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Comment l’esprit vient aux hétéros…

Rue des Deux-Anges, de Sébastien Monod

Éditions Publibook, 2005, 138 p, 15,5 €

lundi 17 mars 2008

J’ai fait la connaissance de Sébastien Monod sur le stand de Publibook à l’occasion des séances de dédicaces 2008. Pas de chalands à l’horizon ; on papote en attendant que le temps passe, et le hasard produit parfois des rencontres amusantes. Mes deux voisins : Didier Pereira et Sébastien Monod. Le premier se trouve être un ancien élève du lycée où j’enseigne actuellement, et publie des ouvrages sur la thématique sport / développement durable (en un seul mot ; un de ces jours je publierai mon étude sur celui du râble…). Le second a publié un ouvrage dans la même collection que Karim & Julien, et se trouve aussi à ce titre mon « voisin » dans le catalogue imprimé de Publibook. Il avait été jadis à l’origine de personnages de l’excellente petite collection Les heures joyeuses (H&O), dont il avait coécrit un numéro, et il vient de mener à bien une expérience d’atelier d’écriture sur le thème de la ville de Rouen. Nous avons donc échangé nos livres.

Inventer des personnages semble une seconde nature, et Sébastien Monod adore jouer avec son lecteur. Rue des Deux-Anges est à considérer comme un conte moderne. Le thème est simple : on prend un garçon apparemment jeune et hétéro, sa compagne, ses parents et beaux-parents, une ville (Rouen), une rue, un immeuble avec sa concierge délibérément caricaturale, un couple de nouveaux voisins mystérieux, et on se retrouvre en fin de compte avec un garçon toujours jeune, mais un peu moins hétéro…

On ne taxera pas pour autant l’auteur d’hétérophobie, car après tout les hétérosexuels de son roman ne sont que veules, profiteurs, asociaux et brutaux, et il n’est pas allé jusqu’à en faire des sarkozystes ! Trêve de plaisanterie, le personnage principal — tant qu’il n’est qu’hétéro — en prend aussi pour son grade, et c’est d’autant plus amusant qu’il est aussi le narrateur. Le lecteur aura compris un peu plus vite que ce narrateur naïf que les foufounes ne constituent pas son seul centre d’intérêt. Par exemple lors d’un trajet en bus  [1], il croit que sa braguette est l’objet de la convoitise d’un passager, alors que celui-ci ne fait que s’amuser de ce qu’elle est ouverte (p. 23). Ou encore, lorsqu’il se contemple longuement dans une psyché (p. 29). Le narrateur est en conflit avec sa mère pour l’avoir prénommé Arsène, en référence au héros de Maurice Leblanc (rouennais lui aussi), Arsène Lupin. Il va se lancer pour accompagner sa compagne et à son corps défendant, sur la piste d’un mage incinérateur de fœtus (amplification d’un fait divers réel dont on trouvera les traces sur le site de l’auteur). Il a aussi des raisons d’en vouloir à son frère, qui l’utilisait à l’adolescence comme appât pour draguer les filles. Du coup, ce personnage est une véritable étude de cas de l’homophobie intériorisée, ou « peur de l’autre en soi » (formule de Michel Dorais), et son enquête rocambolesque sur l’incinérateur de fœtus se doublera d’une enquête sur lui-même.

Première étape : un collègue, suite à une méprise sur le mot « phoque » (p. 46), le croit gay et lui fait des propositions grossières. En fait, par associations d’idées, Arsène, qui pensait, à cause de la pluie, à des pingouins, prend une bâche pour un phoque, mais il est tellement naïf que ce sont ses collègues qui involontairement jouent le rôle du psychanalyste et l’imaginent gay. Deuxième étape : Arsène suit sa nouvelle voisine dans un bar de rencontres hétéro, monte avec elle et s’aperçoit à ses dépens que la voisine est un voisin. Le / la traiter de « sale pédé » (p. 89) est sa première réaction, qu’il aura bien sûr l’occasion de regretter dans son évolution future. Ce personnage de voisin / voisine est d’ailleurs intéressant en ce sens que s’il se travestit, il ne semble pas se sentir trans, mais uniquement homo (on croirait entendre la chanson d’Aznavour). Troisième étape, il frappe un jeune homme qui s’est masturbé en le matant, avant de se ressaisir. Je vous laisse découvrir les derniers rebondissements de ce bon petit roman facétieux et libertin.

 Lire l’avis de David Tong sur La Lucarne.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de l’auteur


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[1L’un des attraits de l’ouvrage est que vous saurez tout sur le Métro de Rouen, qui se révèle également riche en potentiel érotique.