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« Salauds de pauvres ! »
Le Vin de Paris, de Marcel Aymé
Gallimard Folio, 1947, 249 p., 8,3 €
samedi 9 mars 2024, par
Le Vin de Paris de Marcel Aymé figure sur la liste du BO pour le thème « Paris, ville capitale ? » au programme de l’épreuve de BTS de Culture Générale & Expression en 2024. Je l’ai retenu finalement parmi les 8 livres désormais traditionnels sur lesquels je fais un article, bien que je choisisse en priorité des essais, parce que ce livre contient la nouvelle dont est extrait le film de Claude Autant-Lara La Traversée de Paris (1956), et que Marcel Aymé, romancier que j’adore, était jusqu’à présent absent de ce site. Les nouvelles sont variées, avec une dominante du genre fantastique, et le ton acide typique de l’auteur. Malgré le titre, Paris ne constitue que l’arrière-plan décoratif, alors que la Seconde Guerre mondiale et la Libération constituent l’arrière-plan historique.
« L’Indifférent » est l’histoire d’un sortant de prison caractérisé par le trait de caractère du titre. Il rengage chez un bandit aussi indifférent que lui, qui l’emploie à rançonner des fermiers et à les trucider sans sentiments. Pour faciliter leurs affaires, il « fit arrêter par la gendarmerie quelques jeunes gens réfugiés dans la forêt, gaullistes ou communistes, dont la présence en ces parages risquait de nous compromettre » (p. 21). Suite à un « accident du travail », il est engagé pour liquider des hommes en partance clandestine pour l’Angleterre, après leur avoir confisqué tous leurs biens, mais il renonce à tuer son premier client, et comprend que son patron anonyme est le type qui se tape la maîtresse de son feu père, et s’apprête à la liquider…
« Traversée de Paris » Martin et Grandgil se présentent chez Jamblier, 45 rue Poliveau (5e arrondissement) pour prendre livraison d’un cochon de plus de cent kilos réparti en 4 valises, à livrer à Montmartre, à 6 kilomètres. Martin présente Grandgil comme une connaissance de confiance, mais il ne le connaît que du jour, rencontré dans un bar (une analepse nous raconte la scène) ; or celui-ci se comporte vite sans gêne, provocateur et antipathique. Il extorque à Jamblier une commission bien plus élevée que prévu. Extrait : « Bourlinguer un cochon du boulevard de l’Hôpital à la rue Caulaincourt, s’enfoncer au pas de chasseur toute la traversée de Paris en plein noir, huit kilomètres au raccourci avec la montée de Montmartre en finale, et partout les flics, les poulets, les Fritz, pour gagner six cents francs, vous appelez ça profiter ? » (p. 32). Les deux compères renoncent à « passer la Seine sur le pont d’Austerlitz », trop risqué, et remontent les quais jusqu’à l’île Saint-Louis, passant devant la Halle aux Vins (site de l’actuel campus de Jussieu et de l’Institut du Monde arabe). Sans consulter son compagnon, Grandgil entre soudainement dans un café. Il provoque les consommateurs intrigués par les valises, et c’est là qu’il lance la réplique culte reprise dans le film : « Foutez-moi le camp, salauds de pauvres, reprit Grandgil. Allez aboyer contre le marché noir » (p. 55). Il humilie gratuitement les cafetiers : « Regardez-moi ces gueules d’abrutis, ces anatomies de catastrophe. Admirez le mignon, sa face d’alcoolique, sa viande grise et du mou partout, les bajoues qui croulent de bêtise. Dis donc, ça va durer longtemps ? Tu vas pas changer de gueule, un jour ? Et l’autre rombière, la guenon, l’enflure, la dignité en gélatine avec ses trois mentons de renfort et ses gros nichons en saindoux qui lui dévalent sur la brioche. Cinquante ans chacun. Cinquante ans de connerie. Cinquante et cinquante deux mille cinq. Qu’est-ce que vous foutez sur la terre, tous les deux ? Vous avez pas honte d’exister ? » (p. 59). Lire sur cette nouvelle et le film l’article de Marianne Vidal « Les Traversées de Paris, scènes de genres ».
Le film est très différent, même s’il reprend l’essentiel de la nouvelle, en ajoutant un début, en étirant des motifs et en changeant radicalement la fin, transformant un meurtre en happy end. Le personnage de Mariette, la compagne de Martin, qui est seulement évoquée par des paroles dans la nouvelle, prend corps avec plusieurs scènes, dont le prologue, à la sortie du Métro Saint-Marcel, où un violoniste aveugle joue la Marseillaise. Le film a été moyennement apprécié paraît-il à sa sortie, à cause de sa vision cynique de l’occupation. Et pourtant il a été grandement édulcoré par le scénario, c’est tout dire ! La scène de « salauds de pauvres ! » est plutôt fidèle, mais le reste est moins cruel. Il a fallu inventer des scènes pour remplir 1h20. Le peintre parle allemand et s’en sert pour impressionner des flics français. Au lieu d’être assassiné par son compagnon, ils parviennent jusqu’à leur destination, malheureusement le boucher s’est réfugié au sous-sol et ne les entend pas l’appeler, donc ils doivent crier, ce qui ameute la police allemande. Heureusement Grandgil est reconnu comme artiste par un admirateur, ce qui le fait écarter du groupe de suspects qui attendent leur sort à la kommandantur. On croit que Martin part pour une exécution, car un colonel a été tué, ce qui suppose des représailles, mais il réapparaît dans l’épilogue. Le film n’est pas très riche pour notre thème « Paris, ville capitale ? » On peut reconnaître certains lieux parisiens, comme la place Saint-Georges et le métro du même nom qui sert d’abri, pour la plupart reconstitués en studio. La Halle aux vins n’est pas montrée, et pour cause (elle a été bombardée en 1944). Les génériques montrent des défilés militaires allemand puis international à la Libération, et l’Arc de Triomphe. Les trois monstres sacrés réunis pour l’unique fois n’étaient pas à l’époque de notoriété égale, au point que Bourvil était intimidé par Gabin ; quant à Louis de Funès, ce n’était à l’époque qu’un second rôle méconnu. Dans le film, « Jamblier » devient « Jambier », plus facile à prononcer. Voici un document pédagogique pour l’étude de ce film.
La Grâce est un conte fantastique dont le héros, un certain Duperrier de Montmartre, homme pieux, est doté d’une auréole. Sa femme en est si gênée qu’elle le force à commettre un péché pour la perdre. L’homme se livre tour à tour aux 7 péchés capitaux, sans succès, jusqu’à la luxure. Le tout se passe de Montmartre au boulevard de Clichy, entre 1939 et 1944. « Le soir, à l’heure du blaquaoute, entre la place Pigalle et la rue des Martyrs, les passants s’émeuvent d’apercevoir, flottant et oscillant dans la nuit, un rond de lumière qui se présente sous l’aspect d’une sorte d’anneau de Saturne. C’est Duperrier, le front ceint de la glorieuse auréole qu’il ne se soucie même plus de dissimuler à la curiosité des étrangers ; Duperrier, chargé du poids des sept péchés capitaux, et qui, toute honte bue, surveille le labeur de Marie-Jannick, d’un coup de pied au cul ranimant son ardeur défaillante ou l’attendant à la porte d’un hôtel pour compter le prix d’une étreinte à la clarté de l’auréole » (p. 99).
Le Vin de Paris est à la limite du fantastique, et raconte les destins opposés d’un viticulteur qui déteste le vin et d’un homme qui l’adore mais en est privé à cause de la hausse du prix. Il devient fou et voit son prochain sous la forme d’une bouteille de vin dont il faut enlever le bouchon !
Dermuche est un conte fantastique dont le héros éponyme est un simple d’esprit condamné à mort pour l’assassinat d’un couple de rentiers. L’aumônier chargé de le confesser se rend compte de la simplicité du bonhomme qui voulait juste s’emparer d’une boîte à musique, et tout aussi innocemment, s’entiche de l’enfant Jésus. Dieu accomplit alors un miracle pour sauver Dermuche, à la prière du prêtre.
La Fosse aux péchés est une histoire fantastique digne de la Tentation de Saint-Antoine, dans lequel les passagers d’un paquebot se livrent à tous les péchés en adorateurs du veau d’or. Pour récupérer sa femme et ses filles, un pasteur combat tour à tour l’incarnation des péchés capitaux.
Le Faux Policier est l’histoire d’un Parisien qui, sous l’Occupation, se livre à des activités criminelles déguisé en policier, sous le prétexte vertueux de nourrir ses enfants. À la Libération, il souhaite revenir à une vie honnête ; mais sa femme entend maintenir le train de vie fastueux, et exige qu’il poursuive son activité. Il reprend donc avec le prétexte vertueux de concourir à l’épuration de collabos, jusqu’à ce qu’il s’entiche d’une jeune collabo…
La Bonne Peinture est une longue nouvelle fantastique sur un peintre nommé Lafleur dont la peinture a la vertu de nourrir les gens qui la regardent. Cette faculté est découverte par un clochard affamé dans la période de pénurie de l’après-guerre. Il devient une célébrité, se réconcilie avec son grand rival Poirier. Ces vertus nourrissantes s’étendent bientôt à tous les arts. La nouvelle se prête à des interprétations diverses qui peuvent faire méditer le lecteur des jours durant.
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