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Passionnante anthologie, pour les éducateurs

L’Invention de l’hétérosexualité, de Jonathan Ned Katz

Epel, Les grands classiques de l’érotologie moderne, 2001, 236 p, 26 €.

jeudi 5 avril 2007

Une démonstration de la promotion de l’hétérosexualité comme concept politique de domination, ainsi qu’une passionnante anthologie des textes de construction de ce concept autant que des tentatives de destruction. Le texte original est paru à New York en 1996.

On trouvera dans les premiers chapitres un historique de l’invention des mots homosexuel et hétérosexuel, et de leur diffusion aux États-Unis. L’ouvrage est entièrement ancré sur ce pays, même quand il évoque Michel Foucault. L’on émettra quelque réserve sur la thèse principale. Difficile de croire que seule l’invention du couple homo/hétérosexuel a permis de séparer plaisir et procréation, quand pas une seule fois ne sont cités ni le mythe de Don Juan, ni Sade, ni Casanova, ni Fourier, ni Sacher-Masoch. Prenons plutôt ce livre comme une anthologie remarquablement documentée et référencée, avec également un excellent travail éditorial pour l’édition française. On a tout d’abord l’invention du mot par Richard von Krafft-Ebing, professeur de psychiatrie et de neurologie à l’université de Vienne, dans sa célèbre Psychopathia sexualis, lequel considère l’hétérosexualité comme une perversion, avant que Freud ne passe « d’une conception du sexe fondée sur le devoir de reproduction à celle qui valorise la notion de plaisir » (p. 64). L’auteur remarque que « Hétérosexuel et homosexuel apparaissent en public comme des frères siamois, le premier représentant le bien, le second, le mal. Les deux antagonistes sont liés pour la vie dans une symbiose inaltérable » (p. 69). Le mot hétérosexuel est un « fantôme souverain », une « présence absente » qui « hantait çà et là les textes modernes sur la sexualité » (p. 69). Le cheminement de Freud est retracé au travers de nombreuses citations, qui montrent l’importance qu’il accorde à l’homosexualité dans sa compréhension de l’hétérosexualité. Elle lui fait notamment comprendre que l’hétérosexualité « est aussi un problème qui nécessite d’être élucidé » (p. 75).

L’auteur montre ensuite comment « le concept d’hétérosexuel se déplaça de l’anormal au normal, puis du normal au normatif » (p. 84), cela malgré l’apport d’Alfred Kinsey. « La population mondiale, affirme-t-il de façon péremptoire, « ne doit pas être divisée en deux, d’un côté les moutons et de l’autre les boucs » » (p. 99). De nombreux textes d’auteurs gays et de féministes hétérosexuelles et lesbiennes, qui ont critiqué cette bipartition, sont cités : James Baldwin, Gore Vidal, Kate Millett, etc., jusqu’à l’extrême Monique Wittig, qui considère la femme comme esclave de l’homme, et propose de « réduire à néant » la catégorie sexuelle (p. 150). L’auteur reproche à cette dernière de n’avoir pas vu la récupération du discours féministe par les mouvements anti-pornographiques, et de n’avoir pas rejoint les rangs des féministes pro-sexe. Le dernier chapitre, qui se veut prospectif, me semble un peu mou. « Pour la recherche du bonheur et l’obtention de quelques jouissances terrestres, il faut mettre fin à la société de mesquinerie et de cupidité et il faut constituer un nouveau système de plaisir » (p. 182). Certes, mais pourra-t-on supprimer la classification hétéro/homo, si on ne la remplace pas par une autre en déplaçant la frontière ? La nature a horreur du vide, alors pourquoi ne pas proclamer l’altersexualité ?

Lionel Labosse


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Messages

  • Patrick Cardon

    auteur de

    Discours littéraire et scientifique fin-de-siècle.
    La discussion sur les homosexualités dans la revue du Dr Lacassagne,
    Les Archives d’anthropologie criminelle (1886-1914)

    – autour de Marc-André Raffalovich –

    Orizons, 2008, collection “homosexualités”

    « L’inversion sexuelle [...] va devenir une des questions de l’avenir ».
    Marc-André Raffalovich (1896)

    De 1886 à 1914 paraissent les Archives d’anthropologie criminelle qui veulent révolutionner la notion de criminalité (école française de Lacassagne contre école italienne de Lombroso). Les débats sur l’homosexualité y sont particulièrement importants. Tout en donnant un aperçu sur la conception typiquement fin-de-siècle de cette sensibilité, ils mettent en avant la personnalité toute littéraire de Marc-André Raffalovich qui tenta de devenir le Magnus Hirschfeld français.

    Patrick Cardon, docteur ès-Lettres et diplômé de Sciences Politiques présente ici un travail qu’il a actualisé depuis plus de vingt ans et qui a inspiré l’édition de nombreux textes précieux pour l’histoire culturelle des homosexualités au sein de GayKitschCamp.com (QuestionDeGenre/GKC)

    La collection « homosexualités » répond à un besoin d’accessibilité rapide aux documents et études nécessaires à l’élaboration actuelle de l’histoire culturelle – pluridisciplinaire – dite LGBTQI (lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, queer et intersexe). Ce sera la continuation de la bibliothèque tentée par Michel Foucault. Et dans son esprit.

    Voir en ligne : http://www.gaykitschcamp.com