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Cachez ces nichons que je ne saurais voir, pour les petits.

Mademoiselle Zazie et les femmes nues, de Thierry Lenain & Magali Schmitzler

Éditions où sont les enfants, coll. Chahu-Bohu, 2006, 26 p., 12,3 €.

mercredi 4 avril 2007

Thierry Lenain poursuit sa croisade féministe et la saga de Zazie. Si les précédents opus m’avaient séduit, celui-ci me semble dépasser la frontière entre une légitime censure d’excès machistes, et la fascination pour la censure elle-même, cette manie qui saisit de plus en plus d’intellectuels en ce début de millénaire.

Après Je me marierai avec Anna, Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?, et Menu fille ou menu garçon ?, Thierry Lenain poursuit sa croisade féministe. Il s’agit cette fois-ci — sujet neuf — de s’attaquer à la présence de femmes nues sur les panneaux publicitaires. Ce n’est pas d’une burqa que notre héroïne va les recouvrir pour recouvrer sa dignité blessée face à son amoureux Max, mais de papier. Zazie est-elle une féministe anti-sexe ? Que nenni ! la pirouette finale prouve que Zazie aime la liberté sexuelle. Mais alors, quel est son combat ? Un combat digne des casseurs de pub contre l’agression publicitaire seulement ? Magali Schmitzler a consciencieusement gommé toutes les marques commerciales de ses photos… sauf, bizarrement, celle d’une célèbre société d’affichage, celle-là même qui, sous l’ère chiraquienne, truffa Paris de sanisettes-tirelires où, contrairement aux vespasiennes héritées du passé, on se vidait la vessie seul en vidant aussi sa bourse, sans risque aucun pour les mâles honnis de se faire draguer par une personne du même sexe. Cette marque se retrouve d’ailleurs reproduite sur la photo de couverture de l’ouvrage. Zazie briserait-elle aussi les statues gréco-romaines nues qui ponctuent, ou polluent, notre champ visuel dans le moindre parc, ou seulement celles qui représentent des femmes ?
Non, cette croisade me laisse un arrière-goût de censure anti-sexe, sans parler du conditionnement à l’hétérosexualité qui éclate à chaque page. Que dirait-on d’un album qui, s’adressant à des enfants, proposerait une telle incitation à la fascination non pas pour le sexe opposé, mais pour le même sexe ? Ne vous en déplaise, s’attaquer en 2007 aux femmes nues dans la pub est un combat d’arrière-garde. Dans les années 70, quand les femmes nues servaient systématiquement à vendre du yaourt ou des voitures, oui ; mais aujourd’hui, la situation a évolué, car elles ne servent plus à vendre, à part des exceptions certes regrettables, que des sous-vêtements féminins, comme c’est le cas dans cet album, ce qui semble légitime, à moins de s’opposer à l’invasion publicitaire en tant que telle dans l’espace public, combat qui me ravirait. Nous en sommes enfin arrivés à une situation où les publicitaires n’ont plus peur de nous allécher avec de beaux mâles nus autant qu’avec des femmes, où les fesses des rugbymen s’étalent, offertes, sur des calendriers dont on se demande ce qu’on dirait s’il s’agissait de femmes. Alors, pour une fois qu’un combat est en passe d’atteindre son objectif, que l’on range les faucilles ! Que l’on utilise l’humour, que l’on encourage les provocations à l’inversion des genres, que l’on veille à la parité parmi les étudiants en publicité ou en marketing ; que l’on patiente simplement que les vieux croûtons machos de la pub, de la politique, du sport, cèdent la place à la génération suivante ; que sais-je ? Que l’on diligente sur le service public de l’audiovisuel, des palmarès pour les meilleurs publicitaires, en créant un prix de le meilleure pub avec femme(s), et avec homme(s) nus, un anti-prix de la pub la plus sexiste, etc.
Mais que ceux qui souhaitent un espace public vierge de toute représentation de corps humains nus demandent l’asile politique en Arabie Saoudite et autres riantes contrées nazislamistes. Quant à la pub en général, y compris sexiste, je vous renvoie à l’article antipub de Wikipedia. Voici une pub violemment sexiste prise à Milan en 2019.

Pub sexiste jouxtant le Duomo de Milan.
© Lionel Labosse, 2019


 Pour vous faire votre propre idée, vous pouvez directement feuilleter l’album sur le site de l’éditeur.

 Voir cependant un clip sur le sujet réalisé en 2013 par des étudiants canadiens. Vous remarquerez que ces étudiants dans leurs pastiches, ont dans la plupart des cas remplacé des femmes canon (jeunes, minces, belles) par des mecs thons (vieux, gras, laids), ce qui n’est pas très réglo.
 En décembre 2013 paraît également un hors-série n°12 de Charlie Hebdo intitulé À bas la pub ! Deux articles y font le point sur l’évolution du sexisme, mais replacé dans le contexte général de toutes les agressions publicitaires. On comprend que les éditeurs de livres, qui sont les premiers à arroser de pubs les journaux et les affiches, préfèrent focaliser l’attention des jeunes lecteurs sur le créneau consensuel des seules pubs sexistes, combat inoffensif pour les chiots qui ont besoin de se faire les griffes. Presque tous les médias en font autant, car n’importe quel journaleux fait sous lui à l’idée d’émettre une opinion antipub, ce qui le ferait blacklister dans le métier. Alors s’attaquer à la pub sexiste, ça fait bien, ça fait branché, et ça permet surtout d’éviter le vrai problème de l’invasion publicitaire, y compris quand ces pubs sont désormais exhibées dans le métro et la rue sur des écrans vidéos qui consomment beaucoup d’électricité. Ce n’est certes pas Thierry Lenain qui s’intéressera à ce dossier, car les femmes nues seules suffisent à son bonheur. Marie-Aude Murail est l’une des seules auteures jeunesse à avoir osé s’attaquer au véritable problème de l’invasion publicitaire avec Vive la République.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de Thierry Lenain


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