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Manuel de survie en milieu difficile, pour les lycées

Black boy, de Richard Wright

Folio, 1945, 445 p, 7,2 €.

mardi 11 septembre 2007

« Un homme peut essayer d’exprimer ses rapports avec les étoiles, mais lorsque l’âme d’un homme a été rivée sur un objectif tel que l’obtention d’une miche de pain, cette miche de pain est pour lui aussi importante que les étoiles. » (P. 397). Je ne vais pas faire une critique de ce chef-d’œuvre paru en 1945. Sur Richard Wright, voyez cet article du Monde Diplomatique. Seulement quelques extraits à exploiter en classe. Le niveau de référence me semble la classe de seconde ou la première. La lecture est facile parce que la narration suit la chronologie, mais difficile par la richesse des réflexions, la variété des thèmes et la puissance poétique du style. De nombreux récits sont à base de dialogue et suggèrent des utilisations pédagogiques de mise en bouche et en scène. Le bel exemple de chiasme cité ci-dessus me semble être symbolique de la volonté de l’auteur de rendre compte de l’aliénation inhérente à la misère, et des moyens pour en sortir.

 Entrée symbolique par l’incendie de la maison familiale qu’il provoque en jouant. (P. 13/19).
 Évocation sous forme de liste, d’événements itératifs marquants. (P. 20/22)
 Portrait charge du père, puis double scène où Richard tue un chat pour mettre en faute son père qui lui a dit de le tuer dans un moment d’énervement, puis prend une terrible leçon de morale par sa mère. (P. 24/31)
 Suite au départ du père, dialogue maïeutique d’une grande dureté sur la faim avec la mère, puis scène où elle l’encourage et l’oblige à se battre et à rendre les coups avec les gamins du quartier. (P. 33/38). Cet extrait, comme de nombreux autres, devrait remettre en cause l’article 2 de la Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Citons aussi cette apologie du crime et du vol, p. 345, et le récit de trois vols en deux pages, p. 351.
 Comment, laissé à lui-même, il devient à six ans, « un ivrogne accompli » (p. 40/43)
 Il découvre l’école : « Pendant cette récréation de midi, j’appris tous les mots orduriers qui servaient à décrire les fonctions physiologiques et sexuelles et je m’aperçus que je les connaissais déjà — je les avais prononcés au bar — bien qu’ignorant leur signification. Un grand garçon noir récita une poésie burlesque en vers de mirliton, parfaitement ordurière, où étaient décrits en détail les rapports sexuels entre hommes et femmes, et je me la rappelai par cœur après l’avoir entendue une seule fois. » (P. 48). [1]
 « Et quand je songeais à la stérilité culturelle de la vie noire, je me demandais si la tendresse pure, réelle, si l’amour, l’honneur, la loyauté et l’aptitude à se souvenir étaient innés chez l’homme. Je me demandais s’il ne fallait pas nourrir ces qualités humaines, les gagner, lutter et souffrir pour elles, les conserver grâce à un rituel qui se transmettait de génération en génération. » (P. 69). Ce genre de remarques lucides vaudront à l’auteur d’être rejeté par le parti communiste.
 Première émotion littéraire déterminante alors qu’une institutrice lui raconte l’histoire de Barbe-Bleue (p. 71/74).
 Richard se fait corriger pour avoir dit une phrase obscène à sa grand-mère. Valeur symbolique : « j’avais prononcé des paroles que je ne pouvais plus reprendre » (p. 77).
 Portrait à charge du grand-père (p. 79, puis p. 236).
 Dialogue de l’enfant avec sa mère au cours duquel il se découvre « homme de couleur » (p. 85/88)
 Un oncle assassiné par des Blancs [2]. La famille doit fuir (p. 96).
 « Antagonisme » envers les Juifs : « Tous les Noirs du quartier détestaient les Juifs, non parce qu’ils nous exploitaient, mais parce qu’on nous avait appris à la maison et à l’école du dimanche que les Juifs étaient les « assassins du Christ » » (p. 107/109). Voici de quoi modérer l’affirmation de Rama Yade selon laquelle « Les Noirs n’ont jamais eu dans leur histoire de problème avec les Juifs. Au contraire, ayant été deux peuples qui ont fait le plus l’objet des persécutions de masse, Noirs et Juifs ont tout pour se comprendre ». De même, p. 346 : « je me présentai chez le propriétaire juif du cinéma […] Il était blanc, et jamais je ne pourrais lui faire payer ce que lui et sa race m’avaient fait endurer » ; p. 418 : « Il y avait Don, un Juif, mais je me méfiais de lui. Sa situation n’était pas beaucoup meilleure que la mienne, et je savais qu’il était inquiet et ne se sentait pas en sûreté. […] l’empressement qu’il mettait à montrer sa solidarité raciale avec les Blancs contre les Nègres aurait pu l’amener à me trahir. »
 Engueulade salace avec la voisine maquerelle (p. 112/113). Richard n’a pas compris : « Je n’avais toujours qu’une notion très floue de ce que la propriétaire vendait. Par la suite, les autres gosses m’en apprirent le nom, mais cela ne correspondait toujours à rien de très précis dans mon esprit. »
 Dialogue avec une Blanche pour tenter de lui vendre un chien (p. 122/124).
 Légende « vraie d’un point de vue émotionnel » d’une Noire qui tue les lyncheurs de son mari (p. 128).
 À l’école, il est paralysé et muet quand il passe au tableau (p. 130/132).
 Scène d’insultes rituelles avec des enfants (« dozens », mais le mot n’est pas employé) (p. 136/141) [3].
 Richard se bagarre de façon préméditée dès le premier jour à l’école pour s’imposer (p. 157/159).
 « Les souffrances de ma mère devinrent pour moi un symbole (p. 171).
 « À l’âge de douze ans, j’avais à l’égard de l’existence une attitude définitivement fixée […] qui devait me rendre sceptique à l’égard de toute chose tout en m’intéressant passionnément à tout, tolérante et cependant critique » (p. 172).
 Richard tombe amoureux à 12 ans de la femme du diacre. Absence de culpabilité : « mes glandes commencèrent à répandre dans mon sang, telle la sève qui monte dans les arbres au printemps, ces étranges substances chimiques qui me faisaient considérer avec curiosité les femmes et les filles (p. 193).
 Dialogue avec un camarade qui veut le convertir. Profession d’agnosticisme (p. 196/199).
 Richard vend des journaux de Chicago, mais un Noir lui fait comprendre que ce journal défend le Ku Klux Klan. Caricature raciste (blâme) (p. 222/226).
 « Il y avait au sein de notre foyer si pieux, si profondément religieux, des querelles plus violentes que dans la maison d’un gangster, d’un cambrioleur ou d’une prostituée » (p. 232).
 Mort du grand-père. Richard se fait engueuler pour son insensibilité (p. 242/244).
 Expérience de travail dans une famille blanche ; tension qui en résulte (p. 255).
 Méthode du pasteur pour convertir de force les incroyants (p. 259/264).
 Richard vient à bout d’un oncle qui veut le battre (p. 270).
 Paragraphe en tête de chapitre en phrases nominales (p. 275). Richard travaille brièvement dans une briqueterie. Travail physique difficile, plus morsure du chien du maître.
 Première histoire publiée dans un journal noir. Richard défend ses droits pour être rémunéré ! Incompréhension de son entourage (p. 283/287).
 Un Noir tué pour avoir eu un rapport avec une prostituée blanche (p. 294).
 Richard refuse de lire un discours qui n’est pas de lui. Cette fierté lui coûte une place d’instituteur (p. 300).
 Une Noire molestée par des commerçants, pour dette (p. 308).
 Discussion avec un ami qui le met en garde sur son attitude avec les Blancs : « tu es noir, noir, noir, comprends-tu ? » (p. 314). Plusieurs autres passages reviendront sur l’analyse de son attitude : pp 333/335, par exemple.
 Il trouve un employeur yankee de bonne volonté, mais les autres employés le maltraitent : « Je me sentais violé jusqu’au plus profond de mon être, et je savais que ma propre peur avait favorisé ce viol » (p. 328).
 « Avec le temps, je finis par ne plus ressentir de haine pour les hommes qui m’avaient chassé de ma place. Ils ne m’apparaissaient pas comme des individus distincts, mais comme les pièces d’un immense système, implacable et rudimentaire, contre lequel toute haine était vaine » (p. 331).
 Un Noir se vante d’avoir une chaude-pisse (p. 337).
 Un Blanc met la main aux fesses d’une Noire ; Richard se scandalise et manque y laisser sa peau (p. 338).
 Analyse de l’aliénation : les Blancs donnent « une prime à la malhonnêteté des Noirs », car cela leur donne un sentiment de supériorité (p. 341).
 Il s’habitue à voir des prostituées blanches nues sans rien manifester, étant considéré comme un objet (p. 344).
 Quand il s’installe à Memphis, la patronne de l’hôtel et sa fille, un peu simple d’esprit, veulent à tout prix qu’il épouse cette dernière ; les deux sont même d’accord pour qu’il l’essaie avant le mariage ! (p. 364/369).
 Shorty, un Noir de Memphis lui montre comment obtenir 25 cents en s’humiliant volontairement devant un Blanc (p. 391).
 Liste des sujets tabous avec les Blancs du Sud. Seuls sont admis « la question sexuelle et la religion » (p. 394).
 À son atelier, des Blancs tentent de monter de toutes pièces une rixe avec un Noir d’une entreprise voisine. Ils finissent par accepter un combat de boxe pour cinq dollars. Une des plus fortes démonstrations de la haine raciale retournée sur soi-même : « Notre haine pour les hommes que nous avions essayé de tromper passait par les coups que nous nous donnions » (p. 400 à 414). [4]
 Les Nègres ne peuvent emprunter à la bibliothèque ni fréquenter certains lieux. Il trouve un Blanc qui lui prête sa carte (« Il ne restait qu’un seul homme que son attitude ne classait pas dans la catégorie Négrophobe »), et découvre la littérature, dévore des romans (p. 418 sq).
 « Oui, cet homme luttait, combattait avec des mots. Il employait des mots pour armes, il s’en servait comme d’une matraque. Les mots pouvaient-ils donc devenir des armes ? […] Mais alors, peut-être pourrais-je moi aussi les utiliser comme des armes ? » (p. 424) [5]. Richard découvre les noms des écrivains, utilise le dictionnaire… Bel éloge de la lecture. Il part à Chicago avec sa famille.

 Sur le thème de la ségrégation raciale, lecture croisée possible avec Un Monde de différence, d’Howard Cruse. Autre lecture croisée audacieuse, avec La mort est mon métier, de Robert Merle, auteur né en 1908 comme Wright, ayant vécu comme lui une tragédie du XXe siècle (la Seconde Guerre mondiale), et réfléchissant aux processus d’aliénation par un personnage diamétralement opposé. Les scènes de punition parentale ou d’humiliation par le travail (La mort est mon métier, p. 147 de l’édition Folio), se répondent, et pourtant engendrent d’un côté la rage de construire, de l’autre celle de détruire.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article du Monde Diplomatique sur Richard Wright


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[1Où l’on voit que si les enseignants négligent l’éducation sexuelle, les enfants s’en chargent ! Rien de nouveau sous le soleil, sauf que de nos jours, ce sont des vidéos pornos qu’on regarde en cachette dans la cour ou dans les cours (cf. Retour au collège, de Riad Sattouf).

[2Le texte met des majuscules à Blanc, Noir, Juif.

[3Cf. Le rap, ou la fureur de dire, Georges Lapassade & Philippe Rousselot, Loris Talmart, 1990.

[4Doit-on parler de « négrophobie intériorisée » ?

[5Cf. Léo Ferré, Le Chien : « Des armes et des mots c’est pareil / Ça tue pareil ». À mettre aussi en relation avec le rap (voir l’extrait cité p. 136).

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