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Anticatholicisme primaire, pour le collège

La Ligne droite, de Marie Caillou & Hubert

Éditions Glénat, 2013, 124 p., 22 €.

samedi 15 mars 2014

Hadrien est un jeune homme pas comme les autres. Mère trop aimante, vie rangée, cultivé, amoureux des livres, renfermé, solitaire. Il vit dans une province reculée, disons la Bretagne, un endroit peuplé de « primates » (p. 33). Dans son lycée catholique, 100 % des adultes sont des cathos bornés et homophobes. Il découvre son homosexualité (assez chastement) avec un garçon incapable de l’assumer, dans une société hostile. Un seul personnage l’accepte tel qu’il est, sa tante, hélas, cela ne suffit pas à le sauver. Voici le scénario usé jusqu’à la corde d’un ouvrage qui surfe sur la vague de la magnifique victoire des forces du progrès contre les forces de la réaction que fut le « mariage gay »]. Heureusement, l’originalité du dessin de Marie Caillou sauve l’ouvrage.

Résumé

Hadrien est donc coincé entre sa mère (il ne sera jamais question de son père) et le lycée catho à l’éducation digne des années 40 (mais mixte !) où les garçons se traitent allègrement d’enculés et de pédés dans les vestiaires avant le sport. Le père qui encadre les cours de sport utilise des arguments du type « t’es une fillette, ou quoi ? ». Jérémie, le bogosse du lycée qui sort avec Laure, le renverse pendant l’entraînement, et l’accompagne à l’infirmerie en s’excusant. Ils en profitent pour faire connaissance. Hadrien crie sa haine de « ce lycée catho pourri, de ces connards sadiques » (p. 20). Il avoue que l’attitude qu’il adopte, que Jérémie trouvait terne, est une « couverture de survie » (p. 21), terme qui prendra un sens amer au terme de l’aventure. Hadrien prend sa douche sans enlever son slip auprès du beau Jérémie. Quelques jours après, Jérémie invite Hadrien à boire un verre. Leur discussion intellectuelle (Hadrien lit Nietzsche dans le texte ; en effet, en tant qu’homosexuel, il se doit d’être fin et cultivé) éloigne leurs amis, du coup Jérémie invite Hadrien chez lui, dans son refuge sur un arbre. Il en profite pour lui rouler une pelle en faisant mine de lui apprendre à fumer. Un grand amour est né. Le lendemain, hélas, Jérémie emmène Hadrien dans un endroit qu’il croit isolé du lycée, pour échanger un baiser. Hélas, la perfide Laure guettait, et « le petit enculé » qui « lui a piqué [s]on mec » est aussitôt dénoncé ; s’ensuit une bagarre symboliquement auprès du pont d’où un adolescent, connu d’Hadrien, s’était suicidé peu de temps auparavant. Les fautifs sont amenés dans le bureau du directeur, qui les morigène, et ne retient qu’Hadrien, pour lui un « malade » auquel l’Église se doit de tendre la main : « c’est un douloureux problème, mais il n’est pas insurmontable » (p. 90). Hadrien rejoint sa tante, laquelle peine à raisonner sa mère, qui croit son fils perdu. Mais Hadrien s’enfuit, désespéré. Il rejoint son ami, qui le rejette : il espère renouer avec Laure pour effacer le scandales. Hélas, Hadrien s’enfuit, encore plus désespéré…

Mon avis

On pourrait croire que cette histoire raide comme un menhir se passe dans les années 40, dans le même contexte que Les Amitiés particulières, avec ses curés uniformément monolithiques (on échappe quand même au curé pédophile, ouf !), sa province forcément ennuyeuse à mourir (ah ! Ce qu’on est bien à l’air pur de Paris). Il faut quelques détails du dessin — style des vêtements et des coiffures, éoliennes — et du texte (la réaction de la tante : « ton fils est la victime dans l’affaire ! Et il y a des lois… ! », p. 99), pour se rendre compte qu’on est bien dans les années 2000. Mais des années 2000 sans Internet, sans télévision, sans rien qui puisse atténuer l’insoutenable homophobie d’une société discriminatoire et injuste. Bref, ce scénario éculé comme on aurait pu le comprendre il y a quinze ans, à l’époque où paraissait Le Pari, de Tito, une des premières bédés jeunesse contre l’homophobie, paraît aujourd’hui, époque où les lycées cathos accueillent pour la plupart des séances de lutte contre l’homophobie, et où il est quand même rare qu’un adolescent n’entende autour de lui que des sentiments homophobes s’exprimer. Mais certains auteurs de littérature jeunesse ont sans doute la nostalgie de l’enfance de leurs parents (vu l’âge des auteurs), où la ligne était droite, justement, entre les bons et les pas bons. Je ne vois pas ce que peut apporter à des adolescents la lecture d’un ouvrage où tout n’est que caricature, et où l’on semble se complaire dans le masochisme de cette bonne vieille homophobie d’antan, qu’on a d’autant plus le courage de fustiger qu’elle n’existe quasiment plus, puisque même les opposants cathos au mariage gay choisissent le rose comme couleur, et ont bien soin de se démarquer de toute homophobie. Pire, ce n’est pas parce qu’on lutte contre la stigmatisation d’une catégorie sociale (les bons homos) qu’on peut se permettre de cracher sur une autre catégorie (tous les cathos sont des « connards sadiques », et pas un seul pour racheter l’autre). On se consolera en admirant le dessin aux lignes pures et les couleurs qui varient au pouls de l’histoire d’Hadrien et de Jérémie. Et c’est le dessin, dans des pages muettes, qui réussit le mieux, quand même, à faire vivre un Hadrien attachant, que l’amour fait l’espace d’un instant sortir du cadre rigide où l’enferme sa mère.

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre, avec plusieurs pages numérisées pour admirer le talent de Marie Caillou.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Marie Caillou


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