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La sexualité, c’est comme la liberté d’expression :

Le magazine gay Illico menacé d’interdiction.

quand on ne s’en sert pas, on est un peu aigri que d’autres s’en servent.

jeudi 3 mai 2007

Encore une fois, la loi pétainiste de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse sert à interdire un journal gay qui a le tort de ne pas cirer les pompes (ou pomper le sire ?) de Sarkozy. À quoi cela sert-il de gueuler dans notre société, puisque la majorité de la population semble jouir du climat d’interdiction tous azimuts qui règne sur feue notre démocratie ? C’est à peine si la mainmise des marchands d’armes et autres industriels sur les médias et sur l’édition est parvenue à vaguement indigner la gauche royaliste durant cette campagne présidentielle.

Sous prétexte de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, qui fait partie de l’extraordinaire arsenal répressif anti-sexe en vigueur en France, depuis le 20 avril 2007, le magazine gratuit gay Illico est sous le coup d’une tentative d’interdiction. Cette bonne vieille loi, au spectre fort large, et sans doute inspirée des méthodes de la Kommandantur, avait déjà permis entre autres l’interdiction de feu le journal Gai-Pied Hebdo. En mars 1987, un décret interdisait à l’affichage, à la publicité et à la vente aux mineurs cinq mensuels, qui tombaient sous le coup de cette loi du 16 juillet 1949. En effet, dans son article 14, elle interdit « d’exposer ces publications à la vue du public en quelque lieu que ce soit, et notamment à l’extérieur ou à l’intérieur des magasins ou des kiosques, et de faire pour elles de la publicité par la voie d’affiches ». Il faut reconnaître que cette décision ayant déclenché un tollé, l’interdiction fut levée quelques jours plus tard, et la loi légèrement amendée. Le Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, se déclara contre la censure, mais souligna que « la liberté s’arrête là où elle commence à gêner celle des autres ». L’opposition d’alors s’engagea à revoir cette loi quand elle reviendrait au pouvoir. A-t-elle été au pouvoir depuis ? Pas étonnant, dès lors, que la droite persiste à utiliser cette loi pour interdire Illico. Profitons-en pour rappeler que, en marge de ce cas de censure, la France est connue pour être un des pays les plus répressifs au monde en matière de sexualité. Voir à ce sujet mon article sur l’ouvrage collectif du Syndicat de la magistrature, Le sexe et ses juges paru aux éditions Syllepse, article qui a inspiré à Jacques Raffaelli, rédacteur en chef du magazine Pref mag le dossier de son numéro 20 (mai, juin 2007), consacré au sexe et à la justice, avec entrevue de Catherine Breillat, et Virginie Despentes.

Le développement des journaux gratuits représente une menace pour la liberté de la presse, surtout quand ces journaux sont créés de toute pièce par des groupes médiatico-industriels. En ce qui concerne Illico, il se trouve que ce n’est pas le cas, c’est d’ailleurs un magazine de qualité, qui en outre a un créneau limité puisqu’il se distribue dans les établissements gays réservés aux adultes, ce qui rend ubuesque l’instrumentalisation de la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ! On s’amusera de la photographie ci-dessous (cliquez sur la vignette pour l’agrandir), que j’ai prise le 6 mai 2007 en pleine rue : des images hétérosexuelles choquantes à la portée des bambins : que fait la police de la désormais République de Sarkozie ?

J’ai dénoncé depuis longtemps ces menaces diverses qui pèsent sur la liberté d’opinion, par exemple dans mon ouvrage justement intitulé Altersexualité, Éducation et Censure, qui n’a jamais obtenu le moindre écho dans la presse, gay ou pas gay (Illico compris !) jusqu’au dossier de Pref mag, encore, en mars 2007… C’est que mes livres ne sont pas publiés chez un éditeur qui appartient à un groupe industriel, ce qui leur enlève 99 % de chance d’obtenir un retentissement médiatique. Car les braves gens qui bavent sur Sarkozy et son système d’amitiés médiatico-industrielles, penseraient se salir les mains en achetant un livre qui ne soit pas publié par un éditeur appartenant à Lagardère. Même Attac publie chez Lagardère (Fayard). Même Michel Onfray publie chez Lagardère (Grasset), alors après tout, que voulez-vous faire, sinon vous soumettre ?

Il semble donc que les attaques de ce magazine contre Nicolas Sarkozy soient la véritable « raison » de cette affaire. En gros, dans l’Etat de droite populiste qui nous attend, il n’y aura plus que des journaux, gratuits ou non, appartenant à des groupes industriels, bourrés de publicités émanant de ces mêmes groupes. Je préfère un gratuit gay indépendant qu’un magazine payant gay appartenant à un groupe industriel, fût-il détenu par un patron qui s’affiche vaguement de gauche. Illico paie donc son indépendance, dans l’État pré-fasciste où nous vivons désormais. Il est symptomatique que François Bayrou ait été à ma connaissance le seul grand candidat à la présidentielle qui ait tenté de lutter contre cette mainmise de l’industrie sur les médias. Selon Libération du 28 avril 2007, « l’UDF a déposé une proposition de loi destinée à empêcher les groupes industriels, dont l’activité dépend des commandes de l’Etat pour plus de 20 % de leur chiffre d’affaires, de détenir directement ou indirectement plus de 3 % du capital d’un média ». Je ne sache pas que le Parti Socialiste l’ait proposé ; il ne l’a surtout pas fait quand il était temps de le faire. Maintenant c’est trop tard, nous sommes dans 1984 de George Orwell, tout a été vendu à ces industriels, comme je l’ai dit déjà à propos des émeutes à la Gare du Nord. Pendant son « dialogue » avec François Bayrou le 28 avril, Ségolène Royal a été plus évasive sur le sujet, se contentant d’évoquer des « mesures anticoncentration ».

La loi de 1949 est obsolète, mais on la garde sous le coude pour interdire n’importe quoi n’importe quand. La loi de 1970 sur les stupéfiants est obsolète, mais on la garde sous le coude pour condamner un jeune sur deux en cas de nécessité. Etc., etc. Ouvrez votre gueule, et vous êtes sûr qu’une vieille loi de derrière les fagots est là pour vous la fermer. Pendant le fameux débat d’entre les deux tours, Ségolène Royal a préféré se livrer à de la surenchère sécuritaire, jouer un numéro lacrymal sur les handicapés, mais dénoncer le système médiatique de Sarkozy, ça non, elle s’en est bien gardée. Et puis, que penser du fait que tous les médias de masse, y compris Libération, ont passé sous silence ce fait divers de l’interdiction d’Illico, alors que pendant la campagne de 2002, on avait reproché à juste titre à ces mêmes médias d’avoir instrumentalisé un fait divers d’agression sur une personne âgée ? La raison est simple à mon avis : nous vivons une période de régression morale (Sarkozy éprouve le besoin de s’attaquer à Mai 68, alors que Royal est tout sauf soixante-huitarde). La sexualité, c’est comme la liberté d’expression : quand on ne s’en sert pas, on est un peu aigri que d’autres s’en servent, alors quand ils se font taper sur la gueule, c’est un peu notre seule chance de jouir.

En tout cas voici encore un exemple de ce qui nous attend si Nicolas Sarkozy est élu président, et la suite n’est pas difficile à imaginer : fermeture des saunas gays et backrooms comme aux Etats-Unis, etc. Vive la République, Vive la Frinance !. Cela va bien dans la logique d’embourgeoisement des gays, qui ont sacrifié leur liberté d’expression contre la respectabilité escomptée sur la revendication du mariage et de la soi-disant « homoparentalité ». Il serait bien temps, maintenant, de se rendre compte qu’on a gaspillé de l’énergie dans des combats vains, et qu’on a fermé les yeux sur la progression de l’esprit d’interdiction et de censure tous azimuts. Ironie du sort, Illico montre en couverture de son dernier numéro du 27 avril 2007, un couple d’hommes avec deux fillettes et un chien. Il s’agit de deux Étasuniens vedettes d’un documentaire de Philippe Baron diffusé sur France 3 le 27 avril. L’article nous apprend sans la moindre distance critique que « Tim et Peter ont deux filles, deux jumelles nées d’une mère porteuse. Tim et Peter vont à la messe, grondent leurs fillettes […] » ; et que « l’un est journaliste de mode, l’autre avocat d’affaires pour les milieux de la mode ». Traduction : deux homos pétés de thunes se payent avec leur pognon une respectabilité avec deux fillettes. Voir à ce sujet le documentaire de Stéphanie Kaim : Nous, enfants d’homos. Se rend-on compte dans les milieux gays bourgeois de l’effet désastreux de ce genre de plaidoyer sur le public ? Peut-on à la fois réclamer cette respectabilité qu’il faut bien qualifier de bourgeoise, et le droit de vendre du porno ? À force de vouloir bouffer aux deux râteliers, faut-il s’étonner qu’on se prenne un revers dans les dents ? Enfin, l’urgence est de sauver ce qui peut l’être. Pour soutenir Illico, rendez-vous sur son site. Voir également l’affaire Mango, à propos de la possible censure du prochain ouvrage de Nathalie Le Gendre, qui s’appuie sur cette loi du 16 juillet 1949.

P.S. On apprenait le 15 mai 2007 que la procédure d’interdiction était annulée, sans autre forme de procès. Voir le site Illico.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site du magazine Illico


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