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Itinéraire de Découverte 4e / diversité sexuelle

Journal de bord d’une action pédagogique en collège contre l’homophobie (8)

Développement durable ; genre et discriminations sexuelles

lundi 6 novembre 2006

Du lundi 4 avril 2005 au lundi 2 mai 2005
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Lundi 4 avril 2005

Sur la suggestion de ma collègue, je dispose la salle en U, pour faciliter le débat. J’isole les 5 élèves qui n’ont pas rendu leur travail sur l’âge minimum du mariage. Je les ai pourtant relancés à chaque fois que je les ai croisés dans les couloirs depuis 15 jours (le dernier cours n’ayant pas eu lieu à cause du lundi de Pâques). Dans notre collège, pourtant pas en « zone sensible », nous avons du mal à récupérer les devoirs. En l’occurrence les élèves ne pouvaient pas objecter que le sujet les gênait, puisqu’il ne s’agissait que du rapport entre hommes et femmes ! Les travaux faits en classe dans ces conditions se révéleront médiocres, bien sûr.

Nous débattons des dernières interventions. Je tranquillise les élèves quant à la quantité de travail demandé. Une élève, relayée par un ou deux autres, demande si on pourrait « parler du racisme » maintenant. Je rappelle dans quel cadre nous travaillons. Ce serait un autre sujet d’I.D.D. Ils trouvent qu’on ne parle pas souvent du racisme. Il faudra que la semaine prochaine, en corrigeant le travail sur l’âge du mariage, je mette l’accent sur cet article algérien que je leur ai proposé, que je leur rappelle le travail sur la Chine, le bouddhisme, l’exposé sur l’islam, etc. Leur faire prendre conscience que favoriser la connaissance des autres, c’est aussi, indirectement, lutter contre le racisme.

En ce qui concerne les interventions, le débat est lancé par la même élève : « Ils n’ont pas à dévoiler leur vie privée, dire qu’ils sont homosexuels. Ils n’essaient pas de comprendre le point de vue des autres. » Il est dommage que je n’aie pas noté la formulation exacte des propos. Ce fut alors un pénible mais nécessaire plaidoyer quasiment personnel pour justifier pied à pied cet aveu préliminaire des intervenants, que je trouve essentiel [1]. Les élèves feignent-ils d’ignorer ou ignorent-ils réellement qu’ils parlent aussi de moi… J’ai tout fait pour qu’il y ait débat, mais cela semble impossible, les élèves sont pour la plupart réticents, même cette élève, que je devrai à plusieurs reprises encourager à exprimer son opinion, dont elle sent bien qu’elle doit me gêner. C’est vraiment « au fil du rasoir », mais voilà qui va nous aider à cerner ce qu’il faudrait faire pour éviter l’homophobie.

J’essaie de mettre les élèves dans la peau de l’autre (le fameux « I » infantile qui sépare moi du reste de l’humanité). Je commence par l’exemple d’un employé dans une entreprise, à qui ses collègues posent plusieurs fois par an la question de savoir s’il ou elle n’est « pas encore » marié ou n’a « pas encore » d’enfant. N’est-il pas nécessaire, au bout d’un moment, de dévoiler ce tout petit rempart d’intimité qui permet de couper court à ces sous-entendus ? « Ils n’ont qu’à dire qu’ils sont pacsés ! » dit un élève. Peut-être, mais s’ils ne le sont pas ? Et puis pacsé avec un homme ou une femme ? Il faut bien le dire, à la fin. Comme ça n’a pas l’air de passer, je choisis l’exemple plus concret du maire de Paris. Nicolas Sarkozy lui ayant fait le reproche d’étaler sa vie privée, il eut beau jeu de rétorquer dans son récent ouvrage :

« Me suis-je affiché dans la presse people avec un compagnon ? Je suis en réalité d’une grande pudeur dès qu’il s’agit de ma vie personnelle. Peut-on en dire autant de Nicolas Sarkozy ? […] Comment interpréter cette étonnante formulation : « dois-je confesser mon hétérosexualité » ? Nicolas Sarkozy, vous passez votre temps non à « confesser », mais à afficher votre hétérosexualité — nul ne peut vous en contester le droit — au long des multiples reportages sur votre vie familiale complaisamment exposée aux médias. » (Bertrand Delanoë, La vie, passionnément, Robert Laffont, 2004) [2].

Ça ne passe toujours pas. Ce genre de réticences sont souvent bâties sur de soi-disant convictions religieuses, mais ces braves ouailles blanches ont-elles jamais songé que l’obligation où l’on accule implicitement la plupart des homosexuels de mentir pour ne pas choquer, pourrait contrevenir à leurs convictions philosophiques ou éthiques, sinon religieuses ? L’homosexuel a-t-il une âme ?
Question : comment les hétérosexuels donnent à voir leur orientation sexuelle au quotidien, sans y penser ? Les élèves citent les baisers, les caresses. J’ai du mal à leur mettre le doigt sur ce qui est tellement évident qu’on n’y fait plus attention : dire qu’on est marié, qu’on a des enfants, etc. Il est difficile pour les élèves — du moins les 3 ou 4 qui participent à ce « débat » impossible — d’admettre la discrimination implicite. Il est bien évident que derrière ce discours, il y a l’ombre de discussions familiales et, il faut bien le dire, une homophobie rampante, l’homophobie de la tolérance du moment que « I » veulent bien se cacher. Faire admettre à ces élèves que leur réaction est homophobe serait bien sûr contre-productif. Ce qu’il faudrait, c’est faire comprendre aux décideurs qu’il y a du boulot à faire en amont pour que la fameuse assertion réglementaire : « l’homosexualité est un possible parmi d’autres ne donnant lieu à aucun jugement de valeurs » entre dans les faits. On voit bien que même avec une intervention d’une association — à laquelle pas un collégien sur 100 n’aura l’occasion d’assister — cela ne change pas grand-chose au fond, du moins dans l’immédiat. Il faut attendre que les idées fassent leur chemin, que les graines germent…

Certaines associations de parents d’élèves et de planning familial auraient demandé d’intégrer l’éducation à la sexualité dans la loi sur l’avenir de l’école. Tiens, étonnant, on n’y avait même pas pensé ! C’est vrai que, comme on ne parle jamais de sexualité à l’école, les élèves qui n’en entendent pas non plus parler dans leur famille, n’ont plus qu’à trouver sur leur chemin un pédophile qui se fera un plaisir de leur apprendre tout ce qu’ils brûlent de savoir… Il en va de même pour la drogue. Comme dit Melvin Burgess, auteur anglais de Junk (Gallimard, Frontières, 1996), il faut espérer que la première fois qu’on parle de la drogue à un adolescent, ce ne soit pas quelqu’un qui veut leur en vendre… Il est bien évident que ce projet que je mène est disproportionné dans le contexte actuel, et qu’il est déstabilisant pour des élèves d’entendre pour la première fois parler des sexualités LGBT en paquet, alors qu’on ne leur en a jamais dit un mot à l’école jusque-là ! Déstabilisant mais utile, bien sûr, du moment que c’est fait avec tact. Il s’agit avant tout d’une sorte d’expérimentation dans laquelle je me suis lancé à mes risques et périls, mais avec le soutien moral de plusieurs personnes courageuses et en avance sur leur temps. Espérons que quelques responsables dans les bureaux finissent par tomber là-dessus, et que le mammouth s’ébranle…

Ecole, terrain miné

À ce propos, j’ai relevé dans Télérama n°2875 (16 février 2005) un article intitulé « La philo fait parler les cités ». Cet article est en partie basé sur un ouvrage de Carole Diamant intitulé École, terrain miné. Je n’ai pas lu le livre, je ne commente que l’article. À deux reprises, on fait référence à l’homophobie de certains élèves : « Des références au Coran qui s’accumulent dans les copies, des réflexions réactionnaires (sur l’homosexualité ou le sexe avant le mariage) entendues dans les couloirs. […] Sur l’homosexualité ou sur l’avortement, par exemple, il y a un blocage terrible. » Je cite également un témoignage de lycéen significatif : « Entendre toujours parler des mêmes maux, ça fatigue. Je sais que le sujet est délicat, mais dans ma scolarité j’ai eu plusieurs fois la visite de rescapés de la Shoah. Ces rencontres étaient importantes pour comprendre les souffrances du peuple juif, mais vous ne pouvez pas savoir ce qui se passe dans les têtes lorsque l’école ne dit rien sur le massacre de Sabra et Chatila et quasiment rien sur les malheurs du peuple palestinien. »

Sur quels thèmes croyez-vous que porte la réponse pédagogique des enseignants de ce lycée (selon l’article, bien sûr, ce serait à vérifier dans les faits) ? « C’est pour éviter les polémiques stériles que le lycée Auguste-Blanqui a organisé une série de projections et de débats sur les génocides. Claude Lanzmann est venu présenter Shoah. Deux journalistes ont été invités à parler de leurs films sur les génocides arménien et rwandais, et le cinéaste Rithy Panh, auteur de S21, la machine de mort khmère rouge, a évoqué le génocide khmer. Des rencontres passionnantes, et pendant les débats qui ont suivi, une vraie prise de conscience que l’horreur s’appuie toujours sur l’oubli de la souffrance d’autrui. » L’oubli de la souffrance d’autrui. Est-il nécessaire de commenter ?

Le professeur principal de la classe de 4e m’informe que le compte rendu du conseil de classe a été refusé à la représentante des parents d’élèves. Je ne l’ai pas lu, mais elle exprimait une opinion sur l’I.D.D. qui, selon le collègue et le Principal, ne devait pas figurer dans le compte rendu. Soit. Cela aura eu du bon, encourager le collègue à se positionner et à me soutenir. Mon collègue d’histoire accepte ma proposition de demander une intervention de SOS homophobie pour deux classes de 4e et 3e. Nous rédigeons un projet à remettre au principal, en espérant qu’il accepte. Nous ne faisons pas mention de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie, et l’intervention est prévue deux jours après (pour des raisons pratiques) :

M. le Principal,
Nous sollicitons votre autorisation pour le projet suivant :
Dans le cadre du programme d’instruction civique de 4e (les discriminations), et de l’étude de l’argumentation en 3e, nous souhaitons organiser l’intervention de l’association SOS homophobie sur la classe de 4e4 et la classe de 3e2 ou de 3e3 (à déterminer en fonction de la motivation des élèves et des disponibilités de l’association). En effet, les élèves de 4e1 ayant particulièrement apprécié cette intervention, il nous semble opportun d’en faire bénéficier d’autres classes.
Ces interventions feront suite à l’I.D.D. des 4e1, et permettront le retentissement sur d’autres classes du collège à quoi nous nous sommes engagés avec Via le Monde.
Nous souhaitons retenir la date du jeudi 19 mai, sous réserve de l’accord de l’association. À cette date, les exposés des 4e1 sur sexisme et discriminations sexuelles seront disponibles, et quelques élèves pourront participer à l’intervention dans les deux autres classes.

À l’initiative des collègues d’espagnol, avec la classe de 3e dans laquelle certains élèves m’ont reproché de parler d’homosexualité, nous allons voir un excellent film : Mon ami Machuca. Deux adolescents chiliens qui, sous Allende puis Pinochet, découvrent la lutte des classes, l’amitié et l’amour. Trois ou quatre scènes d’humiliation prioritairement basées sur l’homophobie, en plus de l’accusation d’être un « bourge ». Cet apprentissage a dû ravir certains élèves. Les insultes les plus utiles en espagnol leur ont été fournies : pédé (maricon), connard d’enculé (huevon culiado). Une jolie scène de baisers enrichis au lait concentré (si, ils ont osé !) et d’attouchements à trois (deux garçons et une fille, avec la fille bien posée au milieu des garçons, lesquels ne se touchent surtout pas !) Avec une subtile permutation (l’un des garçons au milieu), cette scène aurait fait interdire le film aux moins de 12 ans, j’en suis persuadé ! Enfin, on n’est pas dans un film d’Almodovar, puisque ici le curé est un bon curé, un curé rouge qui laisse en paix les fesses des élèves. On imagine évidemment nos braves élèves découvrant, suite à ce film, les vertus aphrodisiaques du lait concentré ou de tout autre liquide de consistance approchante ! Je vois d’ici les lettres de protestation de parents drapés dans leur vertu. Mais non, tout va bien, ce ne sont que des enfants de 11 ans qui découvrent leur hétérosexualité ; il faut être de son temps !

C’est une classe imprévisible. Nous (l’ensemble des profs) avons les plus grandes difficultés à gérer certaines gamineries hystériques. Concerts d’éternuements, jeu de l’alphabet (un élève dit « A », et entraîne les autres à poursuivre l’énumération à voix haute, pour tester le prof, sans doute). L’ambiance s’aggrave de jour en jour, profil habituel pour un troisième trimestre de classe de 3e. J’endosse sans scrupule ma casquette de flic, mais d’un autre côté je suis étonné par la qualité du travail individuel fourni dans le même temps. Ces adolescents sont des martiens, je ne comprends rien à leur fonctionnement. Il ne semble y avoir aucun rapport entre leur personnalité et leur comportement de groupe. Voici le sujet de rédaction proposé en classe en fin de séquence sur « argumentation et fiction ». « Racontez une scène de « conditionnement » inspirée du texte d’Aldous Huxley. Votre récit sera destiné à dénoncer ce conditionnement, que cela soit implicite ou explicite. »

Chaque élève a fourni un texte très personnel. Par exemple, une élève un peu enveloppée (et très effacée dans la classe, mais toujours excellente en rédaction) a rédigé une émouvante scène de conditionnement au poids idéal pour les jeunes filles : « Nous vivons dans un monde où la beauté est essentielle, un corps parfait aussi. Si vous ne ressemblez pas à elle (elle montra du doigt la photo d’une grande star américaine), vous n’êtes rien ! On ne vous offrira aucun emploi, vous n’aurez pas d’amis qui partageront votre souffrance ! Alors mettez-vous au travail, et faites-moi cinquante pompes chacune ! » [3] Deux élèves parmi ceux qui étaient les plus prompts à me reprocher de parler trop d’homosexualité ont tenu à évoquer ce thème, en le liant au nazisme, alors que je n’y avais fait aucune allusion en présentant la rédaction. Peut-être ont-ils entre-temps vu le fameux téléfilm Un amour à taire ? Ou peut-être — explication moins flatteuse — ont-ils cru qu’en abordant ce thème dont ils savent qu’il m’est cher, ils obtiendraient une meilleure note ? « Entre juifs, tsiganes, homosexuels, prisonniers, tout est confondu, j’en vois passer de toutes « races ». Un amas d’hommes, tous différents, mais en ces lieux nous étions tous dans la même galère. » « Les jeunesses hitlériennes se mirent à hurler des injures racistes à mes yeux, car moi et seulement moi étais contre l’antisémitisme. L’école avait enfin permis d’être antisémite. La prochaine leçon portait sur l’homophobie. » [4].

Quoi qu’il en soit, si ce projet m’aura apporté quelque chose en tant qu’enseignant de français, c’est une amélioration de mon « rendement » en expression écrite. J’obtiens de bien meilleurs résultats cette année que les précédentes, peut-être parce que je me demande, au moment de créer le sujet de rédaction, non pas ce que je peux leur proposer, mais ce qu’ils peuvent avoir envie d’exprimer en fonction des textes que nous avons étudiés. Je me suis efforcé cette année (aussi bien en sixième qu’en troisième) de trouver des sujets au spectre assez large, et surtout permettant à des adolescents d’aborder les thèmes qui leur sont chers. Il est évident que s’ils ont quelque chose à dire, ils écriront dix fois mieux que si la rédaction n’est qu’une corvée.

Avec la classe de sixième, nous abordons la traditionnelle séquence sur les contes. Trois livres leur sont proposés au choix : Contes chinois, Contes du Caire, Contes du Liban, dans une collection de L’École des Loisirs. Les élèves d’origine maghrébine choisissent plus volontiers les contes chinois. Quant à notre sujet, est-il nécessaire de remarquer que dans tous ces livres, les contes sont 100 % hétérosexuels. Prenons juste un exemple pour la forme. Dans les Contes chinois, Confucius veut piéger son « jeune maître », un garçon de sept ans qui a réponse à tout. Il lui pose une série de questions, dont celles-ci : « Connais-tu […] Un homme sans femme ? Une femme sans mari ? Un mâle sans femelle ? » Voici la réplique du garçon : « Un Immortel n’a pas de femme. Une fée n’a pas de mari. Un mâle solitaire n’a pas de femelle. » (P. 96) Que voulez-vous faire quand les enfants subissent à longueur de journée ce matraquage dont quasiment aucun hétérosexuel n’est conscient ? J’ai écrit un livre de contre-contes, mais bien sûr pour l’instant aucun éditeur n’a accepté ça… Par où commencer ?

Lundi 11 avril 2005

Lors du mini-débat sur l’âge du mariage, nous établissons péniblement à partir des rédactions d’élèves quelques arguments pour ou contre. Ça vire rapidement à un affrontement nœud-nœud sur qui, des filles ou des garçons, a le plus de maturité. Certains s’emmêlent les pédales à l’oral, entre être « contre le projet de loi » ou être « contre le mariage à quinze ans pour les filles ». J’explique qu’on pourrait aussi se prononcer « pour l’égalité », et vouloir ramener l’âge minimum à 15 ans pour les deux sexes. Cela dit, la problématique est quand même comprise, même si les conclusions feront leur chemin avant d’être formulées. Il est significatif qu’une élève, pour conclure, demande mon avis personnel. Avec les précautions d’usage, j’explique que je suis contre le mariage en général, que je préfère le pacs, et que de toute façon 15 ans ou 18 ans me semble un âge trop jeune pour s’engager à vie.

Aucun élève n’est allé voir Moolaade. Comme ils réclament une sortie au cinéma, je leur fais remarquer que si deux ou trois élèves avaient montré de la motivation en allant voir ce film, cela m’aurait donné davantage d’envie d’organiser une sortie. C’est bizarre, alors qu’il y a un excellent cinéma de quartier dans cette ville, alors que nous y organisons régulièrement des sorties, qu’aller voir un film au cinéma demeure une activité magique. Ou alors les élèves n’ont pas osé parler du thème du film ? Y a-t-il un rapport avec le fait qu’on me demande à moi mon avis sur l’âge du mariage ? De quoi discutent ces adolescents avec leurs parents ?

J’ai oublié un détail dans le débat de la semaine précédente. Quand j’ai posé la question de comparer la visibilité quotidienne des hétéros et homos, des élèves avaient ressorti le préjugé de la silhouette, avec force mimiques (ils font « comme ça », avec déhanché ou balancement du bras très « cage aux folles »). La visibilité de l’homo, malgré le travail accompli, cela reste d’une part l’homo de sexe masculin, d’autre part l’homo efféminé. Ne nous formalisons pas, nous sommes tous victimes de ce genre de préjugés sur les catégories de personnes que nous fréquentons peu. Je fais le parallèle avec les jeunes filles en foulard ou le barbu à djellaba, qui, pour beaucoup, représentent la musulmane ou le musulman type. Ce qu’il faut contester, c’est l’effet loupe des médias de masse. Et éviter de montrer du doigt ceux qui arborent réellement l’image réductrice. Je ne suis pas de ceux qui fulminent contre les drag-queens à la gay pride, au contraire ! Je fulmine plutôt contre ceux (homos ou hétéros) qui voudraient un monde uniforme.

Nous allons avec les troisièmes voir les courts-métrages dont j’ai parlé à l’occasion du stage « collège au cinéma ». J’ai préparé une grille, et chaque élève se concentrera sur un des 6 films, dans l’optique d’un débat. Dans ces six films, il y a un tel réservoir d’idées que, si les élèves se prêtent au jeu, ça va donner un feu d’artifice. J’invite l’animateur scolaire du cinéma, qui a l’air d’en connaître un rayon dans son domaine, et qui m’avait dit quelques mots lors de mon coup de gueule au stage. Surprise, j’ignore pourquoi, mais le film d’animation de Jan Svankmajer a été présenté dans son intégralité. Je suis impatient de connaître l’interprétation des élèves…
Bonne nouvelle, le principal a donné sans hésiter son accord pour les deux interventions de SOS homophobie. Sans non plus en profiter pour me dire quelques mots. La communication n’est pas facile, mais l’essentiel est qu’on me laisse agir, et me renouvelle une certaine confiance. Ce que j’avais proposé au début était sans doute trop « ambitieux »…

Lundi 2 mai 2005

Il n’y a pas eu d’I.D.D. le 18 avril, car j’accompagnais un voyage scolaire en Allemagne. Quelques observations cependant. J’étais hébergé par un couple d’enseignants, la cinquantaine, deux enfants, catholiques pratiquants. Nous étions en Bavière, et le pape bavarois a été élu pendant notre séjour. Comme dans mon pamphlet récemment paru je règle son compte au cardinal Ratzinger, ce réac homophobe que, sans se soucier de l’avis des fidèles, les cardinaux ont posé sur le siège papal, c’était l’occasion de vérifier sa popularité auprès du peuple catholique. Je n’ai pas été déçu : avant l’élection, mes hôtes m’ont dit « Pourvu qu’il ne soit pas élu ! » Ils n’apprécient pas du tout son conservatisme (nous ne sommes pas entrés dans les détails). Et quand la nouvelle est tombée, ils étaient catastrophés. J’ai découvert un fait que j’ignorais : une grande proportion des Allemands sont terrifiés par la crainte qu’on les croie encore infestés de nazisme, et redoutent tout ce qui peut les faire passer aux yeux du reste du monde pour ultra-conservateurs. Pas de scènes de joie donc, et mes hôtes ne m’ont pas laissé tomber pour se réunir avec d’autres croyants en culotte de peau !

Deuxième observation : j’ai profité de l’occasion pour assister à un cours de religion dans le « Gymnasium » qui nous accueillait. Je n’ai pas demandé si c’était un cours œcuménique ou catholique. Les élèves ont le choix entre un cours d’éthique et un cours de religion. Il y a même dans cet établissement des élèves musulmanes, dont au moins une que j’ai vue avec un foulard, dans des salles de classes où un crucifix pend au mur ! Le cours de religion a commencé par une prière commune, puis, dans un joyeux bordel qui m’a rassuré quant à l’image négative des élèves de Seine-Saint-Denis, ces élèves de niveau 6e sont allés dans une salle d’informatique effectuer une recherche sur ledit pape. Je n’en sais pas plus pour l’instant sur ces cours de religion, mais il y a de quoi réfléchir sur le thème de la laïcité.
Par contre, la modernité et la quantité du matériel disponible m’ont fait honte, ainsi que par exemple les tableaux coulissants et certaines salles en gradin, privilèges réservées aux facultés en France. Dans notre collège, la moitié des tableaux ont été fixés à 1m du sol, et provoquent un mal au dos aux collègues de plus de 1m50. Les élèves n’arrivent pas à déchiffrer les calligraphies contrariées, ou si le prof protège son dos mais n’utilise que la moitié supérieure du tableau, les élèves lents n’y trouvent pas leur compte. Arrêtons, c’est un souci matériel, donc vil.

Troisième observation : étude clinique de nos élèves en pleine nature. Il y avait 23 élèves français, dont 10 que je connaissais. Il était clair que la préoccupation numéro un de la plupart d’entre eux, du moins leur sujet de conversation principal — peut-être par jeu et provocation bon enfant — était « sexualité et séduction ». Il fallait d’ailleurs voir dans ce groupe les effets ravageurs de la mode du ventre ultra-plat et de l’exposition du nombril chez les minettes. Dans le monde consumériste qui est désormais le nôtre, il y a cohabitation pour des intérêts industriels divergents, de l’obésité pour favoriser l’industrie agro-alimentaire, et du look asperge pour l’industrie de la mode, de la musique et des médias. Je me demande quand le patronat va enfin comprendre que ce paradoxe nuit à ses profits. Il faudra alors choisir, et imposer à tous soit un look adipeux, soit un look étique, après qu’une étude de marché aura évalué la rentabilité de l’un et de l’autre.

Bref, quand ce n’était pas l’évaluation des chances d’emballer un ou une Allemand(e) avant la fin du séjour, ou l’émulation pour oser draguer une jeune femme dans un train, j’ai clairement entendu qu’un des mots les plus fréquemment utilisé dans les discussions était le mot « gai », et pas en bien. Au début du séjour, un élève a demandé à ma collègue, parlant d’un Allemand à la voix non encore muée, et qui aggravait son cas en portant une boucle d’oreille, si c’était une fille ou un garçon. Lors de la fête d’adieu, j’ai même entendu un garçon à la voix grave et portante, répéter ce mot comme insulte, et dire, comme un autre garçon montait sur la scène pour recevoir un prix : « non, pas lui, c’est une tapiole ». Le lendemain, nous avons pris cet élève à part avec ma collègue pour lui demander des explications sur son comportement (sans dramatiser à l’excès, ni brandir menaces ou punitions). Je lui ai rapporté ce que j’avais relevé comme je viens de le faire ici, et ai tenté de lui expliquer en quoi cela était d’une part homophobe, et d’autre part potentiellement blessant pour d’autres élèves qui auraient pu entendre ses propos. Il s‘est justifié en prétendant que c’était un jeu entre eux, mais je lui ai fait remarquer que tout le monde l’avait clairement entendu. Il a certifié qu’il avait bien compris nos remarques. Cet élève fait justement partie de la classe qui va prochainement recevoir une information de SOS homophobie !

Le numéro du Monde de l’Éducation de mai propose un dossier « Sexe et école, une liaison délicate ». L’article de Diane Galbaud consacré à l’homosexualité est fort intéressant, et j’ai l’honneur d’y être cité. Pour ceux qui n’ont pas l’habitude d’être interviewé, il faut simplement rappeler comment ça se passe quand on est loin d’être une vedette : on vous cuisine pendant une heure, une heure et demie, et on extrait de cet entretien à bâtons rompus trois ou quatre phrases commentées. Dans ces conditions, il est difficile de maîtriser ce qu’on nous fait dire. Je regrette seulement que les deux articles de Julie Chupin consacrés aux liaisons entre profs ou entre profs et élèves n’évoquent que l’hétérosexualité. Je vous laisse découvrir l’ensemble du dossier (et l’ensemble du numéro) qui mérite la lecture. Jean-Yves a mis en ligne des extraits de cet article sur Culture et débats [5].

 Lire la suite de ce Journal de bord.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Présentation du projet


© altersexualite.com 2007.


[1Je déteste ces situations où l’on débat sans support, et où le prof est en situation de produire un discours personnel. Mon obsession en tant que prof (est-ce sensible dans ce journal ?) est de toujours bâtir la réflexion sur des supports pédagogiques. Qu’on prenne cette séance comme une exception à une règle bien établie.

[2Cette remarque prend tout son sel trois ans plus tard avec le savoureux épisode du divorce du « couple » présidentiel. Quel journaliste osera rapporter à Notre Bien Aimé Président ses propos sur la vie privée de Delanoë ?

[4Encore une fois, relisant ces notes trois ans plus tard, je suis étonné de la qualité des écrits de ces élèves de collège, quand je les compare à ceux de mes lycéens actuels, pourtant dans le même département et dans un établissement tout aussi public.

[5C’est à cette date que j’ai publié un article sur le TCE, où je m’engageais pour le « NON ».

Messages

  • Très intéressante votre vision clinique des rapports de l’enseignant avec les élèves. Je pense au livre de F. Bégaudeau "entre les murs" qui en est aussi un exemple.
    Vous avez raison de souligner la dynamique de groupe particulière qui agit les ados dès qu’ils sont ensemble. On observe d’étonnants comportements régressifs d’ados qui d’habitude nous montre en situation individuelle plus d’intelligence. C’est un phénomène bien courant qu’on remarque dans les groupes. Sans oublier que le rapport enseignant-adulte face aux élèves-ados se situe à ce moment là en dehors du cadre habituel de la salle de classe, et donc favorise ces modes régressifs.
    Je vais poursuivre votre feuilleton/journal de bord. Bravo pour ce travail mené avec rigueur et honnêteté auprès des élèves

    Voir en ligne : http://psykokwak.livejournal.com