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Portnawak pré-surréaliste, pour étudiants et adultes

Manifestes du Futurisme, de Filippo Tommaso Marinetti

Carré d’Art Séguier, 1996 (1909), 56 p., épuisé

samedi 26 octobre 2019, par Lionel Labosse

Manifeste du Futurisme (au singulier) de Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) est un des livres inscrits sur la liste proposée au Bulletin Officiel de l’Éducation nationale pour le thème de BTS « À toute vitesse ! ». Je l’ai choisi sur cette liste pour ma culture générale, parce que je n’avais jamais eu l’occasion de le lire, même si j’avais bien entendu déjà entendu parler des élucubrations de ce Marinetti. Cette édition intitulée Manifestes du Futurisme au pluriel, que j’ai trouvée en bibliothèque, est épuisée. Elle contient une présentation de Giovanni Lista, mais l’éditeur ne daigne pas informer le lecteur d’une question très subalterne sans doute : en quelle langue ces textes ont-ils été rédigés & publiés ? Aucun nom de traducteur ne figure. Wikipédia nous donne une information incohérente : « Le texte apparaît pour la première fois dans la Gazzetta dell’Emilia de Bologne, le 5 février 1909. Quelques jours plus tard, il fut également publié par d’autres journaux italiens » […] « Le Manifeste du Futurisme a été ensuite publié dans Le Figaro, le 20 février 1909, à Paris, avant d’être traduit en italien dans l’un des derniers numéros de la revue milanaise Poesia.

La présente édition nous apprend cependant que si Le Figaro le publia, ce ne fut pas sans réticences : « Est-il besoin de dire que nous laissons au signataire toute la responsabilité de ses idées singulièrement audacieuses et d’une outrance souvent injuste pour des choses éminemment respectables et, heureusement, partout respectées ? Mais il était intéressant de réserver à nos lecteurs la primeur de cette manifestation, quel que soit le jugement qu’on porte sur elle ». On peut voir le fac similé du Figaro sur Gallica.
Voici quelques extraits de ce premier manifeste.

« Un immense orgueil gonflait nos poitrines à nous [1] sentir debout tout seuls, comme des phares ou comme des sentinelles avancées, face à l’armée des étoiles ennemies, qui campent dans leurs bivouacs célestes. Seuls avec les mécaniciens dans les infernales chaufferies des grands navires, seuls avec les noirs fantômes qui fourragent dans le ventre rouge des locomotives affolées, seuls avec les ivrognes battant des ailes contre les murs !
Et nous voilà brusquement distraits par le roulement des énormes tramways à double étage, qui passent sursautant, bariolés de lumières, tels les hameaux en fête que le Pô débordé ébranle tout à coup et déracine, pour les entraîner, sur les cascades et les remous d’un déluge, jusqu’à la mer » (p. 14).

Manifeste du futurisme
[…]
3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.
4. Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux, tels des serpents à l’haleine explosive… une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que La Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons chanter l’homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite. […]
7. Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d’œuvre sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l’homme.
8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !… À quoi bon regarder derrière nous, du moment qu’il nous faut défoncer les vantaux mystérieux de l’impossible ? Le Temps et l’Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu, puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente.
9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde –, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent et le mépris de la femme.
10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.
11. Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument ; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées ; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés ; les paquebots aventureux flairant l’horizon ; les locomotives au grand poitrail qui piaffent sur les rails, tels d’énormes chevaux d’acier bridés de longs tuyaux et le vol glissant des aéroplanes, dont l’hélice a des claquements de drapeaux et des applaudissements de foule enthousiaste » [fin du manifeste proprement dit] (pp. 16-18).
« Admirer un vieux tableau, c’est verser notre sensibilité dans une urne funéraire au lieu de la lancer en avant par jets violents de création et d’action. Voulez-vous donc gâcher ainsi vos meilleures forces dans une admiration inutile du passé, dont vous sortez forcément épuisés, amoindris, piétinés ? » (p. 19).
« Les plus âgés d’entre nous n’ont pas encore trente ans, et pourtant nous avons déjà gaspillé des trésors, des trésors de force, d’amour, de courage et d’âpre volonté, à la hâte, en délire, sans compter, à tour de bras, à perdre haleine.
Regardez-nous ! nous ne sommes pas essoufflés… Notre cœur n’a pas la moindre fatigue ! Car il s’est nourri de feu, de haine et de vitesse ! Cela vous étonne ? C’est que vous ne vous souvenez même pas d’avoir vécu ! — Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles !
Vos objections ? Assez ! assez ! Je les connais ! C’est entendu ! Nous savons bien ce que notre belle et fausse intelligence nous affirme. — Nous ne sommes, dit-elle, que le résumé et le prolongement de nos ancêtres. — Peut-être ! soit !… Qu’importe ?… Mais nous ne voulons pas entendre ! Gardez-vous de répéter ces mots infâmes ! Levez plutôt la tête !
Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi insolent aux étoiles ! » (pp. 21-22).
Voici un tableau typique du futurisme, photographié lors d’un séjour à Venise en 2019.

Au vélodrome, Jean Metzinger, 1912.
Collection Peggy Guggenheim, Venise.
© Lionel Labosse / Collection Peggy Guggenheim.

Manifeste technique de la littérature futuriste
Paru à Milan le 11 mai 1912.
5. – Chaque substantif doit avoir son double, c’est-à-dire le substantif doit être suivi, sans locution conjonctive, du substantif auquel il est lié par analogie. Exemple : homme-torpilleur, femme-rade, place-enton­noir, porte-robinet.
La vitesse aérienne ayant multiplié notre connaissance du monde, la per­ception par analogie devient de plus en plus naturelle à l’homme. Il faut donc supprimer les comme, tel que, ainsi que, semblable à, etc. Mieux encore, il faut fondre directement l’objet avec l’image qu’il évoque en donnant l’image en raccourci par un seul mot essentiel.
6. – Plus de ponctuation.
Les adjectifs, les adverbes et les locutions conjonctives étant supprimés, la ponctuation s’annule naturellement, dans la continuité variée d’un style vivant qui se crée lui-même, sans les arrêts absurdes des virgules et des points. Pour accentuer certains mouvements et indiquer leurs directions, on emploiera les signes mathématiques × + : – = > <, et les signes musicaux » (p. 24).
Marinetti donne un exemple tiré de ses œuvres théâtrales : « Mais oui, vous êtes, mignonne mitrailleuse, une femme charmante, et sinistre, et divine, au volant d’une invisible cent-chevaux qui renâcle et rugit d’impatience… Et vous allez bientôt bondir dans le circuit de la mort, vers le panache écrabouillant ou la victoire ! En voulez-vous, des madrigaux pleins de grâce et de couleurs ? À votre choix, madame ! Je vous trouve semblable aussi à un tribun gesticulant dont la langue éloquente, infatigable, frappe au cœur le cercle ému des auditeurs. Vous êtes en ce moment un trépan tout-puissant qui perce en rond le crâne trop solide de cette nuit obstinée. Vous êtes aussi un laminoir d’acier, un tour électrique, et quoi encore ?… un grand chalumeau oxydrique qui brûle, cisèle et fait fondre peu à peu les pointes métalliques des dernières étoiles. » (Bataille de Tripoli) (p. 27).
« 11. – Détruire le « Je » dans la littérature, c’est-à-dire toute la psycho­logie. L’homme complètement avarié par la bibliothèque et le musée, soumis à une logique et à une sagesse effroyables, n’a absolument plus d’intérêt. Donc, l’abolir en littérature. Le remplacer enfin par la matière, dont il faut atteindre l’essence à coups d’intuition, ce que les physiciens et les chimistes ne pourront jamais faire.
Ausculter à travers les objets en liberté et les moteurs capricieux la respi­ration, la sensibilité et les instincts des métaux, des pierres et du bois, etc. Rem­placer la psychologie de l’homme, désormais épuisée, par l’obsession lyrique de la matière.
Gardez-vous de prêter des sentiments humains à la matière, mais devinez plutôt ses différentes poussées directives, ses forces de compression, de dila­tation, de cohésion et de désagrégation, ses ruées de molécules en masse ou ses tourbillons d’électrons. Il ne faut pas donner les drames de la matière huma­nisée. C’est la solidité d’une plaque d’acier qui nous intéresse par elle-même, c’est-à-dire l’alliance incompréhensible et inhumaine de ses molécules et de ses électrons, qui s’opposent par exemple à la pénétration d’un obus. La chaleur d’un morceau de fer ou de bois est désormais plus passionnante pour nous que le sourire ou les larmes d’une femme.
Nous voulons donner en littérature la vie du moteur, cette nouvelle bête instinctive dont nous connaîtrons l’instinct général quand nous aurons connu les instincts des différentes forces qui le composent.
Rien de plus intéressant, pour le poète futuriste, que l’agitation d’un cla­vier dans un piano mécanique. Le cinématographe nous offre la danse d’un objet qui se divise et se recompose sans intervention humaine. Il nous offre l’élan à rebours d’un plongeur dont les pieds sortent de la mer et rebondissent violemment sur le tremplin. Il nous offre la course d’un homme à 200 kilomè­tres à l’heure. Autant de mouvements de la matière hors des lois de l’intelli­gence, et partant d’une essence plus significative » (pp. 29-31).
« Les intuitions profondes de la vie juxtaposées mot à mot, suivant leur naissance illogique, nous donneront les lignes générales d’une psychologie intui­tive de la matière. Elle s’est révélée à mon esprit du haut d’un aéroplane. En regardant les objets d’un nouveau point de vue, non plus de face ou de dos, mais à pic, c’est-à-dire en raccourci, j’ai pu rompre les vieilles entraves logiques et les fils à plomb de l’antique compréhension » (p. 32).
« Il est indiscutable que mon œuvre se distingue nettement de toutes les autres par son effrayante puissance d’analogie. Son étonnante richesse d’images égale presque son désordre de ponctuation logique. Elle aboutit au premier manifeste futuriste, synthèse d’une cent-chevaux lancée aux plus folles vitesses terrestres.
À quoi bon se servir encore de quatre roues exaspérées qui s’ennuient, du moment qu’on peut se détacher du sol ? Délivrance des mots, ailes planantes de l’imagination, synthèse analogique de la terre embrassée d’un seul regard, ramassée toute entière en des mots essentiels » (p. 33).
« Poètes futuristes ! Je vous ai enseigné à haïr les bibliothèques et les musées. C’était pour vous préparer à haïr l’intelligence, en éveillant en vous la divine intuition, don caractéristique des races latines.
Par l’intuition, nous romprons l’hostilité apparemment irréductible qui sépare notre chair humaine du métal des moteurs. Après le règne animal, voici le règne mécanique qui commence ! Par la connaissance et l’amitié de la matière, dont les savants ne peuvent connaître que les réactions physico-chimiques, nous préparons la création de l’homme mécanique aux parties remplaçables. Nous le délivrerons de l’idée de la mort, et partant de la mort elle-même, cette suprême définition de l’intelligence logique » (p. 35).
Supplément au Manifeste technique de la littérature futuriste
5. – Je crois nécessaire de supprimer l’adjectif et l’adverbe, parce qu’ils sont à la fois et tour à tour les festons bariolés, les draperies nuancées, les piédestaux, les garde-fous et les balustrades de la vieille période traditionnelle. C’est grâce à un usage savant de l’adjectif et de l’adverbe que l’on obtient le balancement mélodieux et monotone de la phrase, son soulèvement interrogatif et poignant et sa chute reposante et graduée de vague sur la plage. Avec la toujours identique émotion, l’âme retient son souffle, tremble un peu, supplie qu’on l’apaise et respire enfin largement quand le flot des mots retombe avec sa ponctuation de galets et son écho final.
L’adjectif et l’adverbe ont une triple fonction, explicative, décorative et musicale, par laquelle ils indiquent l’allure grave ou légère, lente ou rapide, du substantif qui se meut dans la phrase. Ce sont tour à tour les cannes ou les béquilles du substantif. Leur longueur et leur poids règlent le pas du style qui est toujours nécessairement sous tutelle, et l’empêchent de reproduire le vol de l’imagination.
En écrivant par exemple : « Une femme jeune et belle marche rapidement sur les dalles de marbre », l’esprit traditionnel se hâte d’expliquer que cette femme est jeune et belle, bien que l’intuition donne tout court un mouvement beau. Plus tard l’esprit traditionnel annonce que la femme marche. Il expliquera ensuite qu’elle marche rapidement et enfin qu’elle marche sur des dalles de marbre.
Ce procédé purement explicatif, dénué d’imprévu, imposé d’avance à tous les arabesques, zigzags et cahots de la pensée n’a plus de raison d’être. Il est partant à peu près sûr que l’on ne se trompera pas en faisant tout le contraire.
Il est indéniable qu’en abolissant l’adjectif et l’adverbe on redonnera au substantif sa valeur essentielle, totale et typique.
J’ai d’ailleurs une absolue confiance dans le sentiment d’horreur que j’éprouve pour le substantif qui s’avance suivi de son adjectif comme d’une traîne ou d’un caniche. Parfois ce dernier est tenu en laisse par un adverbe élégant. Parfois le substantif porte un adjectif devant et un adverbe derrière, comme les deux pancartes d’un homme-sandwich. Autant de spectacles insupportables.
6. – C’est pourquoi j’ai recours à la sécheresse abstraite des signes mathématiques, qui servent à donner les quantités, en résumant toutes les explications sans remplissages et en évitant la manie dangereuse de perdre du temps dans tous les coins de la phrase en des travaux minutieux de ciseleur, de bijoutier ou de cireur de bottines.
7. – Les mots délivrés de la ponctuation rayonneront les uns sur les autres, entrecroiseront leurs magnétismes divers, suivant le dynamisme ininterrompu de la pensée. Un espace blanc, plus ou moins long, indiquera au lecteur les repos ou les sommeils plus ou moins longs de l’intuition. Les lettres majuscules indiqueront au lecteur les substantifs qui synthétisent une analogie dominatrice.
8. – La destruction de la période traditionnelle, l’abolition de l’adjectif, de l’adverbe et de la ponctuation entraîneront nécessairement la faillite de la trop fameuse harmonie du style, si bien que le poète futuriste pourra enfin utiliser toutes les onomatopées, même les plus cacophoniques, qui reproduisent les innombrables bruits de la matière en mouvement » (pp. 40-42).

 Voici maintenant un échantillon du Portnawak en quoi consiste cette substantificque moelle de la poésie futuriste (j’ai tâché de suivre le plus exactement possible l’édition Séguier, mais il est impossible de donner l’équivalent des longs blancs qui séparent quelques mots, de 1 à 3 cm sur le livre) :
« […] Canon-149 éléphant artilleurs-cornacs hissa-hoo colère leviers lenteur lourdeur centre gargousse-jockey méthode monotonie trainers distance grand-prix gueule parabole x lumière tonnerre massue infini Mer = dentelles-émeraudes-fraîcheur-élasticité-abandon mollesse cuirassés-acier-concision-ordre Drapeau-de-combat-(prairies ciel-blanc-de-chaleur sang) = Italie force orgueil-italien frères femmes mère insomnie brouhaha-de-camelots gloire domination cafés récits-de-guerre Tours canons-virilités-volées érection télémètre extase toumbtoumb 3 secondes toumb-toumb flots sourires rires plaff plouff glouglouglouglou cache-cache cristaux vierges chair bijoux perles iodes sels bromes jupons gaz liqueurs bulles 3 secondes toumbtoumb officier blancheur télémètre croix feu mégaphone la-hausse-à-4-mille-mètres tous-les-hommes-à-gauche assez-chacun-à-son-poste inclinaison-7-degrés érection splendeur jet percer immensité azur-femelle dépucelage acharnement couloirs cris labyrinthe matelas sanglots défoncement désert lit précision télémètre monoplan poulailler-de-théâtre applaudissements monoplan = balcon-rose-roue-tambour-trépan-taon > déroute arabes bœufs sanguinolence abattoir blessures refuge oasis humidité éventail fraîcheur sieste rampement germination effort dilatation-végétale je-serai-plus-vert-demain restons-mouillés conserve-cette-goutte-d’eau faut-grimper-3-centimètres-en-6-jours colle-ta-tige-pour-résister-contre-20-grammes-de-sable-et-3000-grammes-de-ténèbres voie-lactée-cocotier étoiles-noix-de-coco lait ruisseler jus délices » (p. 47).

La volupté d’être sifflé
« 1° C’est pourquoi nous enseignons aux auteurs le mépris du public, et en particulier du public des premières représentations, dont voici la psychologie synthétisée : rivalités de chapeaux et de toilettes féminines, vanité d’une place coûteuse se transformant en orgueil intellectuel, loges et parterre occupés par des hommes mûrs et riches, dont le cerveau est naturellement méprisant et la digestion très laborieuse, ce qui est incompatible avec tout effort intellectuel » (p. 49).
« 5° L’art théâtral, comme tout art, n’ayant pour but que celui d’arracher l’âme du public à la réalité quotidienne et de l’exalter dans une atmosphère éblouissante d’ivresse intellectuelle, nous méprisons toutes les pièces qui veulent seulement émouvoir et pousser aux larmes par le spectacle fatalement apitoyant d’une mère qui a perdu son enfant, d’une jeune fille qui ne peut pas épouser son amoureux, et d’autres fadaises semblables.
« 6° Nous méprisons en art et au théâtre en particulier toutes les reconstructions historiques, soit qu’elles tirent leur intérêt de héros illustres – Néron, César, Napoléon, Casanova ou Francesca da Rimini –, soit qu’elles s’appuient sur la suggestion exercée par la somptuosité inutile des costumes et des décors du passé.
Le drame moderne doit exprimer le grand rêve futuriste qui se dégage de notre vie contemporaine exaspérée par les vitesses terrestres, marines et aériennes, et dominée par la vapeur et l’électricité.
Il faut introduire sur la scène le règne de la Machine, les grands frissons révolutionnaires qui agitent les foules, les nouveaux courants d’idées et les grandes découvertes scientifiques qui ont complètement transformé notre sensibilité et notre mentalité d’hommes du vingtième siècle » (p. 52).
8° Il n’y a pas d’art dramatique sans poésie, c’est-à-dire sans ivresse et sans synthèse. Les formes prosodiques régulières doivent être exclues. L’écrivain futuriste se servira du vers libre : mouvante orchestration d’images et de sons qui, passant du ton le plus simple pour exprimer, par exemple, avec exactitude, l’entrée d’un domestique ou la fermeture d’une porte, s’élève graduellement avec le rythme des passions en des strophes cadencées tour à tour et chaotiques, quand il s’agit par exemple d’annoncer la victoire d’un peuple ou la mort glorieuse d’un aviateur » (p. 52).
« J’ai la joie, en vous affirmant ces convictions futuristes, de savoir que mon génie, plusieurs fois sifflé par les publics de France et d’Italie, ne sera jamais enterré sous de pesants applaudissements » (p. 53).

 Voir la présentation de l’exposition Le Futurisme à Paris en 2008-09, au centre Beaubourg.
 Dans Vitesse et Politique, Paul Virilio taxe Marinetti de tous les maux.
 Lors d’un voyage à Malte, j’ai découvert l’œuvre d’un très grand sculpteur futuriste méconnu, Antonio Sciortino.
 Une citation de Marinetti sur la beauté de la guerre est faite dans la préface des Journaux de guerre d’Ernst Jünger.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le manifeste sur le site du {Figaro}


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[1Même si Marinetti ne cite aucun de ses contemporains, il est loin d’être isolé dans son mouvement ; l’article de Wikipédia donne une liste d’Italiens et de Russes, et mentionne les adeptes du précisionnisme américain ; et les surréalistes peuvent être considérés comme des continuateurs.