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Auteur par accident !

Entrevue de Guillaume Bourgault

Auteur de Philippe avec un grand H

samedi 28 avril 2007

« Les ados sont déjà bombardés par des images faisant référence à la sexualité. Alors même si on ne le mentionne pas explicitement, ils se l’imagineront. Ce que je déplore le plus, c’est que la sexualité est de plus en plus présentée hors contexte, comme une fin en soi, sans la tendresse et la communication qu’elle nécessite pour être vécue de manière constructive. C’est d’ailleurs ce qui m’apparaissait le plus important, car les jeunes bien souvent ne pensent à l’homosexualité qu’en fonction de la génitalité. »

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pour commencer, souhaitez-vous réagir à notre article sur Philippe avec un grand H ?
 L’insulte à la page 160 est bien gentille à côté de ce que j’avais écrit au départ, ainsi qu’un peu partout dans le roman… et aussi à côté de tout ce que j’ai pu entendre quand j’avais cet âge. J’avais un souci de réalisme, mais j’ai dû faire des compromis et faire confiance à mon éditeur pour atteindre mon objectif, qui était d’être lu dans les écoles.

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié ?
 Je termine cette année un bac en génie chimique à l’École Polytechnique de Montréal. Je ne me considère pas quelqu’un de très littéraire, je suis seulement curieux de tout et n’importe quoi. Mon incursion sur la scène littéraire en tant qu’auteur est accidentelle si je puis dire. J’avais un message à passer, un objectif, et j’ai pris le chemin le plus court pour y arriver. J’ai bien d’autres idées, mais je me sens de plus en plus loin du monde des ados (les adultes de demain) pour leur parler d’une façon qui les touche. Si j’écris d’autres romans, ce sera parce que j’aurai un message bien précis à passer.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Le personnage principal, Philippe, est un adolescent de 15 ans qui se découvre une attirance physique et affective pour les hommes. Il comprend alors toutes les implications de sa différence et cela déclenche en lui une série de questionnements sur les stéréotypes et les rôles sociaux traditionnels.

 À quelle classe d’âge votre livre s’adresse-t-il ? S’adresse-t-il plutôt aux écoliers, collégiens, lycéens ?
 J’ai écrit ce livre pour les étudiants du secondaire (12 ans et plus). Mon objectif étant de faire une différence dans le climat homophobe qu’on rencontre toujours dans les écoles secondaires, il fallait penser à ce qu’on le lise le plus tôt possible. Les premières années après la découverte de l’homosexualité sont particulièrement cruciales, et les traumatismes peuvent être longs à guérir. Au contraire, une bonne acceptation du milieu menant à une bonne estime de soi fait toute la différence dans tellement tous les aspects de la réussite sociale et professionnelle. Même si certains passages du roman sont un peu crus, le destiner à un public de 15 ou 16 ans serait le faire passer à côté de son objectif premier.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde - de près ou de loin - les questions altersexuelles ?
 J’ai compris que j’étais gai à 14 ans. J’avais bien une idée de ce que c’était, mais toute la littérature ou l’information que j’ai pu trouver à ce sujet traitait de l’homosexualité comme le fait des adultes, ce qui a amplifié mon sentiment d’isolement. Pourtant, j’avais comme une intuition que je n’étais pas le seul de mon âge qui faisait cette prise de conscience. J’ai vu combien ce sujet était tabou, même si on en parlait un peu dans les cours de FPS. Il n’y avait pas de modèle d’adolescent gai, nulle part, et j’ai compris qu’on manquait d’outils pour en parler. Qu’à cela ne tienne, j’allais en créer un, en me basant sur ce que je connaissais de mieux : moi-même. Je voulais donc briser le sentiment d’isolement des adolescents découvrant leur homosexualité (particulièrement en région, où se déroule l’intrigue), et aussi sensibiliser les autres adolescents à la réalité. En la montrant telle qu’elle est vécue, de l’intérieur, je savais que cela aurait un impact positif sur les attitudes homophobes.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou roman « LGBT » ?
 Je déteste toutes les étiquettes et les catégories. Je comprends ce besoin de se regrouper, étant donné la perception de marché restreint des éditeurs face à la littérature campant de manière exclusive ou dominante la réalité des LGBT. Mais pour ma part, je trouve qu’une telle étiquette ne servirait pas mon propos car mon roman s’adresse autant aux LGBT qu’aux hétéros.

  Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Je préfère dire que mon roman s’inscrivait dans une perspective humanitaire ou alors de solidarité sociale. La souffrance et l’isolement des adolescents LGBT, menant souvent au suicide, des dépendances aux drogues, alcool ou à une faible estime de soi aux conséquences désastreuses, cette souffrance donc, n’a pas sa raison d’être. Tout le monde y perd car on ne peut pas profiter de la créativité et de la sensibilité différentes dont ils sont porteurs. Je ne lutte pas spécifiquement pour l’amélioration du sort des LGBT. J’ai un grand désir de contribuer à améliorer le monde dans lequel on vit, et lorsque j’avais 16 ans (au moment d’écrire ce roman), c’est la réalité que je connaissais.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ?
 Oui. Tout est dans le traitement. Le pire selon moi est de ne pas parler de quelque chose.

 Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse doit être revue ou supprimée ? Pourquoi ?
 Il vaudrait mieux veiller à ce qu’il soit appliqué de manière à non-discriminatoire.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Il faudrait se garder de le faire à chaque fois. Les ados sont déjà bombardés par des images faisant référence à la sexualité. Alors même si on ne le mentionne pas explicitement, ils se l’imagineront. Le niveau de détail importe moins que la connotation accolée aux passages. Ce que je déplore le plus, c’est que la sexualité est de plus en plus présentée hors contexte, comme une fin en soi, sans la tendresse et la communication qu’elle nécessite pour être vécue de manière constructive. Étant donné le climat frileux et la nouveauté de l’homosexualité à l’adolescence dans la littérature jeunesse, je me suis limité à décrire un peu de sensualité. C’est d’ailleurs ce qui m’apparaissait le plus important, car les jeunes bien souvent ne pensent à l’homosexualité qu’en fonction de la génitalité.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 La seule difficulté est d’en parler de manière réaliste. C’est malheureux, mais les gens et particulièrement les adolescents se font une vision du monde de plus en plus basée sur des oeuvres de fiction. Alors les auteurs se retrouvent avec l’énorme responsabilité de ne pas se retrouver avec une armée d’adultes vivant dans un monde plein d’illusion et d’attentes impossibles à combler.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 Philippe, c’est bien l’adolescent que j’ai été, à quelques variations près. Certains évènements aussi sont autobiographiques, mais d’autres non.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Comme je l’avais prévu, mon roman a été très bien accueilli car il répondait à un besoin. À cet effet, je voudrais citer Giselle Desroches, critique littéraire jeunesse pour le quotidien Le Devoir, basé à Montréal : Bref, on en est encore à compter les tentatives d’aborder le sujet sur le bout de nos doigts. Et voilà que Philippe avec un grand H est là. Tout simplement. Avec tant de naturel qu’on se demande comment il se fait qu’il ne soit pas arrivé avant.

 Pouvez-vous nous donner des précisions sur l’insulte « fif », totalement inconnue en France. Quelles sont les autres insultes courantes dans les cours de récréation ?
 « Fif », c’est l’insulte usuelle, équivalente au pédé français, j’imagine.

 Est-ce que vous avez noirci la réalité, ou est-ce que les réactions violentes d’homophobie telles que vous les décrivez sont courantes au Canada ?
 Je suis peu au courant du nombre de crimes à caractère homophobe au Canada. Je sais qu’il y a eu quelque chose comme une cinquantaine de meurtres sur le territoire du quartier gai de Montréal depuis les années 70, mais comme partout ailleurs, c’est bien difficile de faire admettre à la police qu’un crime est à caractère haineux.

 Est-ce que les autorités appuient au Canada (ou au Québec seulement) la lecture d’ouvrages pour la diversité sexuelle ?
 Pas particulièrement. Mon roman est lecture obligatoire dans plusieurs écoles secondaire, mais il s’agit d’initiatives d’enseignants.

 Est-ce que maintenant vous intervenez dans des établissements scolaires en tant qu’auteur et non plus en tant que militant ? Pour des élèves de quel âge ?
 J’ai fait quelques interventions dans des classes pour des étudiants de 13 à 15 ans. Mon roman est mon appui premier et ma visite est comme un complément de la lecture du roman, comme pour boucler la boucle, pour voir la face de l’extra-terrestre qui a écrit ça !

 Quelle est votre position sur l’utilisation du joual. Pensez-vous que ce soit un frein pour le succès des ouvrages canadiens dans le reste du monde francophone ?
 À en croire la critique de mon roman faite sur votre site, le joual semble un des éléments qui lui donne plus de charme et d’exotisme ! Les ouvrages en joual sont plutôt rares ici, les auteurs s’enlignent vers un français international. Ceux qui utilisent le joual s’adressent principalement aux Québécois et font peu de cas d’un éventuel succès international, selon moi.

 Le mot « altersexualité » et ses dérivés sont-ils couramment utilisés au Canada francophone, et avec quelles connotations ?
 Peu utilisé. Je ne l’avais rencontré qu’à une seule reprise. Ça m’apparaît encore une de ces inventions politically correct, et comme vous dites, j’aime appeler un chat un chat ! Mais je comprends cette volonté de trouver un mot générique inclusif. Après avoir été exclus si longtemps, les gais « ordinaires » seraient bien malvenus de faire de l’exclusion eux-mêmes !

 Guillaume Bourgault, avril 2006. La photo a été prise par Lionel Labosse en octobre 2006, lors d’un passage de Guillaume Bourgault à Paris.

 Lire l’interview de Gaétan Chagnon et l’article sur Requiem gai, de Vincent Lauzon, auteurs canadien.
 Voir notre bibliographie canadienne.

Propos recueillis par Lionel Labosse.


Voir en ligne : Site de l’éditeur


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