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Éros au potager, de Robert Vigneau

mercredi 25 décembre 2013

Parution de Éros au potager, recueil d’encres sur papier de Robert Vigneau (Adana Venci, 2013).
Après Bucolique, suivi de Élégiaque, (1979) Planches d’anatomie (2005) et Une Vendange d’innocents (2009), Robert Vigneau, qui vient de fêter ses 80 étés, publie en décembre 2013 aux éditions Adana Venci ce superbe recueil d’encres sur papier de 64 pages. Il avait déjà publié sur son site une série de Végétaux, (qu’on peut toujours admirer parmi les archives de dessins), dont certains déjà érotiques ; mais le présent recueil constitue le catalogue d’une double exposition à venir au Japon (avril 2014). Cet amoureux des plantes a aussi publié sur son blog un Langage des fleurs en abécédaire.

Le frontispice du recueil rend hommage au film Tampopo de Jūzō Itami, comme une des rares œuvres à avoir « révélé la dimension érotique de la nourriture ». Selon Vigneau, aucune œuvre artistique des siècles précédents (musique, arts plastiques), « ne témoigne de cette conjonction du sexe et de l’aliment » ; et quant à la littérature, « il faudra attendre notre époque pour rencontrer dans de rares romans (souvent chinois d’ailleurs) cette conjonction festive de la gourmandise et de la concupiscence ». Cela nous étonne, car de vieux souvenirs des Mille et une nuits par exemple mêlent éros et agapes ; ou tout simplement la fameuse sourate « L’Événement » du Coran allie pour le petit nombre de ceux qui auront accès au « jardin des délices », la promesse d’« enfants doués d’une jeunesse éternelle » et de « houris aux beaux yeux noirs », aux « aiguières et des coupes, remplis de vin exquis », et aux « fruits qu’ils désireront » ainsi qu’à « la chair des oiseaux les plus rares » (Éd. GF, p. 419, traduction Kasimirski). Et bien sûr le Cantique des cantiques, où le lait, le miel, les grappes de raisin, les grenades, figues, pommes, ne sont pas forcément que métaphoriques. Enfin, parmi nos lectures récentes, nous avons relevé maints passages de Casanova où des aliments, l’œuf ou bien la figue par exemple, sont au centre de pages érotiques virtuoses, et où il est fréquent que l’amour suive le dessert dans un repas en bonne compagnie. La figue de Casanova peut d’ailleurs se lire comme une parodie érotique de la fameuse « idylle aux cerises » dans le Livre IV des Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

Petits pois
Extrait de Éros au potager, de Robert Vigneau (2013).

Bref, je vous dis tout cela parce qu’il m’est difficile d’exprimer l’admiration que j’éprouve pour l’art de Robert Vigneau. Les familiers de son œuvre retrouveront son érotique des doigts, qui dès le premier dessin se transforment en aubergine, peut-être le plus érotique des légumes de la création. L’ail, le chou sous tous ses avatars (normal, si les enfants y naissent !) ; asperge, fenouil, céleri, poivrons, poireaux… Le dessin le plus mystérieux est peut-être celui où une mouche s’approche d’une cosse de petits pois avec sa bouche vorace en érection (reproduit ci-dessus en exclusivité mondiale avec l’aimable autorisation de l’auteur). Ce légume, rarement érotisé en général, qui associe le rond et le long, l’ouvert et le fermé, l’exhibé et le caché, le ferme et le mou, est peut-être un symbole d’une érotique plus idiosyncrasique ; et quant à la mouche, son intrusion, seul animal de l’étal érotique, nous rappelle qu’il existe quasiment une espèce de mouche par espèce végétale ou animale, et qu’elle se reproduit en symbiose avec le végétal dont elle porte le nom. Pondre ses œufs et les faire fructifier dans les végétaux, tel est peut-être le ressort du fantasme que véhiculent ces dessins ? Deux dessins particulièrement pénétrants approfondissent cette idée, celui de la 4e de couverture, où un torse éventré laisse échapper ses entrailles légumineuses, et un autre à l’intérieur du recueil, où ce sont des entrailles fongiformes qui naissent du torse.
Vigneau est-il un dessinateur symboliste ou (post-)surréaliste ? Les deux, mon général. C’est ce que je me suis dit en lisant ces lignes de Lucien Scheler dans la préface aux œuvres de Paul Éluard : « Le symbolisme se proposa fréquemment d’évoquer l’Invisible, cosmos antique et surpeuplé où coexistent des dieux et des lémures, des bourreaux, des victimes. Le Surréalisme entreprit d’explorer un univers d’apparence moins vaste, mais qui, à peine entrevu, se révéla sans limites comme le premier, et hanté d’ombres insatisfaites et de rôdeurs nocturnes comme lui. Deux mondes, que l’homme porte dans la tête et qui ne se différencient guère plus l’un de l’autre que les images d’un même objet, entr’aperçues dans les deux faces d’un miroir sans tain ».

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.
 Lisez notre Entrevue de Robert Vigneau. Rendez-vous sur le site de Robert Vigneau. N’hésitez pas à contacter l’artiste-poète par l’intermédiaire de son site pour vous procurer ce recueil, ou un dessin original.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de Robert Vigneau