le joug traditionnellement accouple deux chevaux, où a-t-on vu que les diligences tirées par un attelage de trois ou de cinq chevaux aillent moins vite ?
Je veux bien qu’on me réponde que toutes ces solutions de vie marginales n’ont pas à être reconnues ; mais alors pourquoi reconnaître seulement la marginalité homosexuelle à deux personnes ? Souhaitons que le mariage homosexuel entre vite dans les mœurs, pour qu’on puisse le plus rapidement possible passer à l’étape suivante, la nécessaire création d’un vrai contrat universel à mi chemin entre pacs et mariage, ouvert à plus de deux contractants, et permettant, cerise sur le gâteau, l’abolition du divorce.

 Voir mes précédents articles sur le sujet : « altersexuel et opposé au « Mariage gay », je persiste et signe ! » et « Pour un livret de famille fractal ». Et bien sûr, lire l’essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay » (avril 2012). Le journal de ce débat impossible est dans cet article : « La guerre du trouple n’aura pas lieu ».

Lionel Labosse, le 26 juin 2013.


© altersexualite.com, 2013.
Le dessin de vignette est un dessin de Ah, paru sur le site Soyons sérieux.


[2Il s’agit uniquement des frais du procès. Dans un article du n°846 de Marianne intitulé « Le coût du divorce pour tous » paru le 6 juillet 2013, Marie Huret évalue ce coût entre 2000 et 4500 €.