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Des filles que tout sépare, sauf l’amour…

Vice versa, de Fanny Mertz

Éditions de la Cerisaie, 2008, 200 p., 15,5 €

samedi 5 avril 2008

Vice versa, le premier roman de Fanny Mertz rappelle étrangement Mémoire d’août, de Corinne Matthieu, paru chez le même éditeur. Mêmes thèmes, même style vif et soigné, même œil de moraliste, mêmes allers-retours entre Paris et la province, même construction alternant le passé et le présent. Il ne se passe rien d’extraordinaire, sauf l’amour entre deux femmes — et pas seulement elles — mais n’est-ce pas la plus extraordinaire des aventures au XXIe siècle ?

Tout oppose Fred et Lou, la chirurgienne andrologue et la chanteuse de cabaret. Fred a « un chemin de vie 8 » selon la « numérologie » (p. 13). S’agit-il de l’enneagramme, et quel est alors le « type » de Lou ? L’homosexualité de cette dernière est plus récente, et ni plus ni moins problématique. « Tout » les sépare — cependant la question politique n’est pas évoquée — sauf que « nos étreintes sont lumineuses, voilà l’ennui » (p. 11). Elles se quittent donc, avec porte dûment claquée. La narration nous mène alors, sur 200 pages, de l’une à l’autre et du passé au présent, dans leurs efforts pour s’oublier autant que pour se retrouver, en analysant ce qui, depuis l’adolescence, les a menées là où elles en sont. De l’amour des garçons à celui des femmes ou plus souvent d’une femme, même si la sexualité en soi est loin d’être rejetée. Le roman est nourri d’une sensualité torride, mais qui n’exclut pas le désir de fusion amoureuse : « Ébahie, je découvrais que les hommes n’ont pas le monopole de la drague lourde et de la convoitise triviale. Finalement, entre elles, à l’abri du regard masculin qui taxe très vite de salope une femme trop libérée, les filles osent des dialogues sans embarras » (p. 171). Les deux héroïnes passent de la honte, de la dissimulation à l’acceptation. Toutes les deux, sur leur chemin pour tenter de se retrouver, devront aller jusqu’à un traumatisme pour provoquer le coming-out nécessaire, et surtout retrouver la part d’amour maternel et paternel qui leur manquait. En passant, l’auteure suggère que l’homophobie n’est qu’un leurre, qui cache incompréhension, frustration ou souffrance (cf. les fulminations de la mère de Fred, p. 59, et son évolution à la fin du roman).

Si les hommes n’ont pas tous le beau rôle, on apprécie autant les portraits charge que les portraits flatteurs. Le beauf catho macho qui délaisse sa femme, honnit les lesbiennes et fréquente les prostituées, aussi bien que le vieux copain complice de salles de garde, André, qui avoue ses faiblesses et retrouve l’amour de sa femme grâce aux conseils de son amie lesbienne. Les scènes avec André sont savoureuses, et nous valent des salves dignes de la parenté à plaisanterie (cf. p. 84). Et certains amants délaissés par les filles sont attendrissants d’effacement ou de maladresse (p. 94). À l’adolescence, pourtant, Fred avait été traumatisée par les remarques de sa mère : « Ainsi, être amoureux est malsain, vicieux. Enfin, si on aime une fille. Parce que les garçons, cette bande de boutonneux bruyants et vulgaires occupés à compter les poils qui leur poussent sous le menton, eux, on peut les aimer » (p. 15). L’incompréhension en était sortie : « Malheureusement à quinze ans on ne parle pas, on pense qu’il suffit de haïr pour oublier » (p. 16). Les souvenirs de Fred confirment que l’orientation sexuelle n’a pas rien à voir avec l’identité de genre : « je jouais au papa, jamais à la maman, je m’entraînais assidûment à faire pipi debout sous le regard perplexe de mes petits copains d’alors […] » (p. 33). Si le sujet n’a rien d’original, on apprécie le roman de mœurs, et le style vif qui fait appel à l’intelligence du lecteur. Citons ce joli zeugme : « Avant de partir simultanément du café et d’un éclat de rire libérateur » (p. 49), et cette métaphore filée comme un bas : « Elle semblait pressée de me couper l’herbe sous le pied, avant même que j’envisage de sortir la tondeuse… » (p. 63).

 Voir la critique de media G.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Fanny Mertz


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