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Anti-contes de fées, pour les 3e et le lycée

Le Rouge vous va si bien, de Lucie Durbiano

Gallimard, Bayou, 2007, 94 p., 16 €

lundi 12 mai 2008

Une fort belle bande dessinée constituée de sept contes courts construits sur le thème de l’amour, un amour pas vraiment orthosexuel : le mariage y est rarement présenté comme une panacée, et croquer le fruit défendu, même si les réveils peuvent être amers, semble un pis-aller sur lequel, en attendant mieux, il n’y ait pas à cracher. Le « couple » le plus heureux, finalement, semble être le « trouple » de l’histoire la plus altersexuelle : « Samuel », qui s’oppose à celui de l’histoire centrale, « Far West », plus semblable au pitoyable trio du vaudeville dans sa variante fraternelle. En dépit d’une petite saute d’humeur, c’est dans un lit pas très conjugal que les deux héros garçons de « Samuel » sont le plus heureux, sans que la reine ne semble s’en plaindre… Un livre tout à fait recommandable dans le cadre d’une éducation à la sexualité bien ordonnée.

Résumé

« Le rouge vous va si bien » est une variation sur le thème du Petit Chaperon rouge, qui brode sur l’inconscient du conte. La jeune fille fait une déclaration au loup : « Vous ne venez jamais me voir, et je me languis de vous ». Celui-ci n’est pas chien, mais lui donne une leçon de cynisme en amour : « apprenez que l’amour peut être cruel ».
« Lili et Charlie » est un conte nocturne bleu, une sorte de tragédie grecque ou corse sur côte normande : Lili et Charlie se sont donné rendez-vous sur une falaise par une nuit de pleine lune. Charlie va partir à l’étranger, Lili refuse de le suivre. Elle espère que son père change d’avis sur Charlie et l’autorise à l’épouser. Mais pour celui-ci, Charlie n’est qu’une « petite merde » et « un monstre ».
« Samuel » est la non-histoire d’un mignon du roi Henri III (dont voici le portrait par François Clouet, pris dans l’article de Wikipédia), qui a des velléités d’indépendance. Il exprime l’envie de « partir à la guerre », mais c’est traité à la façon d’une crise existentielle de gigolo moderne, car quand le roi, qui s’intéresse surtout à son « joli petit cul » le laisse partir sans tenter de le retenir, Samuel n’ira pas bien loin ! On note l’attitude très conciliante de l’épouse royale : « Samuel est jeune et impulsif, certes, mais il vous aime sans aucun doute ».

Le duc d’Anjou, par François Clouet

« Far West » reprend le thème du premier conte, mais un peu plus tard. Le loup est cette fois-ci un paysan de l’Amérique profonde, qui doit épouser une jeune femme, à condition que celle-ci consente à abandonner son job de vendeuse pour faire des enfants, selon la volonté d’une belle-mère très orthosexuelle. Son frère, qui a fait de brillantes études, passe à l’improviste. Il n’a aucune peine à séduire la jeune promise ; mais entre son frère et lui, lequel est le plus « loup » ?
« Lapin lapin » est une variation sur Alice au pays des merveilles, avec une jeune fille encore plus cruche que celle des histoires précédentes, qui suit le lapin contre son gré, et se retrouve dans un monde parallèle, où celui-ci n’aura d’autre alternative que de l’abandonner aux mains de terribles pirates. Terribles ? À voir !
« La complainte de l’escargot » est un conte psychédélique et psychanalytique sur un escargot amoureux d’une statue de femme. Comme dans « Samuel », sa compagne escargote joue les conseillères, mais ne pourra pas éviter le terrible drame. Terrible ? Je vous laisse découvrir les deux dernières images !
« Cocktail champêtre » est un conte nocturne rose : un frère et une sœur se rendent à un cocktail mondain en pleine nature. Chacun, rêvant d’une carrière artistique, va courtiser un artiste reconnu, et plus ou moins « conclure », avant de conclure sur la vacuité de ce genre de soirées, qu’ils sont pourtant prêts à renouveler aussitôt…

Mon avis

On est frappé par la variété de ton narratif et chromatique, d’une histoire à l’autre, et dans la même histoire. Même les formes des dessins suivent les catégories narratives. Ainsi les arbres de « Lapin lapin » sont-ils semblables à des baudruches, tandis que les couleurs et les formes de « La complainte de l’escargot » nous poussent vers une lecture psychanalytique… L’ensemble est cependant d’une grande cohérence : si les personnages se montrent cyniques ou naïfs, l’auteure ne donne pas de leçon de morale en distribuant auréoles et queues fourchues. Elle semble ne montrer des situations variées que pour mieux renvoyer le lecteur, particulièrement le jeune lecteur, à ses responsabilités, et le garder de reporter la faute sur autrui dans les inévitables errements de l’amour. Si l’attitude des parents dans « Far West » est clairement condamnée, celle des compagnes conciliantes dans « La complainte de l’escargot » et « Samuel », ainsi que, moins conciliante, dans « Cocktail champêtre » est un sujet de réflexion intéressant. Quelques vignettes montrent des rapports sexuels, mais sans aucune pornographie, et pour une fois, le rapport homosexuel est montré de façon autant, sinon plus explicite, que le rapport hétérosexuel. Il y a quelques années, nous aurions eu des réticences à recommander l’ouvrage pour les classes, mais compte tenu de l’évolution rapide des mentalités, maintenant vous ne courez aucun risque en proposant cette belle bande dessinée à des lycéens, voire des collégiens de 4e / 3e, dans le cadre d’une éducation à la sexualité bien ordonnée (en plus du cadre artistique et littéraire, cela va sans dire !)

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 À noter que la collection Bayou est dirigée par Joann Sfar. De la même auteure et dans la même collection, lire Lo.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Lucie Durbiano sur Wikipédia


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