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Un disque bougrement bachique, pour altersexuels avertis

La verVe et la Joie, de Nicolas Bacchus

Bacchanales productions, 2010, 61’40, 15 €

mercredi 15 février 2012

Après avoir publié en décembre 2010 cette fameuse première et dernière « critique musicale altersexuelle » de l’histoire de l’humanité, voici une autre première mondiale : première critique de disque et de gala. Je vous préviens ce sera sanglant (ou plutôt avec ?) et en fait de Gala, point trop people. Nicolas Bacchus, c’est en effet l’anti-« Concert-clystère » tel que j’ai pu l’expérimenter au Zénith. C’est un fidèle lecteur d’altersexualite.com qui me l’avait fait connaître, Arthur Milchior. J’avais entendu Nicolas Bacchus avec joie (qu’éclabousse sa verve) une première fois il y a deux ans à peu près dans un bar (non-gay) du marais, et l’ai revu, avec « verve et joie » toujours et deux potes à moi dans un autre bar non-gay du même Marais, en décembre 2011. Un endroit où malheureusement le patron et certains clients n’ont aucun respect de l’artiste, comme le chantait Maxime Le Forestier dans « Le Steack ». Heureusement, il va changer d’endroit en février, renseignez-vous sur son site pour ses prochaines exhibitions, et pour acheter son disque. Pour encourager l’artiste et non les capitalistes, mieux vaut l’acheter dans sa propre maison : Bacchanales, où l’on peut aussi écouter les titres. Si je dis « bar non-gay », les plus anciens d’entre nous se souviennent avec nostalgie du fameux « Piano-Zinc », devenu depuis quelques années un nouveau baisodrome – ô tempora ! ô mores ! – sans qu’aucun autre lieu n’ait repris le flambeau ailleurs ; point d’issue pour messieurs les gays que de ruminer en boucle du Farmer ou du Dalida… À moins peut-être que je sois mal informé – mon côté ours. À Londres, j’avais eu le temps de repérer un petit bar qui propose des sortes de shows où chacun peut prendre le micro, le « Molly Moggs » ; on m’a vanté également le « City of Québec »… Mêêee revenons à nos moutons. Anar, pédé jusqu’à la glotte, libertin, anti-mariage, as du contrepet, ami de Patrick Font malgré ses années de galère, nostalgique des années soixante-dix où des politicards véreux n’avaient pas encore éprouvé le besoin de faire sous eux une loi sur l’outrage au drapeau tricolore, que dire encore, putain ? toulousain… bref, n’en jetez plus, Nicolas Bacchus, hormis son goût de chiottes pour les minets, a tout pour plaire (mais le bougre se prétend partageur !) Farfouillons donc dans son dernier opus, enregistré en 2010, paru en 2011 : « La verVe et la Joie » (vous le saurez !).

Quel bel os ! et la moelle, bordel !

Avant d’en sucer la moelle, humons le bel os de Bacchus : un bon vieil album comme du temps de mère-grand, avec le cahier complet des paroles sans coquilles, de superbes illustrations, par exemple ce Libertin guidant le peuple, une jolie réécriture de Delacroix par Piérick Rouquette, du groupe Les Malpolis ; une gonflée et même turgescente sinon couillue parodie de L’Origine du monde ; mais laissons nos neveux se niquer les oreilles avec leurs lecteurs MP3 téléchargés en contrebande ;ils ne savent pas ce que nous appelâmes un « disque ». O tempora !…

Le libertin guidant le peuple
Pochette du disque de Nicolas Bacchus, par Piérick Rouquette.

Quant à la moelle, 16 bijoux orfévrés par 7 musiciens plus quelques invités, musiciens et chanteurs. Bacchus a un bel organe, qu’on se le dise, c’est pas du genre à susurrer dans le micro, oh non, il ouvre un large bec, laisse tomber sa voix sur le public alléché. Il écrit parfois paroles et musiques, mais partage souvent l’une et l‘autre. Ainsi pour « Les gens de mon pays », de Thomas Pitiot (auteur également de « Des jours plus gais »), qui épingle la peur de l’autre distillée par la télévision, et parodie La Marseillaise (attention, une loi va sans doute bientôt punir du cachot ce genre de blasphème, et ce disque se vendra sous le manteau…). « Filet Mignon », paroles de Nicolas Bages (tiens, « Bacchus » serait-il un pseudo ?), musique de Pitiot, est un chef d’œuvre ciselé à la Pierre Perret (pas le vieux con qui bave depuis sa maison de retraite sur les musulmanes, non, celui qui avait du talent !) [1], une recette de cuisine grivoise qui accomplit l’exploit de maintenir sur 15 couplets l’ambiguïté entre la viande morte et la vivante. Chanson qui, dans les années 50, aurait pu devenir un tube, impossible désormais. Eh oui, à l’époque, les margoulins qui vendaient du Sheila comme du savon avaient encore la coquetterie de laisser la possibilité à du Brassens ou du Anne Sylvestre d’exister à la marge, sans se prostituer au marché… « Ta mère », encore un tube en puissance, est un hymne jouissif et libertin anti-mariage :
Ta mère me veut pour gendre
Pourquoi ? Ça me les froisse
Moi qui fais pis que pendre
Pour les rendre furax
À force de m’étendre
Sous tous les corps qui passent
Ta mère me veut pour gendre
P’t-être même qu’elle veut ta place !

« Cousine », paroles d’Erwan Temple est un hommage à Anne Sylvestre, chanté en duo avec la grande dame qui berça aussi notre enfance (tiens, tiens…), et une évocation de la transmission inter-générationnelle du flambeau de la lutte des classes (pardon pour cette incongruité ; traduisez pour vos neveux). « Fontaine » (paroles et musique de Manu Galure) est une ode mélancolique autant que dionysiaque à l’eau, hymne écolo autant qu’allégorie de l’insatiabilité Don Juanesque. On la glouglouterait en boucle tout en pelotant quelque chéri. « Les uniques », du même, décidément à suivre, est un éloge du trouple et du libertinage. Encore un anti-mariage, bigre, on va faire un club ! « Ce que je fais de moi », paroles de Dany Rodriguez, enfonce le clou, si je puis dire, dans le même sens :
Si vous saviez combien de cucurbites
Dans le rectum ont procuré de joies
Et combien de veuves-poignet subites
Ont offert de cet Enfer qui rougeoie

Le retour de Patrick Font

« Identité nationale », paroles de Patrick Font nous régale d’abord de le retrouver avec sa verve toujours aussi verte pour brocarder nos politiciens moralisateurs de l’identité nationale. Ne ratez pas le clip inénarrable qu’en a tiré La mouche dans le potage (oui, Bacchus est, comme votre serviteur, de ceux qui trouvent que, du duo Font & Val, l’un des deux a mal tourné, qui n’est pas invité sur son disque et ne le fera pas passer sur son antenne. Comme diraient Font & Val : « On s’en branle ! »). Bacchus orne toujours son récital des deux pépites provocatrices de Font : « Soyez pédés » et « Saint-Nicolas » (celle-ci sans doute bientôt interdite par la police des mœurs socialo-UMPiste). Pour « Identité nationale », on l’illustrerait aussi bien de la fameuse « Carte de France 2010 » de l’ami Julien Bousac.
« La Pierrette à Pigalle » est un poème de Bernard Dimey exhumé et mis en musique par Nicolas Bacchus, un chef d’œuvre altersexuel qui donne la parole à un légionnaire devenu travesti et prostitué. On songe, dans le rôle, à Jean-Claude Dreyfus, même si Bacchus habite farouchement le texte. « Sanson du bizoutier » est encore un bijou à la Perret, dans lequel Bacchus se révèle un bléseur d’exception :
C’est un piercing sur la langue
Quand ze m’en sers ça fait bang
Comme s’il en ziclait partout
Des bizoux

« Après toi » de Lucas Rocher, chanté en duo, est une évocation douce-amère de la rupture d’un couple : « J’aurais préféré prendre la porte en premier » (dans la gueule ?). Encore pas trop dans le genre « hymne au mariage »… On relève encore « Trouble ode », collaboration avec Luc Tallieu et Michel Rousset, chanté avec Yoann Ortéga, bouffonnerie du dragueur en Dracula.
Le disque se termine sur une interprétation particulièrement inspirée du chef d’œuvre de Vladimir Vyssotski « Le vol arrêté », qui me fait penser à Boulgakov et tant d’autres, russes ou non. Le texte d’accompagnement de Bacchus est lucide et émouvant : « la traque systématique de tout ce qui relève de la pensée, de l’éducation, de l’art […] fauche ceux qui sont déjà en l’air, brise l’envol de ceux qui partaient, cloue au sol ceux qui n’auront même pas le loisir de désirer, tellement ça paraîtra impossible, voire ridicule, de vouloir être chercheur, musicien, archéologue, infirmière, professeur, enfin tout ce dont on peut rêver quand on est poussé par autre chose qu’un souci de profit immédiat ou matériel ». On ne saurait mieux dire. Chapeau, l’artiste !

 Quand on découvre au vol un artiste qui en a déjà des heures au compteur, on remonte le courant de sa discographie. Balades pour enfants louches est son deuxième album, enregistré en public à Toulouse (le premier album semble être un collector). Chansons entièrement personnelles, chansons dont les paroles sont écrites par d’autres paroliers, reprises, le tout entrelardé de speeches, le ton Bacchus est déjà là, altersexualité en sautoir, comme il s’en explique dans « Vie privée », l’un de ces courts textes. Le disque s’ouvre et se ferme par deux chansons sur des poèmes de Jean Richepin, le célèbre « Oiseaux de passage » de Brassens, et « Les Petiots », mis en musique par Nicolas Bacchus. Il s’amuse également à parodier « Le petit âne gris » d’Hugues Aufray, avec des imitations diverses, de Renaud à Queen ! Il s’amuse moins à chanter « Les Sans Papiers » sur l’air des « Petits papiers » de Gainsbourg. Parmi les meilleures chansons, qu’il interprète toujours en spectacle, figure « L’heure des goûts et des coups » (à lire à l’envers), un tango vache sur une femme qui a « un vrai goût de chiottes », devinez qui ! « Ton fils (…dort avec moi) » fait dans le genre homo-revendication, et me rappelle les chansons de Gil Cerisay (là, je parle aux initiés et aux vieux de l’avant-veille ! [2]). « Allez l’ami » a des échos bréliens, tant dans le thème que dans la mise en musique et l’interprétation (le fameux crescendo), mais fait aussi penser à « Richard », de Léo Ferré. Toute une série de chansons d’amours me semblent trop empreintes de ressentis personnels, et quelques textes ou chansons entières écrites par d’autres plumes, sont souvent inaboutis quoique intéressants. « La Saint-Sylvestre », texte de Dany Rodriguez, me plaît davantage par son humour SM, qui rappelle le chanteur Astier.

 L’album À table date de 2005 (où l’on voit que le chanteur est avare de son talent, ou bien qu’il est difficile d’auto-produire et de faire bouillir la marmite). C’est un album en studio, qui bénéficie d’arrangements somptueux, avec 8 musiciens plus de nombreux invités. Il est plus abouti que le précédent, on s’en serait douté. On trouve des chansons d’amour désabusé. « Des tests » règle son compte à un amant jaloux : « Tu calcules le poids/ D’un mot ou d’un silence/ Des palabres à n’en plus finir ». « Itinéraires » trace la cartographie d’une ville entre le pendant et l’après un amour. Des chansons très altersexuelles, souvent bi dans le texte, même s’il est d’un autre auteur. « J’ai essayé », texte d’Erwan Temple, est dans cette catégorie. Le chanteur a « essayé les filles » et « tenté les garçons », et en tire une philosophie douce-amère. « Entre les deux », paroles du même, évoque le désir de plusieurs amants. Où il se confirme que ce Bacchus n’est pas l’apôtre de Cupidon ! « Inventaire » est un petit bijou très brassenssien, avec même l’imitation du maître (on reconnaît des bribes de mélodies, comme « Je suis un voyou » au début), qui consiste à classifier les « tocards » que le malheureux chanteur collectionne. Exemple, l’étudiant qui habite « une chambre avec vue sur sa mère ». « Dans les saunas » est un superbe morceau, sur des paroles d’Erwan Temple, sur un thème rarement traité, un lieu de drague gay (où l’on voit que le chanteur ne pense pas passer à la télé ou à la radio entre deux pubs). « D’Alain à Line » est un tour de force truffé de calembours, dont la trame est une histoire de vaudeville qui finit en trouple bi : « J’n’ai pas de dégoût, Line / Même, en voyant Colin / Je me sens si bi, Line / Partons tous les trois, viens ! ». « Enquête préliminaire », superbe duo en alexandrins partagés avec Juliette, dresse un portrait robot d’un possible amant que se seraient partagé à leur insu un homme et une femme. Il y a aussi de belles ballades, comme « Étrange », chanson écrite et composée par quatre auteurs, dont Alain Leprest ; une chanson qui parlera au cœur de ceux dont les amours sont refoulées aux frontières. « Les pommes, les papous, les châteaux », évoque ce qu’il reste d’amours d’enfance quand le temps a passé. Des inclassables, par exemple « Les voleurs d’ivoire », chanson pseudo-réaliste ou fable loufoque sur les aventures d’une bande de pieds nickelés. « Peter Pan » (J’veux pas être jeune) est un des tubes bachiques qu’il faut entendre en concert. Sur le CD, ça se termine par un son de vieux vinyle. Nostalgie… « Les bombes » parodie la chanson de Brel « J’vous ai apporté des… bombes », sur un mode caustique. Le tout constitue un généreux album de plus d’une heure (dont un bonus inédit de… 69 secondes, à découvrir !), avec en prime une deuxième version du « Petit âne gris », et notons que le livret contient toutes les paroles, sans une coquille, ce qui ne vous laisse aucune excuse à ne pas acquérir l’œuvre. En vous souhaitant de rapporter de la prochaine prestation bachique, un disque et un minet dragué au bar que le bougre vous aura abandonné (comme il a l’air de s’ennuyer, il profite de son tour de chant pour draguer parmi ses fans en pâmoison !)

 Au fait, ce Nicolas Bacchus amateur de poussins (on appelle cette maladie l’éphébite aiguë ; dois-je avouer qu’il m’en vient parfois aussi quelque poussée ?) me fait penser au sublime tableau d’un autre Nicolas, Poussin, dont je vous ai récemment parlé dans mon article sur Londres : Bacchanale devant un terme.
 Lire mon article sur les chansons altersexuelles à propos de Des chansons pour le dire, de Baptiste Vignol, ousque j’avais déjà causé de Bacchus.
 Les amateurs de chanson liront avec profit l’essai récent de Philippe Darriulat, La Muse du peuple ; Chansons politiques et sociales en France, 1815-1871, Presses universitaires de Rennes, 2010. Ce spécialiste de l’histoire politique du XIXe s’y livre à l’archéologie de la « chanson à texte » française : comment au XIXe siècle, industrialisation, concentration urbaine et démocratisation ont permis à la chanson de sortir du folklore pour atteindre à l’expression de sentiments personnels et politiques. Les ancêtres de Nicolas Bacchus et consorts sont là. Savez-vous que les amateurs de chansons se réunissaient dans des « goguettes », et étaient appelés « goguettiers » ?

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Nicolas Bacchus


© altersexualite.com, 2011


[1Je n’ai pas l’habitude de tirer sur les ambulances, mais la nième campagne de pub de l’extrême droite islamophobe cette année consiste à prétendre que ladite chanson de Pierre Perret serait « censurée ». Or elle n’est pas plus censurée que les autres du même auteur : il n’a plus de talent, il se caricature, et si elle ne passe pas à la radio c’est qu’en plus de distiller la haine, elle est artistiquement archi-nulle, on dirait du Sardou. Rappelons aux naïfs que la censure, c’est quand un artiste de talent n’est jamais programmé dans les médias. Nicolas Bacchus, par exemple, est censuré.

[2Pourquoi Bacchus, excellent dans les reprises, par exemple « Saturne », de Brassens, ne redonnerait-il pas vie aux superbes chansons de ce précurseur de la chanson gay ?