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Autobiographie d’une jeunesse helvète. Pour le lycée.

Comme un autre, de Guy Poitry

La Joie de Lire, collection Rétroviseur, 2006, 224 p., 12 €.

jeudi 5 avril 2007

Un roman soigné à réserver aux bons lecteurs capables de lire entre les lignes, de comprendre l’ironie, et de s’intéresser à des sujets sérieux, à l’histoire du XXe siècle. Le thème de l’homosexualité est maintenu à distance respectueuse tout au long d’un texte parfois irritant par un ton volontairement tout (trop ?) en retenue, jusqu’à l’explosion finale où tout est dit en trente pages passionnantes.

Résumé

Dès l’enfance, Guy Poitry éprouve quelque difficulté à dire ou écrire son nom. Par exemple, pour écrire la lettre « y » : « C’est peut-être la lettre d’un garçon (on le lui confirmera en leçon de biologie, son Y l’a emporté sur les X), mais ce plaisir qu’il éprouve à la tordre, à l’enrouler, l’enrubanner, fait planer quelques doutes » (p. 11). Rien de bien extraordinaire dans cette vie de fils rangé. « C’est une enfance de petit Suisse ordinaire, dans une famille où la pharmacie est bien remplie » (p. 25). Études, lectures sérieuses, musique classique, intérêt approfondi pour la géopolitique ; l’auteur détaille tout cela dans son « rétroviseur » (titre de la collection). Ah ! si, la découverte de la masturbation par une lecture d’Henri Troyat (p. 74) vaut le détour, ainsi que la répercussion de l’évolution des moeurs autour de 1968 dans l’attitude plus ou moins répressive des enseignants vis-à-vis de la sexualité. Le personnage-narrateur est censé être né en 1956. L’évolution de la sexualité est évoquée par petites touches. Guy refuse de se montrer nu : « il ne supporte plus qu’on le voie en pyjama, qu’on puisse deviner là ce qui ne fait pas les Monique » (p. 126). Il reconnaît difficilement « qu’il ne s’appelle plus Monique », « Mais il ne se sent toujours pas pareil à ce qu’on veut que soit un garçon » (p. 140). Il observe d’abord autour de lui, timide. En colonie, il remarque l’attachement d’un garçon d’un an de plus que lui pour un moniteur de 17 ans. Ils prennent des douches ensemble, etc. « Les temps sont à la liberté des moeurs [...] tant qu’il n’y a pas contrainte, violence » (p. 147). Ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que l’auteur livre l’essentiel de ce qui a trait à l’homosexualité, en revenant sur ce qu’il avait tenu en retrait de son rétroviseur. C’est une vision dramatique : « S’avouer homosexuel, c’est anticiper sa fin : et cette fin ne peut être que violente » (p. 181). L’adolescent apprend des assassinats, des suicides, subit les médisances, les propos odieux d’un médecin chargé d’un cours d’éducation sexuelle. Petit à petit, il découvre quand même l’existence d’une « sexualité de pissotière » (p. 189), qui d’abord le dégoûte : « ce sera répugnant » (p. 204), puis il y trouvera son compte : « Il connaîtra une pluralité d’amours, de soir en soir, et parfois le même soir ; se donnera à tous » (p. 209). Un jeune Italien prostitué qu’il avait aimé se fait opérer à Casablanca ; c’est un échec. « Et il songe au couteau qui a pris cette fois la forme du bistouri ; qui n’a pas attenté à la vie de la personne, mais a tué malgré tout » (p. 211). Heureusement, une belle amitié pour Pedro, mais aussi une certaine complicité tolérante avec son frère, tiennent à distance la vision négative de la sexualité.

Mon avis

S’il n’y avait les chapitres finaux, cette autobiographie serait, pour un adolescent d’aujourd’hui, bien ennuyeuse. La leçon de géopolitique des années 60 et 70 tourne au pensum ; de trop nombreuses anecdotes manquent d’intérêt, et les références culturelles ne peuvent guère passionner au-delà de la génération de l’auteur. L’ouvrage justifie le nom de la collection : il s’agit d’un coup de rétroviseur sur l’enfance et l’adolescence, jusqu’au départ de la maison familiale : « partir de la maison, c’est trouver son indépendance, oui, mais non plus contre autrui. C’est tourner une page, mais non pas déchirer le livre » (p. 224). Le texte est truffé de paragraphes de contrepoint en retrait, souvent à la première personne, alors que le reste est plutôt à la troisième personne. Voici un exemple significatif : « il ne sera rien, ou jardinier, ou clochard, ou suicidé / je suis docteur ès lettres et chargé d’enseignement dans deux Universités » (p. 170). Le ton est pince sans rire, distancié, style classique travaillé au scalpel pour suggérer la passion bouillonnante sous l’allure bonhomme du « petit Suisse ». Il faut ménager la chèvre et le chou, être sans concession pour les blessures infligées notamment par « Madame Mère », mais en dépassant « le danger que courent ces lignes : celui d’apparaître comme l’expression d’une volonté de vengeance » (p. 44). Pari réussi. Un roman soigné, donc, à réserver aux bons lecteurs capables de s’intéresser à des sujets sérieux, à l’histoire du XXe siècle. Pourquoi ne pas le proposer en parallèle avec Les Confessions, de Jean-Jacques Rousseau, pour comparer à deux siècles et demi de distance la naissance d’une personnalité, voire certaines pages sur les premières expériences sexuelles ?

 Voir d’autres romans autobiographiques : Un ovni entre en scène, de Jonas Gardell, Gaïa, 2001, et On est forcément très gentil quand on est très costaud, de Dag Johan Haugerud.

Lionel Labosse


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