Accueil > Billets d’humeur > Travaux rue « Ordoner » !

Travaux rue « Ordoner » !

lundi 23 mai 2011

La rue Ordener, l’une des plus honorables rues de Paris, sise dans le XVIIIe arrondissement, est victime d’un attentat orthographique sur un panneau d’annonce de travaux de voirie en mai 2011. La voici rebaptisée « Rue ORDONER » (ledit panneau est apposé sur le pont Ordener, à 15 mètres de l’embouchure de la rue Jean-Robert). Ce calamiteux lapsus calami serait-il dû à la conflagration de deux célébrités ayant honoré cette rue ? L’un, Nicolas Sarkozy, en y ayant traîné ses fonds de culotte au numéro 100 durant son enfance, l’autre, l’anarchiste Jules Bonnot, en y ayant commis le premier braquage utilisant une voiture de l’histoire de l’humanité.

Travaux rue « Ordoner ! »
Une coquille sur un panneau de voirie rue Ordener à Paris.

Cette rue portant le nom d’un général d’empire, Michel Ordener, elle ne pouvait qu’attirer la haine d’un anarchiste et abriter les premiers pas d’un général de république. Mais quelle ironie du sort dans ce lapsus, qui transforme un général en verbe honni par l’un, admiré par l’autre, mais avec N en moins !
Cela nous rappelle un autre fréquent lapsus commis sur le nom de la station de métro la plus proche, la station Marx Dormoy, souvent orthographiée « Max Dormoy », comme par exemple dans cet article du Figaro du 16 mai 2011 : « L’employé de la Brink’s était en train de recharger un distributeur de l’agence LCL (ex-Crédit Lyonnais) situé rue Max-Dormoy à Paris lorsque, vers « 10 heures du matin », deux malfaiteurs ont surgi devant lui, a expliqué l’une des sources. »
Bref, aux services de la voirie, autant qu’au Figaro, on rigole bien, c’est un peu les « Max brothers » ! Ou peut-être les « Karl Marx brothers », si l’on en croit cette nouvelle provocation photographiée en février 2012 dans le quartier, où l’on voit que ces satanés bolcheviks ont réussi à interdire notre saint Évangile et notre sainte Madone, et à détourner les pieux hommes qui suivent la Voie de l’Évangile vers un de ces tristes saints de l’ère industrielle, Marc Seguin, qui plus est sans respecter les accents sur les capitales ! Et ce schéma blasphématoire ne détourne-t-il pas notre Sainte-Croix, celle qui marquait l’espoir du pèlerin jadis aux carrefours, pour en faire un vulgaire panneau publicitaire ?

Rue de l’Évangile & de la Madone
L’Évangile & la Madone interdits !


 Puisqu’il est question de noms de rues parigotes, profitons de cet écho pour suggérer, la lutte contre le sexisme étant dans l’air du temps, qu’on donne à une rue de Paris le nom d’Anna Marly, la créatrice, avec Druon et Kessel, du « Chant des partisans » ; et tant qu’on y est, au lieu d’attribuer à Paul Éluard le carrefour gris et dangereux du susdit métro Marx Dormoy, baptisé ironiquement « Place Paul Éluard » [1], sans doute une façon pour l’ancienne majorité municipale d’humilier un poète communiste tout en rendant du bout des doigts un hommage obligatoire au poète de la Résistance, qu’on donne son nom à un de ces pièges à touristes inutiles, vous savez, un de ces doublons qui font qu’on se perd (par exemple, des deux stations de métro « Porte de la Chapelle » et « La Chapelle », qui font tourner tout le monde en bourrique, et ne veulent plus rien dire dans ce quartier cosmopolite, pourquoi ne pas nommer l’une « Paul Éluard » ? Ou bien la rue et le boulevard Richard-Lenoir…). Cela se discute évidemment, car d’un autre côté, Éluard fut souvent récompensé de son « Ode à Staline » par les municipalités communistes qui ont baptisé de son nom des truellées de rues et d’édifices ; et puis il n’y a pas une seule voie ou un seul établissement scolaire baptisés du nom de Louis-Ferdinand Céline, qui est sans doute au moins un aussi grand écrivain qu’Éluard… Mais le plus urgent, et je cède la place à Essobal Lenoir, qui dénonce ce scandale dans Le Mariage de Bertrand : nous avons eu un maire gay à Paris et « la place de l’Étoile n’a pas encore été rebaptisée Place Dalida ! »

 Lire un article sur un autre lapsus rigolo, signé Gallimard. Et bien sûr notre petit article sur les signes diacritiques dans l’écriture et la typographie du français.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Rue Ordener sur Wikipédia


[1Autre exemple dans le même arrondissement avec la Place Skanderbeg.