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Parcours d’une flic & syndicaliste de choc

Gardienne de la paix et de la révolte, de Linda Kebbab

Stock, 2020, 310 p., 19,5 €

samedi 13 mars 2021, par Lionel Labosse

Née en 1981, Linda Kebbab est gardienne de la paix et syndicaliste à Force Ouvrière, déléguée nationale à temps plein depuis 2018 du syndicat Unité SGP Police-Force Ouvrière, syndicat devenu majoritaire depuis 2010. J’ai découvert son existence dans l’émission d’André Bercoff sur Sud-Radio le 25 novembre 2020, ce qui m’a donné l’envie de lire son livre. En effet, dans le cadre des cours de culture générale en BTS 1re année, j’aborde des questions de société telles que l’égalité entre les sexes ou le monde du travail, et ce livre me semblait parfait pour porter un regard sur l’actualité sociale. Fille de parents algériens illettrés, Linda Kebbab devient bachelière L, puis mène sa barque parmi les drames de sa vie personnelle, jusqu’à devenir par hasard policière, puis syndicaliste parce qu’elle conserve son désir d’être utile et son sentiment de rébellion contre l’injustice au sein même de la police. Son ouvrage émouvant alterne souvenirs personnels, réflexions sur l’organisation de la police & des syndicats, et témoignages d’interventions sur les médias et de réactions aux déclarations des autorités. Elle a le verbe haut (difficile pour André Bercoff de lui couper le sifflet !) et défend l’intérêt de la base des policiers contre une administration et des ressources humaines peu compréhensives. Je suis fier de proposer cet article pour Profession gendarme grâce à la complicité de Ronald Guillaumont qui reprend quelques articles de mon site depuis un mois environ. Si avant la coronafolie, on m’avait dit que j’en serais venu à publier sur un site de gendarme, ou à remplacer ce que j’appelle désormais Radio-Paris ou Collaboration par Sud-Radio et France-Soir, j’aurais éclaté de rire… Je demande l’indulgence des lecteurs membres des forces de l’ordre car la police est un sujet dont j’ignore tout, mais j’espère qu’ils sauront excuser un modeste citoyen de tenter de comprendre. Cet article n’est pas une simple recension du livre, mais il est augmenté de réflexions personnelles. Puisque nous voici sur un site de gendarmes, qu’il me soit permis de dédier cet article à la mémoire du Gal René Omnès (1924-2019), personnage de mon roman M&mnoux (2108) emprunté à la réalité.

Zola & dormir dans sa voiture

Dans les chapitres personnels, Linda Kebbab, sans s’apitoyer, explique que née de parents analphabètes, elle s’est réfugiée dans le travail scolaire, passionnée par la lecture de Zola (10 points !) qui l’amènera au bac L avec l’intention de devenir journaliste, alors que sa mère la rêvait avocate. C’est le portrait de tant d’élèves méritants (et surtout méritantes) que j’ai eu l’honneur d’enseigner pendant 23 années en Seine-Saint-Denis ! Je me rappelle notamment une, née en Algérie, vivant dans une chambre d’hôtel avec sa sœur et ses parents, rêvant d’être médecin, et qui obtint 16 à l’écrit et 20 à l’oral au bac de français… avec Zola ! Et puis moi qui ai enseigné avec tant de bonheur en terminale L, je salue la réussite d’une lycéenne L, preuve de la valeur de ces études générales dont j’ai la nostalgie, maintenant qu’elles ont été irrémédiablement anéanties par Blanquer. Quant on constate au cours de la crise de covidisme que l’on subit, l’absence totale d’esprit critique de gens qui se prétendent scientifiques, on ne peut que regretter la disparition de cette formation. Belle séquence face à une conseillère d’orientation qui voyant qu’elle a redoublé, et ignorant que le décès de son père en est la cause, lui conseille de devenir secrétaire. Mais Linda Kebbab déteste se poser en victime. À peine le bac en poche, deuxième drame, le décès de sa mère dans des circonstances troubles. Elle se retrouve avec ses petits frères, hébergés par la famille, à enchaîner les boulots alimentaires et dormir dans une voiture. Elle a une petite fille (mais n’évoquera jamais l’existence d’un père) ; elle fonde une entreprise et gagne bien sa vie. C’est alors qu’elle assiste à une opération de police chez des voisins ; naissance d’une vocation. Je me permets de recopier l’extrait car je le retiens pour étudier en classe :
« Et puis un jour, une étoile sur ma route. Une rencontre. De celles qui changent votre vie, du jour au lendemain.
Ce soir-là, il y a du bruit et des éclats de voix dans la cage d’escalier de mon immeuble, dans un quartier plutôt préservé du centre de Lyon. J’ai la chance désormais, à force de travail, de vivre confortablement, essentiellement au milieu de cadres moyens sans histoires. Ou presque. Car lorsque je sors sur le palier pour aller voir ce qu’il se passe, je découvre que des fonctionnaires de police sont en intervention pour des violences conjugales dans un appartement en face du mien. J’observe la scène, j’admire leur calme et leur fermeté tout à la fois. Mon voisin est emmené. Je ne peux m’empêcher d’entamer la conversation avec l’un des policiers qui restent pour finir les constatations. Il est tellement différent de l’image que je me fais des flics : à l’époque, après avoir grandi au milieu d’une jeunesse de quartier haïssant les
condés, les lardus comme les appellent les gones de Lyon, je les range tous dans le tiroir des rustres et des brutes. Comme quoi, personne n’est à l’abri des préjugés ! Le tout est d’être suffisamment curieux pour ne pas s’y laisser enfermer… Ce jeune lieutenant stagiaire avec lequel je parle a un visage enfantin, très poupon. Ce contraste entre mes a priori et la réalité me saisit. Et surtout, son regard enflammé me touche humainement, profondément.
Il m’explique que pour lui, c’est une mission de lutter contre les violences conjugales. Qu’il ne peut pas supporter ça, que cette injustice est ignoble, qu’il est hors de question de laisser ce type s’en sortir. Je regarde ses yeux briller lorsqu’il parle. Certaines font des gâteaux pour des femmes au destin effroyable, d’autres arrêtent des ordures qui battent leur compagne, peu importe, la lueur de leur regard est la même. Et là, j’ai le déclic. Une sorte d’évidence lumineuse qui me tombe dessus ! Quelque chose d’enfoui en moi ressort avec force. Moi qui voudrais tellement être journaliste, pour être utile, pour dénoncer les injustices, pour travailler à l’émergence de la vérité, je me rends soudain compte qu’en bas de chez moi des personnes font exactement cela ! Et ça s’appelle… les forces de l’ordre.
Je veux en être. Et j’en serai. Grâce au visage innocent d’un jeune lieutenant idéaliste dont je ne connaîtrai jamais le prénom. »
(p. 88).

Le chapitre consacré à ses débuts d’élève gardien de la paix est édifiant. Elle est plus âgée que ses camarades, et la seule mère de famille. Elle évoque les humiliations d’un autre âge de la hiérarchie, punition collective par exemple sous un prétexte futile. Pour elle, privée de week-end, cela signifie ne pas pouvoir retrouver sa fille, et ennuis avec la nourrice. Heureusement, cette personne la soutient, et organise même une infiltration de la fillette avec la complicité des camarades ! Cela ferait un bon épisode de film policier, pas du genre cathodique, hélas, enfin sait-on jamais ? Nommée à Paris comme de nombreux jeunes flics, Linda Kebbab connaît la gabegie des logements de fonction. Les rares appartements décents sont réservés aux copains, et la majorité des agents se voient proposer des bouges situés dans les cités où ils sont censés travailler. Alors un beau jour, elle installe sa voiture-hôtel devant les bureaux d’attribution des logements de la police, et menace d’ameuter la presse si on ne lui propose pas un logement, car ce n’est pas elle qui a décidé d’être mutée à Paris ! Au passage, c’est étonnant qu’elle n’explique pas comment un tel déficit est possible. Ah si, c’est parce qu’en région parisienne, il y a beaucoup plus de policiers par habitant, à cause, j’imagine, des missions de protection des personnalités et des bâtiments. Mais j’imagine que l’on devrait du coup rétablir l’équilibre en menant des campagnes de recrutement dans les établissements scolaires, or je n’en ai jamais vu depuis 30 ans que je suis enseignant dans cette région ! Elle cite d’ailleurs un rapport accablant du Sénat daté de juin 2018 : « Le cas des policiers affectés en Île-de-France à la sortie des différentes écoles de police est symptomatique des difficultés rencontrées par les policiers au début de leur carrière. Ces derniers subissent la conjonction de conditions matérielles difficiles et d’une affectation géographique en grande partie subie. Si le ministère de l’intérieur a développé une offre de logements locatifs sociaux, la commission a pu constater que ce service ne parvenait pas à remplir sa mission de manière satisfaisante. Elle a également pu constater que les cas de policiers récemment affectés à Paris contraints de se mettre en colocation à plus de 5 dans 20 m2, en alternant les présences entre ceux travaillant de nuit et de jour, voire à dormir dans leurs voitures, n’étaient pas exceptionnels. » Ce rapport a été traité par le pouvoir exactement comme les rapports des Pr Raoult et Perronne sur la santé en leur temps, et maintenant Véran s’en torche. Malheur à celui qui dit la vérité, il doit être exécuté !

Gardienne de la paix et de la révolte, de Linda Kebbab
© Stock

Flic & rebelle

Linda Kebbab a d’entrée la dent dure contre le pouvoir. Son combat est de « refuser de taire les incohérences dans lesquelles l’ont jetée [la police] divers gouvernements et qui la mettent en danger, utilisée comme elle l’est aujourd’hui sans le moindre bon sens, exposée à une colère populaire dont elle n’est pourtant pas responsable… et qu’elle partage ». En ce qui concerne les gilets jaunes, elle proclame également être « en résonance avec leurs revendications ». Sur proposition d’Yves Lefèvre, le secrétaire général du syndicat, Unité SGP Police annonce « une journée zéro contravention » pour le 17 novembre 2018, en solidarité avec les gilets jaunes, ce qui contrarie le ministère. Elle donne le chiffre stupéfiant (je parle en tant qu’enseignant) de 45 000 adhérents à son syndicat sur 115 000 gardiens de la paix, y compris CRS et adjoints à la sécurité ! Elle ne précise pas s’il est obligatoire d’adhérer à un syndicat dans ces métiers. Un article de l’AFP opportunément paru alors que je mets sous presse me donne la réponse : « le taux de syndicalisation atteint entre 80 et 90 %, le plus fort de la fonction publique ». Je l’ignorais.
Linda Kebbab règle son compte au syndicat Alliance Police nationale, qui représente plutôt les gradés si j’ai bien compris, et dont elle dénonce, lorsqu’elle devient déléguée syndicale à Créteil, l’attitude machiste de leurs représentants qu’elle tente d’approcher (« Retourne dans ton bac à sable jouer avec tes poupées ! »). Elle dénonce la « syndicratie », qui protège plutôt « une poignée de militants au détriment de ceux que nous défendons : les flics » (p. 18). Elle se désole de la montée de la violence dans les manifs de gilets jaunes, mais la comprend par le fait que les gouvernements « bafouent les corps intermédiaires » : « les échanges constructifs et argumentés ont laissé place à un rapport de force agressif ». Elle ne « regarde jamais la télévision » (10 points !) et se fait piéger lors d’une première invitation à « Balance ton poste » en janvier 2019. On la met face à un militant ultra-violent qu’on a sciemment laissé entrer avec des armes. C’est donc seulement dans son livre qu’elle peut développer son point de vue sur le maintien de l’ordre dans les manifs infiltrées par des casseurs. Elle reprend d’ailleurs cette explication dans l’émission d’André Bercoff, ce journaliste qui n’est pas de ces aboyeurs qui ne laissent pas terminer une phrase à leurs invités. En gros, envoyer des agents de la BAC armés de LBD dans des manifs truffées d’émeutiers au lieu de CRS dont c’est le métier, fut une grave erreur. Les agents de la BAC ont même dû s’équiper à leurs frais de protections de fortune ! Elle explique que ce changement de pratique du maintien de l’ordre en manifestations est dû à la volonté du pouvoir d’interpeller des fauteurs de trouble, à rebours de la pratique habituelle qui est de laisser filer les auteurs de débordements pour limiter le désordre. Les préfets de Paris (Delpuech puis Lallement) sont des énarques qui ne connaissent rien à la police. Les autorités ont lâché les gardiens de la paix qui se sont retrouvés à devoir utiliser des LBD (au lieu d’armes létales), qui « ne sont pas si précis qu’on le dit ».
Je peux témoigner personnellement de ces erreurs sans doute volontaires du préfet de police de Paris lors des manifs contre la loi sécurité globale en novembre et décembre 2020, où j’allais pour ma part avant tout pour défiler « contre la dictature stalinitaire » : les CRS robocops très nombreux laissaient les gens rejoindre la manif sans fouille de sacs, et lorsque les mortiers sortaient, ils créaient une nasse anxiogène avant de finir par laisser sortir les gens. Le pire fut la manif de la Porte des Lilas dans des rues étroites, vite parfumées au N°5 de chez Darmanin. En revanche, en janvier, je me suis retrouvé par hasard dans une manif contre le patronat je crois, et là les flics encadraient la manif des deux côtés de la rue avec une barrière discontinue, de sorte que le premier connard qui aurait sorti un truc chelou aurait été interpellé en cinq sec ! Mais que l’on ne me dise pas que le préfet en question a découvert brusquement cette méthode ! En décembre, il était clair qu’il fallait quitter la manif à 17 h, pour laisser BFMTV tourner sa séquence d’incendie commandité pour effrayer le téléspectateur du 20 h ! Linda Kebbab explique aussi la défaillance des formations à l’usage des armes, par exemple pour les LBD : on apprend de façon exprès à s’en servir dans un stand, alors que l’usage réel est face à une foule hostile sans recul !
Elle parvient à imposer à son syndicat de refuser d’expliquer sur les plateaux télé le fonctionnement du maintien de l’ordre ou de commenter les faits divers, ce qui les fait passer pour des « émanations directes du ministère de l’intérieur ». Malheureusement, la confusion maintenue volontairement par les journalistes d’État fait monter la haine entre la fraction violente des gilets jaunes et la police. La syndicaliste fait l’objet de harcèlement sur les réseaux sociaux ; on la menace même dans la rue, ce qui terrifie sa fille. Elle dépose une main courante et sort avec son arme de service (ce qui peut étonner alors qu’elle est déléguée syndicale à plein temps), mais se scandalise noir sur blanc de ne pas être soutenue par sa hiérarchie. Même Marlène Schiappa ne répond pas à son appel alors qu’elle est chargée de la « lutte contre les discriminations ». Mieux, ses prises de position critiques à l’égard du pouvoir dans la façon de gérer le maintien de l’ordre lors de la crise des gilets jaunes, vaut à son syndicat un rappel à l’ordre et une menace d’enquête de l’IGPN pour « bafouer son devoir de réserve » ! Le syndicat envoie bouler le pouvoir, et elle note une amélioration du maintien de l’ordre et une relative prise en compte des critiques. Elle rappelle que les autorités sont dans l’obligation de soutenir les agents au titre d’une loi de « protection fonctionnelle » du 13 juillet 1983. Ça se corse avec certaines pratiques nouvelles sur les réseaux sociaux, de filmer des agents en cours d’intervention et de révéler leur identité et leur adresse. Elle évoque des cas précis en modifiant les prénoms. Il arrive que la hiérarchie intervienne en utilisant une plate-forme nommée Pharos, mais dont le site ne contient pas « pharos » dans l’URL d’après mes recherches (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?) Linda Kebbab se déclare alors partante pour la loi Avia, du moins un amendement de cette loi liberticide heureusement abandonnée, qui punit la diffusion de photos d’agents de l’État. Elle s’insurge contre des propos irresponsables de Mélenchon sur les flics en septembre 2019 : « C’est des barbares, soyez prudents parce qu’ils ne s’arrêtent plus maintenant ! » Le prétendu insoumis ferait bien de réserver ce genre de diatribe au Macronistan ! Linda Kebbab se scandalise avec raison contre l’expression « violences policières » qui est « essentialisante » (p. 130). En effet, si l’on parle de violence policière alors pourquoi pas parler de « délinquance immigrée » ? Mais elle ne s’en prend pas qu’à Mélenchon, car il y a bien pire : le ministre Castaner, le 13 janvier 2020, lors de ses vœux à la police, estime spirituel d’utiliser à l’intention des médias l’expression « croche-pied à l’éthique », allusion à un fait divers médiatisé montrant un agent faisant un croche-pied à une femme lors d’une manif de gilets jaunes. Linda Kebbab doit aussi moucher certains people gauchistes bobos comme Virginie Despentes, que j’ai défendue sur mon site pour ses œuvres, mais qui est effectivement indéfendable quand elle rejoint la boboïtude, et je l’ai moi-même bien mouchée, ce qui fait toute la différence entre les altersexuels dont je suis et les apparatchiks de la LGBTitude propre sur elle. Cela m’amuse d’avoir été scandalisé par la même diatribe de Despentes que Linda Kebbab ! Lire sa lettre bien torchée ici.
Le chapitre consacré aux dépressions et suicides est très émouvant bien entendu, et ceux qui liront cet article sur Profession gendarme le savent bien car certains doivent avoir la hantise de trouver au matin sur leur site préféré le nom d’un collègue qu’ils ont connu, que ce soit par suicide ou mort en service, avec cet hommage sobre qui est l’honneur des gens d’armes, et d’autant plus émouvant. Elle évoque une jeune femme qui se suicide dans l’appartement qu’elle-même a occupé, alors que la logeuse lui avait fait remarquer qu’elle n’avait pas l’air bien après son divorce. Le cas d’un agent de la BAC qui s’exclame sur la fréquence radio de la police de Créteil « La police m’a tué » avant de se tirer une balle. L’admiratrice de Zola ne fait pas de littérature, mais l’émotion passe.

Macron, la police, les racailles et le peuple

C’est là qu’intervient la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Macron pose avec un dessinateur qui a réalisé un T-shirt satirique « LBD 2020 » au festival d’Angoulême en janvier 2020.

L’entourage de Macron avait tenté de le dissuader, et dans cette vidéo de l’émission de Bourdin, même le dessinateur s’étonnait que Macron s’obstine à relever le défi. Linda Kebbab, révoltée, exhibe un T-shirt qu’elle a bricolé avec son indignation. Le lendemain, coup de fil de l’Élysée au syndicat, mais Macron n’appelle pas lui-même et n’organise même pas un dîner ou un truc de réconciliation comme il sait faire pour mettre à plat le malentendu (si l’on visionne la vidéo de l’émission, il semble ressortir que le dessinateur en question n’a pas l’air d’un extrémiste anti-flics borné). Je peux témoigner en tout cas de mon côté, que les gens (enfin les gens de bonne foi) n’ont pas été trompés sur ce coup-là, car sur les murs j’ai vu de nombreux graffiti « Macron éborgneur », mais jamais un seul « flics éborgneurs », si cela peut rassurer Mme Kebbab et ses collègues. Sur cette affaire, je cite un article du 12 février 2021 révélant des luttes à couteaux tirés entre les syndicats : « Éborgnement de Jérôme Rodrigues : selon le syndicat France Police, Christophe Castaner pas inquiété mais un déluge de mises en examen s’abat désormais sur les collègues : « Le marcheur Yves Lefebvre, « cerveau » du Beauvau de la sécurité et patron de la rebelle Linda Kebbab d’Unité SGP Police FO, se réjouit lorsque des Gilets jaunes ont la main arrachée en manifestation mais condamne avec la plus grande fermeté nos collègues victimes d’une kabbale dans l’affaire Zecler. » Bon, là, je déclare forfait, et je laisse les lecteurs de Profession gendarme se lancer des grenades et les ramasser ! Je suis innocent !

Pour un braqueur et son sincou : les yeux de Chimène.
© Le Parisien

Linda Kebbab n’en parle pas, mais cela me rappelle la photo de Macron faisant les yeux de Chimène à deux jeunes aux Antilles pour un selfie, sans se rendre compte que l’un d’eux faisait un doigt d’honneur. Quand on compare cette photo et les autres de la série qu’on dirait sortie d’une soirée dans un des clubs gays dont l’auteur de ces lignes est désormais privé, avec les photos du même président qui, je cite cet article « aime chaque enfant de la République, quelles que soient ses bêtises », s’adresse non plus à un jeune torse nu sortant de prison mais à des con-tribuables qui ont enfreint son couvre-feu ou qui ont oublié leur ausweis en les traitant comme des délinquants irresponsables, avec son doigt à lui pointé façon pitaine dans notre direction, on a juste envie de lui faire vraiment autre chose qu’un doigt, à ce [censuré]. (Photo © Reuters, empruntée à cet article.)

Macron parle avec ses doigts aux Français, avec des yeux de…
© Reuters / L’Express

Le chapitre consacré au sexisme est assez sobre (on sent l’obsession de l’auteure de refuser de se poser en victime), mais elle pointe l’essentiel : « enquêtrice encouragée à intégrer une brigade des mineurs plutôt que celle des stups (les clichés ont la vie dure, qui considèrent que les policières sont plus douées pour porter assistance aux femmes et aux enfants) ». Pour le reste, je renvoie le lecteur à un excellent documentaire que j’utilise dans mes cours sur l’égalité entre les sexes :
« XX ≤ XY, ÉGALITÉ HOMME FEMME » : CONSTRUCTION ET/OU DÉCONSTRUCTION, projet réalisé avec les élèves du lycée Geoffroy Saint-Hilaire d’Étampes, Lumières des Cinés, mai 2015. La question des femmes dans la police y est très bien traitée.

Étonnamment, Linda Kebbab a la dent plus dure vis-à-vis de son propre syndicat, où ayant remporté une victoire dans son département du Val-de-Marne dans un contexte de défaite nationale, au lieu de la féliciter, elle sent plutôt une peur d’être supplantés chez ceux qui ont moins bien réussi ! (les « apparatchiks et syndicrates », p. 246) Elle raconte en détail la compagne électorale, à mille lieues du syndicalisme enseignant, où les délégués sont au contact des collègues, et où elle a gagné en refusant tout clientélisme. Au bout de deux ans au syndicat, elle retourne à la base, mais étant connue, ce n’est pas si facile, et elle se fait remettre en place vertement par sa commissaire quand elle dénonce une gradée qui accapare une des rares voitures de fonction pendant le week-end (on sent qu’on n’a pas affaire à une de ces féministes à géométrie variable comme il en pullule dans la presse d’État !) Elle est rappelée par Yves Lefebvre à la direction du syndicat, et il lui demande des notes de synthèse et analyses, à la fois sur la presse, l’activité parlementaire, le terrain. Elle doit remplacer Lefebvre à la radio au débotté la 1re fois le 29 mai 2018. Elle explique que pour déjouer les attentats, une revendication est de remplacer les binômes par des trinômes, et elle est étonnée de l’impact extraordinaire de son intervention.

Le délire du covidisme

Elle aborde le début de la crise du covidisme. On en est à interdire carrément aux agents de porter des masques, quitte à les leur faire chercher dans le véhicule en cas de rencontre d’une personne symptomatique ! On leur interdit de se tester. Linda Kebbab appelle plusieurs responsables politiques et obtient des résultats, à la fois pour les tests et des dons de masques. Or il se trouve que les politiques qui lui répondent sont « de droite », et elle reçoit pour cela des critiques des « syndicrates » de son propre bord ! Sur le terrain, elle confirme des consignes de non-intervention dans « certaines zones sensibles ». Elle s’insurge : « Sauf que les laisser faire, c’est justement les laisser tomber malades. Et que les discriminer, c’est justement ne pas les verbaliser ! »
Cela dit, Linda Kebbab ne répond pas à la question que je me pose : comment les policiers ressentent le fait que le pouvoir leur demande de verbaliser les honnêtes gens pour des délits imaginaires comme le non-port du masque en extérieur, mesure totalitaire sans aucun rapport avec la science, et de fermer les yeux sur les délinquants ? Je sais qu’il y avait eu (après la parution du livre) une opération de grève du zèle sur les verbalisations d’attestations pour protester contre les propos irresponsables de Macron sur le « contrôle au faciès », mais qu’en est-il maintenant ? La police subit un véritable macromatraquage de délires, comme l’épisode récent du gag des « zones sans contrôles d’identité » de la « défenseure des droits » (sic). Le Figaro a publié le 19 février une hagiographie du Préfet Lallement sur les contrôles renforcés. Extrait édifiant : « il y aura quelques tolérances, pour les sportifs, par exemple. « Les sorties indispensables à l’équilibre de chacun, le sport et l’activité physique individuels en plein air sont autorisés en dehors des horaires du couvre-feu, dans le respect des gestes barrières et en évitant tout rassemblement », indique le préfet Lallement. « En revanche, poursuit-il, les activités physiques en groupe d’adultes sont interdites ». Par ailleurs, « les parcs et jardins, ainsi que les lacs et plans d’eau restent accessibles, mais il n’est pas possible de s’y regrouper au-delà de 6 personnes », précise Didier Lallement. « L’heure n’est pas au relâchement de la vigilance collective », insiste ce grand commis, réputé pour sa fermeté et qui – il le reconnaît volontiers – ne cherche pas à se rendre populaire ». Quand on lit ce genre de prose digne d’Albert Londres, on se demande comment des policiers peuvent faire respecter des absurdités qui se contredisent du jour au lendemain, et dans quelles limites un citoyen est coupable quand la loi change à vue et qu’il faut consulter Internet avant de sortir de chez soi ? Personnellement, j’ai imprimé cette entrevue et un article de Profession gendarme, et je les porte sur moi en guise d’ausweis en cas de contrôle lorsque je me promène le soir. On verra bien… Quant au plumitif qui publie ça sans le moindre esprit critique, je lui conseille de relire la devise de son journal. Ne serait-ce pas : « Sans le plaisir de flagorner, il n’est aucune reptation jouissive » ?

Des problèmes matériels aux délires indigénistes

Linda Kebbab témoigne des éternels problèmes matériels dénoncés dans les films et romans policiers, comme les véhicules de police auxquels le contrôle technique est accordé par miracle… Elle dénonce aussi la politique du chiffre, en donnant un exemple : « vingt timbres-amendes mensuels et par policier ». Elle préfère écouter les explications des gens et ne pas les verbaliser quand ils la convainquent. Elle explique comment une affaire résolue de 20 voitures vandalisées dans un parking devient 20 affaires résolues pour satisfaire à cette politique du chiffre ! On préfère verbaliser 50 fumeurs de joints parce que cela fait 50 « affaires élucidées », plutôt que de tracer pendant un an un dealer, ce qui ne fera qu’une affaire ! On ne croirait pas à une telle bêtise si ce n’était une personne qui le vit de l’intérieur qui nous le disait, et cette bêtise est la même que l’on subit au sein du ministère de la santé avec le délire du covidisme !
De mon côté, je suis un honnête citoyen qui a peu eu affaire à la profession ! Enfin si, il y a des trucs qui m’agacent, comme le fait, pour faire réduire le nombre de plaintes, de mettre des messages dissuasifs et intimidants sur les répondeurs de la police, ou de forcer les agents qui répondent à employer des phrases automatiques du type « Quelle est votre urgence ? », sans oublier les répondeurs qui vous font attendre un quart d’heure ; ou encore lorsque j’ai eu à déposer des plaintes (cela m’est arrivé trois ou quatre fois), le fait de nous demander sur le trottoir à l’extérieur du commissariat, d’expliquer pourquoi on vient. Cela donne envie de répondre à voix haute : « Parce que je me suis fait violer à coup de matraque par un commissaire » ! Dans le XVIIIe, j’ai même eu à déposer plainte à côté d’un autre plaignant face à un autre inspecteur, seulement séparés par une cloison de plexiglas ! À force, pour des faits mineurs, pas mal de gens renoncent à porter plainte. Politique du chiffre !
Linda Kebbab brocarde aussi la « vaste blague » de la « police de sécurité du quotidien » (PSQ) mise en place en 2018, mais qui ne fait que changer d’étiquette quelques agents des commissariats sur place ! (p. 273). Et puis le laxisme est patent : « Car on ne peut pas faire éternellement de la pédagogie avec les délinquants, les dealers, les receleurs ou ceux qui braquent à longueur d’année la pharmacie du coin… Il faut que l’administration laisse les policiers agir, afin de permettre à ceux qui veulent vivre en paix de pouvoir le faire. Il faut qu’on arrête de nous demander de ne pas intervenir, de ne pas lutter pleinement et de manière pérenne contre le trafic de stups ou la rapinerie, au prétexte que ceux-ci sont un revenu pour des familles. Il faut que tous les élus, à échelle nationale et locale, ne ferment plus les yeux sur toutes ces défaillances. Voire qu’ils cessent, pour certains, d’en être complices. Car les banlieues sont une réserve électorale de personnes qui peuvent voter, et surtout influencer le vote des habitants, en fonction de ce que l’on voudra bien leur donner : postes à responsabilités dans les municipalités, financements associatifs écrans ou tolérance sur les trafics… » (p. 274). Elle règle leur compte aux militants « indigénistes » financés par l’étranger : « De plus en plus présents dans les milieux influents, ces militants sont journalistes, avocats, syndicalistes, politiques, professeurs… Ils font également appel à des people qui mettent leur notoriété au service de la démocratisation de leurs idées, de leur « combat », avec toujours pour argumentaire le racisme prétendument systémique des institutions et de la police. Leur idéologie, distillée à force d’omniprésence dans les quartiers et grâce à des financements aux origines incertaines, est organisée autour de plusieurs thématiques : décolonialisme des esprits ; détestation des forces de l’ordre, jugées partie intégrante de l’arsenal de domination ; rejet de la République dont les valeurs – notamment celle de la laïcité – serviraient selon eux à bâillonner les minorités dominées ; nécessité d’accaparer un territoire sur la base de critères ethniques et cultuels. Car, en plus de toujours racialiser leurs discours, ils prennent en otage la religion, qu’ils ne maîtrisent pourtant pas. Mais ils savent qu’elle peut être un excellent vecteur de communication, surtout auprès d’une jeunesse en quête d’un cadre moral indiscutable ». Elle évoque le « community organizing » subventionné qui offre à certains de ces militants des voyages d’échanges aux États-Unis permettant aux États-Unis de manipuler nos banlieues sur lesquelles ils ont plus d’informations que les services français ! Je suppose que les lecteurs de Profession gendarme nous donneront des précisions, mais il me semble évident que toutes ces vraies-fausses associations ne sont guère spontanées, et sont l’émanation de milliardaires comme Soros qui ont décidé de déstabiliser l’Occident.
Un long développement est consacré à l’affaire Traore, où avec beaucoup de ménagements, elle explique que la « victime » de la police a été appréhendée « parce qu’il a décampé à l’instant où il les a vus arriver, jetant et abandonnant brusquement sa bicyclette par terre. Par la suite, on retrouvera sur lui du produit stupéfiant et mille trois cents euros en liquide » (p. 284). Elle rappelle les différences fondamentales entre les méthodes de police française et étasunienne : « Aux États-Unis, on compte près d’un millier de décès par an consécutifs à des actions de police. En France ? Une dizaine tout au plus (certes, c’est déjà trop) sur les trois millions d’interventions menées par les forces de l’ordre sur la voie publique. Une dizaine de morts, parmi lesquels des terroristes ; ou des mis en cause abattus parce qu’ils étaient eux-mêmes en train de tuer quelqu’un ; ou encore des personnes ayant fait un accident vasculaire, souvent dû à une consommation excessive d’alcool ou de stupéfiants peu avant l’interpellation ».
Elle regrette le formatage des jeunes issus de l’immigration : « Le problème des gamins de ces cités, c’est qu’ils ne sont pas dans cette déconstruction. Mais dans l’aliénation. Des idéologues font croire à ces jeunes qu’ils pensent et luttent, alors qu’en réalité ils sont rangés dans une boîte. Et cette boîte leur donne d’office un rôle dicté par leur couleur de peau : pour eux, être arabe ou noir, c’est forcément être abonné à la souffrance, à la répression, au racisme des forces de l’ordre, à celui de la justice, c’est subir des violences, voire « des massacres dans le RER tous les matins ». Où est leur liberté, où est leur choix ? Nulle part » (p. 289). Elle cite une tribune qu’elle a rédigée, publiée par Marianne le 11 juin 2020 et cosignée par une soixantaine de collègues : « Nous sommes des femmes et des hommes, noirs, arabes, métis, asiatiques, originaires des DROM-COM, des anciennes colonies, chrétiens, musulmans, juifs, hindous, athées, hétérosexuels, homosexuels, de toute opinions philosophiques ou politiques... Nous sommes la diversité de la France qu’elle porte dans nos récits familiaux. Nous réaffirmons notre fierté d’appartenir à la nation française, engagés pour secourir et protéger dans ce pays où nous sommes nés, dont nous avons acquis la citoyenneté. Nous condamnons les injures dégradantes sur nos complexions selon lesquelles nous serions des "vendus", des "nègres de maison", des "arabes de service" ».
Le ministre agit d’une façon totalement contraire selon elle aux intérêts de la police et des citoyens, en prétendant interdire la technique de la « clé d’étranglement » (pourtant pas en cause dans l’affaire Traore). Le syndicat appelle les agents à mettre à terre leurs menottes, et cela forcera le gouvernement à faire machine arrière sur les accusations de racisme et sur la « clé d’étranglement ».
À la fin de son livre, Linda Kebbab déclare se lancer dans la création d’un laboratoire d’idées (« think tank ») sur la sécurité intérieure. Elle établit une liste de spécialistes qu’elle souhaite consulter, très orientée police et justice, avec une pincée de sociologues. Vu la qualité du « conseil scientifique » qu’on a eu pour le covid, si je puis me permettre, autant y ajouter des citoyens impliqués. Depuis que je réfléchis à ces questions, je me dis que la sécurité, c’est multifactoriel, et si j’ai déjà proposé un article de fond intitulé « Vols de Vélibs & « Théorie de la Vitre cassée » », je pense aussi à un genre de mesures qui seront plus facilement envisagées par des gens dont on est sûr qu’ils ne sont pas financés en sous-main par telle ou telle obédience. Par exemple sur la question des violences faites aux femmes, parmi les suggestions que je ferais, il y aurait l’obligation pour tous les clubs de sports de combat ou collectifs réputés masculins, de respecter une parité assez stricte, c’est-à-dire en gros on inscrit un homme, une femme. Tu veux apprendre la boxe ou le foot, eh bien viens avec ta petite sœur. Quand je fais mon jogging vers la porte de la Villette, je remarque un club de boxe qui donne sur les quais, qui a ceci de remarquable qu’il y a plein de nanas. Ne font-ils pas autant pour la sécurité intérieure que les vociférations boboïdes de Virginie Despentes ou Adèle Haenel ? Quant à la parité dans les écoles, il faudrait y veiller dans les deux sens. Le lycée où j’enseigne est spécialisé dans les métiers du bâtiment. On cherche à augmenter la proportion de filles. Bien, mais en parallèle, j’apprends que dans les écoles d’architecture, il y a 80 % de filles. Alors c’est quoi la solution pour les mecs qui n’ont pas un bac mention très bien ? Le deal ? Et puis on obtiendrait plus de sécurité pour moins d’argent en instaurant l’obligation pour les immeubles de plus de disons 40 logements, d’embaucher un gardien, ce qui fera en outre de l’emploi non délocalisable. Et restaurer un vrai travail d’éducateurs spécialisés qui aillent sur le terrain. C’était le travail de ma mère, qui m’emmenait les mercredis quand j’étais môme dans les taudis de Clichy-sous-Bois où elle travaillait. Tout cela a été abandonné, au profit d’une gestion administrative. « Le tout numérique m’a tuer ». Bref, chère Mme Kebbab, si vous faites un think tank, pensez à la base des autres métiers que les flics. Il faut gilet-jauniser les think-tanks !

 J’ai rendu compte du travail d’inspecteurs de police dans cet article Harcèlement homophobe d’un prof en lycée.

 Article repris sur Profession gendarme.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Linda Kebbab au micro d’André Bercoff sur Sud-Radio le 25 novembre 2020.


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