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Du kecak au flash mob

Chœur, orchestre, choral(e) : cours de BTS sur le thème « Seuls avec tous » et sur le thème « De la musique avant toute chose ? »

Foule bien ordonnée commence par un chef.

samedi 15 février 2020, par Lionel Labosse

Voici un cours expérimenté en classe sur le thème « Seuls avec tous », mais qui pourra servir pour le thème « De la musique avant toute chose ? ». La chorale, le chœur, l’orchestre et son chef me semblaient un thème intéressant, et guère abordé dans ce que j’ai vu ou lu ici ou là sur ce thème. C’est la projection de Répétition d’orchestre de Federico Fellini, auquel j’ai consacré un article spécifique, qui m’a donné l’idée de me pencher sur le chœur et l’orchestre quand il tourne rond (contrairement au film de Fellini), quand il permet de réaliser de belles choses « seul avec tous ». Voici donc quelques idées et propositions, qui remontent le temps depuis le chœur du théâtre antique, jusqu’aux flash mob de notre époque branchée.

À L’origine du chœur et de l’orchestre : le « chaos tournoyant ».

Selon André Degaine, autodidacte qui réalisa à la main en 1992 un livre fameux consacré à l’Histoire du théâtre, dans le théâtre athénien du Ve siècle avant J.-C., « 15 garçons (choisis parmi l’élite des jeunes gens de la Cité) forment le chœur. Personnage collectif (Vieillards, Marins, Jeunes filles porteuses de libations), il est le trait d’union entre les spectateurs et les acteurs qu’il interroge par le truchement du coryphée (chef du chœur). Accompagné de crotales, de cymbales, de tambourins, il chante et danse lorsque c’est son tour » (p. 29). Le théâtre est « à la fois cultuel et culturel » et a lieu dans des conditions très réglées, à des périodes précises de l’année, sous la forme de compétitions, en plein air, dans des hémicycles (= « theatron », endroit d’où l’on voit), sur des gradins en bois, puis en pierre, les notables et les prêtres en bas, les femmes en haut. « On s’interpelle d’une travée à l’autre. On boit. On mange. Des policiers armés de longs bâtons maintiennent l’ordre » (p. 26). Il explique qu’à l’origine, le théâtre grec ancien était un « chaos tournoyant », danse rythmée autour d’un personnage central, qui au fil des décennies, s’est extrait du centre pour devenir un personnage. Les mots « chœur » et « orchestre » ont pris peu à peu leur sens moderne (cf. Wiktionnaire).

André Degaine, Histoire du théâtre, 1992. Les acteurs et le chœur.
© André Degaine, NIzet, 1992.

Dans l’introduction du volume de la collection La Pochothèque Les Tragiques grecs (éditions de Fallois, 1999), Anne Lebeau précise : « L’entrée au théâtre était payante, mais le prix en était très modique, et l’État prenait en charge les droits d’entrée des citoyens les plus pauvres, grâce à la création, attribuée à Périclès, d’un fonds spécial, le Theôrikón. Tout citoyen pouvait assister aux représentations dramatiques ; on voyait aussi parmi les spectateurs les étrangers résidant à Athènes, appelés métèques et même les étrangers de passage, souvent invités par la cité. […] Savoir si les femmes étaient admises au théâtre est une question toujours débattue » (p. 9). Dans la scène finale du film Le Bon, la Brute et le Truand, Sergio Leone a renoué avec l’orchestra du théâtre antique avec pour public les tombes d’un cimetière. Le finale de Et pour quelques dollars de plus (1965) présentait déjà cette référence à l’arène antique, mais sans public, et l’on pouvait la prendre pour une arène de corrida, et on la retrouvera en mode dégradé dans Il était une fois dans l’Ouest (1968). Quant au 1er opus de la trilogie du dollar, Pour une poignée de dollars (1965), il présentait une arène plus classique, la rue principale du village de western.

Kecak, Haka, Boléro

Cérémonie du Kecak à Bali.
© Tropenmuseum, Amsterdam.

Une trace du « chaos tournoyant » se trouve dans certaines danses rituelles, comme le « kecak » balinais (voir une vidéo de 2’30) ou le Haka maori, popularisé par l’équipe néo-zélandaise de rugby à XV, les All Blacks. Voir une vidéo de la finale de la coupe du monde de Rugby 2011 en Nouvelle Zélande, où les Français tentent de répliquer au haka des All Blacks (durée 2’23).

C’est sans doute ce genre de danse qui a inspiré à Maurice Béjart (1927-2007) sa chorégraphie (1961) pour le Boléro (1928) de Maurice Ravel (1875-1937), interprétée sur cette vidéo ci-dessus par Julien Favreau à Versailles en juin 2014 (que l’on pourrait diffuser aux étudiants après le film de Leconte ci-dessous). Une œuvre également intéressante pour le thème « À toute vitesse ! ». On lit dans l’article de Wikipédia sur le kecak que le travail de Maurice Béjart a influencé « une forme spectaculaire non rituelle » du kecak. Patrice Lecomte a réalisé un court-métrage amusant intitulé Le Batteur du Boléro (1992) avec Jacques Villeret dans un rôle muet. Jacques Villeret y joue le rôle d’un percussionniste dans un orchestre symphonique interprétant un long extrait du Boléro basé sur un ostinato joué tout d’abord en solo par la caisse-claire puis répété de la première à l’antépénultième mesure, alors que deux autres thèmes sont repris inlassablement par les autres membres de l’orchestre quand ceux-ci n’accompagnent pas le batteur dans son répétitif labeur.

Antigone de Sophocle

Œuvre figurant dans la liste du BO. Dans cet extrait du 4e épisode d’Antigone (441 av. J.-C.) de Sophocle (-495/-406) (traduction Robert Pignarre revue par Charles Guittard, édition GF Flammarion 1999, pp. 79-80), étudions le rôle du chœur et du coryphée, mais aussi le thème de la désobéissance et du bouc émissaire, que nous retrouverons ci-dessous dans Don Giovanni. Antigone s’oppose jusqu’à la mort à Créon qui avait interdit d’ensevelir son frère Polynice pour des raisons politiques. Elle incarne l’obéissance à des lois morales (ou religieuses) qui transcendent la justice des hommes. Cependant son refus d’écouter les raisons du coryphée ne révèle-t-il pas la part d’hybris qu’à l’instar de Créon, elle « doi[t] à [s]es ancêtres » ? « C’est ton esprit d’indépendance qui te perd », ajoute-t-il. Je trouve que la version Anouilh équilibre davantage les fautes entre les deux protagonistes.

LE CORYPHÉE. Déesse elle était née et fille de déesse, nous sommes nés mortels et enfants de mortels ; quand tu ne seras plus, quelle gloire pour toi d’avoir connu le sort d’un demi-dieu dans la vie, puis dans la mort !
ANTIGONE.
Tu te moques de moi. Par les dieux de nos pères,
As-tu le cœur de m’outrager en face ?
Attends du moins que je sois morte…
Ô ville, ô de ma ville
opulents citoyens,
fontaines de Dircé, belles places de Thèbes,
où se pressent les chars,
unanimes vous me rendrez ce témoignage :
je n’aurai pas eu même un pleur de mes proches,
au moment où je pars – de quelles lois victime !
pour cet asile souterrain,
cet étrange tombeau…
Telle est mon infortune :
je ne serai plus ni chez les humains ni chez les défunts
séparée à la fois des vivants et des morts.
LE CORYPHÉE.
En courant, par ton audace entraînée,
contre le trône altier de la justice
tu as donné du front, fille trop violente…
Sans doute expies-tu une faute que tu dois à tes ancêtres ?
ANTIGONE.
Ah ! tu as touché là ma plaie à vif,
mon triple sujet de plaintes,
le malheur de mon père et de notre famille,
le malheur qui n’épargne aucun des Labdacides !
Sur le lit maternel, ô malédiction
jetée, ô couple impur du fils et de sa mère,
las ! de mon père et de ma mère infortunée…
De quels êtres je suis donc née, misérable !
Ce sont eux qu’aujourd’hui, maudite et non mariée
je m’en vais rejoindre…
Et toi, mon frère, dont les noces
furent la source de nos maux,
en mourant tu m’as pris ma vie.
LE CHŒUR
Des honneurs qu’elle rend la piété s’honore :
Mais, quand on a la charge du pouvoir,
On ne peut tolérer la désobéissance.
C’est ton esprit d’indépendance qui te perd ».

Le chœur dans la musique classique

Le chœur est dans la musique classique sacrée et profane un ensemble de choristes. Un chœur ou une chorale est habituellement divisé en 4 « pupitres » principaux (soprano, alto, ténor et basse), rangés de gauche à droite. Certaines formations sont uniquement composées d’hommes, de femmes ou d’enfants. Transféré à l’opéra avec l’apport des voix de femmes, dans un premier temps, le chœur prend rarement part à l’action, se chargeant de l’illustrer et de la contraster. Au cours du XVIIIe siècle, le chœur est de plus en plus intégré au drame, et entre en discussion avec les solistes, faisant souvent progresser l’action.

Chœurs célèbres
Nous traitons de l’orchestre dans un article sur Répétition d’orchestre de Federico Fellini ; passons au chœur. Le plus célèbre des chœurs d’opéra, et à juste titre, est l’hymne européen : Ode à la joie, finale de la IXe symphonie de Beethoven.

Écoutons-le dans l’interprétation de Daniel Barenboim et de son West-Eastern Divan Orchestra, tout un symbole (à partir de 14’ pour le début du chœur proprement dit), interprété à Londres au Royal Albert Hall lors des Proms (à partir de 57’).

 Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni : « Le débauché puni, ou Don Juan », connu sous le titre Don Giovanni (1787), de Lorenzo da Ponte (1749-1838) & Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Écoutons deux extraits dans lesquels le chœur joue un rôle.
1er extrait : fin de l’acte I : « Viva la Liberta » ( 1h 20’ 40’’ à 1h 27’). Il s’agit de la fête donnée par Don Giovanni pour les paysans, à la fin de laquelle il est démasqué par les solistes et le chœur. Mise en scène de Jean-François Sivadier, direction musicale de Jérémie Rhorer, avec Philippe Sly dans le rôle titre. Ce « Viva la liberta » constitue une allusion pré-révolutionnaire à la situation politique à Prague où est créé l’opéra. Autonomie des Tchèques contestée par le pouvoir de l’Empire autrichien (Marie-Thérèse d’Autriche, morte en 1780 et son fils Joseph II) ; le choix de la langue italienne va en ce sens, pour plaire aux Pragois.
 Voici le texte de la fin de cette scène (les 3 parties sont chantées en même temps).
TOUS sauf DON GIOVANNI et LEPORELLO
Traître !
Tout déjà se sait ! Etc.
Tremble, tremble, ô scélérat !
Bientôt le monde entier saura
le méfait horrible et noir,
ta féroce cruauté !
Entends retentir la vengeance
qui siffle tout autour de toi ;
sur ta tête en ce jour
sa foudre tombera.
LEPORELLO
Son esprit est confus,
il ne sait plus ce qu’il lui faut faire :
et une horrible tempête
ô Dieu, s’en va le menaçant.
Mais en lui le courage ne manque.
Il ne se perd ni ne se confond.
Si même le monde s’écroulait
jamais rien ne le ferait trembler.
DON GIOVANNI
Mon esprit est confus,
je ne sais plus ce qu’il me faut faire :
et une horrible tempête
ô Dieu, s’en va me menaçant.
Mais en moi le courage ne manque.
Je ne me perds ni ne me confonds.
Si même le monde s’écroulait
jamais rien ne me ferait trembler.

2e extrait : la fin de l’acte II, châtiment de Don Giovanni : même vidéo que ci-dessus, 2h 33’ 30 à 2h 40’ 30 (suivi d’une scène de réjouissance après la mort du coupable). Œuvre intéressante également sur le thème du rebelle, du non conformiste, de celui qui dit « non », à l’instar d’Antigone. Le chœur des démons est d’autant plus effrayant qu’il est prodigué avec parcimonie. Il faut lire une critique d’Hector Berlioz sur une représentation de Don Giovanni à l’opéra de Paris, éloge de cette parcimonie mozartienne ; voici la fin de ce texte magnifique : « Je ne saurais passer sous silence l’exécution foudroyante du grand finale aux premières représentations. Le soin avec lequel les répétitions générales en avaient été faites, et l’assurance qu’une étude minutieuse et bien dirigée de sa partie avait donnée à chaque choriste, ne sont pas les seules causes de ce résultat. Tous les acteurs de l’Opéra, qui n’avaient pas de rôle dans la pièce, ayant demandé à figurer comme choristes dans le finale, cette augmentation inusitée du nombre des voix, l’exécution chaleureuse de ces chanteurs auxiliaires, l’enthousiasme réel éprouvé par quelques-uns et se communiquant à la masse, tout concourut à faire de ce morceau le prodige de l’exécution chorale à l’Opéra. Comme, d’ailleurs, l’orchestre de Mozart, malgré tout ce qu’il a de richesse et de force, n’écrase pas le chant, on a pu voir enfin de quoi était capable un pareil chœur ainsi exécuté. Voilà de la musique dramatique !!!
Il est fâcheux seulement que la mise en scène soit ainsi conçue. Les chœurs doivent agir, menacer Don Juan, en avoir peur, le fuir, revenir à la charge, ils doivent représenter au naturel le tumulte d’une pareille scène, au lieu de rester immobiles comme des tuyaux d’orgue exécutant un Jugement dernier. La mise en scène que j’ai vue il y a quelques années à l’Odéon était parfaite sous ce rapport. On a eu tort de ne pas la reproduire. Je ne dirai rien du Dies iræ, que le tumulte de la salle et le feu d’artifice du théâtre ne m’ont pas permis d’entendre. En général, toutes ces fantasmagories sont fatales aux compositeurs, ce n’est pas au bruit des pétards et des crépitations de la pluie de feu qu’une œuvre comme ce fragment du Requiem peut être écoutée » (Le Journal des débats, 15 novembre 1835).
LA STATUE. Repens-toi, change de vie ! C’est ton ultime chance !
DON GIOVANNI (cherchant à se libérer). Non, non, je ne me repens pas ! Va-t’en loin de moi !
LA STATUE. Repens-toi, scélérat !
DON GIOVANNI. Non, vieux toqué !
LA STATUE. Repens-toi !… Repens-toi !
DON GIOVANNI. Non !… Non !…
LA STATUE. Si !
DON GIOVANNI. Non !
LEPORELLO. Si, si !
DON GIOVANNI. Non, non !
LA STATUE. Ah ! Il n’est plus temps !
La statue sort. La terre tremble, le feu jaillit.
DON GIOVANNI. Quel tremblement insolite assaille mes esprits ! D’où sortent ces tourbillons d’un feu effrayant ?
DÉMONS (sous terre). C’est peu devant tes péchés. Viens ! Il y a pire, etc.
DON GIOVANNI. Qui me déchire l’âme ? Me ronge les entrailles ? Quelle torture, hélas ! Quelle rage ! Quel enfer ! Quelle horreur ! etc.
LEPORELLO. Quel désespoir sur sa face ! Quels gestes de damné ! Quels cris ! Quelles lamentations ! Comme il me terrifie ! etc.
DON GIOVANNI (s’enfonçant dans le sol). Ah !
Il s’abîme dans la terre.
LEPORELLO. Ah !

 2e version de cette mort du « héros », de 1h 37’ 30’’ à 1h 43 dans le film Amadeus (1984) de Milos Forman (1932-2018) en version espagnole. F. Murray Abraham : Antonio Salieri (1750-1825) ; Tom Hulce : Mozart. Mise en scène d’époque reconstituée au théâtre des États de Prague. Interrogeons-nous, au-delà du rôle du chœur, sur l’impact social de l’opéra. Voir ce complément sur le Requiem de Mozart, œuvre dans laquelle le chœur a un rôle bien plus vaste que les solistes, et pour cause. J’ai raconté dans cet article comment j’avais été agacé à Berlin par une mise en scène du Requiem de Verdi qui faisait la part trop belle aux solistes.

Amadeus (1984) de Milos Forman. Les chœurs pendant la scène de la mort de Don Giovanni.
© Milos Forman


 Le Va, pensiero est l’un des chœurs de musique lyrique les plus connus, qui a pris une connotation politique, à l’instar du « Viva la liberta » de Don Giovanni. Dernier numéro (n° 11) de la troisième partie de Nabucco (1842) de Giuseppe Verdi (1813-1901), il est chanté par les Hébreux prisonniers à Babylone. Voir une version scénique (Ricardo Muti, Rome 2011), avec un bis historique au cours duquel le chef s’adresse au public, j’allais dire à la foule (durée 8’ 00).

Texte italien

Va, pensiero, sull’ali dorate ;
Va, ti posa sui clivi, sui colli,
Ove olezzano tepide e molli
L’aure dolci del suolo natal !

Del Giordano le rive saluta,
Di Sionne le torri atterrate…
Oh mia patria sì bella e perduta !
Oh membranza sì cara e fatal !

Arpa d’or dei fatidici vati,
Perché muta dal salice pendi ?
Le memorie nel petto riaccendi,
Ci favella del tempo che fu !

O simile di Solima ai fati
Traggi un suono di crudo lamento,
O t’ispiri il Signore un concento
Che ne infonda al patire virtù !

Traduction

Va, pensée, sur tes ailes dorées ;
Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines,
Où embaument, tièdes et suaves,
Les douces brises du sol natal !

Salue les rives du Jourdain,
Les tours abattues de Sion…
Oh ma patrie si belle et perdue !
Ô souvenir si cher et funeste !

Harpe d’or des devins fatidiques,
Pourquoi, muette, pends-tu au saule ?
Rallume les souvenirs dans le cœur,
Parle-nous du temps passé !

Semblable au destin de Solime [= Jérusalem]
Joue le son d’une cruelle lamentation
Ou bien que le Seigneur t’inspire une harmonie
Qui nous donne le courage de supporter nos souffrances !

Les paroles de ce chœur proviennent du psaume 137 du Livre des Psaumes de l’Ancien Testament, qui inspirera également la chanson populaire Rivers of Babylon connue par cette reprise disco de Boney M en 1978.

 La Fiancée vendue (Prodaná nevěsta) (1866) de Bedřich Smetana (1824-1884). Histoire conventionnelle et prévisible, mais l’ouverture est un chef d’œuvre qu’on peut réécouter en boucle, et le chœur d’entrée (4’45 → 9’10) est admirable, c’est un chœur de paysans qui se réjouissent de la vie rurale (mais vous pouvez aussi écouter la magnifique ouverture avant l’extrait). La mise en scène en question ne met guère l’accent sur la vie rurale ; elle la voit un peu comme au travers d’une boule à neige… Regardez ce reportage extraordinaire sur Nikolaus Harnoncourt dirigeant des répétitions de cet opéra en 2011. L’autre grand moment de l’opéra est le passage du cirque au village, mise en abyme de la condition de la femme dans le mariage, acrobate ballottée par les hommes.

Chansons populaires chorales

Certaines chansons collectives mettent en valeur la cohésion et la lutte, et les plus célèbres connaissent souvent des reprises internationales.
 « Dixie » est une chanson populaire américaine à l’origine composée par un chanteur de l’Ohio, Daniel Decatur Emmett, sous le titre « Dixie’s Land ». Le mot « Dixie » est le surnom donné au Sud des États-Unis. Cet air devient très populaire sous le titre de « Dixie », et est rapidement identifié à l’image nostalgique des États du Sud. Il fut l’hymne officieux des soldats confédérés (sudistes), le contrepoint de The Battle Hymn of the Republic des soldats du Nord lors de la guerre de Sécession. Écoutons le début d’une interprétation traditionnelle.

I wish I was in the land of cotton,
Old times there are not forgotten ;
Look away ! Look away ! Look away, Dixie’s Land !
In Dixie’s Land where I was born in,
Early on one frosty morning,
Look away ! Look away ! Look away, Dixie’s Land
(Refrain)
Then I wish I was in Dixie ! Hooray ! Hooray !
In Dixie’s Land I’ll take my stand, to live and die in Dixie !
Away ! Away ! Away down South in Dixie !
Away ! Away ! Away down South in Dixie !

Traduction : J’aimerais être dans le pays du coton,
Le temps passé là-bas n’est pas oublié ;
Regardez, regardez, le pays de Dixie,
Le pays de Dixie où je suis né
Tôt un matin glacé ;
Regardez, regardez, le pays de Dixie !
(Refrain)
Que j’aimerais être à Dixie ! Hourrah, Hourrah !
Dans le pays de Dixie je prendrai ma place, pour vivre et mourir à Dixie !
Là-bas, là- bas, dans le Sud à Dixie ! Là-bas, dans le Sud à Dixie !

 Dans Je n’ai pas tué Lincoln (The Prisoner of Shark Island) (1936), de John Ford (1895-1973), à la fin de la Guerre de Sécession, le 9 avril 1865, le nouveau président prononce un discours et demande qu’on joue « Dixie », en signe d’apaisement (3’50). Voir aussi l’utilisation de « Dixie » dans ce film. En vitesse (Speedy), de Ted Wilde (1928) propose une séquence de bataille de rue mémorable au son de The Battle Hymn of the Republic.

 Bella ciao est un chant de révolte italien qui célèbre l’engagement dans le combat mené par les partisans, résistants pendant la Seconde Guerre mondiale opposés aux troupes allemandes alliées de la République sociale italienne fasciste. Paroles écrites fin 1944 sur la musique d’une chanson populaire que chantaient au début du XXe siècle, pour dénoncer leurs conditions de travail, les « mondine », ouvrières saisonnières qui désherbaient les rizières de la plaine du Pô et repiquaient le riz. Comparer le texte aux paroles d’origine :

Una mattina mi son svegliato,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Una mattina mi son svegliato,
E ho trovato l’invasor.
O partigiano portami via,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
O partigiano portami via,
Ché mi sento di morir.

Traduction :
Un matin, je me suis réveillé, […]
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi, […]
Car je me sens mourir.

J’ai été horrifié en recherchant une version montrable à mes étudiants pour ce cours. Une reprise pour une série « La Casa de papel » a repopularisé ce chant, mais en le châtrant et en en faisant un divertissement idiot, lequel a à son tour donné lieu à des reprises débiles par des incultes, lesquelles occupent tout le haut de la pile sur Youtube et même sur les autres plate-formes vidéos, de sorte que le béotien ne peut plus tomber sur des versions revendicatives de valeur avec une forme chorale comme celle-ci que je mentionne pour mémoire (Nuit debout). Ajoutons à cela des reprises pendant le confinement en Italie, dans lesquelles les tortionnaires covidistes ont réussi le tour de force de faire chanter à leurs victimes cet hymne comme si l’envahisseur était le virus et non les coronazis ! Et une version orchestrale filmée par l’orchestre National de Serbie pendant un « confinement ». Enfin j’ai retrouvé la version originale des mondine, chantée par Giovanna Marini ; c’est la première que j’ai entendue quand j’étais adolescent, en concert.


 En Suisse le Ranz des vaches, chanson des armaillis, bergers typiques des alpes fribourgeoises et vaudoises (à l’ouest de la Suisse, proche de la frontière avec la France) a presque un statut d’hymne national. Voir les paroles en français. Écoutons-le par Bastian Baker et une chorale nombreuse, ci-dessus (et un cor des Alpes en apéritif comme il se doit). Voici ce qu’en écrit Jean-Jacques Rousseau dans son Dictionnaire de la musique (qui fait partie de la liste du BO) : « J’ai ajouté dans la même Planche le célèbre Rans-des-Vaches, cet Air si chéri des Suisses qu’il fut défendu sous peine de mort de le jouer dans leurs Troupes, parce qu’il faisait fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l’entendaient, tant il excitait en eux l’ardent désir de revoir leur pays. On chercherait en vain dans cet Air les accents énergiques capables de produire de si étonnants effets. Ces effets, qui n’ont aucun lieu sur les étrangers, ne viennent que de l’habitude, des souvenirs, de mille circonstances qui, retracées par cet Air à ceux qui l’entendent, & leur rappelant leur pays, leurs anciens plaisirs, leur jeunesse, & toutes leurs façons de vivre, excitent en eux une douleur amère d’avoir perdu tout cela. La Musique alors n’agit point précisément comme Musique, mais comme signe mémoratif. Cet Air, quoique toujours le même, ne produit plus aujourd’hui les mêmes effets qu’il produisait ci-devant sur les Suisses ; parce qu’ayant perdu le goût de leur première simplicité, ils ne la regrettent plus quand on la leur rappelle. Tant il est vrai que ce n’est pas dans leur action physique qu’il faut chercher les plus grands effets des Sons sur le cœur humain ».

 « L’Estaca » (1968) est une chanson composée par le catalan Lluís Llach du temps du dictateur Franco, qui suggère qu’en tirant tous ensemble sur une corde on peut faire tomber un pieu fiché profond en terre, allégorie de la dictature. « Si je tire fort de mon côté, / Et que tu tires fort du tien, / Sûr qu’il tombera, tombera, tombera, / Et nous pourrons nous délivrer. / Mais, Siset, il y a longtemps déjà / que l’on s’écorche les mains / Et quand la force m’abandonne / Il semble bien plus large et plus grand qu’avant. » Voici une interprétation historique en 1985 au Camp del Barça devant 100 000 personnes. On peut appliquer à cette interprétation historique la même remarque de Rousseau ci-dessous sur « les accents énergiques » absents. Le rapport entre les paroles et la musique est parfait chez ce jeune chanteur qui l’a écrite à 20 ans : ce n’est pas par la violence que nous vaincrons une dictature bien ancrée en terre, mais par la force de l’union. Quoi de mieux qu’une valse et la guitare seule alliée à la chorale d’un peuple entier pour exprimer cette idée quand cette lutte a fini par emporter le dictateur vingt ans plus tard ?

L’avi Siset em parlava
de bon matí al portal
mentre el sol esperàvem
i els carros vèiem passar.
Siset, que no veus l’estaca
on estem tots lligats ?
Si no podem desfer-nos-en
mai no podrem caminar !
Si estirem tots, ella caurà
i molt de temps no pot durar,
segur que tomba, tomba, tomba
ben corcada deu ser ja.

Traduction
Le grand-père Siset me parlait ainsi
Tôt le matin au portail
tandis qu’attendant le soleil,
nous regardions passer les charrettes
Siset, ne vois-tu pas le pieu
Où nous sommes tous attachés,
Si nous ne nous détachons pas
Jamais nous ne pourrons nous libérer…
Si nous tirons tous il tombera
Et il ne peut plus tenir très longtemps
Sûr qu’il tombera, tombera, tombera,
Bien vermoulu comme il doit être déjà.

 « Le Chant des partisans » (1943), paroles Maurice Druon (1918-2009) & Joseph Kessel (1898-1979), musique Anna Marly (1917-2006), chant de la Résistance : « Ami, si tu tombes / Un ami sort de l’ombre / à ta place ». Écoute de l’interprétation d’Anna Marly (seule à la guitare, comme Lluís Llach, sans chorale mais avec la suggestion finale « Sifflez compagnons »). Reprise par le groupe Zebda (« Motivés »). On étudiera en parallèle L’Armée des ombres (1969), de Jean-Pierre Melville (1917-1973) (durée : 2h18), qui figure sur la liste du BO pour ce thème. Ce film est adapté du roman éponyme de Joseph Kessel (coauteur des paroles du « Chant des partisans ») écrit en 1943, dont Jean-Pierre Melville suit fidèlement l’intrigue, mais ajoute quelques détails de ses propres souvenirs. Des références sont faites à plusieurs grandes figures de la Résistance. Le personnage de Luc Jardie représente notamment le philosophe Jean Cavaillès, et Mathilde, Lucie Aubrac. Le film s’intéresse davantage à l’activité de survie du réseau (évasions, organisation) qu’à ses actes de guerrilla. Dans les paroles du « Chant des partisans », le film correspond surtout à ces couplets : « Ohé les tueurs / À la balle ou au couteau, / Tuez vite ! / C’est nous qui brisons / Les barreaux des prisons / Pour nos frères ! » en plus du couplet cité ci-dessus. Citation de Philippe Labro sur l’esthétique de Melville : « est melvillien ce qui se conte dans la nuit, dans le bleu de la nuit, entre hommes de loi et hommes de désordre, à coups de regards et de gestes, de trahisons et d’amitiés données sans paroles, dans un luxe glacé qui n’exclut pas la tendresse, ou dans un anonymat grisâtre qui ne rejette pas la poésie » (fin de l’article de Wikipédia). Voyez une critique sur le site Ddvdclassik.

L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville (1969).
© Jean-Pierre Melville


 Les chansons de métiers vont dans le même sens, comme « La Chanson du maçon » de Maurice Chevalier, les chansons de marins, voire les chants de marches militaires comme La Marseillaise. Voici une version de l’orchestration de l’hymne national par Hector Berlioz, telle qu’elle est jouée dans les moments solennels, par l’Orchestre National des Pays de la Loire. Vous remarquerez le chœur des enfants. Anecdote : quand je voulus visionner ce document au lycée pour mes étudiants, la vidéo était interdite. Cela arrive pour disons un document vidéo sur 6 que je veux montrer en classe au vidéoprojecteur ; c’est dû au proxy de l’Académie, qui bloque certains contenus à cause de mots clés dans la page du Youtube. Si je le raconte c’est parce qu’il s’agissait là de l’hymne national interprété par un orchestre régional, mais cela arrive pour tout et n’importe quoi, et l’usine à gaz mise en place pour signaler un blocage idiot a la réactivité d’un escargot cachectique. Allez savoir quel mot il y avait dans un commentaire pour que cette vidéo soit bloquée. C’est une des cent mille emmerderies qui nous empêchent de travailler et dont les ministres feraient mieux de s’occuper plutôt que de nous torcher des réformes bidons qui nous pourrissent la vie.

Littérature chorale

Le roman dit « choral » est celui dans lequel les héros individuels comptent moins que l’ensemble de la communauté. Ils racontent l’aventure d’un village, d’un groupe d’individus réunis par un but commun. Voir par exemple, sur le thème de la grève, un extrait du chapitre VII de la partie IV de Germinal (1885) d’Émile Zola (1840-1902), le discours d’Étienne Lantier aux mineurs. Il devient un leader en prononçant ce discours, mais l’ensemble du roman est choral.
 On comparera avec un extrait du chapitre « La marche des femmes » du roman Les Bouts de bois de Dieu (1960), d’Ousmane Sembène (1923-2007), Pocket, pp. 287-291. Les deux extraits se trouvent dans cet artice.
Je ne me le serais jamais permis en cours, mais les lecteurs de ce site m’excuseront de citer mon propre roman M&mnoux (Publibook, 2018, p. 239-240), qui est précisément un roman choral racontant la vie d’un village : « Rétrospectivement, on peut se demander si ce système de collectivisation, moisson commune & fruitières, réduisant les distances entre koulaks & moujiks, étendu au territoire entier par la promotion étatique des coopératives, n’a pas épargné à la France les errements du communisme bolchévique autant que du capitalisme sauvage. Est-ce pour cela que la région a vu naître à la fois Fourier, Considerant & Proudhon ? Selon Henri Vincenot, c’était à l’origine une spécificité comtoise : « Certes, le Bourguignon n’a jamais eu le sens de la coopération & les coopératives, si prospères depuis toujours chez nos voisins francs-comtois, ont eu le plus grand mal à se créer, mais l’entraide & la solidarité ont toujours été pratiquées de la façon la plus libérale & la plus spontanée ». Pendant plusieurs décennies, les paysans domptèrent le cheval cabré du progrès avec des solutions de fortune. Les moissonneuses-batteuses étaient hors de prix & seuls ceux qui avaient une exploitation de taille critique pouvaient investir, en se passant les deux poignets dans les menottes des banques ; les autres devaient s’unir & s’entendre pour décider de la rotation de la machine, qu’il plût ou qu’il fît beau. Dès l’époque des moissonneuses-lieuses, on les achetait à deux ou trois, frères ou amis, pour limiter l’endettement.
En Bourgogne, ce type d’association ponctuelle dont le modèle était tout simplement de réunir sous un même joug les deux bœufs ou chevaux de deux agriculteurs, avait un joli nom utilisé par Rétif de la Bretonne : « suiter » ; on était le « suitier » d’autrui ; on « était suité avec deux autres habitants ». Pierre Rivière, l’assassin paysan dont le cas fut étudié par Michel Foucault, utilisait pour le partage d’un cheval, le normandisme « sosonner » ; être le « soson » de quelqu’un. Vers 1955, à l’apparition des moissonneuses-batteuses, il y en eut d’abord trois en associations amicales ou fraternelles, plus trois autres en Cuma (Coopérative d’utilisation de matériel agricole). »

Au cinéma : le film choral

Le film choral est tout indiqué pour les films de guerre, y compris les films de Résistance ou sur la Shoah, où il n’y a pas un héros, mais où chacun est susceptible de se sacrifier ou d’être tué à tout moment.
 Serguei Eisenstein (1898-1948), cinéaste russe de la période soviétique, également théoricien du cinéma, souvent considéré comme un des « pères du montage ». Il a fourni à l’Union soviétique naissante ses premiers films de propagande, films choraux sur le monde ouvrier, comme La Grève (1924 ; présent sur la lise du BO) ou paysan, comme La Ligne générale (1929). C’est un film poétique, mais aussi de propagande, qui met en valeur les bienfaits de la collectivisation des campagnes dans un petit village russe. Marfa Lapkina est une pauvre paysanne que les koulaks, paysans riches, refusent d’aider. Avec l’appui de jeunes communistes et de responsables du parti, elle lance une coopérative, un kolkhoze, grâce auquel les paysans apprennent le travail en commun et découvrent la mécanisation. Visionnement de la séquence sur le fauchage manuel, de 1h11’ à 1h16’ du film disponible gratuitement sur Wikicommons. Utile aussi pour le thème « À toute vitesse ! » : les paysans rivalisent de vitesse pour faucher, sur le mode du stakhanovisme. Bien sûr il s’agit de propagande, quelques années avant Holodomor, la grande famine en Ukraine (1932-33).

La Ligne générale, Serguei Eisenstein
© Eisenstein


 La Ruée vers l’or (The Gold Rush) (1925-1942) de Charlie Chaplin (1889-1877). Extrait : le chœur des mineurs, dans la version sonore de 1942 que Chaplin réalisa lui-même à partir de son film muet de 1925 (visionner de 50’ à 52’40). Charlot l’anticonformiste est exclu des réjouissances collectives de la Saint-Sylvestre. Les fêtards chantent « Auld Lang Syne », chanson écossaise connue des francophones sous le nom de « Ce n’est qu’un au revoir », dont le texte prend un sens ironique pour Charlot : « Voici ma main ami fidèle / donne ta main à l’amitié / Et nous boirons encore longtemps / aux jours du temps passé. » On est proche du thème du bouc émissaire, à ceci près que le personnage de Charlot, dans tous ses films, serait plutôt un anti-conformiste, un marginal qui s’exclut lui-même du troupeau, qu’un bouc émissaire.
Le 29 janvier 2020, ce même chant écossais clôt le psychodrame du Brexit : « Des eurodéputés chantent « Ce n’est qu’un au revoir » après le vote du Brexit ». C’est un des moments émouvants de cet épisode historique qui tient l’Europe et le monde en haleine depuis 2016. À mon point de vue, quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir pour ou contre le Brexit, quand on se souvient de la mascarade que fut le référendum sur le TCE en 2005, il est réjouissant qu’un référendum ait enfin été respecté, même si la réponse n’a pas été celle prévue par les politiciens qui ont posé la question, et pas celle soutenue par les milieux « autorisés » comme disait Coluche, qui nous manque si terriblement. Je fais partie de la minorité (apparemment) de gens qui aiment la démocratie indépendamment de la réponse que le peuple daigne donner à la question qu’on lui pose. Ces quatre dernières années auront démontré à quel point c’est une position rare chez les intellectuels. Un autre moment émouvant de ces quatre années de suspense relatif au brexit, c’est le discours de Theresa May quittant Downing Street en mai 2019, qui m’avait évoqué immédiatement la Femme qui pleure de Picasso. Revenons à nos moutons.

 Les Raisins de la colère (The Grapes of Wrath) (1940) de John Ford est un film choral adapté du roman éponyme de John Steinbeck. Il faut voir la scène du bal (de 1h 42’ à 1h 49’ 50’’ si vous avez le DVD). Juste avant cet extrait dans le film, figure une scène symbolique. Les émigrants de l’Oklahoma travaillent sur un chantier de travaux publics, à enterrer une canalisation, et le contremaître, qui les a à la bonne, leur apprend sous le sceau du secret, qu’il se fomente un complot pour provoquer une bagarre et faire interdire leur bal, ce qui va leur permettre de s’organiser pour déjouer la manigance. Or sur ce photogramme, le réalisateur utilise une belle métaphore visuelle de la solidarité et de l’action collective : les tronçons de canalisation posés le long du fossé, qui n’attendent qu’à s’emmancher les uns dans les autres, comme la torpille Bangalore de Samuel Fuller (cf. ci-dessous).

Les Raisins de la colère, de John Ford.
© John Ford


 Au-delà de la gloire (The Big red one) (1980), roman et film de Samuel Fuller (1912-1997). Extrait (1h 09’ à 1h 19’ 45’’) : « D day Omaha beach June 1944 ». Cet extrait sera aussi utile sur le thème « À toute vitesse ! ». En dix minutes, Fuller raconte le Débarquement comme si vous y étiez. Notez les trois gros plans sur des montres. La torpille Bangalore métaphorise la solidarité dans le sacrifice, comme dans L’Armée des ombres. Extrait du roman, p. 355 : « Puis le colonel se leva. Son action sidéra tous les hommes qui le virent debout. Le colonel était devenu fou. Il était debout sur cette plage. Il pouvait se faire tuer ! — Il y a deux sortes d’hommes sur cette plage ! dit le colonel. Ceux qui sont morts et ceux qui vont mourir. Donc quittons cette foutue plage et allons mourir dans les terres ! Il alla d’homme en homme et les fit brutalement se lever, à force d’ordres et de jurons jusqu’à ce que ses actions obligent les soldats à se transformer en cibles verticales pour les balles qui volaient partout », à comparer avec cet extrait de Un Troisième visage, autobiographie posthume de Samuel Fuller (Allia, 2011). Fuller y donne son témoignage sur le mot devenu célèbre du colonel Taylor : « Très bien, a dit le colonel en me souriant. Il a plongé la main dans son sac, en a sorti sa boîte de cigares et me l’a donnée. « savoure-les, Sammy. Tu les a bien gagnés en courant jusqu’ici. » Puis Taylor s’est levé. Je ne pouvais pas y croire. Il s’est simplement levé. Comme moi, tous ceux qui l’ont vu se lever ont pensé qu’il était devenu fou. « Il y a deux sortes d’hommes ici ! hurla le colonel à ceux qui écoutaient. Les morts et ceux qui vont mourir ! Alors foutons le camp de cette plage et tâchons au moins de mourir dans les terres ! » » (p. 204). « Quand, des années plus tard, j’ai réalisé des films sur les hommes en guerre, j’ai essayé de montrer que la survie est la motivation essentielle des soldats sur le champ de bataille, pas les actes de bravoure » (p. 207).

 Le Conformiste (il Conformista) (1970) de Bernardo Bertolucci (1941-2018). Ce film fait partie de la liste du BO pour le thème « Seuls avec tous ». Le scénario de ce film politique a été écrit par Bernardo Bertolucci d’après le roman Le Conformiste (1951) d’Alberto Moravia. Le film est interprété entre autres par Jean-Louis Trintignant, Dominique Sanda et Stefania Sandrelli. L’action, avec flash-back et épilogue, se déroule entre 1917 et 1943, mais principalement en 1938, alors que Marcello a pour mission de profiter de son voyage de noces pour contacter son ancien professeur de philosophie, Luca Quadri, devenu l’un des principaux dirigeants anti-fascistes en exil à Paris…Voyez une critique sur le site Ddvdclassik. On s’intéressera à la différence entre ce film et L’Armée des ombres. En quoi est-ce aussi un film choral ? La scène de la ronde de danse dans laquelle Marcello semble enfermé constitue un anti-chaos tournoyant : contrairement au Kecak ou au Bolero de Béjart, celui qui se retrouve au centre du vortex ne dirige rien ; il suit sa pente vers le bas.

Le Conformiste (il Conformista) (1970) de Bernardo Bertolucci.
Jean-Louis Trintignant-Marcello dans le chaos tournoyant.
© Bernardo Bertolucci


 La Terre tremble (1948) de Luchino Visconti (1906-1976) (liste du BO) est l’adaptation modernisée du roman de Giovanni Verga (1840-1922), Les Malavoglia (1881). L’action du film se déroule dans les années 1920-30 à Acitrezza, un village de pêcheurs de Sicile. L’histoire se concentre sur une famille traditionnelle, les Valastro, et a pour thème l’exploitation des pêcheurs par les grossistes. Le réalisateur, dont c’était le 2e film, et qui est considéré comme le 1er réalisateur du courant néoréaliste italien (1943-1955), a casté de vrais pêcheurs qu’il a fait travailler comme des acteurs. Ce film est parfois considéré comme une « docufiction ». La langue parlée dans le film est le sicilien. Regardons un bref extrait de la fin du film.
 En route pour la gloire (Bound for Glory) (1976), réalisé par Hal Ashby (1929-1988) raconte la vie du chanteur Woody Guthrie (même contexte que Les Raisins de la colère). Il s’agit du premier film qui utilisa le Steadicam pour un plan-séquence tourné par l’inventeur de ce procédé Garrett Brown. Le Steadicam permet au camérateur de suivre dans la foule David Carradine qui interprète Woody Guthrie. Voir un extrait.
 Le film de chorale est en soi un genre qui attire le succès. Un bon exemple en est La Route semée d’étoiles (Going My Way) (1944) de Leo McCarey (1898-1969). Bing Crosby y interprète un prêtre moderne chargé de discrètement relever un vieux prêtre qui ne parvient plus à mener sa paroisse d’un quartier pauvre de New York. Il va mettre dans sa poche les garnements du quartier en fondant une chorale. Dans ce court extrait, on voit comment les registres de la chorale d’enfants en pleine puberté se répartissent en pupitres.

Et pour terminer

 Le Carnaval de Rio, comme tous les carnavals constitue un bel exemple de foule chorale, puisque chaque école de samba est composée de 3000 à 4000 personnes, danseurs et chanteurs, qui interprètent en boucle une « samba do enredo ». Voyez et écoutez par exemple « Manoa Manaus Amazonia Terra Santa » de Beija Flor, vainqueur en 2004, qui fait battre le cœur de ma nostalgie. Lisez les paroles. Quand on voit défiler au sambadrome de Rio sur deux soirs les 14 équipes de 1re division qui réunissent donc 14 x 3500 = 49 000 personnes, sans compter les divisions suivantes, les gens qui qualifient ce festival de touristique ou artificiel vous font rigoler. Est-il si facile de coaliser l’énergie de tant de personnes pendant un an pour réaliser un tel spectacle ?
 Les « flash mob » littéralement « mobilisation éclair » peuvent être considérés comme des résurgences du chœur antique. Certaines manifestations musicales ou autres relèvent aussi de la notion de chœur, comme ce type de concert réunissant un grand nombre d’instrumentistes : Foo Fighters Rockin’1000 en juillet 2015. Un flash mob de musiciens professionnels sur le Va, pensiero est visible ici. On en trouve d’autres peut-être plus émouvants réalisés par des amateurs, qui nous rappellent à quel point une foule, quand elle se mobilise, peut réaliser de belles choses. Lors du confinement dû au covidisme en 2020, de nombreuses initiatives ont réuni des artistes seuls avec tous par les technologies numérique. Parmi les plus émouvantes, voyez ce Boléro de Ravel par les musiciens de l’Orchestre National de France, en concert depuis chez eux. La technique de l’écran divisé participe de l’aspect exponentiel de la masse instrumentale, écho cathartique à celui de l’épidémie ; enfin espérons que bientôt on se trouvera ridicule de s’être fait berner à ce point. Et avec des amateurs, voici la valse n°2 de Chostakovitch. Plus enthousiasmants de mon point de vue sont les flash mobs sur la chanson de la Résistance anti-covidisme « Danser encore » de HK à la Gare du Nord puis à la Gare de l’Est :

Lionel Labosse


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