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Noir & Blanc, pour collèges & lycées
Deadline, de Laurent-Frédéric Bollée & Christian Rossi
Glénat, 2013, 92 p., 18,5 €.
samedi 12 juillet 2014
Laurent-Frédéric Bollée (scénario) et Christian Rossi (dessin) nous proposent cette plongée dans les États-Unis de la Guerre de Sécession, entre 1853 et 1906, c’est-à-dire presque toute la vie du personnage principal, Louis Paugham, un pauvre hère anonyme qui subit les contrecoups du racisme d’une part, et de son attirance impossible pour un homme noir. L’évocation d’une page d’histoire rarement abordée, du Ku Klux Klan, de territoires désolés de l’ouest des États-Unis, rendent cet album intéressant. Le titre fait peut-être référence au film-culte Dead Man de Jim Jarmusch qui nous plonge aussi dans la marginalité existentielle inhérente à ces territoires isolés.
Résumé
Louis Paugham descend froidement un vieillard infirme, en déclinant son identité. Le salopard n’est pas celui qu’on croit, puisque le récit rétrospectif nous fait comprendre que le vieux salaud était « un des fondateurs du Ku Klux Klan » (p. 9). Le récit zigzague dans le XIXe siècle, remonte à la Guerre de Sécession et même avant, au double meurtre de ses parents, fondateur de la déchirure de l’existence du malheureux Louis. Ses parents ont été tués par des bandits noirs qui cherchaient à se venger des blancs sur des voyageurs pris au hasard. Adopté par un militant anti-raciste, Louis se rebelle à l’âge de 15 ans contre l’autorité de son père adoptif, et s’engage dans l’armée sudiste. Il est réquisitionné par le sergent Lester pour une mission. Il s’agit de déplacer des prisonniers nordistes qui servent de monnaie d’échange. Ces prisonniers sont maltraités, et faute de cellule, sont cantonnés au-delà d’une « deadline » qu’ils n’ont pas le droit de franchir sous peine d’être tirés comme des lapins. C’est à cette tâche qu’est affecté Louis, mais il remarque parmi les prisonniers un noir fier, dont l’attitude suscite son admiration puis son amour. Il n’a pas le temps de parler au prisonnier, avant que celui-ci ne soit choisi comme bouc émissaire par Lester et sa clique du Ku Klux Klan, et assassiné. Louis s’attache au cadavre, et surpris par les tortionnaires, il est insulté : « t’es un vrai dégénéré ! Tu bandais pour ce nègre ? ». Ils s’apprêtent à faire disparaître le témoin gênant, mais sont surpris par l’arrivée des « bleus ». Louis déserte, est repris, retrouve le cadavre enterré du noir. Les années qui suivent sont terribles et parsemées de meurtres racistes. Il tombe amoureux d’une noire, qui le rejette quand elle comprend qu’il l’aime déguisée en homme en souvenir de cet homme qu’il a aimé. L’errance de Louis le pousse, de métier en métier, à suivre une troupe de théâtre. Il reluque un acteur noir, mais ne passe jamais à l’acte. C’est lors d’une tournée que le hasard le fait tomber sur le vieux sergent. Il survit encore quelques années, sans rien faire de sa vie.
Mon avis
L’évocation de ces années terribles du racisme étasunien (qui est loin d’être terminé ; voir Un monde de différence, d’Howard Cruse) est fort intéressante et fourmille de détails instructifs (par exemple le « strange fruit » évoqué p. 69). La métaphore de la « deadline » qui associe racisme et homophobie, est intéressante. On tique parfois devant l’anachronisme et l’incohérence du comportement du personnage, qui semble prendre conscience de son homosexualité et ne pas la vivre, à l’époque où le mot « homosexualité » n’avait pas encore été inventé, et où la chose se vivait sans se dire, était intégrée à la tradition chez les Indiens (auxquels il n’est pas fait allusion). P. 57, un gars le suspecte : « À mon avis t’aimes les mecs, j’en suis sûr » (p. 57). La réponse de Louis : « Tu veux savoir si t’es mon genre ? Ça t’excite » ne me semble pas cohérente avec son comportement inhibé, le fait qu’il ne passe jamais à l’acte avec un homme, et ne vit que dans le souvenir de ce noir qu’il a vu mort. Et comme le dit le sergent, c’est la guerre. Qui a lu un récit de guerre sait que la mort devient une habitude, et l’on s’étonne que parmi les actes de barbarie et de racisme dont a dû être témoin Louis, seul celui-ci hante son souvenir. Idem p. 70, où Louis, saoul, s’accuse dans un saloon, « d’être « contre nature » comme ils disent ». Là aussi, cette quasi-citation d’Aznavour semble en avance sur son temps de près d’un siècle ! Mais ne gâchons pas notre plaisir, l’album est à prendre surtout au sens métaphorique : « le regard des autres. Les lignes impossibles à franchir », et c’est à ce titre qu’il aura sa place dans les établissements scolaires.
– Deadline bénéficie du label « Isidor ».
– Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
– voir aussi Tirésias (t 1 : L’outrage ; t 2 : La révélation), de Christian Rossi & Serge Le Tendre, Casterman.
Voir en ligne : Le blog de Laurent-Frédéric Bollée
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