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Ça s’appelle l’homosexuel et c’est pas bien , à partir de 10 ans

L’Œil de l’ornithorynque, de Thomas Gornet

Compagnie du Dagor, 1999, en tournée.

lundi 9 juin 2008

L’auteur de Qui suis-je ?, de Je n’ai plus dix ans et de L’Amour me fuit est avant tout comédien. Il présente depuis quelques années [1] ce spectacle pour un personnage, un placard et quelques peluches (mise en scène de Sophie Tandel). Si le théâtre actuel, pour des questions de subventions en baisse, regorge de monologues frustrants (un narrateur bavard raconte les aventures d’une troupe de ruffians, et à l’instar de Victor Hugo, le spectateur meurt d’envie de crier : « Vraiment ! mais conduisez-nous donc là-bas ! On s’y doit bien amuser, cela doit être beau à voir ! » [2]), ce monologue est une vraie pièce, dont la scène est le cerveau embrumé d’un personnage laissé à lui-même parce que personne n’a daigné jouer pour lui le rôle de parent, et prêt à se livrer au premier ornithorynque venu. À l’image de cet animal totem monstrueux, à la fois oiseau, mammifère et reptile, cet orphelin peine à trouver sa place dans la classification humaine sinon animale.

La pièce commence par une magistrale « sortie du placard », de ce grand garçon tout chiffonné par l’existence. Il nous donne progressivement des bribes d’informations sur son passé et son présent. S’il vit en foyer, il ne semble pas handicapé : « Fabrice, il est trisomique, et pas moi. Les autres, ils disent quand même qu’on est les deux débiles du foyer ». Seulement meurtri parce que sans parents, et placé de famille d’accueil en foyer. Il fréquente l’école, puis le collège. Au CE2, il tombe comme amoureux de son copain Denis, qui se bat pour lui parce qu’on le traite de fou. Mais quand il demande à Mamie Simone s’il peut se marier avec Denis, elle le frappe, puis remet les pendules à l’heure : « Mamie Simone elle m’a dit qu’un jour je rencontrerai une fille et je me marierai ». Obéissant, après le départ de Denis pour une autre ville, il s’attache à Monique en 6e, que tout le monde rejette et traite de truie. Il l’embrasse, et cela lui rappelle Denis : « si j’avais dû me marier avec Denis, j’aurais dû l’embrasser comme Monique […] Mais maintenant je sais que ça s’appelle l’homosexuel et que c’est pas bien ». Il continue à découvrir la vie et d’autres filles avec la naïveté que traduit son langage : « On n’a pas fait l’amour avec Martine parce que faire l’amour ça veut dire mettre le zizi gonflé dans la fille ». Plus tard, les choses se corsent, suite à la rencontre d’un vieil ornithorynque solitaire au zoo, à l’occasion d’une sortie scolaire. Il a des hallucinations « dès que quelqu’un une fille vient » : « ses yeux, ils deviennent tout noirs et il y a plein de poils qui poussent partout sur sa tête et sa bouche elle s’allonge ».

L’œil de l’ornithorynque
La sortie du placard…

L’Œil de l’ornithorynque est une pièce bouleversante, qui s’adresse au plus intime de chaque spectateur, que ce soit par le texte, le jeu et le décor, avec ce placard vert et des peluches phallomorphes. Ce personnage ballotté de famille en foyer, c’est aussi tout enfant qui ne sait plus trop à quel sein se vouer quand on lui tape sur les doigts dès qu’il les pose sur autrui. Rien d’étonnant à ce qu’il s’attache au premier être — fût-il célibataire, vieux, laid et velu comme l’ornithorynque — qui lui pose la patte sur la main. C’est une des premières et toujours rares pièces pour enfants à « sortir du placard » nommément le thème de l’homosexualité. La pièce est conseillée à partir de 10 ans, et cela me semble le bon âge. Il faut éviter d’y amener des spectateurs trop petits comme c’est trop souvent la mode, par méconnaissance du théâtre jeunesse (les parents regardent à peine l’affiche ; cela dit, celle de ce spectacle me semble mal choisie car elle représente un enfant bien moins âgé). Le texte est encore inédit, et c’est dommage [3], mais espérons que la pièce sera encore représentée. Nul doute qu’elle ne fasse ressortir bien des choses auprès des jeunes spectateurs, si elle est suivie d’un débat (en CM2 ou en sixième).

 Le personnage me fait également penser à Barnabé dans Simple, de Marie-Aude Murail : « Simple était déficient mental, mais à Malicroix ils l’ont rendu fou ». Voir aussi Le Complexe de l’ornithorynque, de Jo Hoestlandt, qui utilise le même animal comme allégorie du monstre que constitue la sexualité à l’adolescence. Thomas Gornet joue également une adaptation de Tout contre Léo, de Christophe Honoré. Il a aussi publié Le Jour du slip / Je porte la culotte.

Lionel Labosse

Photos : © philippe demoulin/delta phot.


Voir en ligne : Le blog de Thomas Gornet


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[1Création en mars 1999 au Plateau 31/Cie Mack & les gars (Gentilly). Nouvelle création en avril 2005, Théâtre du Cloître-scène conventionnée de Bellac.

[2« Nous ne voyons en quelque sorte sur le théâtre que les coudes de l’action ; ses mains sont ailleurs. Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. » Victor Hugo, Préface de Cromwell.

[3Merci à l’auteur de me l’avoir confié pour cet article.