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Un pavé dans la gueule ! 3e et lycée.

Vive la République ! de Marie-Aude Murail

Pocket jeunesse, 2005, 321 p., 12,5 €.

samedi 7 avril 2007

Aucun rapport, a priori, avec notre thèmatique « altersexuelle ». Mais après Oh boy ! et Maïté coiffure, on a envie de s’abonner à vie à tout le bonheur qui coule en larmes de rire ou d’émotion de la plume de Marie-Aude Murail . Le bonheur et la révolte.

Résumé

À 22 ans, Cécile Barrois vit chez sa maman, avec son grand dadais de frère, Gil. Elle entame sa carrière de maîtresse d’école avec des méthodes personnelles. Elle tient en haleine les CP avec l’histoire de « Lapinou Crotte-Crotte », dont elle invente les épisodes au gré des psychodrames du jour. Elle leur apprend quand même à lire, au point de savoir déchiffrer le mot « nu » sur « un gros titre du magazine Têtu » (p. 85). Elle perd parfois courage, mais le directeur d’école la soutient, ému tant par sa jeunesse et son charme que par ses vertus pédagogiques. Il s’agit d’une école de centre-ville assez hétérogène, et nous suivons jusque chez eux quelques élèves, cela va d’Églantine de Saint-André à Steven, dont le QI est « un peu au-dessous de la norme » (p. 250). Mais surtout l’école a été sauvée de la fermeture par l’arrivée d’une famille nombreuse réfugiée de Côte-d’Ivoire, les Baoulé. Or le méchant de l’histoire, le propriétaire du « Tchip Burger », guigne le bâtiment qui abrite l’école, le seul emplacement possible pour installer son restaurant en plein centre. Pour ce faire, il lui faut absolument faire débouter les Baoulé, enfants compris, de leur demande d’asile, et bien entendu aucun scrupule ne le retient. C’est justement au Tchip Burger que Cécile dîne une fois par semaine avec son frère Gil. Elle tombe sous le charme d’un serveur, qui n’est autre qu’Éloi de Saint-André, le frère de son élève. Éloi a quitté sa famille et s’efforce de subvenir à ses besoins. Il avait été victime d’une agression violente, on lui avait volé ses vêtements de marque, et ce traumatisme lui avait fait prendre conscience de la violence inhérente au commerce de masse. Il collabore avec une amie, Nathalie, à une association d’aide aux sans-papiers. Constatant que sa sœur a repéré le beau Saint-André, Gil fait connaissance. Éloi lui propose un rendez-vous pour « changer le monde ». Gil soupçonne une « technique de drague inédite » (p. 60), mais non, il s’agit d’une virée avec le « GAP, Gang Anti-Pub » (p. 62). Gil tombera sous le charme de l’altermondialiste (le mot n’est pas utilisé, mais la L.C.R. est nommée, p. 131), pour le plus grand bien de sa sœur, rassurez-vous. Voilà, les dés sont jetés, lequel des Titans va l’emporter, de l’ignoble directeur de fast-food ou du républicain directeur d’école ?

Mon avis

Mais où s’arrêtera Marie-Aude Murail ? Après l’homosexualité, la voilà qui fait l’apologie de toutes les perversions qui menacent la croissance de notre beau pays. Telle une passionaria des barricades, elle fait brandir à ses personnages le pavé No logo (p. 65), et se gausse des activités de surconsommation dans les supermarchés (scène d’anthologie, p. 175) ou de la consommation passive de télévision grâce auxquelles pourtant les enfants ne s’ennuient plus le dimanche. Elle fait l’apologie de délits tels que « l’aide au séjour à personne en situation irrégulière » (p. 276), et son tour de passe-passe ne trompe personne : ces deux Africaines qui se font passer pour sœurs sont plutôt des coépouses, croyez-moi, et voici une apologie de la polygamie. Pourquoi pas l’excision et la fellation, pendant que vous y êtes ! Et cette petite fille toute fière d’annoncer « Moi, mon papa, il viendra avec sa copine, alors, ma maman elle viendra pas » (p. 151). Ou je me trompe, ou c’est une insidieuse propagande altersexuelle ! Et ce garçon qui joue aux dés la fille qu’il aimera (p. 192)… Et ce brave quinquagénaire victime du démon de midi… Et ça se vante d’être « chevalier de la légion d’honneur » !

Trêve de plaisanterie : « Ça, c’est une fille qui a des couilles ! » (p. 281). Malgré sa couverture aux dessins enfantins, ce pavé est à réserver aux 3e et aux élèves de lycée général ou professionnel. Tous les thèmes de leurs difficultés quotidiennes y sont habilement tressés : le drame des réfugiés politiques et des sans-papiers, les enfants qui vivent dans des squats, la prise de conscience de l’aliénation du commerce de masse, de l’exploitation par les entrepreneurs sans scrupules, les manipulations des possédants qui s’arrangent avec la loi, la violence policière qui s’abat sur les petits et épargne les délinquants en col blanc. Et puis les sentiments : la générosité latente cachée sous des abords revêches et des mots durs, qui n’attend pourtant qu’à s’éveiller. Eh oui ! on peut utiliser le mot « nègre » ou « bamboula » et, quand on vous le demande, héberger un sans-papiers. Il en va de même pour les insultes homophobes… le mot est l’habit de la pensée, et l’habit ne fait pas le moine, Marie-Aude Murail excelle à dénicher les sentiments sous l’habit des mots. L’amour qui se cache sous la haine et éclate au bord de la mort dans la famille Saint-André (n’est-ce pas un saint écartelé sur une croix ?) dans une scène qui, peut-être, tirera des larmes à ceux qui, pour une raison ou une autre, ont été en rupture avec leur famille (p. 248), vous voyez ce que je veux dire ? Les difficultés, les doutes et les réussites d’une prof d’école en butte à l’incompréhension d’un inspecteur qu’on aurait voulu encore plus humiliant, comme certains savent l’être ; la foi républicaine en une école « château fort » (p. 294), etc. Un roman foisonnant pour rire, pour pleurer, pour comprendre le monde dans lequel nous — et nos élèves — vivons.

Deux ou trois remarques discordantes cependant. Premièrement, Marie-Aude Murail m’a écouté, et a laissé échapper, enfin, une toute petite coquille à la page 126, que je m’empresse de ramasser (il faut bien qu’il y en ait qui se dévouent pour dénoncer !). À vous de trouver… (Trouvez aussi un joli calembour à la p. 313). Deuxièmement, je ne suis pas convaincu par l’abus de gros mots, qui trop souvent contaminent le discours du narrateur : « Audrey s’emmerdait » (p. 173). On sent la rage derrière ces mots, mais le langage aussi n’a-t-il pas son économie ? Gare à l’inflation ! Enfin, dans les paroles prononcées en français par les mères ivoiriennes, la non-prononciation du son R n’est-elle pas plutôt propre aux Antillais ? (Voir sur ce point Lettres créoles de Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Folio essais, p. 70.) [1]

 Voir aussi, de la même auteure, Simple. Lire l’entrevue avec Marie-Aude Murail. Lire un article antipub et une brève antipub.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Marie-Aude Murail


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[1À vrai dire, je suis preneur d’informations (il y a bien un thésard qui a traité le sujet, non ?), car ce n’est pas si clair. Je me rappelle une élève camerounaise qui avalait les R comme les Antillais…