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Dromologie à toute biture, pour étudiants et adultes

Vitesse et Politique, de Paul Virilio

Galilée, 1977, 152 p., épuisé

samedi 23 novembre 2019, par Lionel Labosse

Vitesse et Politique de Paul Virilio (1932-2018) est un des livres inscrits sur la liste proposée au Bulletin Officiel de l’Éducation nationale pour le thème de BTS « À toute vitesse ! », avec L’Inertie polaire (1986) du même auteur. Je l’ai choisi sur cette liste parce que j’avais un bon souvenir de La Vitesse de libération (Galilée, 1995). Je n’ai pas fait attention que le livre était épuisé (je l’ai emprunté en bibliothèque), d’où peut-être l’utilité de cet article, qui consistera surtout en un recueil d’extraits utilisables en classe. (Mais on peut se le procurer sous format PDF). Paul Virilio est l’inventeur du concept de dromologie (science de la vitesse), et le présent essai qui a pour sous-titre « essai de dromologie », multiplie exagérément les néologismes (« dromocratie », etc). Le style est souvent abscons, écrit à la va-vite – ce qui est de mise puisqu’il est question de vitesse ! – et l’on a parfois l’impression de lire la transcription sans filtre d’une discussion alcool & enfumée entre normaliens d’un groupuscule gauchiste des années 70, aux alentours de 5 h du matin dans la nuit de samedi à dimanche… Virilio parle pour des initiés, par clins d’œil & allusions, de sorte que des étudiants en BTS de 2019 ont peu de chance d’y comprendre grand-chose. Le thème de la vitesse n’est pas toujours présent dans ces réflexions sur la politique, mais heureusement restent plusieurs excellents extraits sur le rapport entre vitesse et violence notamment. À noter que Paul Virilio a quand même commis en complicité avec Claude Parent, quelques bâtiments « obliques », comme le bunker intitulé Église Sainte-Bernadette du Banlay, dont voici une photo piquée sur Wikiarquitectura. Depuis que je connais l’existence de ce Claude Parent, ma vanne favorite, quand je remarque dans le lycée du bâtiment où j’enseigne, un élève avachi sur sa table, est de lui dire qu’il a été conçu par Claude Parent… Ça ne fait rire que moi, mais ça soulage !

Église Sainte-Bernadette du Banlay, de Paul Virilio & Claude Parent
© Wikiarquitectura

« Pour la foule des chômeurs, des ouvriers dé-mobilisés et sans occupation, Paris est un tapis de trajectoires, une série de rues et d’avenues où ils errent la plupart du temps, sans but, sans destination, sous le coup d’une répression policière chargée de contrôler leur vagabondage. Entre les diverses bandes révolutionnaires comme pour les apaches et autres populations interlopes des quartiers périphériques, il s’agira moins le moment venu d’occuper tel ou tel bâtiment que de tenir la rue » (p. 14)

« A contrario, ces élections [municipales de 1977] montrent aussi combien le discours de l’opposition est dominé par le schéma rétrograde de la poliorcétique bourgeoise, confondant l’aptitude au mouvement de la masse avec l’aptitude à l’Assaut, l’ultreïa du pilgrim’s progress » (p. 24). Si je note cette phrase c’est juste pour un exemple d’une phrase à la fois datée et incompréhensible où l’auteur parle aux initiés.

« L’armée nouvelle, écrit Carnot, est une armée de masse écrasant sous son poids l’adversaire dans une offensive permanente, au chant de la Marseillaise. » L’hymne national n’est qu’une chanson de route, régulant la mécanique de la marche. Dans ses souvenirs, Poumiès de la Siboutie note : « Jamais on n’avait tant chanté… la chanson était un puissant moyen révolutionnaire, « la Marseillaise » électrisait les populations… » […] Le mathématicien Carnot comme le docteur Poumiès ne s’y trompent pas, le chant révolutionnaire est une énergie cinétique qui propulse la masse vers le champ de bataille, vers ce type d’Assaut que Shakespeare décrivait déjà comme « La Mort tuant la Mort ». Et c’est de cela qu’il s’agit en effet puisqu’il faut charger l’artillerie ennemie et le seul moyen est pour le fantassin de se précipiter vers les canons, d’en tuer sur place les servants. Mais pour y parvenir, il dispose d’un temps extrêmement réduit : celui qui est nécessaire aux artilleurs pour recharger leur pièce. Le fantassin doit donc, dès que le coup est tiré, se jeter en avant vers les canons ennemis ; sa vie dépend alors de la vitesse de sa course, s’il est trop lent, il mourra littéralement désintégré de plein fouet par les bouches à feu…Tout dans cette guerre nouvelle devient question de temps gagné par l’homme sur les projectiles mortels vers lesquels sa marche le précipite, la vitesse est du Temps gagné au sens le plus absolu puisqu’il devient du Temps humain directement arraché à la Mort — d’où ces insignes funestes de la décimation arborés au cours de l’histoire par les troupes d’Assaut, c’est-à-dire les troupes rapides (drapeaux et uniformes noirs, têtes de mort, du uhlan, du S.S., etc.). Mais au-delà, que faut-il penser de cette révolution qui va se réduire bientôt tout entière à un Assaut permanent donné au Temps ? » (p. 30).

« Mais en même temps, ce grand corps automobile a été émasculé, sa tenue de route est défectueuse et son puissant moteur est bridé. Comme pour les lois sur la limitation de vitesse, il s’agit là d’actes de gouvernement, c’est-à-dire de voirie politique visant justement à limiter la « puissance d’assaut extraordinaire » que développe la motorisation des masses. Cette frustration infligée au conducteur brusquement privé de l’ivresse des grandes vitesses comme de celle de l’alcool, cette prohibition véhiculaire est aussi constitution par l’État, d’un nouvel au-delà :
« Des jeunes qui par milliers conduisent, s’initient à la mécanique, à la radio (à l’endurance moto ou à la circulation), sont, comme le remarque V. Bush en 1940 dans Modern arms and free men, dans de véritables camps d’entraînement… et au jour de l’épreuve cet entraînement pourra aisément et en un minimum de temps se transformer en aptitude à construire le complexe appareil de la guerre. » D’une rive à l’autre, un discours symétrique se développe » (p. 35).

« La science militaire comme l’Histoire n’est qu’une perception persistante du cinétisme des corps disparus et inversement les corps peuvent apparaître comme les véhicules de l’histoire, comme ses vecteurs dynamiques. Napoléon III prétendait que « pour l’homme de guerre le souvenir est la science même » (p. 42). Cette phrase peu compréhensible m’a fait penser au Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard (1801) de Jacques-Louis David, que j’ai admiré au Belvédère à Vienne, et notamment à ce détail des soldats qui avancent entre les pieds du grand homme.

Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, Jacques-Louis David, Belvédère supérieur, Vienne
© Lionel Labosse

Des pages sont consacrées à la flotte de dissuasion, avec l’emploi du terme anglais « fleet in being », mais Vivilio est tellement peu soucieux d’être compris et sa plume avance à une telle vitesse qu’il ne prend pas le temps de faire en sorte que son lecteur comprenne de quoi il parle : « Le fleet in being, c’est la logistique accomplissant absolument la stratégie comme art du mouvement des corps non vus, c’est la présence permanente en mer d’une flotte invisible pouvant frapper l’adversaire n’importe où et n’importe quand, annihilant sa volonté de puissance par la création d’une zone d’insécurité globale où il ne sera plus jamais en mesure de « décider » avec certitude, de vouloir, c’est-à-dire de vaincre. C’est donc surtout une nouvelle idée de la violence qui ne naît plus de l’affrontement direct, de l’effusion de sang, mais des propriétés inégales des corps, de l’évaluation des quantités de mouvements qui leur sont permis dans un élément choisi, de la vérification permanente de leur efficience dynamique » (p. 46).

Virilio établit une connivence entre économie et guerre : « Finalement, le libéralisme économique illustre parfaitement la définition de Errard de Bar-le-Duc : l’assaillir est divers selon le temps de l’invention des machines à ruyner. Cette brusque résistance de la bourgeoisie à la conception de la guerre territoriale est dès lors le principe d’un capitalisme qui, en devenant amphibie, applique la guerre totale sur mer et dans les colonies, qui saute littéralement de « la grande machine immobile » dans la « machine mobile », faisant des océans un « vaste camp logistique », traînant derrière lui un prolétariat attelé au fonctionnement du véhicule marin, prolétariat des rameurs apparaissant vraiment comme moteur de l’engin, accélérateur au moment du combat » (p. 48). Il s’agit de Jean Errard (1554-1610).

Virilio s’en prend à plusieurs reprises à Marinetti, qu’il qualifie de « fasciste » : « Nous n’avons pas assez perçu dans l’Histoire de l’Occident le moment où s’est opéré ce transfert du vitalisme naturel de l’élément marin (cette facilité à y soulever, à y déplacer, à y faire glisser des engins pesants) à un vitalisme technologique inévitable, ce moment de l’histoire où le corps de transport technique va sortir de la mer comme le corps vivant inachevé de l’évolutionnisme, quittant en rampant son milieu originel et devenant amphibie ; la vitesse en tant qu’idée pure et sans contenu naît de la mer comme Aphrodite et lorsque Marinetti s’écrie que l’univers s’est enrichi d’une beauté nouvelle, la beauté de la vitesse, et oppose la voiture de course à la Victoire de Samothrace, il oublie qu’il s’agit en réalité d’une même esthétique, celle de l’engin de transport ; l’accouplement de la femme ailée et du vaisseau de guerre antique comme l’accouplement de Marinetti le fasciste et de son bolide routier dont il tient le volant « tige idéale qui traverse la terre » ressortent de cet évolutionnisme technologique dont la réalisation est plus évidente que celle du monde vivant, le droit à la mer crée le droit à la route des États modernes devenant par là des États totalitaires » (p. 52).

« En 1921, Marinetti métaphorise autour de la voiture blindée : le surhomme est un homme surgreffé, type inhumain réduit à un principe conducteur et donc décideur, corps animal disparu dans la surpuissance du corps métallique capable d’annihiler le temps et l’espace par ses performances dynamiques. On a essayé en vain de classer l’œuvre de Marinetti selon mille critères artistiques ou politiques alors que le Futurisme ne relève que d’un seul art, celui de la guerre et de son essence, la vitesse. Le Futurisme donne la vision la plus aboutie de l’évolutionnisme dromologique de son temps, la mesure du survif, des années 20 ! » (p. 68).

« Ce brave capitaine avait donc eu une idée de génie pour remédier au stationnement des troupes. Il avait conçu des « voitures blindées allant par tous terrains » et, dès le 25 novembre 1915, il avait prôné la fabrication en grand nombre de ce nouveau type d’engins. Le 31 janvier 1916, on mettait en construction 400 chars d’assaut et dès qu’ils parurent sur le champ de bataille leur effet psychologique fut énorme, les généraux réclamèrent bientôt par milliers à l’Armement ces « fortins automobiles », ce nouvel objet technique qui accomplissait si parfaitement une pensée stratégique obsédée par l’idée fixe du Grand Frédéric : « Vaincre, c’est avancer ! » Bientôt, Ferry pourra écrire peu avant d’être fauché à l’attaque de Vauxaillon : « Le moral français a atteint un degré d’exaltation inouï, le mois dernier, les permissionnaires de Parnay trouvaient leur permission trop longue, ils repartaient au front comme on va au bonheur… on se voit déjà à la Meuse, au Rhin ! je lâche la bride à tous mes rêves… » (p.62).

Virilio disserte sur la prolétarisation de la guerre (cf. p. 69). « Dans les différents domaines décrits par les polyptiques au IXe siècle en Europe occidentale, on mentionne l’existence de ces forenses dont la masse n’est jamais inférieure à 16 % de la population recensée, ce sont des travailleurs migrants allant d’une plaque de peuplement, à l’autre sans que le défrichement des terres et leur occupation leur soit accordée sauf en Germanie et peut-être en Champagne. Ainsi, ces excédents sociaux, si semblables à ce « quart-monde » des banlieues périphériques contemporaines, naissent directement du phénomène de retenue stratégique dont il est question précédemment, du contrôle social féodal, puis communal » (p. 83).

« La mise en scène sociale de l’amour humain était peut-être l’une des dernières tentatives poétiques de l’âme fluidiforme incarnée ici ou là, le dévoilement brutal de l’acte sexuel, l’éducation sexuelle ou la pornographie comme révélations techniques, une autre façon d’arraisonner les corps des « ignorants », la suite logique du gymnase, à la célèbre culture physique « à la suédoise » succède l’amalgame moderne de la route et du sexe, corps chevauchés au hasard des rencontres, collisions sexuelles vite oubliées, autos, motos que l’on vole, que l’on viole, que l’on abandonne » (p. 94).

« La performance de l’envahisseur ressemble à celle de son homologue sportif, à ces champions olympiques dont les records ont progressé d’abord par heures gagnées, puis par minutes, par secondes, par fractions de seconde, qui plus ils devenaient performants et rapides, obtenaient une avance plus dérisoire, perceptible seulement à l’électronique. Le champion disparaîtra un jour dans les limites de son propre record, comme l’annonce déjà la manipulation biologique dont il est l’objet et qui ressemble à ces méthodes de survie médicale artificielle qu’on accorde aux agonisants. L’engin est pour le dromomane aussi une prothèse de survie. Il est remarquable que les premières voitures automobiles, le fardier militaire de Joseph Cugnot en 1771 par exemple, soient mues à la vapeur, se situant déjà comme à la limite de la métempsycose du corps animal, relais de l’évolution historique, du passage du véhicule métabolique au véhicule technologique, crachant sa fumée comme une ultime haleine, une dernière manifestation symbolique de la puissance motrice des corps vivants » (p. 98).

« Il y a quelque chose dans le regard évolutionnaire-révolutionnaire sur les corps engagés dans le cinétisme historique qui demeure de cette homosexualité fatale des généraux antiques, des despotes éclairés, des sultans, faisant inlassablement répéter leurs manœuvres à ces « milices fort plaisantes à voir pour ceux qui n’étaient pas destinés à recevoir leurs coups » ; tous sont saisis d’un désir immodéré pour la chair soumise du prolétaire/soldat cette masse puissante de « machines mobiles… obéissant aveuglément aux impulsions de leurs conducteurs » (Babeuf), les forces de travail militaires ne sont plus contraintes à se vendre mais à se donner à l’entrepreneur de guerre, elles lui sont ce que la femme puis la monture étaient au cavalier dans la bataille, l’aidant à se porter en avant, mourant sous lui ou provoquant sa mort » (p. 113).

« Dès l’origine, le corps superbe de l’Homme d’Assaut, de l’Aryen blond et naturiste est volontiers exhibé par la propagande nazie. Ce que le stade de Berlin met en scène dans la célébration de la liturgie olympique, c’est très précisément une hiérarchie des corps dans l’ordre des vitesses de pénétration, le corps sportif est un corps prytanique, lui-même projectile ou projetant, l’excitation du record de vitesse ou de distance, c’est celle de l’assaut, le principe même de la performance sportive, ce compte à rebours dans le temps et l’espace n’est que la théâtralisation de sa « grandeur absolue », de cette charge militaire qui commence par une marche lente et géométrique, se poursuit par une accélération de plus en plus puissante du corps destinée à donner l’élan final » (p. 116).

« Pour le fasciste italien passant directement du record sportif à la guerre absolue, la griserie du corps-vitesse est totale, c’est la « Poésie du bombardier » de Mussolini ; pour Marinetti après d’Annunzio, le « dandy-guerrier » est le « seul sujet capable, survivant et savourant dans le combat la puissance du rêve métallique du corps humain », l’accouplement avec un matériel technique guère plus encombrant que le cheval, l’ancien véhicule métabolique des élites guerrières : vedettes rapides ou « torpilles » chevauchées sous la mer par des hommes-grenouilles aristocrates en quête de la flotte anglaise. Les kamikaze japonais achèveront dans l’espace ce rêve synergique de l’élite militaire en se désintégrant volontairement avec leur arme-véhicule en apothéose pyrotechnique car l’ultime métaphore du corps-vitesse c’est sa disparition finale dans les flammes de l’explosion » (p. 117).

Docteur Folamour (1964), de Stanley Kubrick. Le commandant Kong chevauchant la bombe atomique.
© Stanley Kubrick

« Comme l’écrivait le général Fuller : « Lorsque les combattants se lançaient des javelines, la vitesse initiale de cette arme était telle que l’on pouvait l’apercevoir sur sa trajectoire et en parer les effets à l’aide de son bouclier mais lorsque la javeline fut remplacée par la balle, la vitesse initiale était si grande que la parade était impossible »… impossible par l’esquive du corps mais possible par le retrait au-delà de la portée de l’arme, possible aussi grâce à l’abri de terre au-delà de celui du bouclier, c’est-à-dire possible par l’espace et par la matière. Actuellement, la réduction du temps d’alerte qui résulte des vitesses supersoniques des moyens de l’assaut laisse si peu de délais à la détection, à l’identification et donc à la riposte qu’en cas d’attaque surprise il faudrait que l’autorité suprême ait pris le risque d’abandonner la suprématie de la décision en autorisant l’échelon le plus bas du système de défense à déclencher instantanément le tir des missiles anti-missiles » (p. 135).

« Mais revenons quinze années en arrière, en 1962, au moment capital de l’affaire de Cuba. À cette époque, le délai de préavis de guerre est encore de 15 minutes pour les deux Super-Grands. L’implantation de fusées russes dans l’île de Castro risquait de faire tomber ce délai à 30 secondes pour les Américains, ce qui était inacceptable pour le président Kennedy quel que soit le risque de son catégorique refus. Nous connaissons la suite, l’installation de la ligne directe du téléphone rouge et l’interconnexion des chefs d’État ! » (p. 136).

« Le voilà bien, le redoutable télescopage des éléments né des « générations amphibies », cette proximité extrême des parties où l’immédiateté de l’information crée la crise immédiatement, cette fragilité du pouvoir de raisonner qui n’est que l’effet d’une miniaturisation de l’action résultant elle-même de celle de l’espace comme champ d’action.
Un geste imperceptible sur un clavier d’ordinateur ou encore celui d’un « pirate de l’air » exhibant une boîte de biscuits entourée de sparadrap peuvent aboutir à un enchaînement catastrophique hier impensable. Nous l’omettons trop volontiers, à côté du risque de prolifération lié aux possibilités nouvelles d’acquisition de l’explosif nucléaire par des irresponsables, il y a cette prolifération du risque qui résulte de vecteurs qui rendent effectivement irresponsables ceux qui les possèdent ou les empruntent » (p. 140).

 Hartmut Rosa rend hommage à Paul Virilio, et lui taille une veste tant sur le style que sur la forme : « Cependant, ses travaux ne peuvent pas constituer le fondement d’une théorie de l’accélération, d’abord parce que P. Virilio refuse par principe d’élaborer une théorie systématique à laquelle il préfère une présentation rhapsodique fonctionnant par associations, enrichie d’innombrables néologismes, d’analogies obscures et d’allusions quasi ésotériques ». […] « il ne saisit l’accélération que sous un angle technologique, et qu’il ne laisse aucune place aux deux autres formes de l’accélération, analytiquement indépendantes, de la transformation sociale et du rythme de vie » (p. 78). Cependant l’essai de Rosa est rythmé par des citations très inspirantes de différents ouvrages de Paul Virilio.


 J’ai intégré ci-dessus le photogramme emblématique extrait du film de Stanley Kubrick Docteur Folamour (1964), représentant le commandant Kong (Slim Pickens) chevauchant la bombe atomique larguée à la fin du film, et qui va déclencher l’apocalypse nucléaire. Cette photo correspond tout à fait à l’idée de Virilio sur « les kamikaze […] avec leur arme-véhicule en apothéose pyrotechnique » Si le film a été tournée après la Crise des missiles de Cuba, qui changea la donne, il est adapté d’un roman sorti en 1958, 120 minutes pour sauver le monde de Peter George. Le thème de la « Doomsday machine », arme secrète russe dont le déclenchement est automatique et impossible à annuler, et qui devait être dévoilé au monde le lendemain de l’attaque surprise déclenchée par un général fou, illustre parfaitement les idées de Virilio (en fait il avait dû voir le film et s’en est souvenu 13 ans après en rédigeant son livre) sur la réduction du délai de réaction et le fait que le politique en est exclu au profit de la technique, voire de l’opérateur. La question posée par le film est : « et si l’opérateur était fou ? ». On pourrait exploiter ce film dans le cadre de ce thème, car la vitesse est présente à la fois dans les avions, mais aussi dans la diminution du temps de réaction. On peut trouver le montage du film un peu mou par rapport à cette vitesse. Est-ce une volonté de Kubrick de laisser aux humains dans cette folie, un temps dilaté où ils peuvent prendre un café, répondre au téléphone, laisser libre cours à leurs ronchonnages anti-communistes, etc ?

Lionel Labosse


Voir en ligne : Paul Virilio, penseur de la vitesse, La Grande table de France Culture, 19 septembre 2018


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