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Reportage explosif, à partir de la 4e.
Retour au collège, de Riad Sattouf
Hachette Littérature, La fouine illustrée, 2005, 96 p, 12,3 €.
vendredi 10 août 2007
Ce premier album de bande dessinée publié par Hachette Littérature, deux ans avant Dans la peau d’un jeune homo, de Hugues Barthe, est un reportage de deux semaines brut de décoffrage, sur un collège public d’un quartier huppé. Si j’en fais la critique dans cette rubrique deux ans après sa parution, c’est que certains aspects de l’ouvrage — auquel on reproche souvent pourtant sa brièveté — n’ont pas été relevés dans les dix critiques signalées ci-dessous (je me suis limité à dix, signalez-en d’autres si nécessaire). Cela justifie cette critique altersexuelle ! L’ouvrage nous concerne donc à la fois en tant qu’éducateurs et pour l’étude de l’homophobie, omniprésente mais que pas une seule des dix critiques relevées n’a signalée !
Riad Sattouf débarque comme reporter dans ce collège, recommandé par le prestige de la marque de son éditeur, qui lui a permis d’être introduit par le ministère. On s’amuse de l’auto-ironie sur l’hypocrisie nécessaire à la réussite rapide du projet : « ton de petit enfoiré pédant » (p. 9), ainsi que de la scène magistrale de la rencontre avec le proviseur (il s’agit d’un lycée-collège) et son adjoint, lequel parvient malicieusement à diriger le dessinateur dans la classe la plus agitée : « c’est dissipé parfois, mais euh, hem, c’est privilégié, voyez-vous ? » (p. 15). L’auteur est souvent pris pour un élève, ce qui renforce ses angoisses au souvenir de sa propre expérience du collège, dix ans auparavant, dont le traumatisme (heureusement dépassé) est maintes fois évoqué au fil des pages. On a tout dit du contenu disons ethnologique du reportage, sauf deux ou trois choses. Le phénomène de bouc émissaire est bien ancré, avec Romain, qui n’est même pas conscient, pas plus que ses « camarades », qu’il est le bouc émissaire (p. 45), et une scène détachée de racket, inattendue dans un collège où tous sont censés être riches. Si plusieurs critiques signalent les « propos racistes » en général, aucune n’a spécifié, ce qui me semble pourtant la grande originalité du livre derrière la thèse de façade donnée en 4e de couverture. Ainsi, les gosses de riches ne seraient pas des anges. Tu l’as dit bouffi, mais c’est un peu court. On oublie que ce reportage s’inscrit dans un discours médiatique dominant, qui stigmatise systématiquement les élèves des établissements scolaires dits « de banlieue », même s’ils sont situés à Paris intra-muros. Ces élèves sont désignés, même si ce n’est pas toujours écrit ou dit, comme musulmans, noirs et Maghrébins, et, à force d’anecdotes montées en épingle, on leur reproche souvent un machisme et un antisémitisme viscéral. Or, et encore une fois, aucun critique ne l’a relevé, les élèves de ce lycée de fils de riches sont à moitié cathos et à moitié juifs (p. 69), et la religion semble importante pour beaucoup d’entre eux ; il y a une seule musulmane dans le lot, ce qui oriente la nature des « propos racistes », lesquels méritent une étude approfondie qu’il faut féliciter Riad Sattouf d’avoir menée sans porter de jugement.
Les élèves sont globalement anti-arabes. Le mot qu’ils utilisent est « rabza ». Ils s’interrogent naïvement sur les origines de l’auteur, qu’ils croient « feuje ». Celui-ci, à son tour, se méprend (faussement) naïvement sur deux élèves qu’il a remarqués : « Eux naaaaan mais eux c’est pas des rabzas, c’est des feujes qui se la jouent cailleras » (p. 67). On note une saillie négrophobe, à base d’imitation de noirs, et une remarque significative : « je les ai vus quand je suis allée à New York » (p. 31), soulignant le fait qu’aucun noir ne fréquente ce collège, et que l’élève semble avoir plus de chance de croiser un noir à New York que dans son quartier ! D’ailleurs quand le dessinateur dit qu’il habite « à Nation », une élève répond « c’est où ? ». De l’art de dire beaucoup en peu de mots ! Le cours de gym est intéressant, avec cette prof masculine d’aspect dont le discours est pour le moins aussi carré qu’elle : ces élèves favorisés « ont une particularité » : « ils ont d’importants problèmes de coordination musculaire […] ils ont l’équilibre d’un enfant de 3 ans […] Absence d’activité physique simple, comme jouer dans un parc avec ses copains, les parents s’en foutent » (p. 54). Retournement parfait, l’air de pas y toucher, des propos courants sur les enfants d’immigrés. Le schisme important dans l’établissement est révélé par Aïcha, la seule musulmane, en un clin d’œil malicieux à la question dite du foulard islamique : il y a les « châle » et les autres. Les « châle » s’habillent avec des grandes marques coûteuses. Problématique scolaire tout aussi discriminante que celle du voile, mais qui a moins focalisé l’attention des journalistes. Pas étonnant : leurs parents sont avocats, journalistes… (p. 40), et ce sont eux qui choisissent les sujets médiatisables. S’ils ont la même perception de la société que leurs enfants, on s’étonne moins de la vision caricaturale de l’école qu’ils donnent, et que Riad Sattouf s’efforce, modestement, de miner de l’intérieur.
L’homophobie omniprésente
Quant à l’homophobie, elle est omniprésente, tant dans le reportage que dans les réminiscences de l’auteur. En voici un relevé exhaustif. Ainsi, De Bouvier (sic), le cancre et boute-en-train de la classe, mime un coït sur un garçon : « Je suis très pédé j’aime bien frotter mon cul […] Allez danse avec moi on est des homosexuels », puis « C’est pas moi, m’sieur, c’est Henri qui me fait des attouchements contre nature » (p. 27). Variante : « vazi j’m’appelle Rachid et chuis pédé » (p. 71). Il est précisé que ledit De Bouvier exhibe son boxer sous son jean baissé à mi-cuisse (p. 29). Quand il se fait prendre en train de harceler une fille plus ou moins consentante, il s’enfuit en disant : « y’a une gouine qui veut ma mort » (p. 49). Plus loin, c’est un prof qui est présenté par les élèves comme « un pédé dur », qui fait « des poses de pédé », « quand il règle le magnétoscope il tend son cul » (p. 33). L’auteur se souvient du « club des pédés » dont il faisait partie dans son collège. Il réunissait tous les exclus, les petits, les gros, les pas séduisants, « les garçons plus faibles génétiquement » (p. 64), mais le nom du club est présenté comme un signe distinctif, par lequel ces exclus se retrouvent en excluant plus exclu qu’eux (le « pédé » fantasmatique que personne n’a jamais rencontré, et pour cause, il n’y en pas à l’école, il n’existe qu’à la télé ou peut-être à New York !) Dans ce « club des pédés », on se livre à des simulacres de coït anal : « j’t’ai bien enculé. — Attends, sale pédé » (p. 43), et on se salue avec geste tribal à l’appui (p. 59). De façon générale, les élèves sont présentés comme des « obsédés sexuels » (p. 79), les garçons de front, et les filles de biais. Les parents naïfs s’étonneront d’apprendre qu’on visionne en plein cours des vidéos porno (p. 90), ou que leur mignonne fifille drague des vilains messieurs poilus de dix ans de plus qu’elles (le dessinateur, terrorisé par le spectre de la pédophilie !) (p. 94).
Bref, cette B.D. est un documentaire de premier ordre, une petite bombe à mon humble avis beaucoup plus forte qu’il ressort des critiques que j’ai lues, qui s’avérera en tout cas fort utile en tant que support pédagogique. Riad Sattouf l’a indiqué fort adroitement en mettant ces propos dans la bouche du prof d’histoire (le « pédé ») : « Pourriez-vous les inciter à travailler en éducation civique ? » (p. 41). Il l’a pris au mot (pardon !), et on utilisera cette BD en parallèle avec Les Céfrans parlent aux Français, de Boris Seguin & Frédéric Teillard, qui en constitue le pendant dans les milieux populaires.
– Lire une autre entrevue avec Riad Sattouf, la critique de Didier Pasamonik, de Stellou, de Jessie B., de La lettre volée, de David, de Vincent, de Iscarioth, de Pierrizan, de Culturofil et de Julie (attention, certains de ces sites sont truffés de pubs).
– Lire aussi, du même auteur, Manuel du puceau, Ma circoncision, La vie secrète des jeunes et Pascal Brutal.
– Le premier film de Riad Sattouf est sorti en juin 2009 sous le titre Les Beaux Gosses. Il est partiellement inspiré de cet album, car il retrace, selon un modèle fréquent en littérature jeunesse, la chronique de l’année de troisième dans la vie d’un groupe d’ados. C’est un film fort amusant, onirique et non réaliste, à l’opposé de Entre les murs et encore plus de La Journée de la jupe, qu’on dirait sponsorisé par Darcos pour faire passer son idée de camelote de vidéosurveillance. Cela dit on regrettera que la machine à édulcorer de l’industrie du cinéma soit passée par là, car si l’on compare à l’album, tout l’aspect polémique de l’observation du lycée de bourges est gommé, on se retrouve dans un milieu plutôt populaire mais bon teint. Et le « club des pédés » a disparu sous cette appellation, mais il est bien évoqué sous la forme des amis du « couple » de Kamel et Hervé. On notera les multiples allusions cryptées ou subliminales (par exemple une affiche sur un bus qui passe, sur lequel je n’ai eu le temps d’entr’apercevoir que le mot gay). Le film privilégie la nostalgie du dirons-nous glauque paradis des amours enfantines. C’est très bien, mais moins fort que ne l’aurait été l’adaptation de Retour au collège. Il faut reconnaître qu’une telle adaptation aurait été huée dans la normopathie ambiante…
Voir en ligne : Entrevue avec Riad Sattouf
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