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Un regard hétéro & caustique sur le microcosme homo, pamphlet pour adultes.

Les Khmers roses, essai sur l’idéologie homosexuelle, de François Devoucoux du Buysson

Éditions Blanche, 2003, 144 p., 15 €.

mercredi 17 décembre 2008

Un paragraphe de mon Journal de bord de l’année 2004/05 était consacré à l’auteur de ce livre, objet d’un lynchage expéditif dans une émission où j’avais eu droit à un strapontin. Son livre est un pamphlet intéressant, bien écrit, souvent de mauvaise foi, partial et partiel, mais globalement tout à fait légitime dans le questionnement qu’il pose à la communauté homosexuelle (pour tant est qu’il y en ait une). Ayant l’honneur de faire partie des quelques trop rares poils à gratter parmi les militants altersexuels, qui ne braient pas toujours dans le sens dudit poil, je ne peux que saluer ce contradicteur, d’après ses dires, non-homosexuel (p. 135). Ce monsieur a encouru les foudres de Bertrand Delanoë pour avoir eu l’« audace » (titre du livre de Bertrand) de critiquer son action. L’acharnement du maire de Paris contre le satiriste n’a d’égal que celui du président de la république actuel, qui encombre les tribunaux de ses actions en justice contre tout manant ayant osé entraver sa marche. Mais à gauche, comme dit La Fontaine nous glissons les défauts de nos héros dans la poche de derrière, et réservons celle de devant pour les défauts de Sarkozy ! Autre signe d’ouverture d’esprit : aucun exemplaire de ce livre n’est disponible dans les bibliothèques parisiennes, et fort peu des deux ouvrages suivants du même auteur ! Un petit tour s’imposait donc, des propos souvent borgnes, mais parfois clairvoyants, de ce pamphlétaire. Attention, comme c’est souvent le cas sur votre site préféré, cet article est moins une critique qu’un prétexte, en partant d’un livre, pour donner mon point de vue sur un certain nombre de faits évoqués dans ledit livre.

L’avant-garde du mouvement gay

L’ouvrage commence comme il se doit par… l’incontournable citation apocryphe de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, et blablabla… ». L’ouverture est la partie la plus virulente du pamphlet — loi du genre — et vilipende sous l’appellation volontairement exagérée — loi du genre — de « khmers roses », « l’absence totale de légitimité démocratique des associations et des gourous qui constituent l’avant-garde du mouvement gay » (p. 11). Ces propos sont loin d’être homophobes, et certains altersexuels, dont votre serviteur, ont régulièrement exprimé le même avis (en ce qui me concerne, après la parution de ce livre). Là où s’immisce la mauvaise foi — et cela tout au long de l’ouvrage — c’est de faire comme si ce phénomène était propre au milieu homo, et de la responsabilité unique des « khmers roses » en question. Le procès n’est instruit qu’à charge. Or il ne faut pas oublier la responsabilité des médias, qui, quel que soit le domaine, aristocratisent toute cause, et « élisent » un collège restreint de spécialistes, qui dès lors, pour peu qu’ils manquent de modestie et de recul, se croient vite seuls dépositaires d’une légitimité qui leur fait défaut. Il m’est en effet désagréable d’entendre un « porte parole de l’inter-LGBT » comme le fut Alain Piriou, s’exprimer si fréquemment au nom de tous les altersexuels français, alors que l’inter-LGBT en question n’est qu’une superstructure réunissant 46 associations franciliennes, lesquelles, pour certaines d’entre elles, ne comptent qu’une poignée de membres, dont beaucoup de collectionneurs de casquettes associatives ! Mais après tout, il a le droit de s’exprimer, et il ne fait que répondre aux invitations de journalistes. La question est de savoir pourquoi ces journalistes ont comme un seul homme décidé, pour représenter les homos, de ne plus inviter d’intellectuels mondains comme dans les années 70, mais des militants gays souvent également engagés politiquement (Piriou) et des juristes (Mécary, Borrillo). Espérons que le successeur d’Alain Piriou, Philippe Castel, dont la légitimité par son travail militant est incontestable, saura exposer la pluralité des opinions, ou du moins, s’il porte une parole plus tranchée, ne pas oublier de rappeler que cette parole n’est que celle d’un modeste regroupement d’associations, ou la sienne propre.

Les lois contre l’homophobie

Si c’est avec raison que le pamphlétaire conteste en une jolie formule la loi contre les propos homophobes « une loi liberticide d’inspiration libertaire », il est dommage que, à l’instar des militants auxquels il s’oppose, il fasse l’amalgame entre « les actes et les propos homophobes » (p. 36), et pratique l’exagération, parlant de « jeter au cachot ceux qu’ils désignent comme homophobes ». Il convient à mon avis de séparer trois choses. Premièrement, la répression des actes et celle des propos (avec le cas particulier des paroles qui peuvent devenir des actes quand il s’agit d’appel au meurtre et que cet appel est suivi d’effet). Deuxièmement, l’égalité de traitement entre racisme et homophobie, troisièmement, la stratégie décidée pour parvenir à cette égalité. À mon sens, il convient de punir spécifiquement les actes de violence ou de discrimination motivés par le racisme ou l’homophobie, et non les simples paroles, et je suis favorable à l’abrogation d’un certain nombre de restrictions à la liberté d’expression. Il est significatif que les militants majoritaires, et les seuls auxquels les médias donnent la parole, emmenés par un certain nombre de juristes, aient systématiquement choisi la solution de la pénalisation [1]. Quant à la stratégie utilisée, comme toute stratégie pragmatique, elle a forcé les militants à utiliser des arguments de mauvaise foi, le meilleur exemple étant celui du suicide des jeunes, relayé par le ministre de l’Éducation quant il a pris la décision d’inscrire la question de l’homophobie dans la circulaire de rentrée 2008. Non que l’argument soit faux, mais on obtient plus et plus vite par la dramatisation que par la revendication de la « diversité sexuelle » en ces temps de négation des années 1968.

Revenons aux propos de l’auteur après cette digression. François Devoucoux du Buysson redresse parfois pertinemment des exagérations militantes. Par exemple, il rappelle que « les sbires de Pétain n’ont pas déporté d’homosexuels en tant que tels ». J’ai effectivement signalé une extrapolation de ce type dans un au demeurant excellent livre pour les jeunes. Ce que l’auteur pourrait cependant reconnaître, c’est que le déficit d’études historiques sur ce sujet favorise ce genre d’extrapolations, et que ce déficit est dû à une certaine homophobie qui a longtemps régné dans les universités pas seulement françaises. Il en va de même sur la question du suicide : l’auteur rejette d’un revers de main dédaigneux l’étude de Jean-Marie Firdion et Éric Verdier sur « Homosexualité et suicide », sous prétexte qu’ils « ne peuvent produire que des chiffres d’origine américaine pour appuyer leur thèse d’une société française homophobe » (p. 27). Bon exemple de mauvaise foi, car premièrement cela sous-entend que les études américaines en question sont fiables, deuxièmement il est bien évident que c’est l’homophobie qui avait rendu impossible des études du même type en France. D’ailleurs, l’auteur reconnaît finalement la prévalence du suicide chez les homos, mais c’est pour corroborer une thèse assez fumeuse d’une dépressivité constitutive de l’homosexualité (cf. p. 29). Cela ne l’empêche pas de fustiger le goût populaire de certains homos (je suis innocent, je le jure !) : « Pauvre religion que celle qui vénère des icônes aussi pâles que Mylène Farmer, Jean-Paul Gautier ou Steevy du Loft… » (p. 116), avant de rappeler que la Gay Pride « est pourtant une marche du souvenir » (p. 117). Il faudrait savoir, alors : si les gays sont par nature dépressifs, pourquoi leur reprocher de danser comme des dindes sur Mylène Farmer et de faire la fête lors de la gay pride (indépendamment du mot d’ordre affiché dans le carré de tête de la poignée de militants qui organisent la marche, dont 90 % des participants n’ont aucune idée !). À force de fustiger une prétendue « idéologie homosexuelle », notre pamphlétaire laisse émerger au détour d’une page sa propre idéologie, fort peu jouissive : « […] la peur de la mort qui est propre à l’homme est accentuée chez les homosexuels. Ils manifestent en effet une plus grande sensibilité au sentiment de finitude de l’existence en raison de leur impossibilité à avoir des enfants […] » (p. 119) : sans commentaire !

Les militants homos : une bande de joyeux biaiseurs

La mauvaise foi fait oublier à l’auteur que l’homophobie institutionnelle qui a prévalu, ne lui en déplaise, jusqu’aux années 1980, a poussé les intellectuels tant soit peu militants à biaiser. Ainsi d’André Gide, dont il a beau jeu de se moquer aujourd’hui de ses arguments sur l’homosexualité des animaux dans Corydon, oubliant qu’il s’agissait là non pas de la pensée ultime de Gide, mais de la simple réfutation d’une thèse qui à l’époque était très répandue ! Il se contente de rappeler un mot de François Porché qualifiant de « tract » le livre de Gide ; comme si ce mot, à l’époque, n’était pas avant tout un éloge, compte tenu de l’hypocrisie généralisée sur la question de l’homosexualité. Plus loin pourtant, il vante le même Gide avec Proust, parce que « Ces écrivains ont ainsi touché du doigt l’universel, privilège réservé à ceux qui savent s’extraire des multiples verrous qui enserrent chaque individu et le stérilisent souvent » (p. 114). Certes, mais n’est-ce pas un peu contraints et forcés que ces auteurs ont dans leurs œuvres endossé un habitus plus « universel », c’est-à-dire en réalité plus hétérosexuel qu’ils ne l’auraient sans doute fait de nos jours ? Il est un peu facile d’ironiser sur les excès des militants de la onzième heure, mais cela pousse souvent l’auteur à nier toute forme d’homophobie. Croit-il que le Pacs — ou tout projet équivalent — aurait pu être adopté sans de longues années de militantisme, de lobbying ou de ce que vous voulez, avec les compromis et les arguments bancals que cela suppose ? Quand il évoque l’exode des gais dans le Marais (p. 105), il ne veut y voir qu’un phénomène banal. Vrai pour une grande proportion sans doute, mais ai-je rêvé, ou bien j’ai connu des exemples nombreux d’homos et de lesbiennes (et de transgenres) irrémédiablement rejetés par leur famille (cas beaucoup plus rares depuis une dizaine d’années bien sûr), notamment à l’époque du sida où ce rejet était d’autant plus insupportable. L’auteur n’y fait pas la moindre allusion, comme si cela ne pouvait pas expliquer le cheminement militant ; de même qu’il n’évoque jamais l’homophobie dans la quatre-vingtaine de pays où elle est interdite par la loi, ni les associations françaises — trop rares — qui se penchent sur la question.

De la mauvaise foi au poujadisme

L’auteur se livre à des glissements idéologiques du même ordre que ceux qu’il reproche aux fameux « khmers roses » : « Qui peut prétendre que le retour à l’état de nature et à ses mœurs strictement pulsionnelles constituerait un progrès pour l’humanité » (p. 53). Dans le même ordre de choses, voir le glissement qui en une demi-page, amène d’une réflexion à propos d’un film apparemment anodin, jusqu’à la « pédophilie » agitée comme un chiffon rouge à plusieurs reprises dans l’ouvrage. On qualifie d’« interdits scandaleux » le fait que certains établissements homos soient interdits à l’un ou l’autre sexe (p. 62). À discuter bien sûr, car lorsqu’il s’agit d’une boîte de nuit ou d’une « backroom », le tri du genre à l’entrée n’a pas le même sens que dans des festivals de cinéma, et dans ce dernier cas je suis d’accord avec le fait qu’une discrimination à l’entrée rend discutable une subvention publique. À propos de subventions, l’auteur tombe souvent dans le poujadisme : on relève des expressions du type « colloques et autres universités d’été payés par le contribuable » (p. 64), et toutes les subventions à des associations altersexuelles sont pointées du doigt. En tant que contribuable, je suis favorable à un contrôle des subventions, mais en traitant toutes les associations sur le même plan, en particulier celles qui ressortissent à des communautés. L’honnêteté intellectuelle aurait pu pousser l’auteur à relever le contraste entre les subventions accordées à ce type d’associations depuis l’élection du maire actuel de Paris, et l’absence totale de subvention à l’époque des maires précédents, à comparer avec les subventions des autres communautés représentées chez les contribuables parisiens [2].
Cela dit, quand il remarque en particulier qu’Act Up, subventionné, « mène régulièrement des actions violentes » (p. 92), n’a-t-il pas raison ? J’ai toujours été en effet troublé par le fait qu’une association qui revendique sa politisation (« Nous sommes la gauche ») et agit à la marge de la légalité bénéficie de subventions ; mais là encore, il faudrait une étude sérieuse pour savoir si elle est la seule dans ce cas ; c’est malheureusement une coutume chez les politiques de financer des associations qui titillent en priorité leurs adversaires sous prétexte d’une bonne cause. J’ai fréquemment exprimé ces réticences sur l’action d’Act Up ici ou là, mais on peut y ajouter le pitoyable « zap » des éditions Blanche à l’occasion de la publication d’un livre « haineux » (je cite) d’Érik Rémès, en 2003 (et vive la liberté d’expression !).
Un discret articulet de Marianne du 17/01/2009 intitulé « L’art de rendre opaques les subventions » [3] nous rappelle opportunément que des abus existent sans doute dans le milieu gay, et que la critique, la contestation, sont nécessaires. N’attendons pas de journaux comme Têtu, qui tirent leurs revenus des entreprises gaies qu’ils jouent un rôle informatif en la matière ! Il est légitime que des associations altersexuelles soient subventionnées, mais comme pour toutes les associations, la concussion est un fléau à combattre.
Même glissement quand il s’agit de se gausser de l’initiative de la mallette pédagogique de Couleurs Gaies, dont on sait avec quelles difficultés cette association l’a diffusée dans les lycées (donc auprès d’adolescents de 15 à 18 ans) : l’auteur ironise sans le moindre argument, en utilisant le mot « bambins » (p. 65). Et quant il s’agit de nier l’utilité d’institutions spécifiquement altersexuelles, au financement pourtant modeste, on est agacé que l’auteur ne relativise pas par exemple le projet de centre d’archives en le comparant à des musées ou lieux culturels spécifiquement consacrés à d’autres communautés ou religions, au budget bien plus conséquent. Cela dit, mon vœu s’agissant d’un centre d’archives, est qu’il ne se cantonne pas aux sujets « LGBT », mais « altersexuels » au sens large ; c’est-à-dire un centre d’archives sur la sexualité, où l’on trouverait aussi bien des renseignements sur la prostitution que sur l’homosexualité, la polygamie ou la pédophilie, tout ce qui s’est fait ou se fait en marge de la sexualité normative, donc un lieu scientifique et neutre destiné à des chercheurs, pas un lieu de célébration de la gaytitude ! Mais peut-être dans ce cas-là excède-t-on la dimension de ce qui est faisable au niveau municipal ?

Idéologie universaliste

François Devoucoux du Buysson dénonce à juste titre les attaques excessives d’altersexuels contre « la psychanalyse et les psychanalystes » (p. 29), et rappelle que chez Freud « la désignation de l’homosexualité comme une perversion n’est en rien une stigmatisation mais un constat clinique » (p. 31) [4]. Par contre, sa mauvaise foi l’entraîne parfois à des contresens, par exemple lorsqu’il cite Didier Éribon lui-même paraphrasant Sartre, il conclut que « les juifs seraient donc un modèle abouti de construction identitaire fondée sur le « phobie » de la société à leur rencontre et constitueraient de ce fait un exemple à suivre » (p. 41). Or manifestement tel n’est pas le propos de D. Éribon, qui se contente de constater l’étiologie de la construction identitaire de certains gais. De même quand il cite des auteurs faisant état des haines qui traversent le milieu LGBT (comme toutes les minorités d’ailleurs) entre virils et efféminés ou entre fems et butchs. Il feint de croire que ces auteurs légitiment ces rivalités en les conceptualisant (p. 61). On en arrive au point sans doute principal de la thèse de notre pamphlétaire : la tarte à la crème de l’universalisme républicain, version psychorigide franchouillarde de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon laquelle on ne peut pas à la fois être citoyen français et manifester son appartenance à une minorité. Le fait d’apposer un drapeau arc-en-ciel sur une maison ou une boutique ne peut être vu que comme le signe que « la communauté se voit désormais comme une sorte de patrie » (p. 107) [5]. C’est en vertu de ce même principe qu’une jeune fille ou une femme de culture musulmane qui porte un foulard est priée de bien vouloir être communautariste, et si possible intégriste, soumise à la méchante domination masculine, et tout le toutim, en dehors de toute autre interprétation possible. Qu’on m’excuse d’insister, mais l’universalisme républicain sinon rien, cela aussi est une idéologie.

Delanoë, le différentialiste opportuniste !

L’auteur est très remonté contre Bertrand Delanoë, ce qui ne l’empêche pas de se livrer à une analyse pénétrante du rapport entre la politique et les homos (un passage repris dans un article du Monde), avec des arguments qui le rendent difficile à classer politiquement : conservateur d’extrême gauche ? Le coming out de Delanoë comme celui d’Amélie Mauresmo (p. 125) ne sont vus que comme d’habiles coups médiatiques, et jamais l’auteur n’a l’idée de se demander pourquoi en ce cas, à part ces deux-là, aucun politicien d’envergure nationale ni presque aucun sportif célèbre ne s’est offert ce magnifique coup de pub gratos aux Jeux Olympiques ! Allez-y, messieurs les rugbymen et les footballeurs : une couverture de Paris-Match gratuite pour tout coming out ! L’homosexualité, qu’on se le dise, c’est de la vie privée, et toute personne qui en fait état en public est suspecte de « différentialisme ». Bertrand Delanoë, en faisant savoir qu’il était homo, mélange vie privée et vie publique en odieux différentialiste, alors que Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy, eux, vivent en toute discrétion une hétérosexualité universaliste ! Cela va jusqu’au vocabulaire employé : « […] le terme homosexuel, qui désigne d’abord une pratique, a été remplacé par les khmers roses par celui de gay qui désigne une nature, une identité » (p. 137). On sait pourtant que les mots désignant les altersexuels sont diversement appréciés ; le mot « homosexuel » en question est d’autant plus contestable qu’il n’existe que depuis un peu plus d’un siècle. J’ai pour ma part contribué à répandre le mot altersexuel : suis-je tombé dans l’ignoble différentialisme ? Ou au contraire, puisque j’appelle les hétéros et les homos à se sentir également « altersexuels », suis-je universaliste ? Cet enculage de mouches, pour être franc, ne me passionne guère ! Et si on laissait aux gens le loisir de se définir comme ils le souhaitent ? Je ferai un parallèle avec la couleur de peau. Une fois admis que la notion de « race humaine » n’est pas fondée scientifiquement, pourquoi ne pas laisser une personne se définir comme noire ou métis ou blanche alors même que d’autres la définiraient d’une autre manière (voir l’exemple de Barack Obama, considéré par lui-même ou divers commentateurs comme métis, ou noir, ou blanc). Si untel souhaite se définir comme gay, lesbienne, bi ou comme transgenre parce que cela est important pour elle ou lui, où est le problème ? Le parallèle est porteur, car l’orientation sexuelle, et même l’identité de genre, sont bien moins évidents qu’on le croit souvent.

Le Pacs et le mariage : David et Goliath ?

L’auteur, et il faut lui en donner acte, reconnaît qu’« il était sans doute souhaitable que la société française s’interrogeât davantage sur les questions relatives à la place du couple homosexuel » (p. 71). Il rejette les « provocations oratoires » (p. 79) de la droite et de Christine Boutin lors du débat sur le Pacs, mais estime que le Pacs ne concerne qu’un nombre ridicule de personnes, se livrant au passage à un calcul assez amusant : reprenant le chiffre de 5 à 10 % de la population qui serait homo (évaluation subjective mélangeant gais et bis, simples tendances homos et choix de vie assumé), il compte 4 millions d’homos, et à partir de là, constatant qu’il y a en 2003, 40000 couples homos pacsés, aboutit à la proportion de 2 % d’homos pacsés, ce qui ne manque pas de sel pour quelqu’un qui a tendance à diaboliser la pédophilie : son estimation inclurait les fameux « bambins » de moins de 18 ans dans les statistiques du Pacs ! De plus, il se livre à ses habituelles extrapolations, en statuant que les homos qui n’ont pas signé un Pacs ont « un mode de vie individualiste et hédoniste », et que « Le Pacs ne concerne qu’une portion infime de la population, ce qui pose la question de son opportunité politique et de son utilité sociale » (p. 82). Si l’on consulte les statistiques disponibles, on constate que pour 2006, il y a eu 77000 pacs, à 90 % hétérosexuels, pour 280000 mariages. Pas si mal, pour une « portion infime » ! [6] À terme, je suis persuadé — ou plutôt j’espère — que le Pacs avalera le mariage, avec possibilité d’union de plus de deux personnes. Mais sur ce point, l’auteur ne craint pas d’afficher une opinion délicieusement réactionnaire : « quelle sécurité l’union libre offre-t-elle à des femmes rendues fragiles par un emploi précaire s’il prend l’envie à leur compagnon de leur substituer une partenaire plus fraîche » (p. 88).

Cause toujours…

On aurait envie de prolonger le décryptage de ce pamphlet excessif comme tout pamphlet, mais stimulant pour la réflexion. Citons pour terminer cette saillie : « On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi les nombreux homosexuels qui ne se reconnaissent pas dans les outrances des idéologues gay et qui ne partagent pas leur vision paranoïaque de la société ne le font pas savoir avec davantage de force. Paresse ? Dédain ? Crainte ? Eux seuls le savent… » (p. 135). Si je ne suis pas d’accord avec « vision paranoïaque », je ne puis que constater la difficulté non pas d’exprimer un point de vue contradictoire, paradoxal, minoritaire, mais d’être relayé par les médias, communautaires ou généralistes. Le milieu LGBT n’est malheureusement pas une exception dans l’intelligentsia française : il ne brille pas par sa propension à partager la parole. Tout y fonctionne comme toujours en France, par cooptation aristocratique, cliques et clans. Allez à rebrousse poil, on ne vous contredira jamais, non : on vous ignorera ou vous disqualifiera sans accepter le débat d’idées, comme ce qui est arrivé à l’auteur des Khmers roses. N’ayant pas lu comme François Devoucoux du Buysson le rapport de la Halde sur les manuels scolaires (voir lien en tête de cet article), je ne peux pas me prononcer sur son article ; ce que je puis dire, par contre, c’est qu’à la Halde, on ne m’a pas demandé mon avis : sans doute y a-t-il en France d’autres experts bien plus pointus que moi de la question… Faut-il créer un Groupuscule Altersexuel Interventionniste ?

 Voir un autre essai paru la même année : Le Gay Pouvoir, d’Yves Derai.
 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?

Lionel Labosse


Voir en ligne : Un article de François Devoucoux du Buysson sur le site Observatoire du communautarisme


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Retrouvez l’ensemble des critiques littéraires jeunesse & des critiques littéraires et cinéma adultes d’altersexualite.com. Voir aussi Déontologie critique.


[1Par exemple, voici un récent communiqué sur l’affaire Vanneste. Je reconnais que ce sentiment est majoritaire dans le milieu militant LGBT francilien, certes, mais en ce qui me concerne — et je ne suis pas le seul — je persiste à préférer le risque de la liberté d’expression, dont je suis bien plus souvent bénéficiaire que détrimentaire — autrement dit, ne scions pas la branche sur laquelle nous sommes assis — et j’aimerais que les médias français ne relaient pas seulement parmi les altersexuels, le courant opposé à la liberté d’expression…

[2Une telle étude existe-t-elle, est-elle rendue publique ? Il me semble que ce serait utile.

[3Voici cet article, au cas où il disparaîtrait du site de Marianne : « Le « jaune budgétaire », qui indique aux députés les montants des subventions de l’État aux associations, annonçait que le ministère de la Santé avait accordé en 2007 la somme de 560 000 € au Syndicat national des entreprises gaies (Sneg). Le député UMP des Côtes-d’Armor Marc Le Fur s’est inquiété de la façon dont la manne publique avait été dépensée. Prenant le risque d’être accusé d’homophobie, il a même déposé une question écrite à ce sujet. Sans réponse. Cette année, il s’étonne que le « jaune budgétaire » n’ait pas été fourni aux membres de l’Assemblée. Et le Breton têtu vient de déposer une nouvelle question écrite pour savoir si cette suppression correspond à une volonté politique d’éviter toutes les questions et les indiscrétions. Lettre morte ? ».

[4Voir une tentative de réhabilitation de J. Lacan dans mon essai Altersexualité, Éducation & Censure.

[5Voir ce que j’en dis dans mon article sur Amsterdam.

[6Voir les statistiques mises à jour sur l’article Pacte civil de solidarité de Wikipédia, qui non seulement compte 102000 Pacs en 2007, mais nous apprend qu’en 2005 par exemple, 155000 divorces furent prononcés pour 283000 mariages (Voir ici)…

Messages

  • Qu’est-ce qu’il fait ? Qu’est-ce qu’il a ? Qui c’est ce mec là ?

    Sauf ton respect Lionel, je n’ai rien trouvé dans ton compte-rendu de "lecture critique" qui ne justifie la présence de ce bouquin dans les bibliothèques parisiennes.

    Je ne vois dans cet opuscule que règlements de comptes visant quelques gays sous les "spotlights" et bouillie peu amène pour le genre homo.
    Et au fur et à mesure où je lis ton long compte rendu commenté, une question me taraude : "Pourquoi ce mec écrit-il ce livre ?", suivie de deux autres : "c’est qui ce type ? Quelle est sa légitimité pour écrire ça ?", "Qui édite ça ?"

    Dans la catégorie "essai", aux Editions blanche, je trouve deux auteurs qui me permettent de dessiner une ligne éditoriale : du "politiquement incorrect"(l’un d’eux avait séduit mon plus jeune frère dans un talk show de fin de soirée jusqu’à ce que l’auteur sulfureux fricote avec l’extrême droite)

    A mon humble avis, ce livre est invisible dans les lieux où l’on emprunte des livres parce qu’il n’a pas trouvé son lectorat, ce dont je me réjouis.

    Mais pour ceux à qui tu aurais donné envie de le lire, ils n’auront pas à se le passer sous le manteau, il est référencé chez Amazon. A+.

    « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, et blablabla… ».