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Musique, espaces verts et art de vivre.

Vienne, capitale altersexuelle !

Notes de séjour à Vienne, avril 2018.

mercredi 23 mai 2018, par Lionel Labosse

Encore une capitale européenne que je n’avais jamais visitée. Cochons, cochons, comme disait l’autre. J’ai donc coché Vienne sur ma liste qui s’amenuise des villes européennes qu’il-faut-avoir-vu-avant-de-mourir (à Venise), et l’ai un peu épuisée en avril 2018, avec 10 nuits sur place, augmentées de deux nuits à Bratislava, capitale de la Slovaquie. Comme d’habitude, lectures, musées, musique, mais aussi nature, et tant soit peu de garçonneries. En deux mots, Vienne est une ville quelque peu figée dans son jus ; on a l’impression de retrouver telle quelle la ville baroque, voluptueuse & nonchalante d’Arthur Schnitzler. Les innombrables calèches à deux chevaux qui aguichent le visiteur dans les rues bordées de palais baroques à deux étages, les espaces verts qui vous accueillent dès le printemps, le réseau de bus, tramways & métros, tout cela concourt à une douceur de vivre particulière à cette ville. Le tourisme n’y est pas très bon marché, les hôtels relativement chers, les musées sont un budget à prévoir, amplement justifié par leur richesse & qualité, mais la consommation courante est meilleur marché qu’en France.

Plan de l’article
Palais & musée du Belvédère
Musée d’histoire de l’art
Trésor impérial
Albertina
Hofburg
Château de Schönbrunn
Divers
Urbanisme et urbanité
Bratislava
Prélude à la soirée d’un faune

Palais & musée du Belvédère

Ines Doujak (née en 1959) proposait au moment où j’ai visité le musée du Belvédère, cette sculpture provocatrice (heureusement elle est une femme, sinon que n’aurait-on entendu !) d’une femme nue à quatre pattes dont l’anus exhale une fumée d’encens.

Hera, Ines Doujak (née en 1959).
Vienne, musée du Belvédère, 2 Mars - 23 Septembre 2018
© Lionel Labosse

Commençons donc par ce château et musée. Cet article aura pour plan les curiosités viennoises par ordre d’intérêt. L’œuvre d’art qui m’a le plus ému pendant ce voyage est une œuvre anonyme, une des plus belles crucifixions que j’aie vue, et je vous renvoie à l’article que je lui ai consacré : Triptyque de la Passion du Christ de Znaim (1440-45). Mais ce musée recèle des richesses incroyables. Parmi les moins célèbres, voyez ce Marché au Caire de Leopold Carl Müller (1878), bel exemple de réalisme en peinture. Le grand chemin (1955) de Friedensreich Hundertwasser (1928-2000) que j’ai photographié au début de ma visite alors que je n’avais pas vu le logo d’interdiction sur la petite étiquette. Hundertwasser est un peu le Gaudi non pas de Vienne, mais de l’Autriche. On lira cet article sur cet architecte anticonformiste. Le succès de son unique immeuble d’habitation à Vienne est sans doute exagéré, du fait de l’absence de concurrence dans cette cité passéiste. Les seuls gratte-ciels, modestes, sont cantonnés au bord du canal du Danube, loin du centre. Même l’ensemble du Museumsquartier qui constitue le Beaubourg viennois, est fort timide en matière d’architecture moderne. Le Musée Leopold se contente d’offrir un abri parallélépipédique à ses peintures, tandis que le Mumok son vis-à-vis fait le dos rond avec une couleur grise et des fenêtres absentes… Mais nous en reparlerons. On peut admirer une des cinq versions du Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de Jacques-Louis David (1801), avec la minutie des petits soldats coincés entre les sabots du grand homme. Au Belvédère supérieur on passe par le salon où fut signé le traité d’indépendance de l’Autriche en 1955, ironiquement orné d’une peinture murale représentant une… autruche ! Savez-vous que le Kalemburg, région méridionale de l’Autriche, est riche en autruches endémiques ? Le Baiser de Gustav Klimt est la Joconde du Belvédère, et il est impossible de le regarder, on ne peut que photographier les gens qui le photographient et rapporter à tante Ursule un gadget à son effigie ! Quatre arbres (1917) et Hommes accroupis, double autoportrait (1918) sont les tableaux d’Egon Schiele (1890-1918) que j’ai préférés. L’Autoportrait (1916) de Koloman Moser (1868-1918) est fascinant avec cette chemise ouverte sur la poitrine. Il y avait lors de ma visite une exposition sur la Première Guerre mondiale et l’entre-deux-guerres ; outre les peintures, j’y ai remarqué une page du magazine de poche Liliput, avec des photos satiriques anti-nazies de Walter Trier & Stefan Lorant, ainsi que Deux têtes (Zwei Köpfe) de Rudolf Wacker, dont vous verrez la photo dans l’article sur le contexte artistique des années 1930, et Voix de la forêt de Toyen, (voir Recherches sur la sexualité). Au Belvédère inférieur, on peut aussi admirer les statues en plomb de Georg Rafael Donner, provenant de la fontaine du Neuer Markt (1739), dont vous comprendrez en voyant mes photos pourquoi elles furent jugées obscènes : l’un des plus bel & provocant fessier masculin de la sculpture ! Une exposition était consacrée au dessinateur Klemens Brosch (1894-1926), qui dans sa courte vie a produit un grand nombre de dessins impressionnants, comme la Sieste des pendus, datée du 3.3. 1916, ou toute une série de vieux souliers, qui pourraient illustrer la « Ballade des pendus » de Villon ou « Vieux soulier », poème méconnu de François Coppée qu’il m’arrive de proposer à mes élèves de Première.
Après une telle orgie de beauté artistique, en parcourant le parc du château en quête d’un banc pour déguster ma salade et ma bière (le temps était magnifique durant ce séjour, et comme les supérettes locales proposent pour rien du tout de délicieuses salades, yogourts, bretzels, je déjeunais agréablement et économiquement en plein air), je me suis dit qu’après tout il n’y avait pas de raison que je ne sois pas moi aussi un grand sculpteur, aussi à l’instar de Marcel Duchamp ou Man Ray, ai-je créé des « Ready-mad », comme celui-ci, modestement intitulé Garçon sur un banc, œuvre unique exposée dans ce parc de manière éphémère le 23 avril 2018 entre 14h et 14h30. Si des émules de Jeff Koons lisent cet article, je me permets de leur suggérer cette idée de sculpture à 7 millions d’euros : un moulage de dormeur en short et en silicone peinte allongé sur un banc public. Il n’y a qu’à imiter mon œuvre. Je suis aussi l’auteur d’une Jeune dormeuse au violoncelle, exposée en même temps et au même lieu (voir mes photos). Pour le copyright, je me contenterai de 10 % du contrat (pot-de-vin inclus).

Garçon sur un banc, Lionel Labosse, ready-mad, 23 avril 2018
Sculpture avant-gardiste, parc du Château du Belvédère.
© Lionel Labosse

Musée d’histoire de l’art

Le Musée d’histoire de l’art de Vienne (Kunsthistorisches Museum pour les intimes), est un des plus anciens et plus riches musée d’art du monde. Peinture, sculpture, antiquité, orfèvrerie, automates, et même numismatique. Difficile de tout voir ; en tout cas prévoyez la journée entière. On peut théoriquement déjeuner sur place, mais l’unique restaurant est plein, et ce n’est pas une cafétéria, donc il faut choisir entre tout voir et se sustenter… Dans la partie consacrée aux monnaies, un domaine qui ne me passionne guère, j’ai juste photographié un assignat pour mon article sur les accents sur les capitales. Les salles de peintures croulent sous les chefs-d’œuvre, que ce soit la salle avec les douze tableaux de Pieter Brueghel l’Ancien, dont La tour de Babel (1563) et Le Repas de noce (1568). Un seul Vermeer, mais quel ! L’atelier du peintre (1668). David & Goliath (1610), du Caravage ; Suzanne et les vieillards (1555), du Tintoret, dont vous trouverez la photo dans mon article sur Un Barrage contre le Pacifique. Une Fête de Vénus (1636-37) de Peter Paul Rubens, un tableau peu connu de Bartolomeo Manfredi, Caïn tuant son frère, et un charmant David avec la tête de Goliath (1490-95) de Mantegna, illustrent cet article. Vous trouverez aussi parmi mes photos un Cupidon fabriquant son arc (1534-39) du Parmesan, et un couple de peintures associées dans le cadre d’une exposition temporaire actuelle : le Pape Paul III (1546) du Titien en regard de La Célestine (1904) de Picasso. D’autres associations relevaient à mon humble avis de la poudre aux yeux, mais passons. Une autre exposition temporaire consistait tout simplement en un échafaudage permettant d’admirer de près les peintures de Klimt ornant le grand escalier du musée. Quelle bonne idée ! Côté sculpture j’ai photographié une brochette de Charles II d’Espagne, Joseph I & Léopold I (1695) réglementairement prognathes en bons Habsbourg, de Paul Strudel.

Thésée luttant contre le Centaure (1805), Canova (1757-1822).
Musée d’histoire de l’art de Vienne
© Lionel Labosse / Kunsthistorisches museum

Mais la plus belle sculpture du musée est l’immense Thésée luttant contre le Centaure (1805) de Canova. Le corps de Thésée, la part humaine et la part équine du centaure, et ce genou de Thésée qui pénètre le ventre du centaure, tout cela en un seul bloc ! Le groupe fut acheté en 1891 pour être exposé d’abord au temple de Thésée dans le Volksgarten, avant d’être transféré à son emplacement actuel. Hélas, ce chef-d’œuvre est collé au mur, de sorte qu’il est impossible d’admirer l’arrière du groupe. Il aurait fallu construire l’escalier en y songeant… Une petite poire pour la route ? Voici Persanes (1597-99) d’Otto van Veen (1557-1629), natif de Leyde, le berceau des Vanités, et maître de Rubens.

Persanes (1597-99), Otto van Veen (1557-1629)
Musée d’histoire de l’art de Vienne
© Lionel Labosse / Kunsthistorisches museum

Le tableau est censé évoquer la bravoure des Persanes d’après Plutarque (Œuvres morales, « Actions vertueuses et courageuses des femmes » (Mulierum virtutes) [246ab]) : « Les Perses, à la sollicitation de Cyrus, déclarèrent la guerre à Astyage, roi des Mèdes. Ils furent battus et obligés de se retirer en désordre. Les ennemis étaient près d’entrer avec eux dans la ville, lorsque les femmes coururent à leur rencontre, et se découvrant le sein : « Où fuyez-vous, leur crièrent-elles, ô les plus lâches des hommes ? Prétendez-vous rentrer dans ce sein d’où vous êtes sortis ? » Cette vue et ces paroles firent sur eux une telle impression, que, honteux de leur lâcheté, ils font face à l’ennemi, recommencent le combat, et obligent les Mèdes à prendre la fuite. » Notons que le peintre place le « sein » où il s’agit de « rentrer » d’une étrange façon ! Je me suis dit qu’un collègue téméraire et digne de ces Persanes pourrait, en parallèle à la lecture de Montesquieu, proposer ce tableau à des élèves du même tonneau que ceux du lycée où j’ai l’honneur d’enseigner, où lorsque vous étudiez un document comportant une femme nue, il y en a toujours un pour se voiler les yeux…
Sinon, ne faites pas comme moi qui ai raté la Couronne de Skanderbeg, omniprésente en Albanie.

Trésor impérial

J’aurais pu rater ce magnifique musée inclus dans les bâtiments de la Hofburg sans la politique tarifaire des musées de Vienne. En dehors d’une carte de 24, 48 ou 72 heures où vous êtes censé courir les musées à la japonaise, si vous voulez économiser quelques sous, on vous propose des tarifs réduits pour visiter deux ou trois musées, avec un délai d’un mois ou un an. Donc je me suis laissé tenter par le trésor, et ne l’ai pas regretté. Un des plus beaux musées d’orfèvrerie, avec celui de Dresde, avec en plus la quincaillerie impériale des Habsbourg, couronnes, capes, etc. Une dent de narval prise pour « corne de licorne », des records de la plus grosse coupe en agate, plus gros vase en émeraude, plus gros godemiché en ébène (nan, là je rigole), etc. Les objets précieux en cristal de roche sont parmi les plus impressionnants que j’aie jamais vus, notamment les crucifix. J’ai inclus également à la fin de cet article une Passion en ivoire, de Leonhard Kern (1626), stupéfiante de réalisme pathétique.
Ma récente lecture du Rêve d’Émile Zola m’a fait particulièrement admirer les vêtements liturgiques de prestige utilisant la technique de « broderie en or nué » qu’Angélique est censée faire renaître. Ils datent du XVe siècle, ce sont des capes et des chasubles représentant le Christ ou la Vierge, et on se rend compte que Zola brodait un peu sur la réalité car on imagine mal une brodeuse modeste de son époque faire revivre à elle seule une technique aussi prestigieuse vieille de plusieurs siècles, qui devait supposer des ateliers entiers, ainsi que des fournisseurs de fils d’une qualité exceptionnelle !

Le lièvre d’Albrecht Dürer
Sculpture publicitaire viennoise
© Lionel Labosse

Palais et musée Albertina

Vous vous demandez d’où viennent ces gros lapins roses qui prolifèrent dans les rues de Vienne ? Eh bien non ce ne sont pas des cristallisations ectoplasmiques de rêves d’ivrognes, d’ailleurs ce ne sont pas du tout des lapins, mais des lièvres, sculptures publicitaires à l’effigie du clou du musée Albertina. Ce palais jouxte celui de la Hofburg, et réunit les œuvres acquises par le duc Albert de Saxe-Teschen, gendre de Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780), époux de Marie-Christine d’Autriche (1742-1798), la seule des onze enfants parvenus à l’âge adulte de l’impératrice qui selon elle ait fait un mariage heureux. L’œuvre léporidée est tout simplement Le lièvre (1502) d’Albrecht Dürer, une simple aquarelle, mais quelle ! L’empereur Rodolphe II en fit l’acquisition en 1588, 60 ans après la mort de l’artiste, et depuis elle ne quitta pas les Habsbourg. Le musée en a fait depuis quelques années un produit dérivé qui se décline en toutes les tailles. Bon, c’est un palliatif à l’absence criante de sculptures modernes intéressantes à Vienne-la-vieillotte. J’ai photographié un éphèbe en bronze devant le temple de Thésée, Marie-Thérèse devant le musée d’histoire de l’art, En tout cas, j’ai eu la chance de visiter dans ce musée une étonnante exposition Keith Haring, où j’ai découvert un artiste plus complexe que ce que j’en connaissais, utilisant des supports variés. Ses personnages au corps troué reprennent une iconographie chrétienne de certains reliquaires. Une grande toile que j’ai photographiée est un Jugement dernier époustouflant.

Hofburg

Puisque nous sommes dans les palais, celui de la Hofburg vaut la visite. Vous commencez par les ustensiles de cuisine, couverts en argent voire or ou vermeil, et les incroyables services d’orfèvrerie, les porcelaines, et tant de détails insolites, comme ces pichets offerts aux pauvres lors d’une cérémonie annuelle du calendrier catholique, où l’empereur et sa femme « lavaient » les pieds d’une douzaine de vieillards pauvres avant de leur offrir à dîner et ces pichets. Bien sûr lesdits pauvres étaient préalablement étrillés et décapés jusqu’au trognon, mais l’intention reste ! Ce type d’activité relève de la « pietas austriaca », relation privilégiée entre les empereurs du Saint-Empire et le peuple, teintée d’une piété généreuse & altruiste. Vous saurez tout sur la fameuse Sissi (Élisabeth en Bavière) & son époux François-Joseph Ier d’Autriche, et l’on vous avouera franchement que les films avec Romy Schneider sont loin de la réalité, mais pas tant que ça en fait. Il semble que la coloration politique actuelle de Vienne, différente du reste de l’Autriche – on a parlé de « Vienne la rouge » entre les deux guerres – soit héritée de cette « pietas austriaca ». J’ai photographié quelques immeubles d’habitation à loyer modéré typiques de cette époque, avec le nom de l’architecte exposé en grosses lettres sur l’édifice. Voilà ce qui se faisait en Autriche avant qu’en France on prenne les décisions catastrophiques que l’on sait : grands ensembles, destruction des tramways, tout automobile et construction du périphérique. Pas de périphérique à Vienne, et réseau de transports phénoménal, bus, tramways & métros en parfaite osmose. Cela est-il un héritage de ce rapport entre peuple et dirigeants ? Nos énarques en France sont-ils une espèce nuisible à éradiquer ? Vienne compte une grande proportion d’immigrés, mais nulle part vous n’avez l’impression d’un monde parallèle comme à Paris, de rupture brutale. Vous passez insensiblement d’un monde à l’autre, vous voyez la couleur de peau moyenne se foncer, mais sans cette brutalité propre à Paris. Évidemment la région compte 2 millions d’habitants, contre dix millions à Paris, mais quand même… Les Vélibs sont exactement le même système que celui que l’équipe municipale parisienne actuelle a supprimé en 2018 avec l’inefficacité scandaleuse que l’on sait, mais vous ne trouverez contrairement à Paris, pas de Vélibs vandalisés. Le bien public est globalement respecté. Attention, les jeunes ne respectent pas tout à fait la propreté, et le week-end, on traîne et on picole dans les jardins publics en laissant son caca derrière soi, mais rien à voir avec la merde qui règne en maître à Paris.

Château de Schönbrunn

Le Château de Schönbrunn est un incontournable de Vienne. J’y suis allé un mardi pour échapper à la foule, mais peine perdue. Pourtant, quand on a déjà visité les appartements de Sissi et François-Joseph à la Hofburg, Schönbrunn fait un peu doublon, et pas plus qu’à la Hofburg on ne peut photographier (ce qui se comprend vu l’affluence). Les jardins valent le détour, et finalement j’y suis allé à trois reprises. La première, pour la visite du château, du parc et de la gloriette, les immenses serres, et le zoo de Schönbrunn. Je ne suis pas très zoo, mais j’y suis allé comme un acte anti-casse-couilles végan ou autres, pour manifester au monde que je suis partisan de la souffrance animale sous toutes ses formes et que j’appelle à la création d’un nouveau label de viandes certifiant que la bête dont on consomme le cadavre a été dûment maltraitée avant d’être assassinée pour terminer dans nos intestins. Bref, les animaux que l’on peut voir dans ce camp de concentration pour bêtes sauvages sont par exemple les incontournables pandas (mes photos sont autant de pièces à conviction pour prouver à quel point ces pauvres bêtes souffrent), mais aussi les ours polaires avec une fosse pour les voir par en-dessous et leur infliger des décharges électriques pour tester leur résistance à la douleur, et tout le toutim habituel, je vous renvoie à mes photos (ah tiens, vu un bucorve d’Abyssinie, volatile rigolo). L’entrée conjointe avec la grande roue du Prater de Vienne m’a donné l’occasion de faire un tour sur celle-ci (ce qui a priori ne m’aurait pas tenté vu le prix démesuré). C’est amusant, sans plus, et on bénéficie d’une vue sur la ville qui d’ailleurs compte peu de bâtiments élevés. Je suis retourné au parc pour un jogging, m’étant aperçu que ce château que les guides présentent comme éloigné était en fait à vingt minutes par un agréable tramway partant à 5 minutes de mon hôtel. Et une troisième fois pour une promenade au quartier de Hietzing, ce qui permet de visiter un quartier bourgeois, le dernier bec de gaz viennois, et le cimetière de Hietzing, avec les tombes de Klimt (sobre et champêtre) et d’Otto Wagner (wagnérienne).

Divers

Le Musée des meubles impériaux est en fait un entrepôt où l’on peut admirer les meubles de l’Empire. J’y ai photographié une peinture mécanique de François Octavien & Jean Lépine datant de 1725, que l’on verra dans mon article sur le mythe d’Orphée. On y trouve aussi des merveilles comme la collection des bidets impériaux, des sièges d’aisance, des crachoirs (ce qui rappelle la vision des pots de chambre dans Le Guépard). Il y a aussi le cercueil de voyage dans lequel le corps de Maximilien fut rapatrié du Mexique après l’exécution immortalisée par Édouard Manet.
La maison-musée de Mozart est en fait installée dans un des cinq appartements que Mozart habita à Vienne, dans un immeuble. Celui-ci date de son époque prospère. La visite est intéressante, avec l’audioguide qui vous apprend plein de choses, comme le fait que la légende de Mozart pauvre est une invention. Il gagnait fort bien sa vie, mais il jouait beaucoup et devait sans cesse se renflouer. Le film Amadeus de Miloš Forman est évoqué dans le musée, et il se trouve que le réalisateur est mort le 13 avril 2018, 1er jour de mon séjour à Vienne. J’étais donc particulièrement ému en visitant cette maison et Vienne hantée par le souvenir de ce film (plutôt tourné à Prague). En parlant de Mozart, j’ai également assisté à une messe avec la Spatzenmesse KV 220 de Mozart, le dimanche matin, dans l’Augustinerkirche, église située dans la Hofburg. L’entrée est libre et l’on paie au chapeau. C’était fort agréable, plutôt qu’un concert payant dans une église, d’avoir l’impression d’entendre une messe de Mozart comme elles devaient être jouées, au fil d’une vraie messe. En plus j’étais assis juste à côté du fameux tombeau de Marie-Christine d’Autriche par Canova, et pendant la messe en allemand, pouvais contempler les sublimes autant que marmoréennes fesses de l’ange de droite. Vu ma soirée du samedi et l’état peccamineux dans lequel j’étais, le fait que le toit de l’église ne se soit pas écroulé sur moi pendant cette messe est une preuve de l’existence, ou de l’inexistence, cochez ce que vous préférez, de dieu ! Le dieu des musulmans a bien raison de fixer son happy hour le vendredi, avant que le pékin ne se dissipe dans les soirées du week-end, tandis que le dimanche, comment voulez-vous rester en état de communier ? Dans le registre des églises, la Karlskirche est plus rock’n’roll que la cathédrale avec sa coupole à laquelle on peut accéder par un ascenseur installé à l’intérieur de l’église. Je n’ai pas visité le manège espagnol (École espagnole d’équitation), mais j’ai assisté à une représentation du dimanche matin dans la grande salle. Franchement, évitez cela. Pour le prix délirant, on s’attendrait à un orchestre, mais on a droit aux enregistrements de valses sempiternelles & poussiéreuses crachotées par des haut-parleurs, tandis que les superbes chevaux Lipizzan font leurs courbettes et gambades avec le même spectacle sans doute que celui qui faisait déjà bâiller les invités de Sissi. Dix-mille coudées en-dessous de Bartabas, et photos interdites. Si j’avais su, j’aurais opté pour les entraînements, moins onéreux et peut-être plus intéressants, accessibles en semaine. L’une des figures exécutées par ces chevaux parmi les airs relevés est la « pesade », au cours de laquelle le cheval se tient uniquement sur ses membres postérieurs en formant un angle de 45 degrés avec le sol. C’est la figure du fameux Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de David, que l’on admire au Belvédère.
Le monument le plus excentré que je sois allé voir est l’Église Saint-Léopold am Steinhof, d’Otto Wagner, qui s’élève au centre d’un asile psychiatrique (Otto-Wagner-Spital) situé à l’ouest de la ville, au bout d’une ligne de bus (48A). L’architecte s’est entouré d’artistes pour les vitraux et statues, notamment Othmar Schimkowitz pour les statues élancées d’anges, et Richard Luksch pour les statues de saint Léopold et saint Séverin qui veillent au grain au-dessus de la façade. On ne visite l’intérieur que sur de courtes plages horaires le samedi et le dimanche, et j’ai raté l’ouverture.
La maison-musée de Freud, au 19 Berggasse n’est pas spectaculaire, mais émouvante. Elle va être incessamment réaménagée, ce qui la rendra plus attrayante sans doute. Le pavillon Sécession n’est pas spectaculaire en ce moment car recouvert d’un échafaudage, et le prix d’entrée est disproportionné pour voir la frise Beethoven de Klimt, plus une expo provisoire d’un artiste plus moderne que lui on meurt. C’est un peu ce qui énerve à Vienne, ce contraste entre une architecture passéiste et des expositions d’art moderne déconcertantes. Le Museumsquartier m’a déçu. Les grands bancs en plastique surnommés « enzis » qui parsèment la cour et que les Viennois prennent d’assaut aux beaux jours ne font qu’accuser l’absence, dans ladite cour, de statues modernes mémorables, et autour de la cour de bâtiments emblématiques. Je n’ai strictement rien retenu du Mumok, exemple même d’une architecture moderne faite pour se fondre dans la masse XVIIIe. Le musée possède pourtant paraît-il une collection valable, mais ne propose que des expositions temporaires. Quant au musée Leopold, doté aussi d’une architecture insipide, sa collection vaut le détour. Andy Warhol, Kokoschka, Egon Schiele, Koloman Moser. Tiens, de ce dernier, voici Le randonneur (1914). Et pour une fois, une expo temporaire proposait des œuvres intéressantes d’un certain Thomas Palme, stakhanoviste du dessin, même si sa provocation est un peu pipi caca crucifix.

Koloman Moser, Le randonneur (1914).
Musée Leopold, Vienne.
© Lionel Labosse / Leopold museum

J’ai eu la chance de visiter une excellente exposition consacrée à Man Ray au Kunstforum. Malheureusement il n’était pas permis de photographier. J’ai pu admirer le Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade reproduit en dessin dans Les Mains libres, venu de la Menil Collection de Houston ; une œuvre que j’aurais eu peu de chances de voir sans cela. Les flammes de la Bastille semblent brûler sur la toile. J’en conclus que Man Ray était vraiment un bon peintre. Son tableau Studio door présente le plus bel exemple de sa fameuse signature numérologique.
J’ai passé une belle soirée (le début seulement !) au fond de la fameuse salle dorée du Musikverein, celle du concert du nouvel an. Les concerts à Vienne sont réputés, mais chers, contrairement à ceux de Prague ou Bratislava, et même Berlin. Bref, j’avais sauté sur l’occasion de l’annulation d’un concert de Zubin Mehta, remplacé par le charismatique et beau Daniel Harding, que j’ai admiré dans la captation du Don Giovanni de Mozart, mise en scène minimaliste inspirée de Peter Brook, que je passe à mes élèves dans le cadre d’une séquence sur Don Juan. On m’a proposé une place bon marché derrière l’orchestre, et je m’imaginais que comme dans les salles modernes du type Philharmonie de Berlin, j’allais surplomber l’orchestre et voir le chef. Que nenni ! Je me suis retrouvé coincé dans le fond, derrière les percussionnistes, n’apercevant du chef que la touffe, quand les gens devant moi se penchaient ! Enfin j’ai pu voir ces percussionnistes, se relayant aux cymbales, grosse caisse, timbales, et leurs mœurs bizarres ; le balai de chiotte rouge du gong. La harpe baroque est au fond parce que ça fait un bruit d’enfer, dont on ne se rend pas compte si on suit le concert par devant. Des enfants en famille à ma gauche se bouchaient les oreilles pour échapper au boucan. Ambiance familiale au demeurant, car les musiciens sortaient des loges et saluaient sans doute une collègue retraitée qui somnolait à ma droite.

Urbanisme et urbanité

Vienne est une ville vaste et harmonieuse où il fait bon vivre. Deux millions d’habitants, et selon le guide, dix fois plus d’espaces verts par habitant qu’à Paris. Tout le monde m’a demandé si j’étais allé dans les cafés, mais macache : j’ai pris un si grand plaisir à manger de délicieuses salades en picolant force bières que l’on achète dans des supérettes (coût de la vie forcément moins cher qu’en France) assis dans les parcs, en matant force beaux gosses se dorant la pilule, que je n’avais pas envie de faire la queue pour qu’on me case à une table minuscule en me faisant la gueule parce que j’étais seul. Ce mois d’avril était particulièrement doux ; en été, cela doit être étouffant. L’inconvénient c’est que les parterres dans les parcs ne sont pas encore fleuris. Les transports en commun sont ultra-développés, cinq lignes de métro plus le suburbain, des tramways comme s’il en pleuvait, bus, plusieurs gares dont la très récente et splendide Hauptbanhof qui mène à Bratislava (mais on peut choper le train qui fait omnibus depuis plusieurs stations de métro). Au bout de quelques jours, je me suis rendu compte que plutôt que le métro, les tramways allaient partout (surtout depuis mon hôtel près de la gare de l’ouest). Un détail que j’ai observé dans le fonctionnement des bus, est que les lignes sont calculées souvent pour que le trajet dure exactement 30 minutes, moyennant quoi l’aller-retour se fait en une heure, et le bus ne s’arrête jamais. L’inconvénient est pour le chauffeur, qui fait du non-stop, sans pouvoir déstresser ni fumer ni pisser. Je n’ai constaté en dix jours pas le moindre comportement incivil dans les transports, ceci bien qu’il n’y ait aucun titre à valider, seulement des contrôles de temps en temps (un seul pour ce qui me concerne). Le métro est cependant agréable et bon marché. Les rames sont vastes, propres, on n’y est pas importuné par des quêteurs, drogués, musiciens roumains ni par les insupportables annonces sonores en dix langues des transports parisiens. Les sièges sont tellement écartés que même un basketteur aurait du mal à pratiquer le manspreading. Schopenhauer n’était pas autrichien, mais son dilemme du hérisson semble avoir fait école en Autriche ! Bref, moi qui croyais que les transports en commun étaient développés en Europe de l’Est à cause des grands travaux à moindre coût de main d’œuvre des régimes communistes, je me suis rendu compte qu’il y avait le même niveau de desserte à Vienne qu’à Prague ou Budapest. Peut-être cela est-il dû à une classe politique moins corrompue que la nôtre, ou à l’absence d’énarques, allez savoir ? Le cœur du réseau doit dater dans ses grandes lignes de la même époque « Vienne la rouge » que l’habitat social des années 1930. Il existe aussi une ligne régulière, moderne, propre, qui dessert l’aéroport, et cela ne vous coûte que 4,4 € au lieu de 10 € à Paris, dans le dégueulasse RER B où les touristes sont offerts en pâture en guise de cadeau de bienvenue, aux pickpockets roumains. Et ne me dites pas : « C’est normal, ils accueillent moins de « migrants » que la France ». Il y a au contraire beaucoup d’immigrés à Vienne, mais on n’a pas cette impression de rupture qu’on peut avoir en région Parisienne, amplifiée par le périphérique, qu’il serait peut-être temps de démolir pour revenir sur cette décision politique néfaste des années 60. Quand vous prenez les transports, le public change insensiblement au fil des stations. Par exemple lorsque je suis allé à la piscine Amalienbad recommandée par le Routard, l’ambiance était très orientale, mais sans cette violence latente qu’on ressent à Paris. Enfin peut-être ne suis-je pas resté assez longtemps pour évaluer la situation objectivement. Plus ça va, plus je suis persuadé que la politique française délirante à l’égard de la pénalisation du cannabis et de la prostitution est le cœur du problème. Notre pays de merde est quasiment le seul pays d’Europe où toute la classe populaire se trouve, par ces lois débiles, cantonnée dans la délinquance et l’illégalité. Mais à quoi sert de causer ?
Les Viennois ont un trait de caractère insupportable pour un Français : ils ne traversent les rues qu’aux passages piétons et au feu vert. Vous avez envie de les baffer, de les secouer, de les karcheriser, mais vous êtes bien obligé de faire un peu comme eux. Ma patience a été mise à bout quand j’ai visité le cimetière de Hietzing. Je devais traverser une rue à seulement deux voies, très fréquentée, et aucun passage piéton à l’horizon, ni feu. J’ai dû feinter à la parisienne, n’ayant pas envie de me taper 500 m aller et 500 m retour pour traverser cette [censuré] de rue !

Feux de signalisation gays, Vienne.
© Lionel Labosse

Un détail amusant, depuis quelques années, suite paraît-il à un concours Eurovision (si, si !) des feux de piétons clignotants représentant des couples de même sexe avec un cœur sont apparus. Ils devaient ne durer qu’un temps, mais un tollé s’est produit quand il s’est agi de les enlever, et on les a conservés. Je crois qu’à l’origine il y avait sur ces feux un piéton et un cycliste, puis ces couples gays ; du coup, on les a conservés tout en créant des variantes avec toutes sortes de couples, avec ou sans cœurs, de quoi vous faire patienter en attendant que ces [censuré] de Viennois daignent traverser cette [censuré] de rue !

Bratislava

Ne restez pas à Vienne sans une escapade dans la capitale de la Slovaquie. Distante de 65 km, le transport coûte une bouchée de pain, et sur place les hôtels sont bien meilleur marché. La ville est étendue, même si son centre se parcourt à pied, mais bus et tramways offrent la pléthore de leurs services. Comme à Prague, il y a trois salles d’opéra tournant en alternance, sans autant de population pour les remplir. Ne restant que deux nuits (ce qui est amplement suffisant), j’ai vu un Carmen de Bizet, en français dans le texte. 35 € la place parmi les plus chères, réservée le jour-même, et il restait des places. Je ne suis pas mélomane, mais l’orchestre me convenait, et les chanteurs, hormis Escamillo, qui ne fut guère applaudi. Tant que vous n’avez pas assisté à une représentation de Carmen chanté en français sous-titré en slovaque, par des chanteurs slovaques à l’accent à couper au couteau, vous ne connaissez rien à l’art lyrique. « Touréadour, pron gaarde, Touréadour ». Bref, expérience amusante, même si j’aurais préféré voir une œuvre plus locale. En parlant de local, sachez que le slovaque n’a strictement rien à voir avec le tchèque. La preuve, « théâtre national » se dit « Narodni divadlo » en tchèque, et « Narodne divadlo » en slovaque, ce qui n’a rien à voir ! Sinon, je fus très fier lorsque, me fendant d’un « Dobry den » à mon hôtel, la réceptionniste, que je n’avais pas encore vue, me répondit en slovaque, la fourbe ! Constatant que mes connaissances linguistiques n’allaient pas plus loin, elle se fendit d’un « sorry » qui me fit rougir ! Sinon, vous pouvez consacrer trois-quarts d’heure au château de Bratislava, qui n’était plus qu’une ruine à l’époque soviétique. Il y a une vingtaine d’années, un élève de 4e je crois, m’avait parlé de ce monument dans une rédaction, et cela ne m’était pas sorti de l’esprit. Je l’ai vu restauré, tout blanc, loin de l’état où il était dans les années 1990. Le château en ruine de Devlin se visite aussi, mais cela vaut surtout pour l’excursion et la vue sur le Danube. Dans la ville, on admire l’église bleue du XXe siècle Ste Elisabeth, de style sécession, mais le meilleur, comme à Prague, ce sont les statues malicieuses qui émaillent votre parcours, comme ce « Cumil », bonhomme émergeant d’une bouche d’égout. La statue de Saint Martin dans la cathédrale éponyme, par Georg Rafael Donner (1735) vaut le détour ; on y retrouve le même style quasi érotique dans la représentation du corps masculin que dans son groupe de la fontaine du Neuer Markt visible au Belvédère inférieur. Ne manquez pas de goûter une glace chez Lucullus. J’avais repéré une file d’attente phénoménale le soir, et y suis retourné le lendemain matin pour vérifier que l’attente chez ce glacier valait le coup.

Cumil, sculpture de Bratislava.
© Lionel Labosse

Prélude à la soirée d’un faune

Bon, vous me direz : « Pourquoi Vienne altersexuelle ? » Non, ce n’est pas ce que vous croyez, on ne vient pas là pour la drague, pas plus qu’à Prague. Mais il reste à mon avis quelque chose de ce qui fit faire à Joseph II la réflexion selon laquelle « si l’on voulait édifier ici un bordel, il suffirait de recouvrir la ville d’un grand toit » » (cf. cet article). C’est l’absence de pudeur dont j’ignore si elle est germanique ou nordique ou protestante (il semble que Vienne soit plutôt catholique). Le Viennois est plutôt agréable à regarder, si l’on en juge par les échantillons courant le marathon sur le Ring (la promenade qui entoure la vieille ville, sur le tracé des anciennes fortifications). Vous croisez ici ou là un de ces beaux fessiers sur lequel la mode vous autorise une vue plongeante…

Les magnifiques points de vue viennois.
Pédale !
© Lionel Labosse

Mais je retirerai de mon séjour deux souvenirs certes moins culturels que les magnifiques statues de Georg Rafael Donner ou de Canova. À la piscine Amalienbad, décevante comme piscine car dépourvue de couloirs de nage, j’ai pu admirer un échantillon de beau gosse marmoréen, couvert de tatouages. Cela n’a rien que de très courant, et l’on peut en voir autant à Paris, mais il se trouva que je retrouvai ce marbre sous la douche, à poil comme il se doit, et pus l’admirer comme un ange de Canova dans son plus simple appareil. Merveille ! Ah ! quelle belle tradition que celle de se doucher nu, et non pas habillé. Cela permet sans se cacher comme les vieillards de l’histoire de « Suzanne au bain », de se rassasier les mirettes de jeunes beautés, en se cantonnant dans son sexe, bien entendu. Mais ce n’est pas tout. Comme j’avais prévu large pour ma visite, j’ai eu le temps, en plus de la tournée des musées, de faire un tour dans les parcs lors d’une journée « 0 % culturel » (c’est surtout le « turel » qui était banni !). C’est à l’extrémité nord-est du Donauinsel, l’île sur le Danube longue de 21 km façonnée dans les années 1970 pour lutter contre les inondations, que je fis une étrange rencontre. Je venais de descendre du bus 92B, qui dessert ce no man’s land, quand je tombai sur un jeune et beau vélocipédiste nu. Il ne portait qu’un sac à dos. Il mit pied à terre à ce moment, et je me dis « tiens, tiens », mais peine perdue. Hélas, je le perdis de vue, mais me promenant le long du canal du Danube, je tombai à nouveau sur lui, exhibé nu face au soleil couchant, se livrant à des exercices gymniques. Ce faune d’un nouveau genre exhibait sa beauté statufiante, à ce détail près que contrairement au canon des statues grecques, sa virilité n’était pas symbolique. Le nudisme se pratique semble-t-il couramment sur cette partie de Vienne, et l’endroit n’était, du moins à cette heure catholique, pas gay ; d’ailleurs, des couples se promenaient et ne semblaient pas choqués par l’apparition faunesque. Cela me fait penser au Lido de Venise. Gloire à ces pays où l’homme peut sans trop de tracas vivre tel que dieu s’il existe l’a fait. Cette longue île artificielle, très fréquentée en journée (et sans doute davantage encore en été) est truffée de restaurants et autres établissements de loisirs, mais dans cette partie la plus excentrée, je suppose que les nuits doivent être animées moins sagement. On fait sans doute davantage contre l’islamisme en autorisant le naturisme qu’en s’agitant contre les femmes voilées. Quand on compare cette liberté aux crétineries & réticences que suscite la timide & éphémère tentative d’ouvrir un espace naturiste au bois de Vincennes (lire cet article), on se dit qu’on a encore du chemin à faire pour décoincer le Français moyen. Et voilà pour « Vienne altersexuelle ».

 Au cinéma, voir un chef-d’œuvre du muet, La Rue sans joie (1925), de Georg Wilhelm Pabst, avec la jeune Greta Garbo. Pas de Vienne pittoresque, mais une Vienne miséreuse et rêvée où la révolte gronde contre l’injustice et la faim…

Lionel Labosse


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