Accueil > Culture générale et expression en BTS > Invitation au voyage… > Sujet de CGE en BTS « Invitation au voyage… » : Abel ou Caïn ?

L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir

Sujet de CGE en BTS « Invitation au voyage… » : Abel ou Caïn ?

Un sujet de Culture Générale & Expression pour s’entraîner.

samedi 25 mars 2023, par Lionel Labosse

Voici un sujet d’examen blanc sur le thème 2023-2024 « Invitation au voyage… », que j’ai concocté pour mes étudiants de BTS 2e année. J’ai prélevé les textes 1 et 2 en m’inspirant des parascolaires disponibles, mais en vérifiant scrupuleusement les textes dans les livres mentionnés en référence, et en rectifiant quelques coquilles. J’ai trouvé le texte 3 par moi-même pour constituer un corpus cohérent ; et le doc 4 est un des tableaux figurant sur la liste du BO. Pour information, des contingences m’ont forcé à proposer ce corpus assez tôt dans la séquence sur ce thème en 2023, et j’ai eu en tête de proposer un sujet d’écriture personnelle qui permette d’exploiter le cours sur le thème « Dans ma maison », notamment la question de la sédentarité.
À vos stylos : vous avez quatre heures pour la synthèse & l’écriture personnelle, et sans aucune aide.
Je résisterai vaillamment aux demandes insistantes des celles & ceusses qui souhaiteraient m’extorquer avec plus ou moins de politesse le corrigé ; il ne sera en ligne que dans un an, quand j’aurai à nouveau fait bûcher mes étudiants de 2024 sur le même sujet… (vu la quantité de travail que demande un sujet original et son corrigé exhaustif, mes estimables collègues comprendront qu’on se le garde sous le coude pour l’année suivante !) Et voici ledit corrigé publié en février 2024 : Corrigé du sujet de CGE en BTS « Invitation au voyage… » : Abel ou Caïn ?.

Examen blanc de Culture générale et expression sur le thème « Invitation au voyage… »

PREMIÈRE PARTIE : SYNTHÈSE (/ 40 points)

Vous rédigerez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :

Document n°1 : Mémoires d’outre-tombe (1848), François-René de Chateaubriand, Quatrième partie, Livre quarante-quatrième, chapitre 5, « L’avenir. — Difficulté de le comprendre ». Édition de la Pléiade, tome 2, pp. 23-24 [1].

Document n°2 : « Vagabondages » (1902) Isabelle Eberhardt, Œuvres complètes : Écrits sur le sable, Tome I, Grasset 1988, pp. 27-28.

Document n°3 : « Le tourisme post-Covid sera-t-il virtuel ? », Stéphane Bourliataux-Lajoinie, 14 janvier 2021, site The Conversation.

Document n°4 : Les Compagnes de voyage (The Travelling Companions) (1862), Augustus Egg.

DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURE PERSONNELLE (/ 20 points)

Sujet
« L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir ; il porte avec lui l’immensité. » Êtes-vous d’accord avec cette citation de François-René de Chateaubriand ?

Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les documents du corpus, les œuvres étudiées pendant l’année et vos lectures et connaissances personnelles.

Le corpus

Document n°1 : Mémoires d’outre-tombe (1848), François-René de Chateaubriand, Quatrième partie, Livre quarante-quatrième, chapitre 5, « L’avenir. — Difficulté de le comprendre ».
François-René de Chateaubriand est un écrivain & homme politique français. Diplomate et voyageur, il est considéré comme précurseur des romantiques (pré-romantique). Les Mémoires d’outre-tombe parus à titre posthume dès 1849, sont à la fois un chef-d’œuvre autobiographique & un témoignage historique de premier plan. Dans cet extrait, Chateaubriand s’interroge sur les conséquences qu’auraient, dans l’avenir, les progrès permettant aux hommes de voyager plus facilement.

La folie du moment est d’arriver à l’unité des peuples et de ne faire qu’un seul homme de l’espèce entière, soit ; mais en acquérant des facultés générales, toute une série de sentiments privés ne périra-t-elle pas ? Adieu les douceurs du foyer ; adieu les charmes de la famille ; parmi tous ces êtres blancs, jaunes, noirs, réputés vos compatriotes, vous ne pourriez vous jeter au cou d’un frère. N’y avait-il rien dans la vie d’autrefois, rien dans cet espace borné que vous aperceviez de votre fenêtre encadrée de lierre ? Au delà de votre horizon vous soupçonniez des pays inconnus dont vous parlait à peine l’oiseau de passage, seul voyageur que vous aviez vu à l’automne. C’était bonheur de songer que les collines qui vous environnaient ne disparaîtraient pas à vos yeux ; qu’elles renfermeraient vos amitiés et vos amours ; que le gémissement de la nuit autour de votre asile serait le seul bruit auquel vous vous endormiriez ; que jamais la solitude de votre âme ne serait troublée, que vous y rencontreriez toujours les pensées qui vous y attendent pour reprendre avec vous leur entretien familier. Vous saviez où vous étiez né, vous saviez où serait votre tombe ; en pénétrant dans la forêt vous pouviez dire :
Beaux arbres qui m’avez vu naître,
Bientôt vous me verrez mourir. [2]
L’homme n’a pas besoin de voyager pour s’agrandir ; il porte avec lui l’immensité. Tel accent échappé de votre sein ne se mesure pas et trouve un écho dans des milliers d’âmes : qui n’a point en soi cette mélodie, la demandera en vain à l’univers. Asseyez-vous sur le tronc de l’arbre abattu au fond des bois : si dans l’oubli profond de vous-même, dans votre immobilité, dans votre silence vous ne trouvez pas l’infini, il est inutile de vous égarer aux rivages du Gange.
Quelle serait une société universelle qui n’aurait point de pays particulier, qui ne serait ni française, ni anglaise, ni allemande, ni espagnole, ni portugaise, ni italienne, ni russe, ni tartare, ni turque, ni persane, ni indienne, ni chinoise, ni américaine, ou plutôt qui serait à la fois toutes ces sociétés ? Qu’en résulterait-il pour ses mœurs, ses sciences, ses arts, sa poésie ? Comment s’exprimeraient des passions ressenties à la fois à la manière des différents peuples dans les différents climats ? Comment entrerait dans le langage cette confusion de besoins et d’images produits des divers soleils qui auraient éclairé une jeunesse, une virilité et une vieillesse communes ? Et quel serait ce langage ? De la fusion des sociétés résultera-t-il un idiome [3] universel, ou bien y aura-t-il un dialecte de transaction servant à l’usage journalier, tandis que chaque nation parlerait sa propre langue, ou bien les langues diverses seraient-elles entendues de tous ? Sous quelle règle semblable, sous quelle loi unique existerait cette société ? Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité [4], et rétrécie par les petites proportions d’un globe fouillé partout ? Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète.

Document n°2. « Vagabondages » (1902) Isabelle Eberhardt, Œuvres complètes : Écrits sur le sable, Tome I.
Isabelle Eberhardt (Genève, 1877 – Aïn-Sefra (Algérie), 1904) est une exploratrice, journaliste et écrivaine née suisse de parents d’origine russe, devenue française par mariage. Polyglotte, elle se passionne pour le Maghreb, la culture arabe & la civilisation islamique. Elle voyage le plus souvent sous un nom & des habits d’homme. Elle meurt accidentellement lors de la crue d’un oued.

Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage.
Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des routes, c’est la liberté.
Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la faiblesse de notre cœur, sous prétexte de liberté, ont chargé notre geste, s’armer du bâton et de la besace symboliques, et s’en aller !
Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté (car on n’est libre que tant qu’on est seul), l’acte de s’en aller est le plus courageux et le plus beau.
Égoïste bonheur, peut-être. Mais c’est le bonheur, pour qui sait le goûter.
Être seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et marcher, solitaire et grand à la conquête du monde.
Le chemineau [5] solide, assis sur le bord de la route, et qui contemple l’horizon libre, ouvert devant lui, n’est-il pas le maître absolu des terres, des eaux et même des cieux ?
Quel châtelain peut rivaliser avec lui en puissance et en opulence ?
Son fief n’a pas de limites, et son empire pas de loi.
Aucun servage [6] n’avilit son allure, aucun labeur ne courbe son échine [7] vers la terre qu’il possède et qui se donne à lui, toute, en bonté et en beauté.

Le paria, dans notre société moderne, c’est le nomade, le vagabond, « sans domicile ni résidence connus ».
En ajoutant ces quelques mots au nom d’un irrégulier quelconque, les hommes d’ordre et de loi croient le flétrir à jamais.
Avoir un domicile, une famille, une propriété ou une fonction publique, des moyens d’existence définis, être enfin un rouage appréciable de la machine sociale, autant de choses qui semblent nécessaires, indispensables presque à l’immense majorité des hommes, même aux intellectuels, même à ceux qui se croient le plus affranchis.
Cependant, tout cela n’est que la forme variée de l’esclavage auquel nous astreint le contact avec nos semblables, surtout un contact réglé et continuel.
J’ai toujours écouté avec admiration, sans envie, les récits de braves gens ayant vécu des vingt et trente ans dans le même quartier, voire dans la même maison, qui n’ont jamais quitté leur ville natale.

Ne pas éprouver le torturant besoin de savoir et de voir ce qu’il y a là-bas, au-delà de la mystérieuse muraille bleue de l’horizon… Ne pas sentir l’oppression déprimante de la monotonie des décors… Regarder la route qui s’en va toute blanche, vers les lointains inconnus, sans ressentir l’impérieux besoin de se donner à elle, de la suivre docilement, à travers les monts et les vallées, tout ce besoin peureux d’immobilité, ressemble à la résignation inconsciente de la bête, que la servitude abrutit, et qui tend le cou vers le harnais.

À toute propriété, il y a des bornes. À toute puissance, il y a des lois. Or, le chemineau possède toute la vaste terre dont les limites sont l’horizon irréel, et son empire est intangible, car il le gouverne et en jouit en esprit.

Document n°3. « Le tourisme post-Covid sera-t-il virtuel ? » Stéphane Bourliataux-Lajoinie, 14 janvier 2021, site The Conversation.
The Conversation est un média en ligne et une association à but non lucratif, basés sur une collaboration entre experts et journalistes, avec pour objectif de « partager le savoir, en faisant entendre la voix des chercheuses et chercheurs dans le débat citoyen ». Stéphane Bourliataux-Lajoinie est maître de conférences en Marketing Digital au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM).

La pandémie que nous traversons a fortement impacté l’économie mondiale, le secteur du tourisme a particulièrement souffert de l’arrêt des déplacements et de la défiance vis-à-vis des lieux publics. Face aux contraintes, les sites ont su faire preuve d’inventivité. […]
Avec le confinement, la visite virtuelle s’est rapidement généralisée. Au printemps 2020, le Musée du Louvre a ainsi attiré 10 millions de visiteurs en ligne (gratuits) en deux mois, contre 14 millions de visites physiques (payantes et gratuites) dans l’année 2019. [8]
Une nouvelle forme de tourisme ?
Si l’on peut se réjouir de la continuité de l’intérêt porté au Louvre, on ne peut que s’interroger sur le modèle économique de ces visites. Nous constatons une vraie demande (certainement forcée par le confinement mais existante), d’où la possibilité de créer une nouvelle forme de visite (et de billets) pour permettre au site de vivre. […]
Quatre éléments peuvent plaider en la faveur d’une nouvelle forme de tourisme fondé sur les visites virtuelles.
 La perception des risques liés à la visite mettra du temps à s’effacer de l’esprit des touristes. Plusieurs études ont montré que la résilience des touristes envers les destinations « sensibles » était longue. L’Égypte n’a par exemple jamais retrouvé son économie du tourisme d’avant les troubles géopolitiques. Désormais, le risque sanitaire, réel ou perçu, peut donc inciter à des visites virtuelles des sites, cette solution étant exempte de risques.
 L’impact écologique du tourisme. Régulièrement décrié, l’impact écologique du tourisme s’est surtout concrétisé par l’absence de pollution durant le confinement. Nombre de sites touristiques, comme Venise, ont vu la nature reprendre sa place. Tout comme les archéologues utilisent la VR [9] pour visiter des sites disparus, la sauvegarde des sites existants ne passe-t-elle pas, en partie, par des visites virtuelles ?
 La réappropriation des lieux par les habitants. Le « surtourisme », mot créé pour dénoncer l’industrialisation massive de certains sites touristiques, apparaît comme un problème récurrent depuis 10 ans. Face à un choix drastique d’équilibre entre le tissu économique local et le flux incontrôlé de touristes, plusieurs municipalités (Venise, Split, Barcelone, Phuket, etc.) tentent de rebondir pour construire un nouveau modèle économique pour un tourisme moins dépendant de la masse de visiteurs, donc moins sujet à de futurs problèmes de déplacement, moins impactant pour l’environnement et mieux accepté par les riverains.
 Enfin, la visite virtuelle a le pouvoir de démocratiser un luxe jusqu’alors réservé à une minorité : la visite privative d’un lieu. Qui n’a jamais eu envie de passer un peu de temps à saisir le regard de la Joconde ou la perspective de la galerie des Glaces du château de Versailles ?
Bien évidemment, on objectera en toute logique l’absence d’échanges humains, de plaisir et de sensation lors de la visite. Cependant, ce serait oublier les travaux sur la valeur sociale, hédoniste [10] ou encore l’immersion dans l’expérience de consommation que plusieurs chercheurs portent depuis des années. Il reste possible de visiter ensemble (mais chacun chez soi) le Louvre tout en échangeant entre participants.
Cela se fait depuis des années pour les jeux en ligne, et la technologie reste identique dans le cas d’un musée ou d’un site. Les équipements (là encore dédiés aux jeux en ligne) d’immersion permettent en effet désormais de marcher, de bouger quasiment comme dans un environnement réel. […]

Document n°4. Les Compagnes de voyage (The Travelling Companions) (1862), Augustus Egg.
Augustus Egg (1816, Londres - 1863, Alger), peintre anglais, est principalement connu pour ce tableau Les Compagnes de voyage, qui représente un compartiment de train sur la Côte d’Azur, vers Menton. [11]

Les Compagnes de voyage (The Travelling Companions) (1862), Augustus Egg.
© Wikicommons


 Sujet concocté par Lionel Labosse. Consulter le Corrigé du sujet de CGE en BTS « Invitation au voyage… » : Abel ou Caïn ?.


© altersexualite.com, 2023. Reproduction interdite.


[1Le chapitrage de cette édition sur laquelle j’ai vérifié le texte est très différent des autres éditions, notamment celle utilisée dans le parascolaire GF.

[2Citation de « Ode à Fontenay », poème de Guillaume Anfrye, abbé de Chaulieu (1639-1720), poète français oublié.

[3Idiome : langue propre à une nation, à un groupe humain.

[4Faculté d’être présent physiquement à deux ou plusieurs endroits en même temps.

[5Homme qui erre par les chemins, vivant de menus travaux, de charité, ou de larcins.

[6Servage, servitude : condition du serf, assujettissement, soumission.

[7Colonne vertébrale, dos.

[8Pour la petite histoire, les étudiants à qui j’ai proposé ce sujet allaient bénéficier d’une visite guidée au Louvre…

[9VR : réalité virtuelle, qui modélise en 3D un environnement pour pouvoir s’y promener virtuellement.

[10Voué à la recherche systématique du plaisir, de la satisfaction des sens.

[11Après l’épreuve, on pourra communiquer aux étudiants cette analyse du tableau.