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L’amour à l’âge des pâtés de sable, à partir de la 6e.

L’Amour me fuit, de Thomas Gornet

École des loisirs, Neuf, 2010, 144 p., 8,5 €.

samedi 25 février 2012

On a du mal à suivre la trajectoire en zigzag de l’auteur. Un an après Je n’ai plus dix ans, on retrouve le personnage de Kaï, âgé d’un an de plus, mais qui semble avoir gagné 10 ans en maturité. Il est désormais (à 17 ans, alors qu’il était un bambin de 16 ans dans l’opus précédent), une sorte d’adulte miniature, homo assuré, assurant la paternité de substitution de son petit-frère, Zouz, prénom qui rappelle un des amis du narrateur du premier roman de Thomas Gornet, Qui suis-je ?, dont les protagonistes avaient l’âge de ceux de celui-ci. Pour tout dire, on tourne un peu en rond, et se confirme l’impression, récurrente pour certaines œuvres publiées par l’École des loisirs, de lire la nième resucée du même roman, qu’aussitôt refermée la dernière page, on ne distinguera plus des précédents. Je veux parler du courant Honoré, Lambert, Gornet, Érard, Le Touze

Résumé

Zouz rentre en 6e, le cœur ravagé par un immense chagrin d’amour. Il entreprend l’anamnèse dudit chagrin, depuis le CE2 et le départ brusque de sa mère, le jour de ses 8 ans. D’important dans sa vie, il y a surtout son grand amour pour Josie, une fille de son école mais pas de sa classe. Il y a la vie avec son grand-frère Kaï, qui depuis l’opus précédent, dans le silence entre les deux livres, est devenu un gai assumé qui à l’âge de 17 ans constitue une sorte de couple homo modèle du Marais, avec son petit copain de la même classe de terminale, Vincent. Vincent est très psychologue, et passe du temps avec le petit frère de son copain, très pris (l’année suivante) par l’école d’art à laquelle il s’inscrit, alors que lui Vincent arrête ses études et embauche dans un bar. Vincent comprend au quart de tour que Zouz est amoureux. Le père est très absent, et délègue sa parentalité à Kaï, chargé du budget, de la nourriture, du suivi des devoirs de son petit frère, etc. Symboliquement, quand Vincent, plus ou moins chassé de chez ses parents, finit par emménager avec Kaï, le père leur cède la chambre des parents, et récupère la chambre du fils, plus petite. On ne retrouve pas d’autres motifs de Je n’ai plus dix ans, sur les nouveaux partenaires du père et de la mère, du coup on se demande ce qu’a voulu faire l’auteur : des personnages reparaissants à la Balzac, ou juste reprendre un prénom par acte gratuit, comme si tous ses personnages étaient interchangeables. Zouz vit sa relation avec Josie « comme les moments dans les films » (p. 55), on sent qu’il fantasme plus la relation comme un succédané de la relation absente entre ses parents, un script qu’il croit nécessaire à une vie, que comme quelque chose qui lui arrive. À part ça, la vie de Zouz est trépidante : il boit « des cocas », et il va au supermarché, regarde des DVD… il découvre même Internet, et qu’on peut s’écrire avec (on se demande quand l’action est censée avoir lieu). Je ne vous dis pas en quoi consiste le grand chagrin annoncé au début, cela retirerait tout le suspense.

Mon avis

L’intérêt du roman est la focalisation externe sur ce petit frère, qui semble le protagoniste, alors que, vu l’extrême banalité de ce qui lui arrive, il est plutôt le témoin privilégié de ce qui intéresse l’auteur, et le lecteur : la constitution de Kaï en un ménage gai petit-bourgeois parisien. On suppose que dans la suite, il y aura pacs, et discours militant pour le droit au mariage. Au début, Zouz parle de Vincent sans prendre la peine de nous dire qui il est ; il lui faudra de la page 30 à 43 pour préciser que Kaï est « tombé raide dingue amoureux de Vincent ». Vincent adopte un comportement idéal, de non-assignation hétéro-normative, comme on dit dans les milieux militants, quand il demande à Zouz : « Comment il ou elle s’appelle ? » (p. 46). Vincent s’épanche dans le cœur du petit Zouz, en lui révélant que lui aimerait bien pouvoir parler de son amoureux à ses parents, et que « Au lycée aussi, faut se cacher, parce qu’on ne sait jamais » (p. 60). Ce qui est amusant, car cela se passe dans Paris. Moi qui enseigne dans les fameux lycées horribles du 93, j’y trouve des élèves plus courageux… Mais la réalité peut-elle rivaliser avec la fiction ? Sinon, quand la copine de Zouz (oui, car il se rend compte de la différence entre « amoureuse » et « copine », p. 94) se met à pratiquer la danse, cela déclenche chez les copains des allusions au fait que pour un garçon, cela fait « pédé » (p. 75), et le copain de Zouz, Faysal, qui voudrait danser, n’ose pas à cause de cette réputation. Il y a une allusion, sans le nommer, au film Billy Elliot, ainsi qu’à une pièce jouée par « un comédien qui venait parce qu’il jouait dans un spectacle qui racontait l’histoire d’un petit garçon qui apprend que son frère a le Sida » (p. 90). On reconnaît bien sûr le comédien Thomas Gornet, jouant Tout contre Léo, de Christophe Honoré, mais on n’aura pas la critique de cette pièce, car Zouz se contente de dire qu’il doit aller voir cette pièce. C’est une caractéristique de ce roman : des personnages qui n’osent pas, qui vivent leur vie comme s’ils étaient le clone d’un personnage qu’ils n’osent être.

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 L’illustration de couverture est d’un certain Alan Mets ; elle se veut aussi naïve que le livre, et me fait regretter le design habituel de la collection…
 Du même auteur, lire Qui suis-je ?, Je n’ai plus dix ans, Le Jour du slip / Je porte la culotte, et voir la pièce L’œil de l’ornithorynque.
 Lire l’article de Jean-Yves sur ce livre.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le blog de Thomas Gornet


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