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Vous avez dit « homosexuel » ?

L’éducation nationale et la diversité sexuelle en France

Chronologie des circulaires et autres dates marquantes

mercredi 28 juillet 2010

Avant 1996, il était quasiment impossible d’aborder l’altersexualité dans le cadre éducatif en France. Nous nous servions du prétexte du sida. Certains révolutionnaires ou kamikazes, sans doute, eurent le courage de glisser quelques mots dans l’oreille des élèves quand ils entendaient trop de « pédés » ou « enculés ». Peut-être dans l’effervescence des années post-68 y eut-il quelques initiatives oubliées, mais dans l’ensemble, l’homosexualité et la question transgenre n’existaient pas à l’école. La pédophilie a inquiété nos politiciens avant l’homosexualité ; même la compassion à l’égard de ceux qui tombèrent comme des mouches dans les années 80 et 90 ne donna jamais l’idée à un gratte-papier du ministère qu’on pourrait alléger la souffrance sociale des homos. Encore une chance que nous n’ayons pas été comme nos voisins britanniques sous le triste régime de la Clause 28. Souvenez-vous de cette façon tellement charmante qu’eut la très honorable et très humaniste Margaret Thatcher de latter la gueule des pédés en 1986, au plus noir de la tragédie du sida, en interdisant d’évoquer favorablement l’homosexualité dans l’enseignement, initiative obscurantiste qui ravirait encore aujourd’hui un certain nombre de lobbies français cathos ou d’extrême droite, ou les deux, qui semblent très écoutés dans les allées du pouvoir ; lequel ne consent pas à outrepasser la « lutte contre l’homophobie ».

Chronologie 1996 / 2007

1996/1999 : éphémère existence de l’association AGLAE : « Amicale Gay et Lesbienne Autonome des Enseignants »

La « circulaire Royal », n° 97-175 du 26 août 1997 a fait beaucoup de mal à la profession et à la société. Le SNEP avait d’ailleurs obtenu pour les enseignants d’EPS une « contre-circulaire » de Jack Lang, le 9 janvier 2001, car aucun prof d’EPS n’osait plus toucher un élève, même pour l’empêcher de se casser la gueule ! La « pédophilie » faisait donc, grâce à la profonde compétence politique de Madame Ségolène Royal, son entrée dans les textes officiels de l’Éducation nationale. C’était d’autant plus déplacé qu’à cette époque, aussi incroyable que cela paraisse, le mot « homosexualité » n’avait pas été employé une seule fois dans les archives du BO ! En 1999, l’adoption du PACS a été le big bang qui a débloqué les choses.

En 1998, la circulaire N°98-234 du 19-11-1998 intitulée « Éducation à la sexualité et prévention du sida » parvient encore à éviter de nommer l’innommable. La circonlocution qui se rapproche le plus de l’idée d’homosexualité est : « Droit à la sexualité et respect de l’autre : Comprendre qu’il puisse y avoir des comportements sexuels variés. » Ce que doit comprendre l’enseignant, surtout, c’est qu’il faut toucher ça comme de la braise !

En 2000, création du Collectif HomoEdu.

La circulaire de Jack Lang n° 2001-245 du 21-11-2001 a fait date, car pour la première fois en France, le mot « homophobie » est employé dans un texte du B.O. : « La prévention tout comme la lutte contre les exclusions et les discriminations, souvent liées à l’intolérance qui chaque jour dans la société, et parfois dans nos établissements, prend le visage ignoble des injures sexistes, de l’homophobie, du machisme, des rapports de force, voire des violences sexuelles, constituent les axes forts des actions qui doivent être menées dans les établissements scolaires. […]
L’éducation à la sexualité, que j’ai l’intention de généraliser pour tous les élèves, offre un cadre pédagogique approprié. Entendue comme une éducation à la responsabilité, à la vie affective, mais aussi au respect de l’autre, à l’égalité entre garçons et filles et à l’acceptation des différences, l’éducation à la sexualité a désormais pleinement sa place à l’école.
Elle doit aujourd’hui intégrer les questions liées à la mixité, à la lutte contre le sexisme, l’homophobie et permettre de mieux prendre en compte les attentes des jeunes, avec leurs différences et leurs préoccupations spécifiques. »

Voici enfin la circulaire N°2003-027 DU 17-2-2003 sur l’éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées. Extrait : « Cette démarche est d’autant plus importante qu’elle est à la fois constitutive d’une politique nationale de prévention et de réduction des risques – grossesses précoces non désirées, infections sexuellement transmissibles, VIH/ sida – et légitimée par la protection des jeunes vis-à-vis des violences ou de l’exploitation sexuelles, de la pornographie ou encore par la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes. »
On constate à cette lecture que l’on recherche des « prétextes » à aborder la sexualité, tous liés à des interdictions et des prescriptions terrifiantes pour les élèves, et qu’il n’est absolument pas question d’éducation. Où est passée la notion de plaisir ? Voir cet article plus complet.

En 2003, parution du DVD Qu’en dira-t-on ?, Local Film, Éditions éducagri. Ce document exceptionnel et en avance sur son temps est dû à l’initiative d’Ève Lê-Quang, pour le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, en partenariat avec Sida Info Service et la Ligne Azur. Il est loisible aux professeurs de l’Éducation nationale de l’utiliser, grâce au label ministériel de l’Agriculture !
 M. François Fillon, ministre de l’Éducation nationale, fait distribuer gratuitement en 2004/2005 un Guide républicain stipulant que : « cet ouvrage [est] un véritable outil de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les dérives communautaristes, pour que vive l’idée républicaine aujourd’hui. ». Préface de M. Fillon : « voici que resurgissent certains des démons qui ont fait le malheur du passé : la violence, l’antisémitisme, le racisme ou encore l’égoïsme identitaire… » Aucune mention de l’homophobie : serait-elle incluse parmi les « égoïsme(s) identitaire(s) » ? Voir cet article plus complet.
En 2005, création de la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie. Voir nos Idées pédagogiques.
Le 16 mai 2007 eut lieu un Colloque contre l’homophobie et pour la diversité par l’éducation. Malgré mon insistance et celle de quelques militants, nous n’osâmes pas accoler l’adjectif « sexuelle » après « diversité ». Ça ne serait pas passé !

Chappatte, dessin pour Le Temps, 9 février 2020.
© Chappatte

La circulaire 2008 : tout change ?

 Circulaire de rentrée 2008 (n° 2008-042 du 4-4-2008) : « Lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie ». La circulaire de 2009 précisera même que cela « appelle une réponse qui, selon les cas, relève des champs pédagogique, disciplinaire, pénal ou de plusieurs d’entre eux ». Bémol : seulement au lycée ; si l’on en croit les propos du ministre Xavier Darcos dans une entrevue à Têtu (septembre 2008) ! « C’est un peu plus difficile, les élèves y sont plus jeunes, il y a des enfants de 11 ans. Il y a aussi des classes de quatrième et de troisième… Les élèves du collège sont moins homogènes qu’au lycée, et il existe une vigilance beaucoup plus grande de certaines familles concernant tous ces sujets. C’est toujours un peu compliqué. Bien sûr, je suis très favorable à ce que les questions de sexualité soient abordées au collège, ce qui est le cas d’ailleurs, et qu’à cette occasion soient évoquées les options sexuelles des uns et des autres, mais je ne sais pas si on pourrait traiter de ce sujet dès la classe de sixième. Et d’ailleurs, dans quelle discipline ? »
L’anecdote du crime homophobe de Reims (Affaire François Chenu) suffit à prouver que bien sûr, c’est au collège, et même et surtout avant qu’il faut éduquer à la diversité sexuelle. L’un des meurtriers avait moins de 16 ans au moment des faits, et sortait donc à peine du collège. (voir mon Journal de Bord). D’autre part, y a-t-il au collège une liste de sujets dont il ne serait pas permis de parler ? Il s’agit surtout d’autocensure (Voir l’affaire « Collège au Cinéma » évoquée dans le Journal de Bord). Pour répondre au ministre : dans toutes les matières ! Par des recommandations aux fabricants de manuels (les gros industriels, vendeurs d’armes ou non amis du gouvernement) pour tenir compte de la diversité sexuelle et ne pas promouvoir les préjugés sexistes dans les textes et les illustrations ; mais plus spécifiquement en cours d’histoire, lors de l’évocation de la civilisation grecque et romaine au programme de 6e précisément, et en cours de français, en ajoutant à la liste d’ouvrages recommandés dans les compléments de programmes, des livres de notre sélection ! Heureusement que le ministre rappelait « le principe dispositif propre à l’Éducation nationale française qui est la liberté pédagogique ». Il aurait pu glisser ça dans l’oreille des conseillers du Président de la république lorsqu’ils mitonnent des entorses à cette liberté (lettre de Guy Môquet, parrainage d’enfants juifs ou autres gadgets démagogiques).

La circulaire 2010 (n° 2010-38 du 16-3-2010) pratique la méthode Coué : « Depuis septembre 2009, les établissements ont intégré dans leur règlement intérieur la mention du refus de toutes formes de discriminations, en les nommant clairement, ainsi que l’interdiction de tout harcèlement discriminatoire, propos injurieux ou diffamatoires portant atteinte à la dignité de la personne. » Et ajoute : « Les établissements favoriseront l’esprit d’initiative des élèves autour de projets visant à prévenir les atteintes à la dignité de la personne. Ils s’attacheront aussi à promouvoir l’égalité entre les sexes à tous les niveaux d’enseignement, par un apprentissage précoce qui permet de combattre les représentations stéréotypées et de construire dès la maternelle d’autres modèles de comportement, notamment en matière de choix et d’ambition scolaires. » Ne dirait-on pas un appel à créer des « itinéraires de découvertes » sur les questions de diversité sexuelle ?
On notera en passant dans la même circulaire que le principe de « liberté pédagogique » opposé par M. Darcos est foulé aux pieds par son successeur : « C’est pourquoi, dans le cadre d’un travail pédagogique, l’hymne national doit être su par tous les élèves. » […] « On encouragera aussi l’apprentissage de l’hymne européen. Les classes seront invitées à participer aux cérémonies commémoratives, l’objectif étant que chaque commune de France puisse compter sur la participation d’élèves le 8 mai et le 11 novembre. » Comme on disait au bon vieux temps : « Et tout ça fait / D’excellents Français ».

En 2010 : polémique sur l’affaire du film d’animation Le baiser de la lune de Sébastien Watel. Le ministre Luc Chatel a déclaré à cette occasion qu’il lui semblait « prématuré » de « traiter ces sujets ». On en revient toujours à la même peur sous-jacente, l’accusation de prosélytisme, et l’obsession du « risque », voire la paranoïa de la contamination homosexuelle, ou pire ! On ne songe pas à l’éducation. Or il est évident qu’il est précisément trop tard pour aborder ces sujets en lycée, et même au collège ! Le même ministre publie un communiqué le 17/05/2010, qui évoque les collèges et les lycées, mais ignore totalement le premier degré.
Voir au sujet de l’affaire Baiser de la lune, les articles intéressants pour L’Humanité d’Éric Verdier, et pour Le Monde d’Aline Louangvannasy et de Gaël Pasquier. Extrait de ce dernier article : « La lutte contre l’homophobie ne s’ajoute pas à l’ensemble d’un programme d’apprentissage déjà chargé mais s’intègre aux enseignements traditionnels. Un livre comme L’Heure des parents, de Christian Bruel, en montrant différentes formes de schémas familiaux, est un formidable support pour une séance de langage en petite section. Camélia et Capucine, d’Adela Turin, conte de fées atypique, se prête volontiers à une analyse littéraire en CM2 ».

On comprend les réticences du ministre quand on constate le pullulement sur Internet de sites prétendument chrétiens comme celui-ci qui bavent à longueur d’année leur haine de la sexualité, et traitent les militants de l’éducation à la sexualité et plus particulièrement les altersexuels de « lobby », comme si l’Église catholique n’en était pas un sacré, et pourri de thunes, de « lobby ». Un lobby qui a foutu en l’air la vie d’un nombre considérables de gosses par la perversion sexuelle de nombre de ses prêtres, et qui met longtemps, si longtemps à le reconnaître, en protégeant ceux qui emplissent les gigantesques caisses infundibuliformes du Vatican (cf l’affaire Marcial Maciel Degollado !). De plus, le site en question est composé d’articles totalement anonymes : quel courage, chez ces pourfendeurs de lobbies ! C’est amusant, le lobby catho a persécuté les homos pendant des siècles sans jamais demander pardon, et voilà que ce sont eux désormais qui se cachent pour nous baver dessus… Il va sans dire que ce n’est pas aux écoles catholiques que ces critiques s’adressent : au contraire, j’ai souvent eu des échos de très bonnes actions dans ces écoles lorsqu’un élève se trouvait persécuté pour raison d’homophobie ; mais la question de l’éducation à la diversité sexuelle dans l’enseignement privé reste posée…

La burqa et les catégories « sur-protégées »

Dans Les Cahiers pédagogiques n° 477, décembre 2009, dossier « Questions sensibles et sujets tabous ». Françoise Lorcerie dit l’essentiel : « Au passage, on voit que l’antisémitisme imputé par certains auteurs à « ces » élèves n’a rien de général ni de naturel. Mais de fait, lorsqu’on parle de racisme à l’école, c’est plutôt de racisme antijuif, dans une pédagogie du détour, devant des classes où les enfants d’immigrés postcoloniaux sont en nombre et vivent au quotidien un racisme antiarabe ou antimusulman qui n’est pas didactisé » (p. 15). Cette réflexion nous permet de comprendre que, dans un contexte où on s’obstine à agiter inutilement l’étendard de la burqa, et à insinuer à longueur d’année à nos élèves d’origine arabo-musulmane [1] que leur culture est indésirable, en appeler seulement à la « lutte contre l’homophobie » au lycée est voué à l’échec. Une réaction de plus en plus fréquente parmi mes élèves est de parler de « catégories sur-protégées » pour les homosexuels et les juifs. Pour éviter cet écueil, mieux vaudrait donc se consacrer à une « Education à la diversité sexuelle », de même que dans le cadre de la lutte contre le racisme ou le sexisme : éduquer à la « diversité textuelle » ou culturelle en intégrant à notre enseignement la culture des pays d’immigration, dans le cadre d’une « intégration » qui ne serait plus à sens unique, un partage plutôt qu’une injonction.
Cela permet d’éviter la victimisation, toujours à double tranchant : présenter une catégorie de personnes comme victimes de discrimination, c’est risquer de les figer dans ce rôle, et paradoxalement, de présenter comme naturel de les discriminer. Cela n’empêche pas, bien sûr, qu’il est injuste de parler de « catégorie sur-protégée » en ce qui concerne les homosexuels : en effet, avant l’an 2000 en gros, toutes les associations antiracistes ou anti-discriminations étaient homophobes et refusaient catégoriquement de défendre les homos. Elles se sont discrètement rattrapées plus tard, c’est tout. Malheureusement ce retour en arrière est hors de portée de nos élèves, qui vivent dans l’instantané.
 Pour conclure, le mot « homosexuel » ou « homosexualité » n’ont à ce jour (juin 2010) été employés qu’une seule fois sur le site du ministère de l’Éducation nationale, et c’était en 2010. C’est non pas dans un numéro du B.O., mais dans le répertoire des associations agréées, pour le descriptif de l’association Contact, dont l’agrément, daté du 3/7/2008 était plus laconique. Le descriptif de l’association SOS Homophobie parvient à éviter tout autre mot que « homophobie »… Ce serait donc pure calomnie de prétendre que le mot « homosexuel » pose encore problème dans l’Éducation nationale !

Allons, Ministres, encore un effort pour devenir révolutionnaires !

 Net progrès en septembre 2010, avec la publication du « Rapport sur les discriminations » du 22 septembre 2010.

 À la rentrée 2011, tempête dans un encrier : le lobby catho des Parlementaires, notamment de droite, s’agite contre certains manuels de SVT qui intègrent les notions récentes apportées par les « Gender studies ». Lire cet article de « Slate.fr » qui montre que tous les cathos sont loin d’être obscurantistes. Au Canada, si l’on en croit cet article de Susan Martinuk, « Ontario — Les parents se rebiffent contre le nouveau programme de lutte contre l’homophobie », mêmes soubresauts de la bête réac.

 En 2012 rien ne va plus dans l’Utah : « Dans cet état contrôlé par les conservateurs, où vit une forte proportion de Mormons, il sera désormais interdit également de parler d’homosexualité en classe ou des questions sexuelles en général, sauf si cela concerne l’abstinence avant le mariage. » Voir l’article de Libération. En même temps, des intégristes cathos promotionnent l’ours Purity bear pour interdire le sexe avant le mariage. Est-on à l’abri de ces névrosés en France ?
 Juin 2013 : Michel Teychenné publie un rapport officiel consacré aux discriminations homophobes à l’École.
 Octobre 2013, parution de Les jeunes face aux discriminations liées à l’orientation sexuelle et au genre : agir contre les LGBT-phobies, de Cécile Chartrain, Cahiers de l’action n°40, INJEP.
 Fin 2013, début 2014, polémiques créées de toutes pièces par certaines associations familialistes de droite dure à propos de livres ou albums jeunesse. Voir notre article.

 Retour à l’article sur la conférence organisée par l’association Arc-en-Ciel Toulouse.

Lionel Labosse


© altersexualite.com, 2010-2014
La vignette vient d’un programme canadien : « L’homophobie, pas dans ma cour »


[1Se rend-on encore compte dans les hautes sphères que le simple fait de spécifier le seul « antisémitisme » comme hyponyme de racisme, et donc de ne pas spécifier l’islamophobie, constitue en soi une discrimination, ressentie inconsciemment au quotidien par les élèves d’origine musulmane, et par leurs parents. Le pire, c’est que les « républicains » de gauche et de droite oublient cela quand ils s’inquiètent de la radicalisation islamique à l’école…